24/11/2025
Pierre Reverdy, Main d'œuvre

Tête à tenir
Une large bouffée de flammes
Sur la frise en bas des forêts
Le brouillard échappé des larmes
Sous une écharpe de rosée
L’odeur rugueuse des cigares
Le feu caché des feuilles mortes
Rayons cassés qui tissent ton sourire
Le visage effacé sous son voile de peur
Il va il vient il se retire
Un rayon de miel dans la cire
Une larme amère à ton cœur
Amour reviens dans le silence
Le poids de la main sur ton front
Et toujours la mort entêtée
La mort vorace
Pierre Reverdy, Main d'œuvre,
Mercure de France, p. 412.
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23/11/2025
Pierre Reverdy, Main d'œuvre

Lumière rousse
On accroche le ciel d’automne aux quatre coins
Un tambour résonne
Des pas dans le vent
Le regard qu’on donne
À chaque passant
Les flammes effilées à travers les barrières
Les maisons retournées
Tous les dos en prières
Et les jours perdus dans les aventures
le long des années
Il n’y a pas de temps
Mais de la poussière
ou l’eau du printemps
dans chaque clairière au regard ardent
Sous les flocons plus lourds
Sous le poids des nuages
Il reste encore un tour à faire sur la page
Un nom qui se traîne
Un cœur qui s’en va
Ce n’est pas la peine
De s’arrêter là
Personne dans la marge
Plus rien sur le trottoir
Le ciel est plein d’orages
Pierre Reverdy, Main d’œuvre, poèmes, 1913-1949,
Mercure de France, 1949.
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22/11/2025
Pierre Reverdy, Le épaves du ciel

La repasseuse
Autrefois ses mains faisaient des taches roses sur le linge éclatant qu’elle repassait. Mais dans la boutique où le poêle est trop rouge son sang s’est peu à peu évaporé. Elle devient de plus en plus blanche et dans la vapeur qui monte on la distingue à peine au milieu des vagues luisantes des dentelles.
Ses cheveux blonds forment dans l’air des boucles de rayons et le fer continue sa route en soulevant du linge des nuages – et autour de la table son âme qui résiste encore, son âme de repasseuse court et plie le linge en fredonnant une chanson – sans que personne y prenne garde.
Cœur à cœur
Enfin me voilà debout
Je suis passé par là
Quelqu’un passe aussi par là maintenant
Comme moi
Sans savoir où il va
Je tremblais
Au fond de la chambre le mur était noir
Et il tremblait aussi
Comment avais-je pu franchir le seuil de cette porte
On pourrait crier
Personne n’entend
On pourrait pleurer
Personne ne comprend
J’ai trouvé ton ombre dans l’obscurité
Elle était plus douce que toi-même
Autrefois
Elle était triste dans un coin
La mort t’a apporté cette tranquillité
Mais tu parles tu parles encore
Je voudrais te laisser
S’il venait seulement un peu d’air
Si le dehors nous permettait encore d’y voir clair
On étouffe
Le plafond pèse sur ma tête et me repousse
Où vais-je me mettre où partir
Je n’ai pas assez de place pour mourir
Où vont les pas qui s’éloignent de moi et que j’entends
Là-bas très loin
Nous sommes seuls mon ombre et moi
La nuit descend
Pierre Reverdy, Les Épaves du ciel, Gallimard, 1924, p. 22, 86-87.
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21/11/2025
Pierre Reverdy, Le livre de mon bord

Le style, ce ne doit pas être tellement l’homme qu’on l’a dit – car l’on se complaît bien plus à sa personnalité qu’en ce qu’on écrit. On se désespère d’écrire mal, et rien ne concorde entre ce que l’on sent et ce que l’on écrit. On se relit, on retouche ce style répugnant, rien ne vient mieux. Je crois que ce qui est vraiment l’homme c’est le plaisir ou le dégoût qu’il prend à l’effort pour écrire mieux. C’est-à-dire qu’il n’y ait pas plus de vulgarité dans le style que dans la pensée.
L’homme ne se réalise que dans la connaissance. Les frontières de sa connaissance sont les frontières de son être. Plus il connaît, plus il est vaste et étendu, moins il connaît, plus il est étroit et restreint. Mais il y a aussi le parti qu’il tire et l’usage qu’il fait de ces connaissances et qui le font grand ou petit.
Le style, bon ou mauvais, je parle de ce qui caractérise un écrivain, ce n’est pas le premier jet, mais l’état où il laisse la chose écrite, celui auquel il n’éprouve plus le besoin de rien changer. Et ce n’est pas la moindre révélation du caractère que de ne jamais tenir pour définitive l’expression formelle de sa pensée.
Pierre Reverdy, Le livre de mon bord, Mercure de France, 1948, p. 47-48, 162, 210.
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20/11/2025
Pierre Reverdy, Gant de crin

Je ne connais pas d’exemple d’une œuvre qui ait inspiré moins de confiance à son auteur que la mienne.
Aussi me gardé-je bien de la défendre.
J’accepte ici qu’elle peut n’être qu’un témoin d’impuissance.
Le propre de l’image forte est d’être issue du rapprochement spontané de deux réalités très distantes dont l’esprit seul a saisi les rapports.
Le poète est poussé à créer par le besoin constant et obsédant de sonder le mystère de son être intérieur, de connaître son pouvoir et sa force.
Il n’est que les gens de métier qui se satisfassent de quelque certitude sur leurs facultés.
Mais en poésie les gens de métier sont les médiocres.
Si les glaces de verre sont flatteuses pour toi, supprime-les. Ne te regarde pas en dehors mais en dedans, il y a là un sombre miroir sans complaisance.
Pierre Reverdy, Gant de crin, Plon, 1927, p. 26-27, 34, 44, 105.
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19/11/2025
Jules Renard, Journal
Un Journal, ce n’est pas beaucoup plus littéraire qu’une table d’hôte.
Il voyait le moins de personnes qu’il pouvait afin de s’épargner le plus possible l’ennui des enterrements.
Ma littérature, c’est comme des lettres à moi-même que je permettrais de lire.
Le Français crible d’épigrammes surtout ce qu’il voudrait être : le député, et ce qu’il voudrait avoir : le ruban rouge.
Ma littérature n’est qu’une continuelle rectification de ce que j’éprouve dans la vie.
Jules Renard, Journal, Gallimard / Pléiade, 1961, p. 217, 218, 224, 227, 228.
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18/11/2025
Jules Renard, Journal

Il passe son temps à chercher des gens du même avis que lui.
Aujourd’hui les hommes de lettres prennent copie de leurs lettres, afin que la postérité puisse sans trop de mal réunir leur correspondance.
Les enfants devraient être des apparitions facultatives.
Si vous pensez du bien de moi, il faut le dire le plus vite possible, parce que, vous savez, ça se passera.
L’homme est un être qui lève la tête au ciel et ne voit que les araignées du plafond.
Jules Renard, Journal, Gallimard / Pléiade, 1961 ; p. 202, 203, 203, 206, 216.
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17/11/2025
Jules Renard, Journal

Il a chassé le naturel : le naturel n’est pas revenu.
Triste à voir comme un être cher qui s’enfonce dans le brouillard.
Il n’y a pas d’amis : il y a des moments d’amitié.
C’était un homme méthodique : il déjeunait en mâchant du côté gauche, et dînait en mâchant du côté droit.
Les gens sont étonnants : ils veulent qu’on s’intéresse à eux !
Jules Renard, Journal, Gallimard / Pléiade, 1961 ; p.195, 196, 197, 197, 198.
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16/11/2025
Emily Dickinson, Ses oiseaux perdus

À l’intérieur de cette petite Ruche
Il y a de telles Allusions au Miel
Comme si la réalité faisait un Rêve
Et les Rêves, la Réalité
Witnin that little Hive
Such Hints of Honey lay
As made Reality a Dream
And Dreams Relaity
Emily Dickinson, Ses oiseaux perdus,
traduction François Heusbourg,
Éditions Unes, 2017, p. 61 et 60.
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14/11/2025
Jules Renard, Journal

J’ai envie de faire une monographie de la taupe.
Ne jamais rien faire comme les autres en art ; en morale faire comme tout le monde.
Le talent, c’est comme l’argent : il n’est pas nécessaire d’en avoir pour en parler.
Quand elle avait pris de belles résolutions d’économie, elle commençait tout de suite par refuser aux pauvres.
La peur de l’ennui est la seule excuse du travail.
Jules Renard, Journal, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 123, 127, 129, 131, 134.
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13/11/2025
Jules Renard, Journal
C’est étonnant comme toutes les célébrités littéraires gagnent à être vues en caricature !
Les gens auxquels on trouve du talent et qu’on ne lit jamais.
C’est une errer commune de prendre pour des amis deux personnes qui se tutoient.
Certaines gens voient comme si leurs yeux étaient au bout d’ une perche, très loin de leur cerveau.
Quand il se regardait dans une glace, il était toujours tenté de l’essuyer.
Jules Renard, Journal, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 100, 103,106, 114, 116.
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12/11/2025
Jules Renard, Journal

Acquiers le talent de dire sans bâiller : « C’est intéressant. »
Tout est beau. Il faut parler d’un cochon comme d’une fleur.
Ne jamais être content : tout l’art est là.
En somme, on a toujours un « roulement » d’amis suffisant.
La prose doit être un vers qui ne va pas à la ligne.
Jules Renard, Journal, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 92, 92, 96, 97, 99.
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11/11/2025
Miche Leiris, La ruban au cou d'Olympia

L’étendue de plaine beauceronne vide et tranquille dont, tout – l’heure, une détail perçu au loin (un assez long abri au toit presque blanc sous le frais soleil de fin d’hiver) m’a fait voir — par l’œil même, qui captait en sourdine l’immobilité de cette construction — le silence incapable de se faire entendre pour affirmer qu’il existe.
Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia, Gallimard, 1981, p. 168.
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10/11/2025
Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia

Orphée et sa lyre
Homère et sa canne blanche
Dante et le chaperon qui le distingue de Virgile
Ronsard au front lauré
Cyrano et son nez légendaire
Racine et sa perruque bouclée
Buffon et sa manchette de dentelle
Voltaire dans son fauteuil Voltaire
Mirabeau à la face grêlée
Balzac et sa robe de chambre
Gautier et son gilet rouge
Mallarmé sous son plaid
Rimbaud en costume de bagnard plus que de trafiquant
Tolstoï en blouse de moujik
Wilde aux lys bientôt changés en orties
Jarry en culotte cycliste
Max Jacob porteur de l’étoile jaune
Roussel à bord de sa roulotte
Apollinaire à la tête bandée
Joyce et ses grosses lunettes
Kafka coiffé d’un melon magrittien
Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia,
Gallimard, 1981, p. 158.
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08/11/2025
Christian Prigent, Zapp & Zipp

Qui se déprécie ostensiblement n’est pas en cela modeste — ce n’est pas l’humilité qui y pousse.
Mais plutôt primo une illusion de lucidité sur les ridicules qui affleurent dans les conduites des hommes et les propos qu’au jour le jour ils tiennent ; deuxio, la sensation vaniteuse de n’être pas trop du fait de quelque exceptionnelle puissance (intellectuelle, artistique ou autre), partie prenante des ridicules du commun ; tertio le dépit de ne pas du coup savoir comment faire pour effectivement vivre et communiquer avec autrui dans la faiblesse de pensée, l’ignorance, la futilité, la jovialité forcée.
On assiste chaque jour à sa propre bêtise (qui le dénie, c’est à cause de cette bêtise elle-même. Comme dit Artaud, l'intelligence elle-même, volontiers ahurie de ses propres succès, est par la sottise « toujours sodomisée de près » : il suffit pour cela du moindre pas de côté hors des compétences ; ou de trop de croyance en l’importance desdites.
Christian Prigent, Zapp & Zipp, P.O.L, 2025, p. 449.
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