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17/12/2024

Hommage à Jacques Roubaud (1932-2024) : La pluralité des mondes de Lewis

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La forme n’est que le mouvement dont elle est la forme ; qu’elle ne retient pas mais qu’elle donne en commun, pour être poésie. Ainsi est-elle, parce qu’’ainsi est ce qu’elle peut faire de mieux’. Il ne lui est pas arrié d’être ainsi (il n’y a pas de forme ancienne) ; il ne lui arrivera pas d’être ainsi (il n’y a pas de forme future) ; elle est ‘ainsi, maintenant’ ; maintenant est la poésie.

Dans le présent infiniment mince est la forme, pour mettre en place le ‘maintenant’ de la poésie. Là est son inférence infernale : approcher au plus près le démon du silence, qui ‘implore notre secours.’ (D’où l’effroi, déguisé en indifférence, le recul des modernes devant la poésie). 

Elle ne dit rien, ‘elle préfèrerait ne pas’. Ou encore : elle ne dit qu’en disant.

 

Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis, Gallimard, 1991, p. 72.

16/12/2024

Hommage à Jacques Roubaud (1932-2024) : Autobiographie, chapitre dix

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        Où l’on fait le point avec le lecteur

 

   Si tu ne m’as pas, cher lecteur, abandonné depuis longtemps en route, peut-être te demandes-tu où nous en sommes ? question légitime. Moi aussi je me le demande. Auta nt qu’il m’en souvient, je t’ai parlé de ma famille, de la guerre, de mes amours, tu m’as accompagné dans mes voyages, tu as partagé avec moi le vin de la joie, le pain de l’absence (et vice versa), le sel de la douleur ; tu en as été ému peut-être. Mais enfin, tout cela, c’est du passé. Que va-t-il arriver MAINTENANT ?

 

Jacques Roubaud, Autobiographie, chapitre dix, Gallimard, 1977, p. 82.

15/12/2024

En hommage à Jacques Roubaud, 1932-2024 : Jacques Roubaud, Dors

 

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nuit

 

nuit

tu viendrais

 

les tilleuls

noirciraient

les fusains les

sauges

 

les villages

pousseraient contre

les collines

 

des lumières

les collines en

seraient noires

 

Jacques Roubaud, Dors,

Gallimard, 1981, p. 77.

13/12/2024

Oscar Wilde, Poèmes

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              La tombe de Shelley

 

Comme des torches éteintes près de la couche d’un malade,

De maigres cyprès veillent la pierre que le soleil décolore,

La petite chouette y a établi sa demeure

Et le rapide lézard comme un joyau pointe sa tête.

 

Là où s’embrasent les calices des coquelicots,

Dans la chambre tranquille de cette pyramide,

Un Sphinx antique se tapit dans la pénombre,

Noir gardien de ce lieu de plaisir des morts.

 

Ah ! qu’il est doux de reposer dans le sein

De la Terre mère accomplie de l’éternel sommeil,

Mais pour toi bien plus douce une tombe inquiète

 

Dans la caverne bleue des profondeurs peuplées,

Ou bien là-haut, où les hautes nefs sombrent dans la nuit

Comme les rochers escarpés brisés par les vagues.

 

Oscar Wilde, Poèmes, traduction Bernard Delvaille,

Pléiade/Gallimard, 1996, p.10.

11/12/2024

Oscar Wilde, Poèmes

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Sur la vente aux enchères des lettres d’amour de Keats

 

Voici des lettres qu’écrivit Endymion

À celle qu’il aima en secret, sans rien dire.

Aujourd’hui, les braillards de la salle des ventes

Disputent chaque pauvre billet fané.

 

Pour chaque battement d’un cœur, les marchands

Font leur prix. Ils ignorent ce qu’est l’art,

Pour briser ainsi le cœur de cristal d’un poète,

Cupides yeux brillants de convoitise !

 

Ne dit-on pas qu’il y a bien des années,

Dans une ville de l’Orient lointain, des soldats

Ont couru, éclairant de leur torche la nuit,

 

Pour partager de pauvres vêtements

Et jouer aux dés les défroques d’un malheureux

Un Dieu dont ils ignoraient tout : miracle et douleurs.

 

Oscar Wilde, Poèmes, traduction Bernard Delvaille,

Pléiade/Gallimard, 1996, p. 21-22.

10/12/2024

Oscar Wilde, Poèmes

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                Impressions

 

Le jardin

 

Le calice fané du lis tombe

Sur l’ombre du pistil doré

Et, dans les bouleaux de la lande,

Roucoule un ultime ramier.

 

Le tournesol à crinière de lion,

Noir et flétri, penche sur sa tige

Et, dans les allées du jardin venteux,

Volettent les feuilles mortes.

 

Les blancs pétales des blancs troènes

Forment des boules de neige,

Et les roses tombent dans l’herbe

Tels haillons de soie cramoisie.

 

Oscar Wilde, Poèmes, traduction Bernard

Delvaille, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard,

1996, p. 17-18.

09/12/2024

Oscar Wilde, Poèmes

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                 Désespoir

 

Les saisons avec elles amènent leur ruine,

Au printemps le narcisse apparaît

Qui ne se fane avant que n’ait rougi la rose

Et, à l’automne, fleurissent les violettes

Et le frêle crocus trouble alors la blancheur de la neige ;

Puis, les arbres dénudés reverdissent,

Comme font les gris labours sous les pluies de l’été

Et renaissent les primevères qu’un enfant cueillera.

 

La belle vie ! dont le flot amer et avide

Monte à nos pieds et sombre dans la nuit

Pour revêtir des jours qui ne reviendront plus !

L’ambition, l’amour, brillantes rêveries,

Nous les perdons trop vite, et ne trouvons plaisir

Que dans quelques fragments de souvenirs enfuis.

 

Oscar Wilde, Poèmes, traduction Bernard Delvaille, dans

Œuvres, Pléiade/Gallimard, 1996, p. 8-9.

07/12/2024

Olivier Barbarant, Partitas pour violon seul

 

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                    Rue Émile Zola

 

Unr pente ou

la nervure d’une feuille dans la ramure de la ville

couronnée par une Bourse  du Travail où se faisaient les réunions

 

Puis dévalant parmi les briques et le béton

d’anciennes maisons à colombage

jusqu’à la rouge terrasse du café de Foy

 

Enfin un second segment s’étrécit et se met à courir

vers une trop vaste place

un peu vide et dite de La Libération

que tentent de peupler quelques arbres et des carrés de verdure

 

On aura beau flâner et caresser de l’œil

les façades et les passants

s’attarder aux  pierres lépreuses

de la Basilique Saint Urbain

beau tisonner en soi les braises

rien n’y reste d’une ancienne enfance

 

Olivier Barbarant, Partitas pour violon seul,

Gallimard, 2024, p. 49-50.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

06/12/2024

Olivier Barbarant, Partitas pour violon seul

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Chaconne pour une planète

 

I

Œuf ou perle pendue

Dont le fil se déchire

Il n’y a pas que nous

 

     Toute le terre est périssable

 

Un souffle suffira

Une branche d’étoile

Coupant la cordelette

 

    Coup d’ongle dans les galaxies

 

Des tours jumelles Des cathédrales

Une centrale au bord d’un raz de marée

Une autre auparavant explosant dans la neige

 

    Cela qui s’effondre

 

Nous avons appris à en dire :

« Ceci est mon temps »

 

Soit que le monde étouffe

Sous le baillon de ses fumées

Soit que le sol en craque et verse

 

    La lave entre ses lèvres absorbant les forêts

 

Ou bien les océans

Enflant de tous leurs bleus

Noieront les rives et leurs falaises

 

Sous un ciel qui s'ébrèche

Le royaume est la ruine

 

    Tous les chemins mènent au néant

[…]

 

Olivier Barbarant, Partitas pour violon seul,

Gallimard, 2024, p. 25-26.

 

05/12/2024

Olivier Barbarant, Partitas pour violon seul

             

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Petit matin

 

Le jeune plongeur arabe et sans papiers

d’un restaurant thaï au pied de la Butte

(sainte modernité métissée)

avec un français chancelant propose

de le rejoindre à l’aurore dans la salle

où ses patrons le claquemurent :

grande diagonale, courte extase ; deux univers

étanches qu’une urgence soudain rapproche,

le temps d’une brève étreinte

contre un rideau de fer abaissé.

 

Olivier Barbarant, Partitas pour violon seul,

Gallimard, 2024, p. 67.

04/12/2024

Olivier Barbarant, Partitas pour violon seul

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Paris

 

Ma ville ce sont

des toits de zinc

ur des falaises de craie

 

On y marche entre deux eaux grises

 

Pour peu qu’un peu de pluie barre le paysage

De courts soleils éclatent sur les trottoirs mouillés

 

Et comme au fond des plus beaux tableaux

les brouillards et les murs soulignent les silhouettes

d’une ombre par contraste avec la pâleur des corps

 

Ma ville c’est

sur l’étain des jours ternes

une farine de visages

et le plâtre de tant de mains

 

Olivier Barbarant, Partitas pour violon seul,

Gallimard, 2024, p. 17.

03/12/2024

Zoé Karelli, Contes du jardin

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       Musicalité

 

Beauté musicale des jours

d’automne à Thessalonique

lorsque la pluie tombe drue,

s’éclaircit puis reprend,

pluie d’argent, translucide et fine

comme la musique des voix douces de femmes

à l’automne de leur vie.

De ces femmes qui restent

tranquilles et silencieuses, dirait-on

un peu fières et mélancoliques

zt parfois, quand elles  parlent,

semblent pressées de dire

ce qu’elles souhaitent peut-être oublier.

 

Zoé Karelli, Contes du jardin, dans Poètes de

Thessalonique (1930-1970), traduction du grec

Michel Volkovitch, Le miel des anges, 2024, p. 61           .

02/12/2024

Tàkis Varvitsiòtis, Sans musique

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Ruines

 

Le livre fermé

Le violon triste

L’ange brisé qui veille

 

Où êtes-vous  mes mains d’enfant

Vous m’avez oublié

Mais je ne peux pas

Je n’ai plus mes yeux pour pleurer

 

La pluie est enfermée au jardin

Aux branches des arbres sont pendus

Des cœurs

Des lueurs

Le son d’une cloche

La prière

 

Elles fument encore

Les ruines des jours

 

Tàkis Varvitsiòtis, Sans musique, dans Poètes

 de Thessalonique (1930-1970), traduction

Michel Volkovitch, Le miel des anges, 2024, p. 127.

01/12/2024

Fabienne Rahoz, Infini présent l'insecte

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Qui a passé son enfance à la campagne a pu observer ce qui vivait au (et dans le) sol et dans les airs, oiseaux de toutes sortes, insectes de toutes couleurs, hérissons, mulots, etc. Outre cette expérience, irremplaçable, qui peut donner le goût des sciences naturelles, Fabienne Raphoz disposait d’un jeu des 7 familles où l’on demandait, par exemple, le Priam dans la famille des "Papillons exotiques" ; le classement n’était en rien scientifique mais, écrit-elle, « c’est peut-être de là que m’est venu ce goût pour la taxinomie et les classifications ». Goût des mots aussi, avec ce plaisir particulier de « prononcer des mots incompréhensibles ». Ce plaisir, notamment, beaucoup de lecteurs l’éprouveront en lisant Infini présent.

 

Les neuf citations en épigraphe, de Sei Shonagon (vers 966-après 1013) à la sculptrice Germaine Richier (1902-1959), à la fois pointent la complexité du monde des insectes, leur rôle essentiel dans l’équilibre écologique et leur place dans l’imaginaire. On retiendra la première, de Thalia Field (1966), auteure à la frontière de la narration et de la science, en accord avec les poèmes. « Parler des espèces est plus difficile que de parler de soi ». Au verso, une annonce, « Pour commencer », offre deux citations qui, chacune à leur manière, délimitent l’étendue des poèmes, celles d’un naturaliste anglais du XVIe siècle, Thomas Moffet, et d’un spécialiste contemporain de la Renaissance, Francis Goyet. Conservons la première, lapidaire, « In minimis tota est », que le premier poème, pages 12 et 13, illustre, en même temps qu’il est en relation avec le titre.

Sous le nom de l’ordre « THYNASOURES » une brève notice du naturaliste Walkenaer ; la page 13 répète en titre le nom de l’ordre et s’ajoute le nom de la famille, « Lespimatidae) ; le poème indique que cet insecte a sa place dans un traité de synanthropie : ils sont donc adaptés à la vie humaine et vivent dans les maisons où ils se nourrissent, par exemple, du papier des livres. Ils ont toujours été présents depuis le Dévonien — l’infini pour le temps humain, pour le présent. Le texte est suivi en bas à droite du nom courant (« Poisson d’argent »), de la désignation en latin (« Lepisma saccharina ») et de « Linnaeus, 1758), mention qui renvoie à la dixième édition de la classification de Linné, où son système de nomenclature avec deux noms en latin (générique et spécifique) est alors généralisé.

 

Se trouverait-on dans un manuel d’entomologiste comme le laisserait penser dans chaque poème  l’exactitude des désignations ? Certains poèmes sont construits à partir de l’histoire de l’insecte, comme dans cet unique exemple de « Notoptères » :

 

                       Grylloblattes et gladiateurs

 

                       tous ailés du Permien

                       butinent les conifères

cent-cinquante millions d’années

                       durant

 

                       disparaissent au Crétacé

                       les plantes à fleurs viennent d’émerger

                       [etc.]

 

La majorité s’écrit à partir d’une observation rapportée — et le poème peut devenir esquisse de récit, par exemple à propos de l’expédition de Darwin — ou de l’auteure inspirée par une caractéristique de l’insecte ; ainsi après un poème à propos de l’hibernie, papillon qui n’apparaît qu’à l’automne, un autre qui lui est lié, appartenant au même ordre et à la même famille :

 

                       … ou alors

            jaillissant des bois

                une nuit de janvier

 

                        dîner tardif

                                         en suspens

 

regards croisés

 

Un poème s’écrit à partir de la sonorité des mots, sans qu’il soit toujours nécessaire de retenir le vocabulaire français. Est choisie par exemple, en latin, « une liste de punaises rouge et noir issues de familles différentes » avec plusieurs critères de choix et, ensuite, de classement sur la page, le discours explicatif préalable faisant partie du poème :

 

                       Aracatus roeselii

                       Cenaeus carnifex

                       Carizus hyoscyami

                       Eurydema ventralis

                       Graphosoma italicum

 

Suivent deux ensembles de cinq noms disposés en échelle.

Une liste de noms, en l’occurrence de 48 oiseaux rassemblés en 4 colonnes, accumule des sons étranges pour qui n’est pas ornithologue (des savacous, des synallaxes, des saltators, etc.) — petit écart dans ce livre autour des insectes, que justifie le titre : « Peupler l’hiver d’ici » et l’amorce de la liste, « j’ai vu là-bas : ». Le lecteur lira aussi un poème en anglais, un autre avec trois lettres grecques répétées sur la page pour figurer le chant de la cigale grise.

Ce que suggèrent déjà les quelques poèmes cités, c’est la liberté de la mise en page qui correspond à la variété de la versification — jusqu’au dernier texte : l’ordre cette fois, avec humour, est noté « Bouquet final » avec pour l’accompagner quelques paroles d’une chanson de Pierre Barouh et, sur la belle page, un poème lapidaire :              

 

Friche

 

il a suffi de laisser.     les couleurs pousser

 

L’humour en poésie n’est pas des plus courants et l’on se réjouit souvent de la distance, et de la tendresse, prises par Fabienne Raphoz vis-à-vis de son objet. De l’ordre des Siphonaptères, la puce n’est nommée que par une citation (page de gauche) d’un sonnet des Amours de Ronsard, « Hé ! que ne suis-je puce » et par les deux derniers vers d’un poème en anglais de John Donne (The Flea, La puce), précédés d’un extrait de France Culture, « Comment peut-on dresser un si petit insecte ? ». Deux clins d’œil dans le poème en belle page :

 

                       quel cirque !

qu’en faire ?

de ces siphonap

tères

 

Maël me dit :

fais-les sauter

 

du livre

 

« je loue dans le poème / une vie plus vieille / que la mienne », écrit Fabienne Raphoz à propos d’un insecte. Ces louanges donnent envie de sortir du livre, de lire ou relire Fabre (présent plusieurs fois) et de vérifier que les insectes sont encore légion partout (y compris dans un jardin public, en ville) dans ce monde où tant d’espèces animales sont en voie de disparition, il faut le répéter et faire autre chose que s’en alarmer. On s’apercevra qu’ils sont souvent aussi beaux que le lucane dessiné par Ianna Andréadis en couverture. Une brève bibliographie complète ces poèmes qui donnent une présence vive à tous les insectes — « pour savoir il faut les voir ».

 

Fabienne Raphoz, Infini présent  l’insecte, Héros-Limite, 2024
130 p.,18 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 25 octobre 2à24.

 

 

30/11/2024

Zoé Karèlli, Solitude

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Solitude

 

Où irons-nus, mon âme, avec

tout cet exil que nous traînons ?

Avec nous personne et la solitude

est devenue si étrange, qu’elle se confond

 avec la compagnie de tous ces gens.

Tu parles et tu te tais et les choses

demeurent intraitables, comme si

nulle volonté ne venait les gouverner.

Plus comiques, les tristes efforts,

pourquoi tant de pessimisme ?... Comme si

le néant avait grandi, gonflé bizarrement,

il montre un visage furieux, informe,

près d’éclater, d’extraire de l’esprit

les foules qui le gardent et à présent

se contractent comme si le néant

se mettait à fourmiller.

 

Ah quelle misère ils contiennent,

les yeux de la solitude !

Fuyez très loin afin

de ne plus jamais rencontrer

notre image solitaire,

telle qu’aujoure’hui, entière, elle apparaît.

 

Zoé Karèlli, dans Poètes de Thessalonique (1930-1970),

traduit du grec par Michel Volkovitch,

Le miel des anges, 2024, p. 53.