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01/08/2025

Cesare Pavese, Le Métier de vivre

 

La richesse de la vie est faite de souvenirs oubliés.

 

Il y a des gens pour qui la politique n’est pas universalité, mais seulement légitime défense.

 

Il n’est  pas beau d’être enfant ; il est beau étant vieux de penser à quand on était enfant.

 

Comme elle est grande cette idée que vraiment rien ne nous est dû. Quelqu’un nous a-t-il jamais promis quelque chose ? Et alors pourquoi attendons-nous ?

 

Il est beau d’écrire pare que cela réunit deux joies : parler tout seul et parler à une foule.

 

Cesare Pavese, La Métier de vivre, traduction Michel Arnaud, Gallimard, 1958, p. 227, 228, 249, 250-251, 259.

 

31/07/2025

Cesare Pavese, Le Métier de vivre

cesare pavese,le métier de vivre,souffrance

Qu’importe de vivre avec les autres, quand chacun des autres se fiche des choses vraiment importantes pour chacun ? 

Un homme qui soufre, on le traite comme un ivrogne. « Allons, allons, ça suffit, secoue-toi, allons, ça suffit… »

La chose secrètement et la plus atrocement redoutée arrive toujours.

« Il a trouvé un but dans ses enfants. » Pour qu’ils trouvent eux aussi un but dans leurs enfants ? Mais à quoi sert cette escroquerie générale ?

 Cesare Pavese, Le métier de vivre, traduction Michel Arnaud, Gallimard, 1958, p. 64, 81, 82, 93.

 

30/07/2025

Cesare Pavese, Le Métier de vivre

                            cesare pavese,le métier de vivre

   Que dire si, un jour, les choses naturelles — sources, bois, vignes, campagne — sont absorbées par la ville et escamotées et se rencontrent dans des phrases anciennes ? Elles nous feront l’effet des theoi, des nymphes, du naturel sacré qui surgit d’un vers grec. Alors la simple phrase « il y avait une source » sera émouvante.

 

   Le sentiment terrible que tout ce que l’on fait est de travers, et ce qu’on pense, et ce qu’on est. Rien ne peut te sauver, parce que, quelque décision que tu prennes, tu sais que tu es de travers et en conséquence ta décision l’est aussi.

 

   Avec les autres — même avec la seule personne qui émerge — il faut toujours vivre comme si nous commencions alors et devions finir un instant plus tard.

 

Cesare Pavese, Le métier de vivre, traduction  de l’italien par Michel Arnaud, Gallimard, 1958, p. 249, 251, 256.

 

29/07/2025

Malcolm Lowry, Pour l'amour de mourir

                                          malcolm lowry,poèmes inédits

Nos vies — mais nous n’en pleurons pas —

Sont comme ces cigarettes au hasard

Que, par les journées de tempêtes,

Les hommes allument en les protégeant du vent

D’un geste adroit de la main qui fait écran ;

Puis elles brûlent toutes seules aussi vite

Que s’aggravent les dettes qu’on ne peut pas payer,

Elles se fument si vite toutes seules

Qu’on a  à peine le temps d’allumer

La vie suivante, qu’on espère mieux roulée

Que la première, et sans arrière-goût+

Au fond, elles n’ont pas de goût —

Et la plupart, on les jette au rebut..

 

Malcolm Lowry, Pour l’amour de mourir, traduction J.-M. Lucchioni, préface Bernard Noël, La Différence, 1976, p. 81.

28/07/2025

Malcolm Lowry, Divagation à Veracruz

 

               malcolm lowry,poème inédit

                 Divagation à Veracruz

 

Où s’est-elle enfuie la tendresse demanda-t-il

demanda-t-il au miroir de Baltimore Hôte, chambre 216

Hélas son reflet peut-il lui aussi se pencher sur la glace

se demandant où je suis parti vers quelles horreurs ?

Est-ce elle qui maintenant me regarde avec terreur

inclinée derrière votre fragile obstacle ? La tendresse

se trouvait là, dans cette chambre même, à cet endroit même

sa forme vue, ses cris par vous entendus.

Quelle erreur est-ce là, suis-je cette image couperosée ?

Est-ce là le spectre de l’amour que vous avez reflété ?

Avec maintenant tout cet arrière plan 

de téquila, mégots, cols sales, perborate de soude

et une page griffonnée à la mémoire de ceux-là

qui sont morts, le téléphone décroché.

De rage il fracassa toute cette glace de la chambre.

                                    (Coût 50 dollars)

 

Malcolm Lowry, Poèmes inédits, traduction Jean Follain, dans Les Lettres nouvelles, n° spécial, mai-juin 1974, p. 226.

 

 

23/07/2025

Antoine Emaz, De peu

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Photo T. H., 2012

Bleu très bleu

 

dans le ciel sans fin d'œil

toute histoire engouffrée

rien 

quasi lisse vaste couleur quelle

espèce de bleu

sans honte

tant il est sans mémoire

 

* * *

 

ciel plein ciel

sans anges

 

on rêve leurs battements d'ailes

leurs bruits de mouettes folles

d'envol

 

alors qu'on veut seulement des mots

pour ici

sous l'aplat de l'été  

 

* * *

 

comme vivant sans mort

face levée face

au vide du bleu

distendu

couleur d'air

 

jusqu'à la nuit qui croûte

 

* * *

 

soleil fixe

 

dehors s'efface on s'efface

 

rien que de la lumière

et plus personne

pour voir 

 

limite basse d'être là

 

l'été mure

 

* * *

 

tristesse sans cause

venue comme du bleu du mot trop court

pour trop de ciel

 

pas sûr que ce soit si simple

 

cela n'explique pas

cet abattis de fatigue

 

pas seulement le bleu

 

ce qui a lieu dessous

aussi

 

 

Antoine Emaz, "Bleu très bleu" 

dans De Peu, Tarabuste, 2014, p. 269-270.

22/07/2025

Antoine Emaz, Peau

antoine emaz,peau,mémoire

Vert, I (31.09.05)

 

on marche dans le jardin

 

il y a peu à dire

 

seulement voir la lumière

sur la haie de fusains

 

un reste de pluie brille

sur les feuilles de lierre

 

rien ne bouge

sauf le corps tout entier

 

une odeur d'eau

la terre acide

 

les feuilles les aiguilles de pin

 

silence

sauf les oiseaux

 

marche lente

le corps se remplit du jardin

sans pensée ni mémoire

 

accord tacite

avec un bout de terre

rien de plus

 

ça ne dure pas

cette sorte de temps

 

on est rejoint

par l'emploi de l'heure

l'à faire

 

le corps se replie

simple support de tête

à nouveau les mots

l'utile

 

on rentre

 

on écrit

ce qui s'est passé

 

il ne s'est rien passé

Antoine Emaz, Peau,

éditions Tarabuste, 2008, p. 25-28.

21/07/2025

Antoine Emaz, Peau

                             

antoine emaz,peau,silence

Photo T. H., 2007

         Seul, 6 (18. 11. 06)

 

Il n'y a pas de bout de la nuit

seulement une maison vide

et silencieuse de tous ses murs

 

on est dedans

 

pas en prison

 

mais dedans

 

et la nuit comme aveugle

tourne en rond

 

les mots piochent piquent

des étoiles

on dira ça comme ça

 

des lumières fermées

 

tension

 

ce silence qui vient de biais si l'on n'agit pas c'est lui qui va emporter la mise la main les mots dans l'ardoise et plus rien

 

pas facile d'aller contre l'aigu du silence dans la maison vide il siffle comme chez lui il sape il pèse ensuite habitué qu'il est du lieu

 

une lame de nuit

 

tension sans l'avoir vue venir — vite glisser — tension — nerfs cordes mais quelle musique grommellement de mots pour rien ce bruit de chien grondant comme pour intimider le silence dessous qui passe

 

continuer à parler — rester dans le blanc de la lampe plutôt que la nuit qui tait la maison tait tout

 

un bruit d'eau presque rassure dans la gouttière

 

on tient à peu

[...] 

Antoine Emaz, Peau, Tarabuste, 2008, p. 113-114.

 

19/07/2025

Raymond Queneau, Fendre les flots

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                                                                                                                        Marée basse

 

Songeant au pied de la falaise

lors je regardais à mes pieds

lors j’aperçois une crevette

à quoi je me suis identifié

Elle sautillait l’acrobate

comme moi-même composite

le suis en mon for intérieur

Elle cherchait le sable humide

fuyant les régions désertiques

Une mioche avec son filet

qui patrouillait dans la vase

voulut en faire son souper

mais la crevette avait sauté

vers quelque autre destin sans phase

Si je regarde ma mesure

ainsi le nombre de mes phrases

et leur poids et leur épaisseur

l’assimile à ce que mes pieds

laissant là comme des empreintes

toisé par la crête crayeuse

qui conserve encor en son sein

tant d’animaux géologiques

privés du charme de danseuse

de la crevette nostalgique

 

Raymond Queneau, Fendre les flots, dans

Œuvres, I, Pléiade/Gallimard, 1989, p. 538-9.

18/07/2025

Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline

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            L’existence quand même

                 quel problème

 

J’en ai assez de vivre et non moins de mourir

Que puis-je faire alors ? sinon mourir ou vivre

Mais l’un n’est pas assez et l’autre c’est moisir

Ainsi peut-on me voir errer plus ou moins ivre

 

C’est un fait je pourrais écrire un bien beau livre

Où je saurais bêler en me voyant périr

Mais cette activité nullement me délivre

De faire de la mort l’objet de mon désir

 

Les arbres qui marchaient n’inclinaient point leur tête

Les collines courant s’apprêtaient à la fête

De son haut le soleil semait dru ses rayons

 

La nature en ses plis absorbait ses victimes

L’absurde coq chantait ses prouesses minimes

Et je cherchais la rime en rongeant des crayons

 

Raymond Queneau, Le chien à la mandoline,

Pléiade/Gallimard, 1989, p. 323.

17/07/2025

Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline

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Toujours le travail

 

je serai courageux

je me lèverai à la première heure pour écrire des poèmes

à onze heures du matin j’en aurai produit au moins un

avant dix heures même

lever laver petit déjeuner et hop à la selle

en selle sur Pégase dans le ptit air frumeux  de l’aube

j’aperçois pourtant là-bas les mains à la charrue

qui déjà se reposent pour casser la croûte

ils sont debout depuis quatre heures du matin

faut pas être frileux pour semer le blé qui

alimentera le poète

 

moi je suis plutôt un poète du soir

j’exhale ma journée en vers mesurés ou pas

et si par fortune il m’arrive d’écrire le matin

il est midi au moins — voyons voir

qu’est-ce que je disais — il est une heure et demie

déjà

déjà

ptit, frumeux  (sic)

Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline,

Pléiade/Gallimard, 1989, p. 295-296.

16/07/2025

Raymond queneau, Le Chien à la mandoline

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Hommage à Tristan Corbière

 

Un petit bateau va mettre ses voiles

les nuages courant chassent les étoiles

et la lune plonge au fond de la suie

Il pleut sur la mer au cœur de la nuit

 

La vague se casse expulsant sa moelle

contre la jetée où le phare luit

Un petit bateau va mettre ses voiles

 

La ville s’endort sans le moindre bruit

dans les draps de lin gonflés par l’ennui

Un petit bateau va mettre ses voiles

 

Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline,

Pléiade/Gallimard, 1989, p. 255.

15/07/2025

Raymond Queneau, L'Instant fatal

raymond queneau, l'instant fatal, enfance

Un enfant a dit

 

Un enfant a dit

je sais des poèmes

un enfant a dit

chsais des poaisies

 

un enfant a dit

mon cœur est plein d’elles

un enfant a dit

par cœur ça suffit

 

un enfant a dit

ils en sav’ des choses

un enfant a dit

et tout par écrit

 

si poète pouvait

s’enfuir à tir-d’ailes

les enfants voudraient

partir avec lui

 

Raymond Queneau, L’Instant fatal,

Pléiade/Gallimard, 1989, p. 94.

14/07/2025

Raymond Queneau, Chêne et chien

raymond queneau, chêne et chien, psychanalyse

Je me couchai sur un divan

et me mis à raconter ma vie,

ce que je croyais être ma vie.

Ma vie, qu’est-ce que j’en connaissais ?

Et ta vie, toi, qu’est-ce que tu en connais ?

Et lui, là, est-ce qu’il la connaît, sa vie ?

Les voilà tous qui s’imaginent

que dans cette vaste combine

ils agissent tous comme ils le veulent

comme s’ils savaient ce qu’ils voulaient

comme s’ils voulaient ce qu’ils voulaient

comme s’ils savaient ce qu’ils savaient.

Enfin me voilà donc couché sur un divan près de Passy.

Je raconte ce qu’il me plaît :

je suis dans le psychanalysis.

Naturellement je commence

par des histoires assez récentes

que je crois assez importantes

par exemple que je viens de me fâcher avec mon ami Untel

pour des raisons confidentielles

mais le plus important

c’est que je suis incapable de travailler

bref dans notre société

je suis désadapté inadapté

né-

vrosé

un impuissant alors sur un divan

me voilà donc en train de conter l’emploi de mon temps.

(…)

Raymond Queneau, Chêne et chien, Œuvres complètes I, Pléiade/Gallimard, 1989, p. 21-22.

12/07/2025

Camille Loivier, torii

                                                  Camille Loivier, torii, sacrifice, interdit            

 

tout cela n’est peut-être arrivé que par amour. Un amour blessé qui préférait mourir

 

l’enfance est à l’âge des contes, des légendes et des mythes, elle en a la force, l’aveuglement

 

je suis prête à tout pour reconquérir le cœur de celle qui m’apporte un bonheur plus grand que moi

 

un amour prêt au sacrifice pour ne pas déchoir, pour obtenir, posséder, garder le cœur de l’aimée, unique, à soi,

 

pour cet amour seul j’existe, si tôt venue à lui, la passion va jusqu’au désespoir

 

amour incompris, impossible, je suis tellement dedans, dans sa force, que j’en oublie la ligne de démarcation entre la vie et la mort. Elle semble abstraite comme une ligne droite dans un livre de géométrie

 

Camille Loivier, torii, Isabelle sauvage, 2025, p. 125.