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04/02/2025

Marc Cholodenko, De très brefs rêves

                       marc cholodenko, de très brefs rêves, étrangeté

 

Voilà que j’ai mis ma veste à l’envers. Et moi avec alors. Dans ce cas ma veste serait à l’endroit. Il ne faut pas paniquer mais il y a quelque chose d’étrange. À moins que j’aie mis seulement ma veste à l’envers sans pour autant l’avoir enfilée. C‘est avec soulagement que je me prends à songer que c’est souvent la même précipitation trompeuse qui nous fait choisir nos verbes et nous représenter d’emblée au centre des choses.

 

Marc Cholodenko, De très brefs rêves, P.O.L, 2025, p.32.

03/02/2025

Marc Cholodenko, De très brefs rêves

                              marc cholodenko, de très brefs rêves, rendez-vous

L’heure est bientôt passée. Il faut que je me précipite mais j’ai oublié où c’était. Je me précipite quand même je me rappellerai peut-être même en chemin. Je m’arrête pile. Je me souviens où c’était mais je ne me souviens plus de la date. Ce qui me tracasse dans cette histoire de rendez-vous c’est que j’ai l’impression de l’avoir vécue ou encore mieux de l’avoir déjà entendue quelque part. Ce serait un classique en quelque sorte ou bien plutôt un poncif. Je préfère couper court pour m’évite la honte que j’éprouverai en découvrant que c’est moi qui en serait l’auteur.

 

Marc Cholodenko, De très brefs rêves, P.O.L, 2025, p. 27.

 

02/02/2025

Marc Cholodenko, De très brefs rêves

                            marc cholodenko, de très brefs rêves, absence

Ce moment je suis seul au monde à me le rappeler. Il n’y a pas de quoi s’en louer. J’étais déjà seul au monde à le vivre dans sa compagnie. Nous aurions pu nous le rappeler ensemble. Aujourd’hui elle ne peut plus. Mais moi je peux toujours la rappeler. Comme on rappelle une personne pas un souvenir. Elle ne répondra pas plus qu’elle ne répondait au téléphone quand elle était absente pas exemple. Ma chérie mon amour. J’exagère ça n’a jamais été ma chérie mon amour. Mais ça fait venir plus de larmes. Le souvenir se renforce de la désolation autant qu’il s’affaiblit de la complaisance.

 

Marc Cholodenko, De très brefs rêves, P.O.L, 2025, p. 38.

01/02/2025

Marc Cholodenko, De très brefs rêves

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En même temps que l’ongle je me suis coupé un morceau du gros orteil. Ce qui est douloureux c’est que ce soit dégoûtant. Je ne veux plus voir ça et je le jette. Ou la jette. Si je le jette c’est un lambeau de chair répugnant et si je la jette c’est une partie précieuse de moi. Je suis coupé en deux parties que je ne peux pas départager. Je baisse la tête pour réfléchir à la manière mais les larmes avec leur façon universelle de tout conclure les fondent ensemble sans que je me sois mêlé de rien.

 

Marc Cholodenko, De très brefs rêves, P.O.L, 2025, p. 20.

30/01/2025

Edmond Jabès, Je bâris ma demeure

 

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Toute porte a pour gardien un mot (Mot de passe, mot magique).

 

Rendre le mot visible, c’est-à-dire noir.

 

Parler de soi, c’est toujours embarrasser la poésie.

 

Le visage qui se mire dans la glace n’efface pas le précédent.

 

Qui es-tu, sinon, d’abord, celle qui est l’autre ?

 

Edmond Jabès, Je bâtis ma demeure, Gallimard, 1975, p. 155, 155, 157, 159, 171.

29/01/2025

Edmond Jabès, Yaël

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Être soi-même en l’autre. Graphie de nos routes, jusqu’ici. Yaël, moitié féminine d’un être qui ne dit pas où il va. Ainsi en est-il de la plante, une fois hors de la terre. Nous la croyons enracinée à sa vie, tant elle semble obéir à sa forme préméditée. La plante se développe contre la plante. Son inquiétude est dans la ressemblance. Arbre particulier, fleur désirée, jamais identiques. Le sommeil les épanouit et le jour les tuera.

Aucune blessure n’est pareille. La branche, la tige saignent pour elles seules.

Monotonie du mensonge. Décoloration de la digression. Imaginer n’est plus que l’avilissante abdication devant la souveraine figure préservée des millénaires.

Suprématie de la nature. La terre nous rejette à la dernière image.

 

Edmond Jabès, Yaël, Gallimard, 1967, p. 146-147.

28/01/2025

Edmond Jabès, Le Soupçon Le Désert

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D’aussi loin que je me souvienne et autant que je puisse l’assurer, je crois que ce sont les fautes d’orthographe que je faisais, enfant, adolescent, qui ont été à l’origine du questionnement qui s’est développé par la suite. Je ne comprenais pas qu’un mot reproduit un peu différemment, avec une lettre de moins ou de trop, ne représentait, brusquement, plus rien que mon maître pouvait se permettre de le biffer rageusement à l’encre rouge sur mon cahier et s’arroger arbitrairement le droit de me punir de l’avoir, pour ainsi dire, inventé.

 

Edmond Jabès, Le Soupçon, Le Désert, Gallimard, 1978, p. 57.

 

25/01/2025

Christian Dotremont, Les grandes choses

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Chronique

 

      2

 

Réel qui ne tient debout

que par la faux du temps

réel prêt à mourir

et se haussant sur ses talons

brave pour paraître grand

la mort pouvant le tailler mieux

qui ne fait que le menacer

comme il est de son devoir

et parfois l’attention du réel

faiblit il tremble sur ses jambes

et parfois l’attention de la mort

faiblit elle le frappe vraiment

il tremble sur ses jambes

mais la mort se reprend vite

comme ill est de son devoir

et le réel se reprenant

comme il est de son devoir

vite redevient de fière faction

 

Christian Dotremont, Les grandes choses,

anthologie poétique 1940-1979, édition

Michel Sicard, Poésie/Gallimard, 2025, p .309.

24/01/2025

Christian Dotrement, Les grandes choses

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Gladys en allée

 

Gladys en allée, vers les dix heures du matin en 1952. Christian observa tout de suite le tas d’extrêmes diversités qu’elle lui laissait : des souvenirs encore chauds de  joie de Tervuren et de Copenhague même, des draps par exemple, des épingles à cheveux,  une fragrance, des aquarelles et des photographies, tout un bol de soupe, fort peu de vin et d’aspirines, énormément de vide, avec un désespoir encore trop lourd pour grossir : plus tard, oh beaucoup plus tard, ailleurs, revenant seul à Tervuren, il s’aperçut que ce désespoir l’empêchait, non certes de retrouver là une épingle à cheveux encore, mais de trouver à la vie un autre goût que de pourriture.

 

Christian Dotremont, Les grandes choses, anthologie poétique, 1940-1979, édition Michel Sicard, Poésie/Gallimard, 2025, p. 324.

23/01/2025

Christian Dotremont, Les grandes choses

christian dotremont,les grandes choses

 

Moi qui j’avais

 

               I

 

Moi qui j’avais pensé

qui pensais je me disais j’argauais

 

 

Étant sale qu’un peu de propreté

qu’une éponge de lit

 

Étant debout qu’un peu de

glissement conviendrait j’avais pensé

 

Qu’un peu de foin

ne convenant pas à mes systèmes

 

Conviendraient je veux dire changeraient

ma vie qu’un peu de foin

 

Et j’ai donc bu ce langage

j’ai regardé ces yeux

 

À perte de vue à perte

étant sale étant debout pensé

 

qu’à perte d’élocution à

perte de sens je trouverais

 

Un peu beaucoup une

ombre de lumière

 

Étant pensé qu’un peu de changement

me ferait du bien un peu de foin

 

ChristianDotremont, Les grandes choses, Anthologie poétique, 190-1979, édition Michel Sicard, Poésie/Gallimard, 2025, p. 117-118.

22/01/2025

Christian Dotremont, Les grandes choses

 

Les garanties mythologiques de la nature

 

ARBRE (L’)  Il est i mais à l’ouvre. De cette contradiction catastrophique prend appui la foudre pour le frapper. Il verse des pommes dans le tablier de la pesanteur, mais parfois sans être remarqué les lance dans le mystérieux univers de l’air : ainsi naquit en automne la terre, qui n’point encore perdu la vitesse acquise.

 

L’HORLOGE — C’était un cadeau de Mme Ourlet. Neuf heures sonnèrent.Les concierges virent passe r un vieux eau, chargé de petits paquets prometteurs.

À Noël on dut faire venir un ouvrier pour dégager la porte d’entrée. Mais le cadeau ne cessa pas un instant de fonctionner.

 

                              christian dotremont,

JURY (LE) — Quand le condamné entra la populace se tut. Le magistrat sanglotait, les bras ballants.

 

Christian Dotremont, Les grandes choses, anthologie poétique 1940-1979, édition Michel. Sicard, Poésie/Gallimard, p. 99.

 

 

21/01/2025

Christian Dotremont, Les grandes choses

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Où plus un chat ne vient

 

Je suis gardien de phare sur la mer en faillite

une vague après l’autre

 

Je cuis mon déjeuner sur le feu des naufrages

je suis gardien de phare.

 

Dans mon phare en faillite un naufrage après l’autre

je n’ai plus d’uniforme.

 

Est venu le gérant des choses maritimes

en ciré de gala.

 

M’a demandé les clefs de mon habitation en forme de betterave

 

Lui a dit le bonjour et lui ai fait du thé

avec l’écume de ma pipe.

 

M’a remis un papier timbré dans une bouteille

naguère de cognac.

 

Me suis enfermé et lui ai jeté les clés

adieu mon capitaine.

 

Je suis gardien d’épaves sur la mer en faïence

où plus un chat ne vient.

 

Christian Dotremont, Les grandes choses, Anthologie poétique, 1940-1979, édition Michel Sicard, Poésie/Gallimard, 2025, p. 84-85.

20/01/2025

Alexis Pelletier, Là où ça veille

 

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dans ce récit c’est peut-être quand je n’arrive

à rien que la mort fat entrevoir dans la fin

du monde quelle signe toujours une masse

obscure une angoisse, un effroi sans nom

                                                              c’est là

que me vient l’envie de te prendre dans mes bras ou

plutôt que tu me prennes absolument

                                                          ça

répond au besoin de consolation intact

impossible à rassasier

                           je ne connaissais

pas le livre de Stig Dagerman quand Maman

est morte je ne te connaissais pas non plus

 

Alexis Pelletier, Là où ça veille, Tarabuste, 2025, p. 115.

18/01/2025

Alexis Pelletier, Là où ça veille

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loge 12 et place quatre-vingt 11-et-12

novembre 1980 jeudi

20 les places à 20 francs chacune

                                    écrit sur

les billets conservés dans le programme de

la soirée que je viens de retrouver j’avais

dû faire la queue la nuit du mercredi 5

ou jeudi 6 pour acheter les places les

moins chères qui permettaient encore de voir

la quasi-totalité de la scène sauf

ici le fond de la scène côté jardin

les guichets ouvraient je crois le matin 11 heures

ce devait être en pleines vacances scolaires

le premier café ouvrait autour de 5 heures

il y avait toujours quelque monsieur gentil

qui m’offrait un chocolat et qui volontiers

arait trempé dedans sa  queue pour ma bouche ou

mon cul de jeune Tadzio tout blond et bouclé

malgré ou grâce aux boutons d’acné

                                    ingrate

est l’adolescence

                      mes parents ignoraient tout

du monde des fêlés d’opéras

                                   avant qu’on

vende tout par Internet

                                   je ne laisserais

pas un ado de 16 ans faire de nuit la

queue devant Garnier ou Bastille

                                    autre version

du vierge du vivace et du bel aujourd’hui

ils étaient déjà dépassés par le monde et

tout cela s’est passé juste avant le sida

 

Alexis Pelletie, Là où ça veille, Tarabuste, 2025, p. 76.

 

 

 

17/01/2025

Alexis Pelletier, Là où ça veille

 

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nous sommes venus mon père et moi à l’appel

je l’ai vu embrasser  le front puis

                                             repartir                                                         

encore aujourd’hui je ne sais à quel moment

la douleur le saisit et quel

                                     sens prit la mort

de sa femme je me le demande

                                            aujourd’hui

après beaucoup d’années

                                     il y a un silence

                                                         et je

ne sais pas quand j’ai vraiment pris conscience que

c’était fini comme Myriam l’a dit et le

sens des mots reste sans aucune prise dans

la mort de l’autre et dans le deuil qui s’installe et

surtout quand celle-ci vient d’arriver pourquoi

avec la lumière

                     un souvenir

                                    assez sombre

 

Alexis Pelletier, Là où ça veille, Tarabuste, 32025, p. 11.