25/12/2023
Roger Gilbert-Lecomte, Haïkaïs
Haïkaïs (2)
L’aube — Chante l’alouette —
Le ciel est un miroir d’argent
Qui reflète des violettes
La nuit — L’ombre du grand noyer
est une tache d’encre aplatie
au velours bleu du ciel
Vie d’un instant…
J’ai vu s’éteindre dans la nuit
L’éternité d’une étoile
Roger Gilbert-Lecomte, Œuvres complètes, II,
Poésie, Gallimard, 1977, p. 127.
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24/12/2023
Roger Gilbert-Lecomte, Poésie
Haïkaïs
Tous ces verts marronniers pansus
Se moquent entre eux du noyer
Qui n’a pas encore de feuilles
Sur l’Avril de vert feuillu
Bruine et ciel sale
— Triste…
Dans le ciel de cendre
Comme un dernier tison
La petite étoile
Roger Gilbert-Lecomte, Œuvres
complètes, II, Poésie, Gallimard,
1977, p. 132.
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23/12/2023
Arno Schmidt, Scènes de la vie d'un faune
Je ris tout seul, un instant, m’imaginant que je suis un mort célèbre et que Berta, ma veuve, guide les visiteurs dans les salles du « Musée Düring » de Fallingshotel. On y voit dans les vitrines mes manuscrits (pa exemple, l’avertissement à Fintels, le sommant pour la dernière fois de venir apposer ses empreintes digitales sur sa carte d’identité — « Sa dernière lettre, oui » — à côté de la grande biographie inédite de Fouqué). Au mur, mon portrait par Oskar Kokoschka, avec une seule oreille et un teint d’un incarnat fort peu catholique.
Arno Schmidt, Scènes de la vie d’un faune, traduction Jean-Claude Hémery, Christian Bourgois, 1981, p. 151.
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22/12/2023
Ludovic Degroote, Le début des pieds : recension
Si l’on se fiait seulement au titre, saurait-on que La Sorcière de Rome(André Frénaud) ou La pluralité des mondes de Lewis (Jacques Roubaud) sont des livres de poèmes ? Ceux qui annoncent leur contenu ne sont pas les plus nombreux, loin de là, tels Ode pour hâter la venue du printemps (Jean Ristat) ou Poésie ininterrompue (Paul Éluard). Sauf à connaître l’auteur, la plupart des titres n’orientent pas le lecteur vers un genre plutôt qu’un autre. Le début des pieds est un exemple de titre qui surprend ; les nombreux blasons du corps, depuis Marot et son Beau tétin, n’ont retenu que des parties du corps communément érotisées, de du Bellay à André Breton. De quoi s’agit-il chez Ludovic Degroote ? Le titre apparaît dans la première partie "un peu de monde" : « avec la bière le vin la quiche le fromage le pain et le dessert je ne suis plus qu’un ventre chaque jour / je ne vois plus que le début de mes pieds » — c’est aussi le titre de la troisième partie, après "un peu plus au bord".
Des poèmes autour du corps, de la place du sujet dans le monde, de la solitude, de la disparition se construisent à partir de ce type de notation. On ne quitte pas le lyrisme, mais il s’accompagne d’un certain détachement, et d’un humour, qui ne sont pas sans évoquer les grands moralistes classiques. La forme même du texte, proses brèves et rythmées réunies en courts ensembles, renforce le rapprochement. Les motifs sont agencés de manière complexe, on retient celui, récurrent, de la solitude et de la difficulté de vivre dans le monde, déclaré dès l’entrée : « il y a des jours où j’embrasse le monde à pleine bouche, j’y mets toute ma langue, et je ne sens rien ».
Il est inutile d’essayer de trouver une place dans ce monde, où l’on est et dont pourtant on se sent séparé (« c’est comme si le monde se dérobait à force que je sois dedans »), puisque ce n’est pas le monde qui exclut, mais ce que nous sommes, vides, sans regard pour autrui : « nous voyons cet effondrement du monde comme s’il était séparé de nous alors qu’il ne s’agit que de notre propre effondrement — nous sommes séparés du monde ». Vertige de l’inquiétude, de l’incertitude, de savoir que chacun vit la « faille du présent [...] sans cesse recommencée », la chute vers « le manque » — la mort —, mais que rien n’est dit, que tous vivent dans le silence. Solitude irrémédiable : chacun tombe /de son côté / sans heurter les vides / qui nous relient ».
Que faire de sa peur ? La supporter, puisque rien ni personne ne peut réduire ce qui est ruine en soi et l’« on ne se débarrasse pas si bien de soi ». S’enfermer pour ne plus vivre, au moins provisoirement, l’instabilité du dehors. Le monde n’est alors "visible" que par le biais des images : il est alors suffisamment à distance, et donc sans danger : le "je" oublie alors quelle place il y occupe et ce qu’il est lui-même : « et par instants je ne sais pas d’où je viens, j’aime bien la télécommande, le monde je le choisis tant pis si ça n’est pas vrai à l’instant qu’il défile sous mes yeux […] quel bonheur à la télé tout coule ». Ce retrait, qui s’exprime souvent, permet à bon compte d’être « constamment ailleurs » et de ne retenir du dehors que tout ce qui ne peut blesser et parfois même ce que tous s’accordent à estimer "poétique" : « je regarde la télé / la fenêtre est ouverte / on entend les oiseaux ».
Il y a chez Ludovic Degroote une manière tranquille de reprendre les motifs du lyrisme et d’aller à côté, du côté du politique, « j’essaie de m’en sortir / nous n’avons pas la chance de vivre au darfour » ; manière affirmée dans une esquisse d’"art poétique" sans concession. Parce que la poésie n’a pas à se limiter à la seule évidente subjectivité (Ah Frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie), qu’elle n’a pas de thèmes privilégiés. Pourquoi pas les pieds plutôt que la douleur amoureuse ou les petits oiseaux ?
j’ai envie d’une bière
voilà de la poésie prise au vif
58% de français se plaignent de la poésie contemporaine leurs attentes ne sont pas satisfaites, ils pensaient que ce serait autre chose, ils ont déjà tant de mal, c’est inutile d’en rajouter, ils croient qu’on le fait exprès
Voilà bien une autre façon d’en rajouter… Rien de plus immédiatement lisible et bien éloigné de ce qui est rangé, classé, étiqueté dans la case "poésie". Ce qui est écrit repose bien sur une expérience du monde sans emprunter les formes répertoriées, mais avance « par petits bouts sans suivi de rien ». L’écriture n’est pas moyen de guérir de la difficulté d’être là, et évacuer la poésie-pansement, comme la poésie-décorative, est travail de salubrité publique, revigorant pour le lecteur.
j’aimerais bien pouvoir écrire que le petit pansement c’est l’écriture ou que l’écriture en ôtant le pansement met le monde à nu plaie du monde plaie de soi écrire quelque chose active son petit symbole et apporte sa grandeur au poème j’aimerais bien écrire une petite obscurité populaire en achevant le torrent oh raim du peuple libre incendie le froid chambranle des montagnes
mais j’en reste à la vie qui nous ronge
Le début des pieds est suivi d’un ensemble de poèmes titré Ventre. Les poèmes sont composés cette fois de vers très courts, avec parfois jeux d’assonances et allitérations (« langue gavée gangue », « rien rot mot air mort », « mots hachés hachis ») et une syntaxe brisée, les éléments de la phrase juxtaposés ou la phrase inachevée. On pense parfois aux derniers textes de Samuel Beckett ; par exemple : « durer pour durer / encore un peu même si / peu qui quand même /avant drap ongles et chapelet blancs / », etc. Comme s’il était difficile, voire impossible de dire ce qui importe, le manque, la solitude, la perte, la fin, comme s’il fallait le ressassement pour que le vide de toute vie soit perçu — « et partout des mots / qui cherchent leur silence ».
Ludovic Degroote, Le début des pieds, suivi de Ventre, éditions Unes, 2023, 128 p., 21 €. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 14 novembre 1023.
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21/12/2023
Ludwig Wittgenstein, Tractacus-logico-philosophicus
6.4311. La mort n’est pas un événement de la vie. La mort ne peut être vécue.
Si l’on entend pas éternité, non pas une durée temporelle infinie, mais l’intemporalité, alors celui)là vit éternellement qui est dans le présent.
Notre vie est tout autant sans fin que notre champ de vision est sans limite.
Ludwig Wittgenstein, Tractacus-logico-philosophicus, traduction Pierre Klossowski, préface Bertrand Russel, Gallimard, 1961, p. 104.
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20/12/2023
Roger Giroux, L'arbre le temps
Si ce n’est vivre, hormis cette pensée
Que je dois taire, inapaisée,
Beau fruit d’un ange révolu,
Qu’elle ravisse, d’arbre en arbre,
Et de plus loin qu’il me souvienne
(et je consente à cette nuit
De quatre pieds d’ombelles sous le vent,
Une dernière fois,
L’espace d’un visage inhabité
Comme un chemin, la mer)
Cette étoile, ce cri, sur la mer :
Si ce n’est vivre, outre les sables
Et les silences de ce temps.
Roger Giroux, L’arbre le temps,
Mercure de France, 1979, p. 62.
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19/12/2023
Roger Giroux, L'arbre le temps
Legs
I
La source est le chemin.
Le désir est la source
Et le désir se tait
Au milieu du chemin.
II
Le silence est la source.
La parole est le chemin.
La parole est la source
Et le silence du chemin.
Roger Giroux, L’arbre le temps,
Mercure de France, 1979, p. 65.
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18/12/2023
Roger Giroux, L'arbre le temps
Au désir, elle prête silence,
Un feu d’écume pour le cœur, des îles nues
Au gré de la rumeur soyeuse de l’hiver.
Si loin venu, fidèle à sa parole
Désunie.
Roger Giroux, L’arbre le temps, Éric
Pesty éditeur, 2014, p. 76.
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17/12/2023
Roger Giroux, L'arbre le temps
Que bâtirais-je avec ma langue ?
Quel palais fou de désespoir
Hanté d’absences immobiles ?
Quelle ville, vouée, dès jadis
Aux purs silences de l’oubli ?
Arbre, amour, solitude, poussière…
Et c’est comme si je n’existais pas
Dans cette immensité qui me sépare de moi-même,
Dans l’intouchable de ce lieu
Frémissant, monstrueux…
Roger Giroux, L’arbre le temps, Éric Pesty éditeur,
2014, p. 41.
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16/12/2023
Roger Giroux, L'arbre le temps
Elle dit : cette ombre, ce parfum,
Cette mort grandissante…
Je parle pour exister.
Elle, dans son trop vaste sépulcre de craie,
Moi, tous ceux que j’ai conviés là
Dans l’espoir que peut-être…
Elle. La pente très douce de son visage.
Moi, friable empreinte d’une bouche, aux confins.
Roger Giroux, L’arbre le remps, Éric Pesty
éditeur, 2014, p. 58.
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15/12/2023
Roger Giroux, L'arbre le temps
(Quel visage appeler ? Quel amour concevoir ?
Ce que dit le poème n’a pas de pouvoir ?
Il consume les mots qui donneraient la vie,
Et perpétue la mort d’une aube inassouvie ?)
Roger Girous, L’arbre le temps, Éric Pesty éditeur,
2014, p. 44.
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14/12/2023
Etel Adnan, Je suis un volcan criblé de météores
Le livre de la mort
I
Je dis la mort au cœur de la vie
la lune fondue au cœur du soleil
ta vie, étoile morte au centre
de mon cœur.
II
tes fleurs mortes sur ton lit défait,
l’horizon écrasé à ta fenêtre,
et toi, fantôme glissant ta mort
humide dans le sang de mes yeux.
III
Tu es ange mort
étalé dans mon corps
boue revenue à la boue,
pluie d’hiver installée dans mes os.
pourriture du navire
oublié par la mer
soleil éteint vomi par
la bouche d’un enfant
Tu es ange muet
Étalé dans mon corps
Etel Adnan, Je suis un volcan
Criblé de météores, Poésie/Gallimard,
2023, p. 43-44.
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13/12/2023
Etel Adnan, Je suis un volcan criblé de météores
De A à Z un poème
A
serait-ce
serait-ce
serait-ce
que tu préfères
la vache et le corbeau
à moi
c’est-à-dire
le langage
et
le nuage
B
Avril est le mois le plus cruel
et Décembre
le plus sombre
Disparus sont
l’East River
et le ciel qui l’accompagne
Manhattan
se lève
au lieu du SOLEIL
C
Les grandes fleurs
tombent juste après la pluie
Samuel Beckett
boit lentement
son thé
au coin
de Wooster
et Spring
D
Tempête
un
et
deux
le maire est mort
de l’East End
au West End
les trains
sont délabrés
comme Marylin Monroe
l’était
Etel Adnan, Je suis un volcan criblé de
météores, Poésie/Gallimard, 2023, p. 171-172.
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12/12/2023
Francis jammes, Clairières dans le ciel
Parfois, je suis triste. Et, soudain, je pense à elle.
Alors, je suis joyeux. Mais je redeviens triste
de ce que je ne sais pas combien elle m’aime.
Elle est la jeune fille à l’âme toute claire,
et qui, dedans son cœur, garde avec jalousie
l’unique passion que l’on donne à un seul.
Elle est partie avant que s’ouvrent les tilleuls,
et, comme ils ont fleuri depuis qu’elle est partie,
je me suis étonné de voir, ô mes amis,
des branches de tilleuls qui n’avaient pas de fleurs.
Francis Jammes, Clairières dans le ciel, Poésie/Gallimard,
1980, p. 35.
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11/12/2023
Francis Jammes, Clairières dans le ciel
Si tout ceci n’est qu’un pauvre rêve, et s’il faut
que j’ajoute, dans ma vie, une fois encore,
la désillusion aux désillusions ;
et, si je dois encore, par ma sombre folie,
chercher dans la douceur du vent et de la pluie
les seules vaines voix qui m’aient en passion,
je ne sais si je guérirai, ô mon amie…
Francis Jammes, Clairières dans le ciel, Poésie/
Gallimard, 1980, p. 40.
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