13/06/2025
Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski
Aria
Ne précipite rien, trouve ta forme, l’ombre
glisse sous tes ailes
l’épaule des collines se hausse
sur l’intimité des herbes
un seul battement de cils
dans le soleil antique
et l’été coule entre nos doigts
les voûtes claires, rieuses
s’élancent entre les corps.
Cécile A. Holdban, Le rêve de Dostoïevski,
Arfuyen, 2025, p. 77.
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12/06/2025
Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski
Débordements
Quand le temps ruisselle
sans autres canaux pour couler
que les rigoles du trottoir
d’un dimanche soir de novembre
que chacun se presse chez soi ou aux machines
que chaque geste est dilatoire
les étourneaux
malgré les ombres longues
font leur chemin d’anges citadins
sans que nos yeux les regardent
entre les immeubles et la Seine
un bourdon bleu sur un pavé
une fleur hors saison
qui se soucie encore,
dans ce temps trop humain, de tous ces à-côtés
de ces notes un peu tombées du chœur des villes
de ces battements sourds, de tous ces petits riens
où va encore la vie.
Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski,
Arfuyen, 2025, p. 73.
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11/06/2025
Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski
Deux corneilles
Deux corneilles s’affairent
dialoguent avec leur ombre
elles paraissent sorties
du jardin des délices
Animés de fleurs brûlantes
reines et rois au loin
se déchirent l’homme est un animal
parmi d’autres animaux
Et les corneilles se tiennent
à la frontière qui séparent
les vagues de l’herbe nouvelle
des racines à nu de l’univers.
Cécile A. Holdban, Le Rêve de
Dostoïevski, Arfuyen, 2025, p. 41.
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10/06/2025
Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski
Le monde s’est fermé
et s’observe dans le miroir
d’une lune rose
Nous pourrions oublier
la circulation des pôles
le battement des matées
s’il n’y avait les paupières
lentes du lilas
s’ouvrant derrière les canisses
la promesse sans parole
de son regard en pluie
que noue et dénoue l’ombre.
Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski,
Aefuyen, 2025, p. 24.
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09/06/2025
James Sacré, Choix de poèmes : recension
La meilleure anthologie est celle que l’on fait pour soi, écrivait (à peu près !) Paul Éluard qui avait préparé une anthologie de la poésie du passé et une autre des écrits sur l’art. L’anthologie qu’un écrivain prépare de ses propres textes retient plus le lecteur que celle d’un amateur, même s’il connaît fort bien les supports de ses choix. Les éditions Unes, dans une collection de poche, ont sollicité en 2024 Jean-Louis Giovannoni et Geoffrey Squires, en 2025 Esther Tellermann et James Sacré. Ce dernier avait proposé une anthologie thématique à un éditeur algérien (Par des langues et des paysages, APIC, 2024), celle composée pour les éditions Unes est différente, il a choisi un poème (parfois deux) dans 97 des livres publiés, de 1965 (Relation) à 2025 (Rue de la Croix, à Celleneuve ses escaliers puis d’autres), certains regroupant des recueils déjà publiés. Le lecteur serait-il ainsi invité à suivre un parcours, peut-être une évolution des thèmes ou de l’écriture ? cette lecture impliquerait que l’auteur aurait choisi les poèmes en vue d’une telle démonstration. On peut bien dire qu’une œuvre est "vivante", certes, mais la métaphore est à éviter si l’on entend que l’écriture passerait de l’enfance à la maturité.
À lire les quelques lignes retenues de Relation, le lecteur reconnaît une partie du vocabulaire de James Sacré, présent dans les livres ultérieurs, enfance et geste, et récurrents arbre(s) et campagne. On pense à un souhait de donner un aperçu d’une œuvre qui, se développant sur une très longue durée, n’est certes pas restée immobile, mais le regard sur les choses n’a que peu changé. Il s’est affiné, devenu peut-être plus amoureux, et l’écriture a toujours laissé de côté un vocabulaire trop recherché, une syntaxe qui respecte toujours la norme. Pour qui lit depuis longtemps James Sacré, il n’est pas aisé de dater tel extrait :
Il devient inutile de dire le nom des herbes. Cela n’ajoute rien. On découvre qu’il s’agit de trouver un support à des phrases, à des intentions pugnaces. On fabrique un poème. Graminées remuées. Peut-être.
(1968)
Au fil des années, on lit dans les titres que l’un des socles de la poésie de James Sacré est la tentative de dire et redire avec justesse ce qui importe, qu’il s’agisse de l’enfance dans la ferme, de la relation à l’Autre ou ce que l’on voit, ce qui est devant soi : le paysage, le linge qui sèche, la petite salle de restaurant au milieu de nulle part, un âne, les arbres, des marchands dans la rue, des camions. Les poèmes de Follain sont d’ailleurs évoqués, qui ont pu être écrits « À partir de rien, le bruit d’une épingle / Sur un comptoir d’épicerie. Le bruit du monde / Ou le bruit d’un mot ». Aller toujours à la rencontre de l’Autre, de ce qui la plupart du temps est vu sans être regardé, de ce qui n’appelle pas le commentaire parce qu’il serait inutile.
Là où sont des étoffes c’est que des gens sont vivants ;
Carrés de torchons, petite culotte ou T-shirt qui sèchent
Sur un fil qui traverse la rue pas large, on devine
Le manque d’espace (et peu d’argent)
[…] (2010)
Ce qui est regardé n’appelle que rarement une glose ; devant des travailleurs émigrés exploités, dans la souffrance d’être pour longtemps éloignés de leurs proches, on éprouve peut-être de la rage devant l’inégalité dans la vie, et puis « on oublie » jusqu’à la prochaine fois. Devant la misère, rencontrant « une vie pas facile à vivre », note l’auteur, « j’ai pas eu envie de sortir mon carnet » ; mais il retient les détails du parcours dans un marché et une halle et, plus tard, revenu dans « le confort de l’hôtel » le « cahier d’écritures » est à nouveau ouvert. C’est une des caractéristiques des poèmes de James Sacré d’être régulièrement écrits à partir de "choses prises sur le fait"* et l’on en relève de multiples exemples dans cette anthologie. Par exemple, dans La solitude au restaurant (1987), après un rapide descriptif du lieu,
Des mots
(Voilà qu’on vient d’augmenter la lumière) pour seulement
Donner matière au rythme d’un poème, comment se fait-il
Que l’envie m’est venue d’en écrire un
Comme si en somme je l’avais trouvé là à cause d’une chaise remuée
À cause des pas traînants de la patronne (…)
Dire ainsi ce qu’est l’écriture de James Sacré est trop simpliste et lui-même refuse ce qui ferait du poème une manière de reportage, « Certes mon poème n’est pas une photo : mais s’il ne laisse pas dans sa liberté / une femme qui pourrait être ma mère, ou la tienne lecteur / Qui pourrait bien être / toute femme du monde en sa solitude de femme / Qui raconte et fait ce monde par ses gestes de vivante. »
Tout peut aboutir à une prose ou des vers mais, quelle que soit la forme choisie, un doute vient souvent quant à ce que transforme l’écriture : que "disent" les poèmes ? « les poèmes / m’ont emmené longtemps / Par des mots qui n’expliquent rien (…)/. Les mots sont aussi / Le silence et l’énigme ». La réponse n’est décevante que si l’on croit, espère trouver des réponses dans un écrit, dans les mots qui sont « peut-être moins l’or du temps que poussières de solitudes traversées ». Il faudrait citer encore et écarter le commentaire, s’accorder avec Malraux pour qui « toute anthologie se sépare d’une histoire de la poésie en ce qu’on l’établit pour être lue, non étudiée ». Celle-ci est une excellente invitation à lire entièrement les recueils cités
* Titre d’un des dossiers non publiés de son vivant de Victor Hugo.
James Sacré, Choix de poèmes, éditions Unes, 2025, 128 p., 10, 40 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 24 avril 2025.
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08/06/2025
Jean-Luc Sarré, Bardane Divertimento
Son chien l’ignore
son chat l’a quitté pour la voisine
même sa villa se gausse
lui tire une langue
haute de quinze marches
et de sa glycine qui embaume
il se sent si indigne
qu’il n’ose jouir de son ombre
*
Le voilà titubant dans son rôle de piéton
il l’a tenu cent fois dans cette rue
plus ou moins droit, fringant, nauséeux
enjambant les flaques de chagrin, de vinasse
mais ça, non, jamais — on ne boit pas
au goulot sous les arbres en fleur.
*
Crotté de boue mais désarmé
en jaune adorable se tient
le monstre sous le clocher.
L’air du dimanche l’enrobe de tulle,
c’est le repos de ce guerrier
qui en semaine culbute les roches.
Jean-Luc Sarré, Bardane Divertimento, farrago,
2001, p. 45-47.
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07/06/2025
Jean-Luc Sarré, La Part des anges
Citadin, il aime les jardins
mais pour les rejoindre il lui faut
attendre les vacances d'été.
Un après-midi de septembre
il arrive que l'orage survienne
et le trouve, assis sur une fesse,
étrangement irrésolu.
Une tonnelle d'abeilles au travail
l'a détourné de son chemin
pis abandonné sur une souche.
Les gouttes sur les feuilles l'allègent
d'un fardeau qu'il ignorait porter.
*
Oublié le bâton de réglisse
qui jaunissait les commissures ;
une cigarette succédant
à l'indispensable cigarette
ils ne vivent plus que pour fumer.
Mieux vaut en ville être au moins deux
pour oser croiser les regards
réprobateurs ou amusés
— ceux-là sont les plus blessants —
mais parvenus dans les faubourgs,
certains aiment la garder au bec
en évoquant les larmes aux yeux
l'ambiance — Smoke gets in your eyes —
d'une innocente surprise-partie.
Jean-Luc Sarré, La Part des anges, La Dogana, 2007, p. 25, 69.
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06/06/2025
Michel de M'Uzan, Les Chiens des Rois
Pâles et tranquilles
Toute la façade du théâtre était illuminée. Devant, le feuillage de grands arbres arrêtait la lumière en une haute voûte claire. Au-dessus, le crépuscule se prolongeait. La soirée était tiède, les bruits étouffés, une foule se pressait à l’entrée.
Dans la salle, pas une place était inoccupée. Les spectateurs silencieux fixaient la scène. Aucun rideau ne la dissimulait et dans le grand rectangle sombre et opaque, nul décor, nul objet ne se distinguait.
Les lumières s’éteignirent lentement, deux par deux, en longues rangées, à l’orchestre, puis au balcon, aux galeries enfin. Quand tout fut obscur, comme venant du faîte de la salle, les premiers sons d’une flûte descendirent. Lointaines et précises, les notes toujours égales se succédaient sans hâte.
La scène s’éclaira peu à peu ; deux personnage y étaient déjà placés : un marquis, une marquise, distants de quelques pas. Leurs costumes verts brillaient, l’homme, le buste penché, semblait avancer, la femme, le dos incliné, semblait reculer. Ils rompirent leur immobilité dans une danse lente et mesurée ; tout en haut, la flûte jouait, l’or des vêtements scintillait, les souliers vernis glissaient et tournaient. Le rythme s’accélérait, les perruques blanches flottaient, absorbaient la lumières vive cernant de près le couple qui dansait. Les ombres dédoublées s’allongeaient et revenaient, la flûte jouait plus vite et montait. Les danseurs se rapprochèrent.
Au fond de la salle, au dernier rang, un homme s’était levé ; on ne distinguait que sa haute silhouette sombre. À droite, plus en avant, un second, puis un troisième au milieu, à gauche un autre encore, se dressèrent. Tous étaient tournés vers la scène où le cercle de lumière rétrécissait. Pâles et tranquilles, tout proches, l’homme et la femme continuaient à danser. Deux nouvelles silhouettes apparurent sur le plateau. Le marquis et la marquise ne fut plus alors qu’une seule forme en mouvement. Du plafond de la salle, la flûte lançait ses notes claires, tandis que le lourd rideau rouge descendait lentement.
Michel de M’Uzan, Les Chiens des Rois, collection Métamorphoses XLVI, Gallimard, 1954, p. 135-137.
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05/06/2025
Georges Lambrichs, Les rapports absolus
Le mensonge à refaire
Mon malaise est affichage. Comme si je ne protégeais pas mon intériorité en lui ménageant les artifices, les marches de mes actes, parfois le secret, de toute manière le mystère de ce que je suis amené à faire. Comme si mes liaisons avaient été des empêchements, des calculs, des choix, des impostures. L'amour n'est pas qu'échange, il est sacrificiel. Et puisqu'il vaut mieux que je déclare ce qui à mes yeux prendrait trop d'importance à être tu, je ne me sens actuellement aucune aptitude aux adhésions par accolement. Mon univers personnel est une opacité qui ne se partage pas, et surtout pas avec les sources de lumière et de raison qui s'écoulent chez nos femmes à l'endroit de quelque régime glandulaire. Le circuit de toute vie maritale est un luxe d'une insoutenable négligence.
Que peut bien me faire, dés lors, celle qui, sans éclat, me regarde ? ou m'accompagne, comme on dit, dans mes pensées, dans mon avidité, dans mon pathétique ? Celle qui me demande à boire, à l'aimer, à rencontrer mes amis, à vivre nue, à partir pour la mer, à faire un feu, à l'étreindre, qui calcule mon argent, qui m'en apporte ? Celle qui me demande ce que je fais pour le savoir ? Et ce que je pense pour rien. Il faut croire, n'est-ce pas, qu'elle est vraiment ce qu'elle dit. Elle parle du sens de sa vie. Alors que le sens de la mienne, évidemment, est celui d'être coupé de ce qui me décide à inventer d'autres rapports avec le monde.
Comme si je ne connaissais plus que la passion de trahir ce que j'ai sous la main qui me plaît, qui somnole fraîchement.
C'est le moment de quelque grande tricherie attendue par ceux qui ne coïncident pas avec la vérité de l'histoire parce qu'ils ont trouvé le moyen de séduire.
Il ne s'était agi pour eux, à première vue, que de se cacher.
Georges Lambrichs, Les rapports absolus, Métamorphoses, Gallimard, 1949, p. 61-63.
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Georges Lambrichs, Les rapports absolus
Le mensonge à refaire
Mon malaise est affichage. Comme si je ne protégeais pas mon intériorité en lui ménageant les artifices, les marches de mes actes, parfois le secret, de toute manière le mystère de ce que je suis amené à faire. Comme si mes liaisons avaient été des empêchements, des calculs, des choix, des impostures. L'amour n'est pas qu'échange, il est sacrificiel. Et puisqu'il vaut mieux que je déclare ce qui à mes yeux prendrait trop d'importance à être tu, je ne me sens actuellement aucune aptitude aux adhésions par accolement. Mon univers personnel est une opacité qui ne se partage pas, et surtout pas avec les sources de lumière et de raison qui s'écoulent chez nos femmes à l'endroit de quelque régime glandulaire. Le circuit de toute vie maritale est un luxe d'une insoutenable négligence.
Que peut bien me faire, dés lors, celle qui, sans éclat, me regarde ? ou m'accompagne, comme on dit, dans mes pensées, dans mon avidité, dans mon pathétique ? Celle qui me demande à boire, à l'aimer, à rencontrer mes amis, à vivre nue, à partir pour la mer, à faire un feu, à l'étreindre, qui calcule mon argent, qui m'en apporte ? Celle qui me demande ce que je fais pour le savoir ? Et ce que je pense pour rien. Il faut croire, n'est-ce pas, qu'elle est vraiment ce qu'elle dit. Elle parle du sens de sa vie. Alors que le sens de la mienne, évidemment, est celui d'être coupé de ce qui me décide à inventer d'autres rapports avec le monde.
Comme si je ne connaissais plus que la passion de trahir ce que j'ai sous la main qui me plaît, qui somnole fraîchement.
C'est le moment de quelque grande tricherie attendue par ceux qui ne coïncident pas avec la vérité de l'histoire parce qu'ils ont trouvé le moyen de séduire.
Il ne s'était agi pour eux, à première vue, que de se cacher.
Georges Lambrichs, Les rapports absolus, Métamorphoses, Gallimard, 1949, p. 61-63.
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04/06/2025
Georges Didi-Huberman, Essayer voir
« Comment essayer dire ? » (how try say ?), se demande Beckett1. Et il répond par l'indication d'un geste double ou dialectique, un geste constamment reconduit à la façon dont nos propres paupières ne cessent d'aller et venir, de battre au-devant de nos yeux : « Yeux clos » (clenched eyes), pour ne pas croire que tout serait à notre portée comme le matériau intégral d'une demonstration ad oculos. « Yeux écarquillés » (staring eyes), pour s'ouvrir et s'offrir à l'irrésumable expérience du monde. « Yeux clos écarquillés » (clenched staring eyes), pour penser enfin, et même pour dire, essayer dire tout cela ensemble2. Si le langage nous est donné, le dire nous est constamment retiré, et c'est par une lutte de tous les instants, un essai toujours à recommencer, que nous nous débattons avec cet innommable de nos expériences, de notre défaut constitutionnel devant l'opacité du monde et de ses images.
Georges Didi-Huberman, Essayer voir, Les Éditions de Minuit, 2014, p. 53.
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03/06/2025
Antonin Artaud, Poèmes
L’amour sans trêve
Ce triangle d’eau qui a soif
cette roue sans écriture
Madame, et le signe de vos mâtures
sur cette mer où je me noie
Les messages de vos cheveux
le coup de fusil de vos lèvres
cet orage qui m’enlève
dans le sillage de vos yeux
Cette ombre enfin, sur le rivage
où la vie fait trêve, et le vent,
et l’horrible piétinement
de la foule sur mon passage.
Quand je lève mes yeux vers vous
on dirait que le monde tremble,
et les feux de l’amour ressemblent
aux caresses de votre époux.
Antonin Artaud, Poèmes (1924-1935), dans Œuvres
complètes, I*, Gallimard, 1976, p. 262.
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01/06/2025
Octavio Par, Arbre au dedans
Arbre au-dedans
Dans mon front a poussé un arbre.
Il a poussé au-dedans.
Ses racines sont des veines,
des nerfs ses branches,
ses feuillages confus des pensées.
Tes regards l’enflamment
et ses fruits d’ombres
sont oranges de sang, grenades de lumière.
Le jour se lève
dans la nuit du corps.
Là au-dedans, dans mon front,
l’arbre parle.
Approche, tu l’entends ?
Octavio Paz, Arbre au dedans, dans Œuvres, édition
Jean-Claude Masson, Pléiade/Gallimard, 2008, p.570.
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31/05/2025
Octavio Paz, Liberté sur parole
Majuscule
Crête cri de l’aube qui flamboie ! Premier œuf, premier coup de bec, cou coupé, allégresse ! les plumes volent, les ailes se déplient, les voiles se gonflent, des rames plongent dans le matin. Lumière débridée, lumière cabrée, la première. Croulements de cristaux qui déboulent de la montagne, tympanons de glace à rompre mes tympans.
Elle n’a pas de saveur, elle n’a pas d’odeur, l’aube, l’enfant encore sans nom, encore sans visage. Elle arrive, elle avance, elle titube, s’éloigne. Elle laisse une traîne de rumeurs qui ouvrent les yeux. Elle se perd en elle-même. Et le jour de colère écrase de son grand pied une petite étoile.
Octavio Paz, Liberté sur Parole, dans Œuvres, édition
Jean-Claude Masson, Pléiade/Gallimard, 2008, p. 89.
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30/05/2025
Octavio Paz, Salamandre
Intérieur
Pensées en guerre
veulent briser mon front
Par des chemins d’oiseaux
avance l’écriture
La main pense à voix haute
le mot en convie un autre
Sur la feuille où j’écris
vont et viennent les êtres que je vois
Le livre et le cahier
replient les ailes et reposent
On a déjà allumé les lampes
comme un lit l’heure s’ouvre et se ferme
Les bas rouges et le visage clair
vous entrez toi et la nuit
Octavio Paz, Salamandre, dans Œuvres,
éditionJean-Claude Masson, Pléiade/Gallimard,
2008, p. 241.
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