13/04/2025
Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit
Carrefour
«’arrêter devant le soleil
Après la chute ou le réveil
Quitter la cuirasse du temps
Se reposer sur un nuage blanc
Et boire au cristal transparent
De l’air
De la lumière
Un rayon sur le bord du verre
Ma main déçue n’attrape rien
Enfin tout seul j’aurai vécu
Jusqu’au dernier matin
Sans qu’un mot m’indiquât quel fut le bon chemin
Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit, dans Œuvres
complètes, Flammarion, 2010, p. 201.
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12/04/2025
Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit
Minute
Il n’est pas encore revenu
Mais qui dans la nuit est entré
La pendule les bras en croix
S’est arrêtée
Pierre Reverdy, Leq Ardoises du toit, dans
Œuvres complètes, I, Flammarion 2010, p. 185.
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11/04/2025
Pierre Reverdy, La Lucarne ovale
Grandeur nature
Je vois enfin le jour à travers les paupières
Les persiennes de la maison se soulèvent
Et battent
Mais le jour où je devais le rencontrer
N’est pas encore venu
Entre le chemin qui penche et les arbres il est nu
Et ces cheveux au vent que soulève le soleil
C’est la flamme qui entoure sa tête
Au déclin du jour
Au milieu du vol des chauves-souris
Sous le toit couvert de mousse où fume une cheminée
Lentement
Il s’est évanoui
Au bord de la forêt
Une femme en jupon
Vient de s’agenouiller
Pierre Reverdy, La Lucarne ovale, dans Œuvres complètes, I, Flammarion, 2010, p. 109.
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10/04/2025
Christopher Okigbo, Labyrinthes
Lustres
Alors j’irais encore dans les collines alors j’irais là
où jaillit la fontaine
là-bas pour y puiser de l’eau
Et à la cime des collines grimperais
corps et âme
chaulé dans la rosée de lune
là-bas pour aller voir d’en haut
Alors j’irais de mon œil balayer la brume
alors j’irais
de brume de lune jusqu’à cime de colline
là-bas pour purification
Ici est un œuf à eine pondu ici une poule blanche à mi-terme.
Christopher Okigbo, Labyrinthes, édition bilingue, traduction de l’anglais (Nigeria) par Christine Fioupou, Poésie/Gallimard, 2025, p.83.
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09/04/2025
Gabriel Mwènè Okoundji, L'âme blessée d'un éléphant noir
Avec ta main entière sur ton cœur, juste ta main comme repère
tu apprendras à être proche sans te confondre
tu apprendras à croire ce que verront tes yeux d’homme
dans le désordre ardent de l’obscurité meurtrière
l’arbre qui se consume dans l’épreuve du feu n’ignore pas le recueillement
et n’oublie pas
ta parole est ta mémoire
le silence est ton enclos
aux âmes vulnérables
la patience garantit l(éternité du chemin
Gabriel Mwènè Okoundji, L’âme blessée d’un éléphant noir, Poésie/Gallimard, 2025, p. 46.
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Alexis Bardini, Ressacs
La nuit venue je tombe en toi
Tu redeviens d’ombre
Et dans cette eau que la lune éblouit
Tu te sens pris d’un grand vertige
Tu veux danser et tu t’installes
Dans ta légende
Une main immobile
L’autre désaccordée
Entre nous l’abîme
Trait d’union de l’orgueil
Tu tais en toi les noms
Dont la vieillesse poudre ton visage
À retrousser l’obscur nos mains s’épuisent
Alexis Bardini, Ressacs, Gallimard, 2024, p. 16.
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08/04/2025
Soline de Laveleye, Par les baleines
(…) Ne l’as-tu pas été, cette suite d’organes qu’on ausculte, sur laquelle on légifère, qu’on veut bride ou débrider, selon l’humeur. Tour après tour — dans le miroir à facettes les contours t’échappaient. Ne l’as-tu donc pas été cet élan ? Il trahissait tes orifices qu’il fallait occuper, dégager et emplir encore. Nous l’avons été — comme nous avons été empoisonnées trifouillées arrêtées — et nous avons été un corps qui s’étire et qui se renforce, un corps qui porte au jour, un corps qui se dédouble. Un corps désigné, ou encore : un corps étranger, un corps second. Nous avons été cette course, cette horizontalité, cette entité qui fend qui flotte qui chute. Tour après tour. Un corps de cycles. Des nuits, des jours. Ça continue à tourner. Il y a des masses et des fluides, de l’air autour et à travers, de l’air qui contient et qui élargit. Et nous ne saurons jamais vraiment, le saurons-nous, un jour le sauras-tu : ça commence où, ce corps ? et où ça s’arrête ?
Soline de Laveleye, Par les baleines, Gallimard, 2025, p. 69.
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07/04/2025
Soline de Laveleye, Par les baleines
C’était hier
Te souviens-tu du rêve
qui dépliait un ciel entre tes omoplates
quand les grandes migrations
en le quadrillant
te rappelaient l’espace
qu’il restait à grandir ?
Où courais-tu aigu ? Quelle odeur sur tes doigts ?
Quelle voix familière te clouait-elle au lit ?
Quelle rivière se nouer aux chevilles, quand le désir déborde ?
Quel visage a sorti
cette enfance du placard et le cœur du fourreau et la langue de son nom ?
Quel être a tramé notre perte
qui chantonnait la vie au fond du labyrinthe ?
Un beau jour il reste les accrocs, les appels perdus, les petits pas marins
pour faire semblant de vivre
Jusqu’au prochain passage d’un camion sous la pluie
son sillage de soie rêche où mord parfois le cœur.
Soline de Laveleye, Par les baleines, Gallimard, 2025, p. 18-19.
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05/04/2025
Henri Thomas, La Joie de cette vie
Il est vrai que j’ai toujours erré seul, c’était mon goût. Mes compagnons étaient les barres de fer des clôtures, les arbres qui vous suivent très peu, le sable endormi u éveillé, le ciel ennuagé ou non. Pourquoi de préférence personne ? Ou bien les bavardages passionnés et incertains, impatients ?
Il n’y a pour un homme que son passé qui existe vraiment, et de plus en plus à mesure que le passé s’approfondit en s’éloignant.
Q’est-ce que la vérité d’un poème — je ne l’ai jamais su ; Mais quelquefois un poème m’a fait plaisir comme un théorème bien compris, après travail et attente, et ce n’était pa s un théorème. Un moment de ma vie, une vivante belle ?
Henri Thomas, La Joie de cette vie, Le Chemin/Gallimard, 1983, p. 72, 83, 89.
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04/04/2025
Henti Thomas, La Joie de cette vie
Si l’existence des pauvres (qui seront toujours nombreux, même si le nombre des riches et demi-riches augmente) est fatalement basse, inculte, sans esprit, alors la beauté de la nature est empoisonnée (puisqu’elle n’est que pour les favoris de la fortune) et ce monde est un lieu sinistre. Essayez des systèmes sociaux différents, aucun n’y remédiera.
La parole qui nous libèrerait, qu’est-ce qu’elle peut contre la lourdeur et la bêtise du corps. Elle n’est pas inscrite quelque part où on pourrait la trouver : elle n’est pas avant que tu sois elle, et elle toi.
J’essaie parfois d’imaginer l’absence totale qui ferait que plus rien ne me toucherait. Le monde de l’émotion, des liens du cœur, si puissants ici, aurait disparu. Il n’y aurait plus ni enfermement ni ouverture, dans le nulle part.
Henri Thomas, La Joie de cette vie, Le Chemin/Gallimard, 1983, p. 57, 65, 70.
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03/04/2025
Henri Thomas, La joie de cette vie
N’essaie pas de rejoindre en réalité quelqu’un qui n’a pas la même pensée que toi. Cela ferme beaucoup de chemins ! mais qui a la même pensée que toi, rien ne te séparera de lui, sauf la réalité.
Vivre, être, s’exprimer — je ne vois rien de plus — car voir ne passe pas outre.
Non, je n’ai pas peur de la mort, ce qui m’effraie, me gêne, m’ennuie, me fait honte, c’est ce que les hommes ont fait de la mort : une horreur privée, un embarras public.
Henri Thomas, La joie de cette vie, Le Chemin/Gallimard, 1991, p. 44, 45, 49.
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02/04/2025
Henri Thomas, La joie de cette vie
Si la mort est la solution forcée du problème appelé la vie, nous ne comprenons pas plus le problème que la solution, et si nous pouvons constater cela, c’est grâce au langage, que nous ne comprenons pas davantage.
Paulhan a buté là-dessus toute sa vie, « comme une grosse mouche dans une vitre », dixit Leyris.
Un ami —Il lui faudrait des qualités que je n’ose rêver de personne et dont je n’ai pas en moi le modèle. C’est en ce sens que « Ô mes amis, il n’y a pas d’amis ».
Ce n’est pas la vérité qui remonte du puits mais quelque chose de noyé et vivant à la fois, un passé.
Écrire, pour moi, ç’a a toujours été une déclaration d’amour à la vie, et quelquefois elle l’acceptait.
Henri Thomas, La joie de cette vie, Le Chemin/Gallimard, 1991, p. 29, 32, 33, 35.
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01/04/2025
Henri Thomas, Le Migrateur
Je ne peux pas vivre les souvenirs des autres, de quelques-uns, d’un seul, rien. Quelle limitation, quelle prison, quel manque de sympathie ! L’idée que d’autres n’ont même pas accès, souvent, à leurs propres souvenirs, n’est pas pour me consoler. Mes propres souvenirs sont aussi un chemins vers ceux des autres (et l’inverse), et, plus loin, vers une mémoire totale, qui est peut-être à l’origine perdue de chaque souvenir.
Oui, mais qu’a-t-on donc à aimer que ce que l’on vit, que ce que l’on a vécu ? C’est là que toutes les extrapolations et paraboles prennent origine. Je ne verrai, je n’imaginerai, je ne devinerai que ce que j’ai aimé, à ma mesure.
Henri Thomas, Le Migrateur, Le Chemin/Gallimard, 1983, p. 119.
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31/03/2025
Henri Thomas, Le Migrateur
Le langage ne nous est ni plus ni moins personnel que la respiration, qui nous vient avant lui et qui le reçoit, de la même source lointaine. « De même que nous avons été enfants avant d’être hommes… » (Descartes), et de même qu’avant d’avoir été enfants, quoi ?
« Je n’ai pas connu la douce folie des enfances paysannes », écrit Sartre dans Les Mots : La douce folie : la dure raison, ni simple ni dialectique, la raison des bêtes et des choses, des éléments, des saisons.
J’ai un peu l’impression d’avoir écrit mes livres comme dans un rêve dont je ne me souviendrais pas, et dont ces livres ne sont pas le récit, mais le résultat, ou le reflet fragmenté, comme écrits dans la marge étroite d’un éveil. Quelquefois aussi, je me souviens de l’amour, et je me demande ce que c’est.
Henri Thomas, Le Migrateur, Le Chemin /Gallimard, 1983, p.156, 187, 206.
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30/03/2025
Henri Thomas, La joie de cette vie
Nous avons un corps, j’ai un corps comme le soleil est là dans le ciel, ni plus ni moins.
Après la mort, mo corps sera une chose comme tous les autres. Jusque-là, il est moi — qui ne suis pas comme les autres.
J’écris, comme si écrire était mon unique moyen de vieillir sans douleur, et sans jouer un rôle dans les rouages, comme Paulhan, où l’on disparaît quand la machine se modifie pour votre mort.
Je n’aurais pas trop d’un océan pour m’aider à vivre/ Mais quelle fatigue de l’atteindre ! Si je mourais en chemine ? Je quitte tout, presque tout, pour la route des mots.
Incapable de désespérer — en cela pareil aux animaux auxquels nous attribuons l’indifférence devant la mort.
Henri Thomas, La joie de cette vie, Le Chemin/Gallimard, 1991, p. 13, 21, 24, 25.
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