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20/02/2025

Sylvia Plath, Arbres d'hiver

 

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Ces poèmes ne vivent pas : c’est un triste diagnostic.

Ils ont pourtant bien poussé leurs doigts et leurs orteils,

Leur petit front bombé par la concentration. S’il ne leur a pas été donné d’aller et venir comme des humains

Ce ne fut pas du tout faute d’amour maternel.

 

Ô je ne peux comprendre ce qui leur est arrivé !

Rien ne leur manque, ils sont correctement constitués. 
Ils se tiennent si sagement dans le liquide formique !

Ils sourient, sourient, sourient, sourient de moi.

Et pourtant les poumons ne veulent pas se remplir ni le cœur s’animer.

 

Ils ne sont pas des porcs, ils ne sont pas même des poissons,

Bien qu’ils aient un air de porc et de poisson —

Ce serait mieux s’ils étaient vivants, et ils l’étaient.

Mais ils sont morts, et leur mère presque morte d’affolement,

Et ils écarquillent bêtement les yeux, et ne parlent pas d’elle.

.

Sylvia Plath, Arbres d’hiver, précédé de La Traversée, édition bilingue, présentation de Sylvie Doizelet, traduction de Françoise Morvan et Valérie Rouzeau, Poésie/Gallimard, 1999, p. 89

19/02/2025

Malcom Lowry, Pour l'amour de mourir

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              Le passé

 

Comme une vieille échelle pourrie

Qu’on a jetée d’une scierie désaffectée

Et qui flotte, émergeant seulement par le haut,

Tandis que, tout imprégné d’eau, le reste baigne,

Rongé par les tarets, encroûté de bernacles

Et de moules accrochées en papillotes bleues ;

Puante, alourdie d’algues et de ces curieux êtres

Qui vivent de la mort et de la marée basse,

Route vermiculée, en proie à l’helminthiase :

Telle est ma conscience.

De temps en temps, je la sèche au soleil,

Je l’appuie (contre rien du tout,

Puisqu’elle ne monte nulle part) ;

Mais je la garde, on ne sait jamais, ça peut servir.

Qui sait si elle n’est pas récupérable,

Si on ne pourrait pas la radouber un peu ?

Et chaque nuit sans raison ma cervelle

Monte et descend les barreaux de l’échelle.

 

Malcom Lowry, Pour l’amour de mourir, traduction de J.-M. Lucchioni, préface de Bernard Noël, éditions de La Différence, 1976, p. 97.

17/02/2025

Philippe Beck, Abstraite et plaisantine

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 La grotte au filet aérien

témoigne d’inscription des liens sur la parole

qui ressemble à celui qui l’a prononcée.

Scellée, indépendante née

de la séquence des mains premières,

comme Caverne Platonique

encore esclave de passé continu ?

Chaque animal en liaison, et côtoiement

peint. Éclair gelé d’un temps

d’adhésion au Simple Jardin ? Non.

Nous en sommes là : Porte et Boyau.

Nous y entrons en bottes sèches.

 

Philippe Beck, Abstraite et plaisantine,

Le Bruit du temps, 2025, p. 99.

16/02/2025

Philippe Beck, Abstraite et plaisantine

 

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Les enfants n’écoutent pas et regardent.

Ils s’élèvent par l’immobile place au soleil

où chante l’imposture ? Non.

Dans le détour de l’action,

les mouvements sont les arts internes,

usant les transmetteurs-brouilleurs `

parallèles aux bruits qui font peur. Comment dire

les fermoirs et les toiles ? En fixant

les idées chantournées, le type de bonheur,

la marche des gris-vêtus, la dangereuse,

la badine, la moissonneuse, petit-deuil, roseaux,

culbute : le Grand Nié du Fumoir.

 

Philippe Beck, Abstraite et plaisantine,

Le Bruit du temps, 2025, p. 62.

15/02/2025

Philippe Beck, Abstraite et plaisantine

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Hiver dur, l’air captive

les paroles saisissantes. ?

Elles font des livres de vaine cuisine

Printemps rouvre la glace

et repique les volontés de l’eau

dans les trente-six âmes promenées.

Unités Dispersées rêvent de châtaignes

au brasier, de l’éclat grossier

de la peur. Pantagruel et Panurge

sont sur un bateau. Le premier

donne parole comme acte d’amour.

Le second est plein de sons à l’envers.

 

Philippe Beck, Abstraite et plaisantine,

Le Bruit du temps, 2025, p. 25.

14/02/2025

Philippe Beck, Abstraite et plaisantine

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10 décembre 1942, Alfred,

imposant la musique d’un pays

né comme tous et devenu,

hante la facilité en fantôme

de milice et entoure la poésie dite

abstraite et plaisantine césure aérienne.

Abstraite et plaisantine

contre fantôme terrien, elle qui analyse

les fines composantes du monde,

et capable de deuil accéléré

ou d’homme lent, opposé à l’accent

gravé au cœur passé dans l’Usine.

 

Philippe Beck, Abstraite et plaisantine,

Le Bruitdu temps ;2025, p.11.

13/02/2025

Jules Supervielle, Les Amis inconnus

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Figures

 

Je bats comme des cartes

Malgré moi des visages

Et, tous ils me sont chers.

Parfois l’un tombe à terre

Et j’ai beau le chercher

La carte a disparu.

Je n’en sais rien de plus.

C’était un beau visage

Pourtant que j’aimais bien.

Je bats les autres cartes.

L’inquiet de ma chambre,

Je veux dire mon cœur,

Continue à brûler.

Mais non pour cette carte,

Qu’une autre a remplacée ;

C’est un nouveau visage,

Le jeu reste complet

Mais toujours souple.

C’est tout ce que je sais,

 

Nul n’en sait davantage.

 

Jules Supervielle, Les Amis inconnus,

dans Œuvres poétiques complètes,

Pléiade/Gallimard, 1996, p. 305.

12/02/2025

Jules Supervielle, Le Forçat innocent

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Petite, petite, que veux-tu ?

Est-ce une petite morte

Qui se cache là derrière ?

Non, elle est vivante

Et voilà qu’elle sourit

De manière rassurante.

Un visage entre deux portes,

Un visage entre deux rues,

Plus qu’il n’en faut pour un homme

Fuyant son propre inconnu.

 

Jules Supervielle, Le Forçat innocent, dans

Œuvres poétiques complètes, Pléiade /

Gallimard, 1996, p. 253.

11/02/2025

Jules Supervielle, Le Forçat innocent

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Grands yeux dans ce visage,

Qui vous a placée là ?

De quel vaisseau sans mâts

Êtes-vous l’équipage ?

 

Depuis quel abordage

Attendez-vous ainsi

Ouverte toute la nuit ?

 

Feux noirs d’un bastingage

Étonnés mais soumis

À la loi des orages.

 

Prisonnier des mirages

Quand sonnera minuit

Baissez un peu les cils

Pour reprendre courage.

 

Jules Supervielle,Le Forçat innocent,

Dans Œuvres poétiques complètes,

Pléiade/Gallimard, 1996, p. 241.

10/02/2025

Jules Supervielle, Œuvres poétiques complètes

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        Mouvement

 

Ce cheval qui tourna la tête

Vit ce que nul n’a jamais vu

Puis il continua de paître

À l’ombre des eucalyptus.

 

Ce n’était ni homme ni arbre

Ce n’était pas une jument

Ni même un souvenir de vent

Qui s’exerçait sur du feuillage.

 

C’était ce qu’un autre cheval,

Vingt mille siècles avant lui,

Ayant soudain tourné la tête

Aperçut à cette heure-ci

 

Et ce que nul ne reverra,

Homme, cheval, poisson, insecte,

Jusqu’à ce que le sol ne soit

Que le reste d’une statue

Sans bras, sans jambe et sans tête.

 

Jules Supervielle, Gravitations, dans

Œuvres poétiques complètes,Pléiade / Gallimard,

1996, p. 173.

08/02/2025

Jules Supervielle, Poèmes

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             J'ai pris le matin

 

J’ai pris le matin dans ma promenade

                  Comme en un filet ;

Mes mains sentent bon le soleil nomade

                  Le gazon mouillé.

 

Je l'ai bien saisi, le matin qui cligne ;

                  Le voici vivant,

Comme le poisson au bout de la ligne,

                  Vif et s’incurvant.

 

Je t’apporte ici la claire harmonie,

                  Des prés jaune verts ;

Dans l’alcôve encor si mal définie

                  Aux yeux inexperts ;

 

Et je veux vider, comme une corbeille,

                  Sur ton lit défait,

Mon cœur bourdonnant du chant des abeilles

                  Et de la forêt.

 

Jules Supervielle, Poèmes, dans Œuvres poétiques complètes,

Pléiade / Gallimard, 1996, p. 67.

07/02/2025

Marc Colodenko, De très brefs rêves

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C’est moi ce Monsieur ? Dieu me préserve de l’être jamais. Pas question que je me soumette à pareille dénomination. Dans mon dos ça insiste. Je presse le pas. Ça doit être un flic, ils sont prêts de vous buter qu’ils continuent à vous donner du Monsieur. Je ne suis pas sûr d’accepter de mourir pour un Monsieur. Je me retourne. C‘est un quidam qui me dépasse en courant. Il ne m’a pas vu ou il a reconnu sa méprise. Ce qui revient au même.

 

Marc Cholodenko, De très brefs rêves, P.O.L, 2025, p 83.

06/02/2025

Marc Cholodenko, De très brefs rêves

                                           marc cholodenko, de très brefs rêves, illusion

Sur ma table il y a une feuille où j’ai écrit quelque chose. Ça ressemble à un haïku. Évidemment puisque c’est écrit en japonais. Comme j’ignore le japonais j’ai dû écrire ça en rêve. Si je ne peux pas le traduire je peux le transcrire. Voilà que les caractères originaux s’effacent sous les latins. Je lis : Écrire en japonais rêve de printemps. Sans doute je ne suis pas éveillé et j’ai dû faire un rêve de rêve. Quoi qu’il en soit me voilà bien avancé. Tant de merveilles pour si peu de choses. Peut-être que si j’étais poète tant d’inutiles jambages auraient suffi à m’exalter.

 

Marc Cholodenko, De très brefs rêves, P.O.L, 2025, p.73-74.

05/02/2025

Marc Cholodenko, De très brefs rêves

 

                                  marc cholodenko, de très brefs rêves, pleurer

Pourquoi la manche de mon manteau est toute froissée. Je vais le dépendre pur essayer de la défroisser. Mais il résiste. On dirait qu’il est indépendant. Peut-être que je pourrais même lui parler. Salut ami manteau. Il réagit. Il a l’air de comprendre. De sa manche il m’essuie la figure. Il est sympathique ce manteau. C’est vraiment mon ami. Mais pourquoi il m’essuie la figure. Parce que c‘est moi qui pleure et qui suis dedans. C’est moi qui suis mon ami, mon seul ami. Je n’ai même pas un manteau pour ami.

 

Marc Cholodenko, De très brefs rêves, P.O.L, 2025, p. 57.

04/02/2025

Marc Cholodenko, De très brefs rêves

                       marc cholodenko, de très brefs rêves, étrangeté

 

Voilà que j’ai mis ma veste à l’envers. Et moi avec alors. Dans ce cas ma veste serait à l’endroit. Il ne faut pas paniquer mais il y a quelque chose d’étrange. À moins que j’aie mis seulement ma veste à l’envers sans pour autant l’avoir enfilée. C‘est avec soulagement que je me prends à songer que c’est souvent la même précipitation trompeuse qui nous fait choisir nos verbes et nous représenter d’emblée au centre des choses.

 

Marc Cholodenko, De très brefs rêves, P.O.L, 2025, p.32.