Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/05/2025

Jean-Patrice Courtois, Et virgule

 

                                        jean-patrice courtois, et virgule, parenthèse

nous ne sommes pas fous (sinon nous aurions l’air sauvés (nous ne sommes pas libres (sinon nous aurions l’air égarés (nous ne sommes pas morts (sinon nous aurions l’air d’un autre type d’oubli, nous sommes libres (parce que nous avons l’air égarés, nous sommes vivants (parce que nous sommes encore vivants, nous ne sommes pas fous (parce que nous aurions l’air sauvés, nous ne sommes pas libres (parce que nous aurions l’air égarés (nous ne sommes pas morts (parce que nous sommes encore une articulations d’ablatifs 

 

Jean-Patrice Courtois, Et virgule, NOUS, 2025, p. 47.

03/05/2025

Philippe Jaccottet, La Semaison

 

                               Philippe jaccottet, la semaison, pluie

Pluie oblique, changeante, passante ou fuyante ; bruit d’une machine indéterminée, peut-être dans les champs. Journées encore presque froides, méchantes. Le bruit des voitures est aussi comme celui d’une machine, d’un outil qui s’enfoncerait dans la matière de l’air pour lr percer.

Des paroles brèves comme une rapide pluie. Comme ces lignes qu’elle laisse sur la vitre un instant, brillantes, étoilées, et pourtant chaque perle, chaque goutte a son nœud d’ombre. Derrière l’astre des larmes, l’herbe encore un peu plus verte, et une multitude analogue dans le nid des arbres. Une fumée bleue comme les lointains.

 

Philippe Jaccottet, La Semaison dans, Œuvres, Pléiade/Gallimard, 2014, p. 353

.

02/05/2025

Philippe Jaccottet, Airs

 

            Unknown-10.jpeg

Dans l’herbe à l’hiver survivant

ces ombres moins pesantes qu’elle,

des timides bois patients

sont la discrète, la fidèle,

 

l’encore imperceptible mort

 

Toujours dans le jour tournant

ce vol autour de nos corps

Toujours dans le champ du jour

ces tombes d’ardoise bleue

 

Philippe Jaccottet, Airs, dans Œuvres,

Pléiade/Gallimard, 2014, p. 422.

01/05/2025

Jacques Prévert, Paroles

Unknown-14.jpeg

 

Le temps perdu

 

Devant la porte de l’usine

le travailleur soudain s’arrête

le beau temps l’a tiré par la veste

et comme il se retourne

et regarde le soleil

tout rouge tout rond

souriant dans son ciel de plomb

il cligne de l’œil

familièrement

Dis donc camarade Soleil

tu ne trouves pas

que c’est plutôt con

de donner une journée pareille

à un patron ?

 

Jacques Prévert, Paroles, 1949.

30/04/2025

Philippe Jaccottet, Dans le ciel...

                               philippe jaccottet, dans le ciel..., hiver, ciel

 

Les couleurs graves des fins d’après -midi, l’hiver : le brun qui tire sur le fauve, le pourpre, le violet ; le vert très sombre, les lointains bleus ; et aujourd’hui, entre l’horizon et de longs nuages peut-être chargés de neige, un morceau de ciel si clair qu’il en paraît juvénile ou angélique. L’enclos du grand jardin avec ses murs couverts de lierre donne toujours un même conseil de calme, de patience, de confiante attente.

Autre « Chambre des époux » fidèles, avec à la voûte cette couronne légère, cette baie d’air animée par de rares nuages pareils à des roses. Comme si l’on embrassait d’un même regard la navigation, là-haut, et tout en bas l’heureuse rumeur du port.

 

Philippe Jaccottet, Dans le ciel…, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard, 2014, p. 765.

 

29/04/2025

Sylvie Durbec, Père Liban Mère Suisse

 

Unknown-1.jpeg

 

Faut-il redresser l’horizon

Au loin les réponses

Beaux chevaux bleu noir

Réfugiés au coin du soir

 

Rien ne sera redressé

Pas même le bond

Du léopard

 

Sylvie Durbec, Père Liban Mère Suisse,

Rosa canina éditions, 2025, p. 33.

27/04/2025

Philippe Jaccottet, Observations I

                                    Unknown-10.jpeg

 Le vingt-huit novembre au matin, comme je passais le pont du Carrousel, une brume sans aucun poids ni moiteur (le ciel au zénith étant clair) enveloppait encore la Seine, le Louvre, la passerelle des Arts et au moins la base de l’Île. Ni la Tour Saint-Jacques, ni le City-Hôtel, ni le Vert Galant n’existaient plus qu’une âme endormie. Un soleil parfaitement rouge apparut dans leur rêve et roula, par-dessus les toits du Louvre jusque sur le jardin qu’ils encadrent.

 

Philippe Jaccottet, Observations I, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard,

2014, p. 32.

René Char, Rougeur des Matinaux

                  rené char, rougeur des matinaux

III. Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront.

IV. Au plus fort de l’orage, il y a toujours un oiseau pour nous rassurer. C’est l’oiseau inconnu. Il chante avant de s’envoler.

VI. Allez à l’essentiel : vous n’avez pas besoin de jeunes arbres pour reboiser votre forêt ?

 IX. . Il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière. Beaux yeux brûlés parachèvent le don.

XX. Il semble que l’on naît toujours à mi-chemin du commencement et de la fin du monde. Nous grandissons en révolte ouverte presque aussi furieusement contre ce qui nous entraîne que contre ce qui nous retient.

 

René Char, Rougeur des Matinaux, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1981, p. 328, 330, 330, 331, 333.

 

26/04/2025

René Char, Le Consentement tacite

             Unknown-5.jpeg

                         Les lichens 

Je marchais parmi les bosses d’une terre écurée, les haleines secrètes, les plantes sans mémoire. La montagne se levait, flacon empli d’ombre qu’étreignait par instants le geste de la soif. Ma trace, mon existence se perdaient. Ton visage glissait à reculons devant moi. Ce n’était qu’une tache à la recherche de l’abeille qui la ferait fleur et la dirait vivante.       

 Nous allions nous séparer. Tu demeurerais sur le plateau des arômes et je pénètrerais dans le jardin du vide. Là, sous la sauvegarde des rochers, dans la plénitude du vent, je demanderais à la nuit véritable de disposer de mon sommeil pour accroître ton bonheur. Et tous les fruits t’appartiendraient.

 

René Char, Le Consentement tacite, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1981, p. 316-317.

25/04/2025

René Char, Le Poème pulvérisé

images.jpeg

                             Marthe 

Marthe que ces vieux murs ne peuvent pas s’approprier, fontaine où se mire ma monarchie solitaire, comment pourrai-je jamais vous oublier puisque je n’ai pas à me souvenir de vous : vous êtes le présent qui s’accumule. Nous nous unirons sans avoir à nous aborder, à nous prévoir comme deux pavots font en amour une anémone géante.

Je n’entrerai pas dans votre cœur pour limiter sa mémoire. Je ne retiendrai pas votre bouche pour l’empêcher de s’entrouvrir sur le bleu de l’air et la soif du jardin. Je veux être pour vous la liberté et le vent de la vie qui passe le seuil de toujours avant que la nuit ne devienne introuvable.

 

René Char, Le Poème pulvérisé, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1981, p. 260.

24/04/2025

René Char, Feuillets d'Hypnos

                      Unknown-5.jpeg

41

S’il n’y avait pas parfois l’étanchéité de l’ennui, le cœur s’arrêterait de battre. 

46

L’acte est vierge, même répété.

 59

Si l’homme parfois ne fermait pas souverainement les yeux, il finirait par ne plus voir ce qui vaut d’être regardé.

 62

Notre héritage n’est précédé d’aucun testament.

 83

Le poète, conservateur des infinis visages du vivant.

 

René Char, Feuillets d’Hypnos, dans Œuvres complètes,

Pléiade/Gallimard, 1981, p. 185, 186, 187, 190, 193.

23/04/2025

René Char, Dehors la nuit est gouvernée

Unknown-5.jpeg

       Dent prompte

                5

Comme midi fume un verre

Tout ce que j’aimais a fléchi

Tangible anodin familier

Un visage que je ressentais teneur d’arène

Un corps qui glaçait les dents du vent

Quelques voix festivales plus adroites que la création

Une parole d’immunité où s’empêtre toute audace

Je me suis accoutumé au mouvement perpétuel de la solitude

À son guidon décoré de poussière

À son belvédère aux marches d’escalier accablant.

 

René Char, Dehors la nuit est gouvernée, dans

Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1981, p.119.

22/04/2025

René Char, Les Loyaux Adversaires

images-1.jpeg

         Chaume des Vosges

 

Beauté, ma toute droite, par des routes si ladres,

À l’étape des lampes et du curage clos

Que je me glace et que tu sois ma femme de décembre,

Ma vie future c’est ton visage quand tu dors.

 

René Char, Les Loyaux adversaires, dans Œuvres complètes,

Pléiade/Gallimard, 1983, p. 239.

21/04/2025

Aurélie Foglia, On•e

aurélie foglia,  On•e, pendaison

Un corps de rêve

 

On•e a un corps

de rêve. N’a qu’un

 

Corps de rêve. En a

plein sa penderie.

 

À travers son rêve

on passe la main

 

sans la toucher.

On ne la trouvera

 

Pas. Nul•le part.

On•e s’est déteint•e.

 

Pendu•e.

(…)

Aurélie Foglia, On•e,

Lanskine, 2025, p. 56.

Aurélie Foglia, On•e

aurélie foglia,  On•e, pendaison

Un corps de rêve

 

On•e a un corps

de rêve. N’a qu’un

 

Corps de rêve. En a

plein sa penderie.

 

À travers son rêve

on passe la main

 

sans la toucher.

On ne la trouvera

 

Pas. Nul•le part.

On•e s’est déteint•e.

 

Pendu•e.

(…)

Aurélie Foglia, On•e,

Lanskine, 2025, p. 56.