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08/01/2023

Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia

Michel_Leiris.JJ.1984.jpg

Lumière chaude,

Frôlement trouble

 

Baiser de miel,

Bruit percutant.

 

Contour mou,

Alcool dur.

 

Mélodie plate,

Accords chatoyants.

 

Parfum pimenté,

Harmonie fade.

 

Vue insipide,

Peinture savoureuse.

 

Goût râpeux,

Musique caressante.

 

Parler rocailleux,

Sonorité brillante.

Ton aigre,

Voix veloutée.

 

Couleur acide,

Chant sirupeux.

 

Michel Leiris, Le ruban

au cou d’Olympia, Gallimard,

1981, p. 119-120.

18/12/2021

Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia

777-22.jpg

 

     

 

 

 

Qui ne crie qu’en silence mais qu’un rien, parfois, fait donner   de la voix.

Qui tâche de panser avec des mots sa plaie sans origine repérable.

Qui jamais ne met bas le masque, lui qu’a façonné la langue que d’autres ont façonnée.

Qui supporte la solitude avec peine mais n’est guère plus à l’aise en compagnie.

Qui se défie de ses dopings, alcool et café noir, car ils ne font mieux courir que son tourment.

Qui, du repas amical qu’il attendait comme une fête, revient généralement déçu, s’accusant lui le premier de n’avoir pas été à la hauteur.

Qui se voudrait en marge comme y appelle la poésie, mais tient à faire œuvre tant soit peu militante et, sans chercher plus loin, se réjouirait de subjuguer en racontant de belles histoires au lieu de se raconter.

Qui, pour se fuir, furète au fond de son moi.

(...)

Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia, Gallimard, 1981, p. 254.

05/07/2014

Michel Leiris, Le Ruban au cou d'Olympia

th.jpg

À main droite

ma manie de manipuler,

démantibuler,

désaxer et malaxer les mots,

pour moi mamelles immémoriales,

que je tète en ahanant.

Murmure barbare, en ma Babel,

tu me tiens saoul sous ta tutelle

et, bavard balourd, je balbutie.

À main gauche, mes machins,

mes zinzins,

mes zizanies,

les soucis (chichis et chinoiseries) qui me cherchent noise,

mes singeries, momeries et moraleries.

Ô gagâchis qu'agacé j'ai sagacement jaugé et tout de go gommé,

jugeant superfétatoirement enquiquinant son chuchotis ?

Au milieu

le mal mou qui me moud,

me moud,

me lime, m'annule,

m'humilie

et que, miel amer, je mettrais méli-mélo à mille lieues mijoter,

mariner,

macérer.

N'a-t-il dit que ce monde dément demande un démenti,

le démon qui m'enmantèle, m'enmêle et me démantèle.

 

                                                           *

 

 Qu'est-ce que, pratiquement, je poursuis ?

   — La combinaison de mots, phrases, séquences, etc., que je suis seul à pouvoir bricoler et qui — dans ma vie pareille, comme toute autre, à une île où les conditions d'existence ne cessent d'empirer — serait mon vade-mecum de naufragé, me tenant lieu de tout ce qui permet à Robinson de subsister : caisse d'outils, Bible, voire Vendredi (si je dois finir dans une solitude à laquelle je n'aurai pas le cœur d'apporter le catégorique remède).

   ... Ou plutôt ce qui me fascine, c'est moins le résultat, et le secours qu'en principe j'en attends, que ce bricolage même dont le but affiché n'est tout compte fait qu'un prétexte. Au point exact où les choses en sont au-dedans comme au dehors de moi, quoi d'autre que ce hobby pourrait m'empêcher de devenir un Robinson qui, travaux nourriciers expédiés, ne ferait plus que se glisser vers le sommeil, sans même regarder la mer ?

 

 

Michel Leiris, Le Ruban au cou d'Olympia, Gallimard, 1981, p. 176-177 et 195.

22/12/2012

Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia

 

Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia, jeu des sons, allitération

À main droite,

ma manie de manipuler,

démantibuler,

désaxer et malaxer les mots,

pour moi mamelles imméoriales,

que je tète en ahanant.

 

Murmure barbare, en ma Babel,

tu me tiens saoul sous ta tutelle

et, bavard balourd, je balbutie.

 

À ma in gauche,

mes machins,

mes zinzins,

mes zizanies,

les soucis (chichis et chinoiseries) qui me cherchent noise,

mes singeries, momeries et moraleries.

 

Ô gagâchis qu'agacé j'ai vaguement jaugé et tout de go gommé,

jugeant superfétatoirement enquiquinant son chuchotis !

 

Au milieu,

le mal mou qui me moud,

me mord,

me lime, m'annule,

m'humilie

et que, miel amer, je mettrais méli-mélo à mille lieues

          mijoter,

mariner,

macérer.

 

M'at-il dit que ce monde dément demande un démenti,

le démon qui m'enmantèle, m'emmêle et me démantèle ?

 

Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia, Gallimard,

1981, p. 176-177.

27/11/2011

Michel Leiris, Le Ruban au cou d'Olympia

Michel Leiris, le Ruban au cou d'Olympia, jeu de mots

À main droite

ma manie de manipuler,

démantibuler,

désaxer et malaxer les mots,

pour moi mamelles immémoriales,

que je tète en ahanant.

Murmure barbare, en ma Babel,

tu me tiens saoul sous ta tutelle

et, bavard balourd, je balbutie.

À main gauche, mes machins,

mes zinzins,

mes zizanies,

les soucis (chichis et chinoiseries) qui me cherchent noise,

mes singeries, momeries et moraleries.

Ô gagâchis qu'agacé j'ai sagacement jaugé et tout de go gommé,

jugeant superfétatoirement enquiquinant son chuchotis ?

Au milieu

le mal mou qui me moud,

me mord,

me lime, m'annule,

m'humilie

et que, miel amer, je mettrais méli-mélo à mille lieues mijoter,

mariner,

macérer.

N'a-t-il dit que ce monde dément demande un démenti,

le démon qui m'enmantèle, m'enmêle et me démantèle.

 

 

 

 Qu'est-ce que, pratiquement, je poursuis ?

   — La combinaison de mots, phrases, séquences, etc., que je suis seul à pouvoir bricoler et qui — dans ma vie pareille, comme toute autre, à une île où les conditions d'existence ne cessent d'empirer — serait mon vade-mecum de naufragé, me tenant lieu de tout ce qui permet à Robinson de subsister : caisse d'outils, Bible, voire Vendredi (si je dois finir dans une solitude à laquelle je n'aurai pas le cœur d'apporter le catégorique remède).

   ... Ou plutôt ce qui me fascine, c'est moins le résultat, et le secours qu'en principe j'en attends, que ce bricolage même dont le but affiché n'est tout compte fait qu'un prétexte. Au point exact où les choses en sont au-dedans comme au dehors de moi, quoi d'autre que ce hobby pourrait m'empêcher de devenir un Robinson qui, travaux nourriciers expédiés, ne ferait plus que se glisser vers le sommeil, sans même regarder la mer ?

 

Michel Leiris, Le Ruban au cou d'Olympia, Gallimard, 1981, p. 176-177 et 195.