26/06/2025
Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?
Rosebud
Regard de qui reconnaît son désir
après avoir troué les subterfuges
comme il s’embue qui voulait se durcir
tant qu’il n’avait remémoré sa luge
- s’arcbouter sur sa lésine vous gruge
serré dans son bouton la rose attend
que l’enclos de ses larmes se déten
de et les laisse s’écouler et les laisse
l’ouvrir elle la rose tant et tant
que la haine de soi plus ne la presse
Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?
Le Merle moqueur, 2025, p. 43.
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25/06/2025
Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?
La messe est dite
L’espère humaine occupe tout l’espace
urbain ses maisons ses rues tout rempli
à bloc elle est le seul grand rapace
flingués autres vivants jusqu’à l’oubli
mais voilà qu’à la fin elle faiblit
les animaux refoulés lui refilent
un truc à décimer les grandes villes
rongées jusqu’au trognon de passions viles
où ça pullule avec obscénité
l’a-t-on assez dédaignée la sibylle
que peut-elle dire sinon : ite
missa est ?
Laurent Fourcaut, Sacrée marchandise, hein ?
Le Merle moqueur, 2025, p. 47.
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23/06/2025
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
Le crapaud
Un chant dans une nuit sans air…
La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.
… Un chant ; comme un écho, tout vif
Enterré, là, sous le massif…
— Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre…
— Un crapaud ! Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue… — Horreur !
… Il chante. — Horreur !! — Horreur pourquoi ?
Vois-tu pas son œil de lumière…
Non : il s’en va, froid, sous sa pierre…
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Bonsoir — ce crapaud-là c’est moi.
Ce soir, 20 juillet.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros, Tristan Corbière, Œuvres complètes, Pléiade, Gallimard, 1970, p. 735.
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21/06/2025
Laura Tirandaz, J'étais dans la foule
Le cri dans une prairie quand on s’est perdu
Ce point à l’horizon quand les bêtes cessent leur repas
Ces draps qu’on repousse qu’on espère
Quelqu’un cherche mon prénom
et ne sait plus quelle lumière
sous quelle couture il m’a connue
Je n’ai rien gardé d’autre
que quelques terreurs
et le goût des portes qui fermaient mal
Mais toi
Ton corps se fait virgule
systole
marche
pierre
à lancer contre les murs
Tout n’est pas à l’usage des vivants
Laura Tirandaz, J’étais dans la foule,
Héros-Limite, 2025, p. 56.
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20/06/2025
Laura Tirandaz, J'étais dans la foule
Dans cette aube qui se refuse
se nouent de nouvelles présences
Un vêtement une trame une fuite en avant
J’étais encore là
témoin ou figurante
Je savais
ces lacs qu’on emporte avec soi
ces vieilles bâtisses
la douceur de tout ce qui tombe en ruine
et
tombant en ruine
s’invente un nouveau visage
Laura Tirandaz, J’étais dans la foule,
Héros-Limite, 2025, p.45.
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19/06/2025
Laura Tirandaz, J'étais dans la foule
Qu’un pauvre chemin
sans fruit sans ronce
sans brouillard qui affole
sans garçon en embuscade
Traverser
Un simple chemin
Il n’y avait pas de pierre
Rien à construire
Rien à détruire
Voilà
l’éclaircissement qu’apporte l’orage
Laura Tirandaz, J’étais dans la foule,
Héros-Limite, 2025, p. 42.
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18/06/2025
Laura Tirandaz, J'étais dans la foule
Les places sont déjà prises
Reste une suite d’espace
de derniers étages
Feux d’une fenêtre close
Il se déshabille
courbe sa nuque
Il jette les restes du jour
les dents serrées sur l’injure
Prisonnier d’un cauchemar où la joie sonnait trop fort
Laura Tirandaz, J’étais dans la foule, Héros-Limite,
2025, p. 25.
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16/06/2025
Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski
Nous avons tant écrit
les pierres s’ouvrent, sans retour sur le chemin
les voix des bêtes couvent,
petits feux dans des lieux sans carte
et les étoiles tissent l’espace
hors de nous.
Nous avons trop écrit peut-être
les mots sont plus lourds que des pierres
nous les lançons avec le fol espoir
qu’ils deviennent flamme, éclair, oiseau.
Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski,
Arfuyen, 2025, p. 128.
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15/06/2025
Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski
L’orchestre invisible
Écoute, comme
par petites touches
le temps s’épaissit,
dans sa pâte de lumière
et d’obscurité,
un roulement,
une rumeur un peu marine,
un peu comme si le sang du corps
remuait vers dehors
et se mêlait à l’air
dans une couleur naissante
impossible à nommer
sans qu’elle ne disparaisse.
Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski,
Arfuyen, 2025, p. 109.
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14/06/2025
Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski
Tandis que la nuit encercle les maisons
d’un horizon toujours plus étroit
qu’un beffroi invisible pèse sur la voix
des vivants, et le froid
s’insinue jusqu’à l’espace intime de nos cils, de nos lèvres,
chaque mot semble usé, effiloché
prêt à s’évanouir dans le pointillé des pluies
résonance assourdie, dont nous redoutons
qu’elle nous fige définitivement,
un cœur se serre
et fait vœu d’une rose aux pétales mobiles
dont le centre serait
notre feu absent.
Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski, Arfuyen, 2025, p. 95.
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13/06/2025
Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski
Aria
Ne précipite rien, trouve ta forme, l’ombre
glisse sous tes ailes
l’épaule des collines se hausse
sur l’intimité des herbes
un seul battement de cils
dans le soleil antique
et l’été coule entre nos doigts
les voûtes claires, rieuses
s’élancent entre les corps.
Cécile A. Holdban, Le rêve de Dostoïevski,
Arfuyen, 2025, p. 77.
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12/06/2025
Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski
Débordements
Quand le temps ruisselle
sans autres canaux pour couler
que les rigoles du trottoir
d’un dimanche soir de novembre
que chacun se presse chez soi ou aux machines
que chaque geste est dilatoire
les étourneaux
malgré les ombres longues
font leur chemin d’anges citadins
sans que nos yeux les regardent
entre les immeubles et la Seine
un bourdon bleu sur un pavé
une fleur hors saison
qui se soucie encore,
dans ce temps trop humain, de tous ces à-côtés
de ces notes un peu tombées du chœur des villes
de ces battements sourds, de tous ces petits riens
où va encore la vie.
Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski,
Arfuyen, 2025, p. 73.
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11/06/2025
Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski
Deux corneilles
Deux corneilles s’affairent
dialoguent avec leur ombre
elles paraissent sorties
du jardin des délices
Animés de fleurs brûlantes
reines et rois au loin
se déchirent l’homme est un animal
parmi d’autres animaux
Et les corneilles se tiennent
à la frontière qui séparent
les vagues de l’herbe nouvelle
des racines à nu de l’univers.
Cécile A. Holdban, Le Rêve de
Dostoïevski, Arfuyen, 2025, p. 41.
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10/06/2025
Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski
Le monde s’est fermé
et s’observe dans le miroir
d’une lune rose
Nous pourrions oublier
la circulation des pôles
le battement des matées
s’il n’y avait les paupières
lentes du lilas
s’ouvrant derrière les canisses
la promesse sans parole
de son regard en pluie
que noue et dénoue l’ombre.
Cécile A. Holdban, Le Rêve de Dostoïevski,
Aefuyen, 2025, p. 24.
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09/06/2025
James Sacré, Choix de poèmes : recension
La meilleure anthologie est celle que l’on fait pour soi, écrivait (à peu près !) Paul Éluard qui avait préparé une anthologie de la poésie du passé et une autre des écrits sur l’art. L’anthologie qu’un écrivain prépare de ses propres textes retient plus le lecteur que celle d’un amateur, même s’il connaît fort bien les supports de ses choix. Les éditions Unes, dans une collection de poche, ont sollicité en 2024 Jean-Louis Giovannoni et Geoffrey Squires, en 2025 Esther Tellermann et James Sacré. Ce dernier avait proposé une anthologie thématique à un éditeur algérien (Par des langues et des paysages, APIC, 2024), celle composée pour les éditions Unes est différente, il a choisi un poème (parfois deux) dans 97 des livres publiés, de 1965 (Relation) à 2025 (Rue de la Croix, à Celleneuve ses escaliers puis d’autres), certains regroupant des recueils déjà publiés. Le lecteur serait-il ainsi invité à suivre un parcours, peut-être une évolution des thèmes ou de l’écriture ? cette lecture impliquerait que l’auteur aurait choisi les poèmes en vue d’une telle démonstration. On peut bien dire qu’une œuvre est "vivante", certes, mais la métaphore est à éviter si l’on entend que l’écriture passerait de l’enfance à la maturité.
À lire les quelques lignes retenues de Relation, le lecteur reconnaît une partie du vocabulaire de James Sacré, présent dans les livres ultérieurs, enfance et geste, et récurrents arbre(s) et campagne. On pense à un souhait de donner un aperçu d’une œuvre qui, se développant sur une très longue durée, n’est certes pas restée immobile, mais le regard sur les choses n’a que peu changé. Il s’est affiné, devenu peut-être plus amoureux, et l’écriture a toujours laissé de côté un vocabulaire trop recherché, une syntaxe qui respecte toujours la norme. Pour qui lit depuis longtemps James Sacré, il n’est pas aisé de dater tel extrait :
Il devient inutile de dire le nom des herbes. Cela n’ajoute rien. On découvre qu’il s’agit de trouver un support à des phrases, à des intentions pugnaces. On fabrique un poème. Graminées remuées. Peut-être.
(1968)
Au fil des années, on lit dans les titres que l’un des socles de la poésie de James Sacré est la tentative de dire et redire avec justesse ce qui importe, qu’il s’agisse de l’enfance dans la ferme, de la relation à l’Autre ou ce que l’on voit, ce qui est devant soi : le paysage, le linge qui sèche, la petite salle de restaurant au milieu de nulle part, un âne, les arbres, des marchands dans la rue, des camions. Les poèmes de Follain sont d’ailleurs évoqués, qui ont pu être écrits « À partir de rien, le bruit d’une épingle / Sur un comptoir d’épicerie. Le bruit du monde / Ou le bruit d’un mot ». Aller toujours à la rencontre de l’Autre, de ce qui la plupart du temps est vu sans être regardé, de ce qui n’appelle pas le commentaire parce qu’il serait inutile.
Là où sont des étoffes c’est que des gens sont vivants ;
Carrés de torchons, petite culotte ou T-shirt qui sèchent
Sur un fil qui traverse la rue pas large, on devine
Le manque d’espace (et peu d’argent)
[…] (2010)
Ce qui est regardé n’appelle que rarement une glose ; devant des travailleurs émigrés exploités, dans la souffrance d’être pour longtemps éloignés de leurs proches, on éprouve peut-être de la rage devant l’inégalité dans la vie, et puis « on oublie » jusqu’à la prochaine fois. Devant la misère, rencontrant « une vie pas facile à vivre », note l’auteur, « j’ai pas eu envie de sortir mon carnet » ; mais il retient les détails du parcours dans un marché et une halle et, plus tard, revenu dans « le confort de l’hôtel » le « cahier d’écritures » est à nouveau ouvert. C’est une des caractéristiques des poèmes de James Sacré d’être régulièrement écrits à partir de "choses prises sur le fait"* et l’on en relève de multiples exemples dans cette anthologie. Par exemple, dans La solitude au restaurant (1987), après un rapide descriptif du lieu,
Des mots
(Voilà qu’on vient d’augmenter la lumière) pour seulement
Donner matière au rythme d’un poème, comment se fait-il
Que l’envie m’est venue d’en écrire un
Comme si en somme je l’avais trouvé là à cause d’une chaise remuée
À cause des pas traînants de la patronne (…)
Dire ainsi ce qu’est l’écriture de James Sacré est trop simpliste et lui-même refuse ce qui ferait du poème une manière de reportage, « Certes mon poème n’est pas une photo : mais s’il ne laisse pas dans sa liberté / une femme qui pourrait être ma mère, ou la tienne lecteur / Qui pourrait bien être / toute femme du monde en sa solitude de femme / Qui raconte et fait ce monde par ses gestes de vivante. »
Tout peut aboutir à une prose ou des vers mais, quelle que soit la forme choisie, un doute vient souvent quant à ce que transforme l’écriture : que "disent" les poèmes ? « les poèmes / m’ont emmené longtemps / Par des mots qui n’expliquent rien (…)/. Les mots sont aussi / Le silence et l’énigme ». La réponse n’est décevante que si l’on croit, espère trouver des réponses dans un écrit, dans les mots qui sont « peut-être moins l’or du temps que poussières de solitudes traversées ». Il faudrait citer encore et écarter le commentaire, s’accorder avec Malraux pour qui « toute anthologie se sépare d’une histoire de la poésie en ce qu’on l’établit pour être lue, non étudiée ». Celle-ci est une excellente invitation à lire entièrement les recueils cités
* Titre d’un des dossiers non publiés de son vivant de Victor Hugo.
James Sacré, Choix de poèmes, éditions Unes, 2025, 128 p., 10, 40 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 24 avril 2025.
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