15/05/2025
Hélène Sanguinetti, Jadis, Poïena, une poème
(Désastre)
Caillou lancé
fait floc très loin en bas
du puits
Soir descend avec le seau
Désert où sable orangé
Cave où murs s’effritent
Berceau où fille pleure
devenue grande elle
enferme derrière ses yeux
infinie peine et refus de
consolation
Où est la robe blanche
qui te frôlait quand tu ne
dormais pas et que papillon
de nuit voulut boire ?
POÏENA plus que toujours
se niche dans la poitrine
et bat au rythme de
tam-tams rafistolés à
l’élastique, ne pas tomber, ne pas
laisser aux petits singes
l’enfer de l’incendie,
(à tous les animaux, l’enfer de nous
Hélène Sanguinetti, Jadis, Poïena une poème, Flammarion, 2025, p. 70.
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14/05/2025
Hélène Sanguinetti, Jadis, Poïena, une poème
Mère
Longtemps tu as eu les cheveux longs, épais, blonds. Ta mère te faisait les tresses. Parfois une seule, si lourde. Quand tu tournes la tête, la tresse bat d’un côté, de l’autre. Tchonc tchonc tchonc. Un ruban de velours noir à chause bout, pour cacher les élastiques, comme Deneuve dans les Parapluies. Ta mère aime aussi te coiffer en chignon. Tout serré en haut de la tête avec beaucoup d’épingles, une telle tignasse ! La nuit, épingles enlevées, les cheveux te font mal.
Hélène Sanguinetti, Jadis, Poïena, une poème, Flammarion, 2025, p. 34
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13/05/2025
Jean Gent, L'Ennemi déclaré
(…) les Guaranis chantent et dansent et les larmes me montent aux yeux. Peut-être sont-elles amenées par la grande tristesse de leurs chants — les plus joyeux sont encore désespérés — qui disent l’esclavage ou plutôt d’où suinte la misère d’une race, et par le mode désolé des danses qui sont lentes, courbant l’échine lourde, sans cesse tirées vers une terre à la fois ingrate et consolante, dont on éprouve l’inexorable rappel, le terrible pouvoir d’attraction. J’ai entendu des chants plus tristes : j’étais de bronze. Que se passe-t-il ? L’exceptionnelle qualité des Guaranis se mesure donc à ceci : qu’ils appellent réflexion, non sur eux-mêmes, mais sur les exigences de la poésie dont le thème essentiel et l’amour et la mort. Nos acteurs d’Occident — on dit même nos artistes ! — et le plus doués d’entre eux — réussissent à nous toucher quand par bonheur — par hasard ! — ils nous restituent une anecdote utilisant l’un de ces thèmes, ou l’un et l’autre. Notre émotion alors a quelque chose d’étriqué…
Jean Genet, Faites connaissance avec les Guaranis, dans L’Ennemi déclaré, Notes et entretiens, Gallimard, 1991, p. 119.
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11/05/2025
Jean Genet, Ce qui reste d'un Rembrandt...
C’est seulement ces sortes de vérités, celles qui ne sont pas démontrables et même qui sont « fausses », celles que l’on ne peut conduire jusqu’) leur extrémité qans aller à la négation d’elles et de soi, c’est celles-là qui doivent être exaltées par l’œuvre d’art. Elles n’auront jamais la chance ni la malchance d’être un jour appliquées. Qu’elles vivent par le chant qu’elles sont devenues et qu’elles suscitent.
Jean Genet, Ce qui reste d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers et foutu aux chiottes, dans Œuvres complètes, IV, Gallimard, 1968, p.21.
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10/05/2025
Jean Genet, L'étrange mot d'...
Dès le début de l’événement théâtral, le temps qui va s’écouler n’appartient à aucun calendrier répertorié. Il échappe à l’ère chrétienne comme à l’ère révolutionnaire. Même si le temps historique — je veux dire le temps qui s’écoule à partir d’un événement mythique et controversé que l’on dit Avènement — ne disparaît pas complètement de la conscience des spectateurs, un autre temps, que chaque spectateur vit pleinement, s’écoule alors, et n’ayant ni commencement ni fin, il fait sauter les conventions historiques nécessitées par la vie sociale, du coup il fait sauter aussi les conventions sociales et ce n’est pas au profit de n’importe quel désordre mais à celui d’une libération — l’événement dramatique étant suspendu, hors du temps historiquement compté, sur son propre temps historique —, c’est au profit d’une libération vertigineuse.
Jean Genet, L’étrange mot d’…, dans Œuvres complètes, IV, Gallimard, 1968, p. 10.
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09/05/2025
Jean Genet, Le Funambule
La Mort — la Mort dont je te parle — n’est pas celle qui suivra ta chute, mais celle qui précède ton apparition sur le fil. C’est avant de l’escalader que tu meurs. Celui qui dansera sera mort — décidé à toutes les beautés, capable de toutes. Quand tu apparaîtras, une pâleur — non, je ne parle pas de la peur, mais de son contraire, d’une audace invincible — une pâleur va te recouvrir. Malgré ton fard et tes paillettes tu seras blême, ton âme livide. C’est alors que ta précision sera parfaite. Plus rien ne te rattachant au sol tu pourras dansser sans tomber. Mais veille de mourir avant d’apparaître, et qu’un mort danse sur le fil.
Jean Genet, Le Funambule, dans Œuvres complètes, V, Gallimard, 1979, p. 12.
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08/05/2025
Jean Genet, L'Atelier d'Alberto Giacometti
C’est l’œuvre de Giacometti qui me rend notre univers encore plus insupportable, tant il semble que cet artiste ait su écarter ce qui gênait son regard pour découvrir ce qui restera de l’homme quand tous les faux-semblants seront enlevés. Mais à Giacometti aussi peut-être fallait-il cette inhumaine condition qui nous est imposée, pour que sa nostalgie en devienne si grande qu’elle lui donnerait la force de réussir dans sa recherche. Quoi qu’il en soit toute son œuvre me paraît être cette recherche, que j’ai dite, portant non seulement sur l’homme mais aussi sur n’importe lequel sur le plus banal des objets. Et quand il a réussi à défaire l’objet ou l’être choisi de ses faux-semblants utilitaires, l’image qu’il nous en donne est magnifique.
Jean Genet, L’Atelier d’Alberto Giacometti, dans Œuvres complètes, V, Gallimard, 1979, p. 41-42.
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07/05/2025
Jean Genet, Un Captif amoureux
Passons sur le fait très connu que la mémoire est incertaine. Sans malice elle modifie les événements, oublie les dates, impose sa chronologie, elle oublie ou transforme le présent qui écrit ou récite. Elle magnifie ce qui fut quelconque : il est plus intéressant pour quelqu’un d’avoir été le témoin d’événements rares, jamais rapportés. Qui connut un fait singulier unique, participe de cette singularité d’exception. Tous mémorialiste voudrait aussi demeurer fidèle à son choix initial. Avoir été si loin pour s’apercevoir que derrière le ligne d’horizon la banalité est celle d’ici ! Le mémorialiste veut dire ce que personne n’a vu dans cette banalité. Car nous sommes avantageux, nous avons donc avantage à laisser croire que notre voyage d’hier valait ce que nous écrivons cette nuit.
Jean Genet, Un Captif zamoureux, Gallimard, 1986, p. 59.
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06/05/2025
Jean-Patrice Courtois, Et virgule
au bord de l’asphyxie, trente bustes de résine, têtes hors de l’eau, un peu plus ou moins, sorties de surface, des personnes en danger dans l’espace public dit l’artiste, les hommes bleus, enfoncés stables pas coulés, la file bustière, du mouvement qui se voit, arc de cercle de la danse des bustes, non fermé, pas des objets : l’un l’eau au menton : le meneur de l’arc, regard résine, le fait d’affect mute
Jean-Patrice Courtois, Et virgule, NOUS, 2025, p. 67.
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05/05/2025
Jean-Patrice Courtois, Et virgule
déjà le parasol du soufre en l’air rendrait le ciel blanchâtre, déjà la perte du bleu, l’adorable, rendrait fou, déjà la particules sculptées retombent, déjà l’incalculable « effet de résiliation », ce serait signal, déjà de reprise, le rayonnement plus rapide, conditionnel factuellement actuel, plus craquement de la « météorisation augmentée », accélération de l’accélération, l’erreur augmentée parle techno-vocables, image imageante du géo-dit, du déjà discours partout, colonies de géo-artefacts, prêtes
Jean-Patrice Courtois, Et virgule, NOUS, 2025, p. 57.
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04/05/2025
Jean-Patrice Courtois, Et virgule
nous ne sommes pas fous (sinon nous aurions l’air sauvés (nous ne sommes pas libres (sinon nous aurions l’air égarés (nous ne sommes pas morts (sinon nous aurions l’air d’un autre type d’oubli, nous sommes libres (parce que nous avons l’air égarés, nous sommes vivants (parce que nous sommes encore vivants, nous ne sommes pas fous (parce que nous aurions l’air sauvés, nous ne sommes pas libres (parce que nous aurions l’air égarés (nous ne sommes pas morts (parce que nous sommes encore une articulations d’ablatifs
Jean-Patrice Courtois, Et virgule, NOUS, 2025, p. 47.
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03/05/2025
Philippe Jaccottet, La Semaison
Pluie oblique, changeante, passante ou fuyante ; bruit d’une machine indéterminée, peut-être dans les champs. Journées encore presque froides, méchantes. Le bruit des voitures est aussi comme celui d’une machine, d’un outil qui s’enfoncerait dans la matière de l’air pour lr percer.
Des paroles brèves comme une rapide pluie. Comme ces lignes qu’elle laisse sur la vitre un instant, brillantes, étoilées, et pourtant chaque perle, chaque goutte a son nœud d’ombre. Derrière l’astre des larmes, l’herbe encore un peu plus verte, et une multitude analogue dans le nid des arbres. Une fumée bleue comme les lointains.
Philippe Jaccottet, La Semaison dans, Œuvres, Pléiade/Gallimard, 2014, p. 353
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02/05/2025
Philippe Jaccottet, Airs
Dans l’herbe à l’hiver survivant
ces ombres moins pesantes qu’elle,
des timides bois patients
sont la discrète, la fidèle,
l’encore imperceptible mort
Toujours dans le jour tournant
ce vol autour de nos corps
Toujours dans le champ du jour
ces tombes d’ardoise bleue
Philippe Jaccottet, Airs, dans Œuvres,
Pléiade/Gallimard, 2014, p. 422.
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01/05/2025
Jacques Prévert, Paroles
Le temps perdu
Devant la porte de l’usine
le travailleur soudain s’arrête
le beau temps l’a tiré par la veste
et comme il se retourne
et regarde le soleil
tout rouge tout rond
souriant dans son ciel de plomb
il cligne de l’œil
familièrement
Dis donc camarade Soleil
tu ne trouves pas
que c’est plutôt con
de donner une journée pareille
à un patron ?
Jacques Prévert, Paroles, 1949.
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30/04/2025
Philippe Jaccottet, Dans le ciel...
Les couleurs graves des fins d’après -midi, l’hiver : le brun qui tire sur le fauve, le pourpre, le violet ; le vert très sombre, les lointains bleus ; et aujourd’hui, entre l’horizon et de longs nuages peut-être chargés de neige, un morceau de ciel si clair qu’il en paraît juvénile ou angélique. L’enclos du grand jardin avec ses murs couverts de lierre donne toujours un même conseil de calme, de patience, de confiante attente.
Autre « Chambre des époux » fidèles, avec à la voûte cette couronne légère, cette baie d’air animée par de rares nuages pareils à des roses. Comme si l’on embrassait d’un même regard la navigation, là-haut, et tout en bas l’heureuse rumeur du port.
Philippe Jaccottet, Dans le ciel…, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard, 2014, p. 765.
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