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21/11/2024

Kafka, Fiches

 

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18.

S’il avait été possible de construire la tour de Babel sans l’escalader, cela aurait été permis.

 

20.

Des léopards font irruption dans le temple et assèchent les cruches du sacrifice ; cela se répète encore et encore ; pour finir on peut le prévoir et cela devient une partie de la cérémonie.

 

22.

Tu es le devoir à faire. Aucun élève aux alentours.

 

24.

Comprendre ce bonheur, le sol sur lequel tu te tiens ne peut être plus grand que les deux pieds qui le recouvrent.

 

Kafka, Fiches, éditions NOUS, 2024.

20/11/2024

Kafka, Fiches

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5.

À partir d’un certain point il n’y a plus de retour. Ce point est  atteindre.

 

13.

Un premier signe d’un début de connaissance est le désir de mourir. Cette vie semble insupportable, une autre, hors d’atteinte. On n’a plus honte de vouloir mourir ; on demande à quitter l’ancienne cellule, que l’on hait, pour être placé dans une nouvelle, que l’on commencera à apprendre à haïr. Un reste de croyance s’y ajoute, pendant le transfert le Seigneur passerait par hasard dans le couloir, il regarderait le prisonnier et dirait : « Celui-là, ne l’emprisonnez pas de nouveau. Il vient chez moi. »

 

15.

Comme un chemin en automne : à peine est-il entièrement balayé qu’il se couvre à nouveau de feuilles mortes.

 

16.

Une cage alla chercher un oiseau.

 

Kafka, Fiches, éditions NOUS, 2024

19/11/2024

André Breton, Poisson soluble

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27

Il y avait une fois un dindon sur une digue Ce dindon n’avait plus que quelques jours à s’allumer au grand soleil et il se regardait avec mystère dans une glace de Venise disposée à cet effet sur la digue. C’est ici qu’intervient la main de l’homme, cette fleur des champs dont vous n’êtes pas sans avoir entendu parler. Le dindon, qui répondait au nom de Troisétoiles, en manière de plaisanterie, ne savait plus où donner de la tête. Chacun sait que la tête du dindon est un prisme à sept ou huit   faces tout comme le chapeau haut de forme est une prisme à sept ou huit reflets.

 

Le chapeau haut de forme se balançait sur la digue à la façon d’une moule énorme qui chante sur un rocher. La digue n’avait aucune raison d’être depuis que la mer s’était retirée, avec force ce matin-là. Le port était, d’ailleurs, éclairé tout entier par une lampe à arc de la grandeur d’un enfant qui va à l’école.

[…]

André Breton, Poisson soluble, dans A. B., Manifestes du Surréalisme, Gallimard, Pléiade, 2024, p. 81.

18/11/2024

André Breton, Manifestes du Surréalisme

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Beauté

Elle est belle et plus que belle : elle est surprenante » (Baudelaire) « Je suis belle et forte, mais je suis femme. » (Cros)

 

Femme

« Doit être le dernier mot d’un mourant et d’un livre » (Forneret) « Cette fois, c’est la Femme que j’ai vue dans la ville, à qui j’ai parlé et qui me parle » (Rimbaud)

 

Rêve

« Le Rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir ces portes d’ivoire ou de cor

 

ne qui nous séparent de la mort. » (Nerval) « Rien ne vous appartient plus en propre que vos rêves. Sujet, forme, durée, acteur, spectateur — dans ces comédies, vous êtes tout vous-même ! » (Nietzsche).

 

André Breton, Dictionnaire abrégé du Surréalisme, dans A. B., Manifestes du Surréalisme, Gallimard, Pléiade, 2024.

16/11/2024

Shakespeare, Sonnets et autres poèmes

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92

 

Mais va, tente le pire en me privant de toi,

Tu es lié à moi pour le temps de la vie,

Et plus que ton amour ma vie ne peut durer,

Car la voilà soumise à ton amour pour moi.

Le pire des affronts, je n’ai pas à le craindre,

Lorsque au moindre d’entre eux ma vie s’achèverait.

Je le vois bien, un état plus heureux m’attend

Que celui qui serait soumis à tes humeurs.

Ton esprit inconstant ne peut plus m’affliger,

Puisque ta trahison décide de ma vie.

Ah ! que je suis heureux du lien qui nous unit,

Heureux d’avoir ton amour, heureux de mourir !

    Mais quel bonheur béni ne craint une souillure ?

    Tu me trompes peut-être, et je ne le sais pas.

 

Shakespeare, Sonnets et autres poèmes, traduction

Jean-Michel Déprats, Gallimard, Pléiade, 2021, p. 431.

15/11/2024

Shakespeare, Sonnet et autres poèmes

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                Sonnet 17

 

Étant ton esclave, qu’irais-je faire d’autre

Que servir ton désir, à tout moment, toute heure.

Mon temps n’est pas précieux, je n’ai nulle mission

Ni de service à rendre, j’attends tes ordres ;

Je n’ose pas gronder l’heure infiniment longue

Cependant que pour toi (mon souverain), je scrute

L’horloge, ni ne blâme ton absence amère

Quand tu as pris congé de celui qui te sert ;

Ni n’ose demander dans ma pensée jalouse

Où tu peux te trouver, ou ce qui te requiert,

Mais patiente en triste esclave et ne pense à rien

Si ce n’est au bonheur que tu donnes à d’autres.

    L’amour est si grand fou que, dans ton bon plaisir,

    Quoi que tu puisses faire, il ne voit rien de mal.

 

Shakespeare, Sonnet et autres poèmes, traduction

Jean-Michel Déprats, Gallimard, Pléiade, 22021, p. 461.

   

14/11/2024

Shakespeare, Sonnets et autres poèmes

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                      Sonnet 88

 

Quand tu seras enclin à me sous-estimer,

À moquer mes mérites au vu et au su de tous,

Je combattrai de ton côté contre moi-même,

Je te dirai constant, bien que tu sois parjure.

De ma propre faiblesse instruit mieux que quiconque,

En ta faveur je puis continuer le récit

De ces fautes cachées dont je suis souillé,

Si bien que tu auras grande gloire à me perdre ;

Et en cela je serai moi aussi gagnant,

Car, tournant toutes mes pensées d’amour pour toi,

Des coups que je m’inflige à ton profit,

Je tire double motif puisqu’ils t’avantagent.

    Car tel est mon amour : je t’appartiens si fort

    Qu’en te donnant raison je porte tous les torts.

 

Shakespeare, Sonnets et autres poèmes, traduction

Jean-Michel Déprats, Gallimard, Pléiade, 2021, p. 423.

13/11/2024

Shakespeare, Sonnets et autres poèmes

                     

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                   Sonnet 73

Tu peux saisir en moi ce moment de l’année

Où des feuilles jaunies, quelques-unes, aucune,

Pendent à ces rameaux qui tremblent dans le froid

Chœurs doux et en ruine où les oiseaux chantaient.

En moi tu vois le crépuscule de ce jour

Qui au soleil couchant s’éteint à l’occident,

Que petit à petit emporte la nuit noire,

Sœur de la mort, qui scelle tout dans le repos.

En moi tu vois le rougeoiement d’un feu

Qui repose sur les cendres de sa jeunesse

Comme sur le lit de mort où il doit expirer,

Consumé par ce qui avait nourri sa flamme.

    Tu perçois cela qui rend ton amour plus fort,

    Pour mieux aimer ce qu’il te faut quitter.

 

Shakespeare, Sonnets et autres poèmes, traduction

Jean-Michel Déprats, Gallimard, Pléiade, 2021, p.393.

12/11/2024

Shakespeare, Le Pèlerin passionné

 

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[14]

 

Bonne nuit, bon repos.. Je n’ai ni l’un ni l’autre.

Son « bonne nuit » n’a fait que m’ôter le repos,

Me renvoyant aux mille tourments d’une hutte

Où ressasser les peurs du déclin qui m’attend.

    « Bien le bonsoir !  dit-elle, et revenez demain ! »

    Mais quel bon soir, avec le chagrin pour convive ?

 

Pourtant à mon départ elle eut un doux sourire :

Dédain ou amitié je ne saurai le dire.

Rire de mon exil la réjouissait peut-être ;

Peut-être voulait-elle que j’erre encore au loin.

    « Errer » : un mot fait pour les ombres comme moi,

    Livrées à la souffrance, privées de récompense.

 

Seigneur ! comme mes yeux se tournent vers l’orient !

Mon cœur presse le guet ; le matin qui se lève

Somme les autres sens de n’être plus oisifs,

Méfiant qu’il est du seul office de mes yeux.

    Pendant que Philomèle chante, moi je guette

    Et voudrait que sa gamme soit celle de l’alouette !

 

Shakespeare, Le Pèlerin passionné, dans Sonnets et autres poèmes,

Gallimard, Pléiade, 2021, p. 213.

11/11/2024

Charles Pennequin, Les petites mains

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                     Les petites mains 

Il y a ces mains. Ces petites mains de la France. Il y a ces petites mains d’en bas. Celles qui traînent dans la France. La France de tout ce bas et qui soutiennent cette France. Des mains. Des petites mains de la France en nombre. Un grouillement de mains. Et qui farfouillent. Ce grouillement qui est au fond. Tout au fond du sac français. Et qui remonte la France. De fond en comble ce grouillement. Ce mouvement de fond. Qui remonte le France de son fond propre. Car elle n’a pas mauvais fond la France. Elles le savant ces petites mains. La France est soutenue par ces petites mains. […]

 

Charles Pennequin, Les petites mains dans Rehauts n° 53, ocotbre 2024, p. 12.

10/11/2024

Philippe Jaccottet, Airs

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Qu’est-ce que le regard ?

 

Un dard plus aigu que la langue

la course d’un excès à l’autre

du plus profond au plus lointain

du plus sombre au plus pur

 

un rapace

 

Philippe Jaccottet, Airs, dans

Œuvres, Gallimard, Pléiade, 2014, p. 427.

09/11/2024

Philippe Jaccottet, Leçons

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Toi cependant,

 

ou tout à fait effacé

 

et nous laissant moins de cendres

que feu d’un soir au foyer,

 

ou invisible habitant l’invisible,

 

ou graine dans la loge de nos cœurs,

 

quoi qu’il en soit,

 

demeure en modèle de patience et de sourire,

tel le soleil dans notre dos encore

qui éclaire la table, et la page, et les raisins ?

 

Philippe Jaccottet, Leçons, dans Œuvres,

Gallimard, Pléiade, 2014, p. 460.

08/11/2024

Philippe Jaccottet, Airs

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Qu’est-ce que le regard ?

 

Un dard plus aigu que la langue

la course d’un excès à l’autre

du plus profond au plus lointain

du plus sombre au plus pur

 

un rapace

 

Philippe Jaccottet, Airs, dans

Œuvres, Gallimard, Pléiade, 2014, p. 427.

07/11/2024

Philippe Jaccotet, L'Ignorant

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Chanson

 

Qui n’a vu monter ce rire

comme du fond du jardin

la lune encore peu sûre ?

Qui n’a vu s’ouvrir la porte

au bout de l’allée de pluie ?

 

(Ah ! qui entre dans cette ombre

 ne l’oublie pas de sitôt !)

 

Les bras merveilleux de l’herbe

et ses ruisselants cheveux,

la flamme, du bois mouillé

tirant rougeur et soupirs…

 

(Qui s’enfonce dans cette ombre

ne l’oubliera de sa vie)

 

Qui ‘a vu monter ce rire…

Mais toujours vers nous tourné,

on ne peut qu’appréhender

sa face d’ombre et de larmes.

 

Philippe Jaccottet, L’Ignorant, dans

Œuvres, Gallimard, Pléiade, 2014, p. 147.

06/11/2024

Philippe Jaccottet, Observations, I

 

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  L’amour lui-même ne doit-il pas être absolument sans but ? Ainsi une sorte de bonheur semblerait possible même dans les plus dures conditions. 

La lumière du monde n’est pas moins pure qu’au temps des Grecs ; mais moins proche, et nos paroles moins limpides. Il es inquiétant de songer à cette évolution. 

La vanité est tressée dans la littérature. Elle détruit. Bonheur de la naïveté. 

Pas de hâte. On est toujours trop pressé. La source est bien gardée : que de contes nous l’ont dit ! Ce n’est pas encore aujourd’hui que tu dissiperas l’obscurité qui t’entoure, que tu deviendras le compagnon des oiseaux.

 

Philippe Jaccottet, Observations I, Gallimard, Pléiade, 2014, p.44, 46, 56, 62.