31/03/2025
Henri Thomas, Le Migrateur
Le langage ne nous est ni plus ni moins personnel que la respiration, qui nous vient avant lui et qui le reçoit, de la même source lointaine. « De même que nous avons été enfants avant d’être hommes… » (Descartes), et de même qu’avant d’avoir été enfants, quoi ?
« Je n’ai pas connu la douce folie des enfances paysannes », écrit Sartre dans Les Mots : La douce folie : la dure raison, ni simple ni dialectique, la raison des bêtes et des choses, des éléments, des saisons.
J’ai un peu l’impression d’avoir écrit mes livres comme dans un rêve dont je ne me souviendrais pas, et dont ces livres ne sont pas le récit, mais le résultat, ou le reflet fragmenté, comme écrits dans la marge étroite d’un éveil. Quelquefois aussi, je me souviens de l’amour, et je me demande ce que c’est.
Henri Thomas, Le Migrateur, Le Chemin /Gallimard, 1983, p.156, 187, 206.
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30/03/2025
Henri Thomas, La joie de cette vie
Nous avons un corps, j’ai un corps comme le soleil est là dans le ciel, ni plus ni moins.
Après la mort, mo corps sera une chose comme tous les autres. Jusque-là, il est moi — qui ne suis pas comme les autres.
J’écris, comme si écrire était mon unique moyen de vieillir sans douleur, et sans jouer un rôle dans les rouages, comme Paulhan, où l’on disparaît quand la machine se modifie pour votre mort.
Je n’aurais pas trop d’un océan pour m’aider à vivre/ Mais quelle fatigue de l’atteindre ! Si je mourais en chemine ? Je quitte tout, presque tout, pour la route des mots.
Incapable de désespérer — en cela pareil aux animaux auxquels nous attribuons l’indifférence devant la mort.
Henri Thomas, La joie de cette vie, Le Chemin/Gallimard, 1991, p. 13, 21, 24, 25.
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29/03/2025
Henri Tomas, Le Migrateur
Le soleil du solstice d’hiver sur la mer, par un jour sans nuages. Les ombres des rochers sonnent quelque chose d’étrange à la lande, comme s’il y avait là un langage ignoré qui affleure au jour. Je songe que tout ce que j’ai pensé est en moi de la même manière, sujet au mouvement de la vie que je ne connais pas.
Appelle cela l’inspiration, si tu veux : en tout cas ce n’est pas la raison (ou alors drôlement masquée) qui donne le feu vert aux mots, à tout le train des phrases.
Une des vagues de l’esprit, sans doute — mais on peut en dire autant de tout ce qui bouge.
À la manière dont cette jeune femme s’écrie : « Nuance ! », au Lipp, côté « limonade », on comprend le comique, l’affreux comique du salon Verdurin.
Henri Thomas, Le Migrateur, Le Chemin/Gallimard, 1983, p. 110, 114, 117.
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27/03/2025
Emily Dickinson, Du côté des mortels
Nuits Folles — nuits Folles !
Si j’étais avec toi
Les nuits Folles
Seraient notre luxe !
Inutiles — les vents —
Au Cœur qui est au port —
Il en a fini avec le Compas —
Fini avec la Carte !
Ramant au Paradis —
Ah — la Mer !
Pourrai-je mouiller — cette nuit —
En toi !
Emily Dickinson, Du côté des mortels,
traduction François Heusbourg,
éditions Unes, 2023, p. 139.
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26/03/2025
Emily Dickinson, Du côté des mortels
Marcher pour toujours à Ses côtés —
La plus petite des deux !
Cerveau de Son Cerveau —
Sang de Son Sang
Deux vies — Un Être — désormais —
Partager Son sort pour
En cas de chagrin — l’essentiel —
En cas de Joie — abandonner ma part
À ce cœur bien-aimé —
La vie entière —pour connaître l’autre
Que nous ne pouvons jamais apprendre —
Et petit à petit — un Changement
Appelé Paradis —
Voisinage d’humains en extase —
Découvrant alors — ce qui nous troublait —
Sans le lexique !
Emily Dickinson, Du côté des mortels, traduction
François Heusbourg, éditions Unes, 2023, p. 135.
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25/03/2025
Emily Dickinson, Ses oiseaux perdus
Présents faits main et mots embarrassés
Au cœur humain ne racontent
Rien
« Rien » est la force
Qui rénove le monde —
Emily Dickinson, Ses oiseaux perdus, traduction
François Heusbourg, éditions Unes, 2017, p. 39.
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24/03/2025
Emily Dickinson, Ses oiseaux perdus
Ce n’est pas le corps chancelant qui nous manque —
C’est le Cœur inébranlable,
Qui s’il avait battu mille ans,
N’aurait ployé que dans l’Amour —
Sa ferveur d’Aviron électrique,
Qui l’a porté au-delà de la Tombe —
Nous-mêmes, ce privilège refusé,
Présumons inconsolablement —
Emily Dickinson, Ses oiseaux perdus, traduction
François Heusbourg, éditions Unes, 2017, p. 57.
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23/03/2025
Emily Dickinson, Nous ne jouons pas sur les tombes
Pas une Romance qu’on lui vend
Ne pourrait autant captiver un Homme —
Que l’examen de
La sienne propre —
C’est à la Fiction — de diluer jusqu’au plausible
Notre — Roman. Quand il est assez petit
Pour être cru — Il n’est pas vrai —
Emily Dickinson, Nous ne jouons pas sur les tombes,
traduction François Heusbourg, éditions Unes,
2015, p. 57.
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22/03/2025
Emily Dickinson, Un ciel étranger
Jusqu’à la mort — Aimer est étroit —
Le plus faible Cœur qui soit
Te maintiendra jusqu’à ce que ton privilège
De Finitude — soit épuisé —
Mais Celui dont la perte te procure
Un Dénuement tel que
Te Vie trop abjecte pour elle-même
Imite dorénavant —
Jusqu’à ce que — Ressemblance parfaite —
Toi-même, à Sa recherche
Aux joies de la Nature — renonces
Fais preuve d’Amour — en quelque sorte —
Emily Dickinson, Un ciel étranger, traduction
François Heusbourg, éditions Unes, 2019, p. 41.
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21/03/2025
Emily Dickinson, Je cherche l'obscurité
J’ignore comment j’ai survécu à la Nuit
Et suis entrée avec le Jour –
Qu’il soit sauvé suffit à qui est Sauvé
Nul besoin de Formule –
Désormais je prends ma place de vivante
Comme quelqu’un en sursis
Candidate aux opportunités du Matin
Mais comptée parmi les Morts.
Emily Dickinson, Je cherche l’obscurité,
traduction François Heusbourg,
éditions Unes, 2021, p . 89.
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20/03/2025
Hélène Dorion, Un visage appuyé contre le monde
Je vous écris, je ne comble rien. Un train s’en va encore et me laisse avec des milliers de solitudes resserrées en une seule.
Quelqu’un demande ce qui reste des départs et des arrivées, des appels persistants au fond de nous, de nos désirs tourmentés. Je revois l’immuable poussée d’une saison sur une autre, le glissement d’un avion sur le vide, un désert sous chaque pas, et partout votre visage comme une lumière sur mon chemin.
Hélène Dorion, Un visage appuyé contre le monde, Poésie/Gallimard, 2025, p. 84.
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19/03/2025
Hélène Dorion, Un visage appuyé contre le monde
Je ne sais pas encore
quel est ce trouble
qui commence avec les mots
les plus communs parmi ceux que j’écris
pour toi comme une route
où l’on marche loin devant nous
Je ne sais pas encore
où j’en suis
avec les minutes qui basculent en moi
ni où tu en es
avec ces événements souvent banals
qui font l’histoire et ne la font pas..
Hélène Dorion, Un visage appuyé contre le monde,
Poésie/Gallimard, 2025, p. 71.
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16/03/2025
Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots
Première esquisse
La mer se tait
le ciel congestionné montre ses muscles de passe
sur la lande vaste et vague
où traverse la douleur et l’effroi
la lumière confuse dispersée
du petit jour est toujours la même
l’homme piètre quelconque boit
soigneusement son vin âpre et bleu
il ouvre la fenêtre un nuage
apatride et cucurbitacé s’avance il y a
des tilleuls au parfum d’énigme
une jument met bas dans une prairie rouge
le silence enfin commence
25 juin 2023
Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots,
Gallimard, 2025, p. 107.
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15/03/2025
age
Mirage
Ce jour-là la lumière ajuste ses malices
au ciel équarri rempaillé remue-ménage
d’impondérables inachevés nuages
bouquets de tarlatane et de papier crépon
la pluie auberge échauffourée rêverie
très lointaine et donc détresse
repasse à la va-vite
la luzerne est froide
les pampres verts
la beauté toute la beauté
crie
dans son nid tissé d’azur
l’enfant la mer aux poches s’émerveille
poursuit ses romances
« Dis veilleur
Où en est la nuit ?
Où la tempête
et la douleur ?
Où la vie ? »
10 avril 2023
Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots,
Gallimard, 2025, p. 92.
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14/03/2025
Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots
Chimère
Quelque part vers d’instables confins
dans l’énormité taciturne
l’aridité minérale des collines chauves
et le ciel à la fin lavé
qui ne fait plus son âge
un nuage petit miroir à cendres
miroir à nuit
inconsistant furtif galvanisé
toujours presque le même
tout simplement s’exténue
l’air s’allège
un monstre inexistant mugit partout
parmi d’autres murmures
et la forêt à quelques pas grondante
n’est plus qu’un songe arraché au silence
le voyant pesé jeté
soufflé l’enfant provisoire
qui passait ici passait
là
toujours à pas d’heure
ne marche plus
26 novembre 2023
Henri Droguet, Petits arrangements avec les mots,
Gallimard, 2025, p. 70.
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