18/07/2025
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline
L’existence quand même
quel problème
J’en ai assez de vivre et non moins de mourir
Que puis-je faire alors ? sinon mourir ou vivre
Mais l’un n’est pas assez et l’autre c’est moisir
Ainsi peut-on me voir errer plus ou moins ivre
C’est un fait je pourrais écrire un bien beau livre
Où je saurais bêler en me voyant périr
Mais cette activité nullement me délivre
De faire de la mort l’objet de mon désir
Les arbres qui marchaient n’inclinaient point leur tête
Les collines courant s’apprêtaient à la fête
De son haut le soleil semait dru ses rayons
La nature en ses plis absorbait ses victimes
L’absurde coq chantait ses prouesses minimes
Et je cherchais la rime en rongeant des crayons
Raymond Queneau, Le chien à la mandoline,
Pléiade/Gallimard, 1989, p. 323.
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17/07/2025
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline
Toujours le travail
je serai courageux
je me lèverai à la première heure pour écrire des poèmes
à onze heures du matin j’en aurai produit au moins un
avant dix heures même
lever laver petit déjeuner et hop à la selle
en selle sur Pégase dans le ptit air frumeux de l’aube
j’aperçois pourtant là-bas les mains à la charrue
qui déjà se reposent pour casser la croûte
ils sont debout depuis quatre heures du matin
faut pas être frileux pour semer le blé qui
alimentera le poète
moi je suis plutôt un poète du soir
j’exhale ma journée en vers mesurés ou pas
et si par fortune il m’arrive d’écrire le matin
il est midi au moins — voyons voir
qu’est-ce que je disais — il est une heure et demie
déjà
déjà
ptit, frumeux (sic)
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline,
Pléiade/Gallimard, 1989, p. 295-296.
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16/07/2025
Raymond queneau, Le Chien à la mandoline
Hommage à Tristan Corbière
Un petit bateau va mettre ses voiles
les nuages courant chassent les étoiles
et la lune plonge au fond de la suie
Il pleut sur la mer au cœur de la nuit
La vague se casse expulsant sa moelle
contre la jetée où le phare luit
Un petit bateau va mettre ses voiles
La ville s’endort sans le moindre bruit
dans les draps de lin gonflés par l’ennui
Un petit bateau va mettre ses voiles
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline,
Pléiade/Gallimard, 1989, p. 255.
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15/07/2025
Raymond Queneau, L'Instant fatal
Un enfant a dit
Un enfant a dit
je sais des poèmes
un enfant a dit
chsais des poaisies
un enfant a dit
mon cœur est plein d’elles
un enfant a dit
par cœur ça suffit
un enfant a dit
ils en sav’ des choses
un enfant a dit
et tout par écrit
si poète pouvait
s’enfuir à tir-d’ailes
les enfants voudraient
partir avec lui
Raymond Queneau, L’Instant fatal,
Pléiade/Gallimard, 1989, p. 94.
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14/07/2025
Raymond Queneau, Chêne et chien
Je me couchai sur un divan
et me mis à raconter ma vie,
ce que je croyais être ma vie.
Ma vie, qu’est-ce que j’en connaissais ?
Et ta vie, toi, qu’est-ce que tu en connais ?
Et lui, là, est-ce qu’il la connaît, sa vie ?
Les voilà tous qui s’imaginent
que dans cette vaste combine
ils agissent tous comme ils le veulent
comme s’ils savaient ce qu’ils voulaient
comme s’ils voulaient ce qu’ils voulaient
comme s’ils savaient ce qu’ils savaient.
Enfin me voilà donc couché sur un divan près de Passy.
Je raconte ce qu’il me plaît :
je suis dans le psychanalysis.
Naturellement je commence
par des histoires assez récentes
que je crois assez importantes
par exemple que je viens de me fâcher avec mon ami Untel
pour des raisons confidentielles
mais le plus important
c’est que je suis incapable de travailler
bref dans notre société
je suis désadapté inadapté
né-
vrosé
un impuissant alors sur un divan
me voilà donc en train de conter l’emploi de mon temps.
(…)
Raymond Queneau, Chêne et chien, Œuvres complètes I, Pléiade/Gallimard, 1989, p. 21-22.
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12/07/2025
Camille Loivier, torii
tout cela n’est peut-être arrivé que par amour. Un amour blessé qui préférait mourir
l’enfance est à l’âge des contes, des légendes et des mythes, elle en a la force, l’aveuglement
je suis prête à tout pour reconquérir le cœur de celle qui m’apporte un bonheur plus grand que moi
un amour prêt au sacrifice pour ne pas déchoir, pour obtenir, posséder, garder le cœur de l’aimée, unique, à soi,
pour cet amour seul j’existe, si tôt venue à lui, la passion va jusqu’au désespoir
amour incompris, impossible, je suis tellement dedans, dans sa force, que j’en oublie la ligne de démarcation entre la vie et la mort. Elle semble abstraite comme une ligne droite dans un livre de géométrie
Camille Loivier, torii, Isabelle sauvage, 2025, p. 125.
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11/07/2025
Camille Loivier, torii
Ce ne sont peut-être pas des dahlias, ces grosses têtes de fleurs plus grandes que moi, qui me regardent et me parlent, à qui je réponds avec naturel, sans aucune hésitation. Nous bavardons côte à côte, assise sur la dernière marche de l’escalier de pierre recouvert de lichen. Nous parlons de vent et de la lumière. J’ai gardé le souvenir distinct de nos conversations à bâtons rompus, l’eau qui manque, la chaleur étouffante de midi. Notre tête est une fleur, disaient-elles, les pétales protègent le cœur qui est un ventre rempli de graines que le soleil va porter lentement à maturité. J’ai ensuite coupé les têtes un peu flétries, je les ai effeuillées après m’être adressée à chacune. Nous étions d’accord sur tout, nous n’avions peur de rien.
Camille Loivier, torii, isabelle sauvage, 2025, p. 53.
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10/07/2025
Camille Loivier, torii
les écureuils traversent d’un jardin à un autre, transfrontaliers grâce aux arbres dont les branches se rejoignent par-dessus les murets, ils vont du passé au présent car chaque jardin contient une tranche de temps. La strate la plus ancienne où je sais qu’ils se retrouvent me fait les envier. Ils côtoient un temps que je n’ai pas vécu, cachent des noisettes là où des souvenirs qui ne m’incluent pas me préoccupent. Ils peuvent aller et venir dans le temps avec l’aisance d’une qui écrit, qui se balance d’avant en arrière. Qui, dans les lignes qu’elle trace, avance puis recule.
Camille Loivier, torii, isabelle sauvage, 2025, p. 47.
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09/07/2025
Camille Loivier, torii
si les sonorités des chants d’oiseaux m’ont éloignée de ma route bordée de murets longs et étroits, au moins aurai-je écrit, au moins cette durée vaine de vivre aura été comblée par cette écriture qui n’a pas plus de sens que les tracés des vers de bois sous l’écorce desquamée qui me semblaient une écriture des temps reculés, quand les humains n’étaient pas encore des humains, et qu’ensuite je n’ai fait que penser à cette écriture des vers sur le bois, je me suis résignée à l’écouter, à la retranscrire, à refuser son silence et son insignifiance, à espérer qu’elle retienne notre mémoire
Camille Loivier, torii, isabelle sauvage, 2025, p. 45.
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08/07/2025
Armand Robin, Le Monde d'une voix
Jamais de destinée
Une aube oblongue, jarre ébréchée
Sitôt que touchée,
Une jambe lancée
Sur la fuite des rosées,
Un ciel tendu, lancé
En toiles d’araignées, sitôt brisées,
Une âme en feuille dépliée
Jamais de destinée.
Debout, me sauvant en sauvage apparence,
Pur, injurié, rebelle torturé…
Jamais de destinée.
Armand Robin, Le Monde d'une voix,
Gallimard, 1968, p. 139
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07/07/2025
Armand Robin, Le Monde d'une voix
Vie avec toutes les autres vies
(Vie sans aucune vie)
Toutes les autres vies sont dans ma vie
Par les nuages nuage pris,
Ruisseau d’herbe en herbe étourdi,
Je me fais de vie en vie
Hâte sans fin rafraîchie.
Je dépasserai le temps,
Je me ferai mouvant, flottant,
Je ne serai qu’une truite d’argent.
Armand Robin, Le Monde d’une voix,
Gallimard, 1968, p. 137.
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05/07/2025
Armand Robin, Le Monde d'une voix
Tous Prisonniers
Tous les vivants en rang (plus ou moins en rang)
Fusils derrière, fusils devant.
Plus le droit de vivre de la rivière !
On a mis sous séquestre les prairies ;
On demande de marcher affamé dans la poussière,
On est traîné.
On donnera plus tard
D’autres villages, d’autres ruisseaux,
D’autres haltes, d’autres repos,
On nous dira de répéter les mêmes mots,
De nous tromper.
On ne nous laisse pas de papier
Où crier : « Nous voulons espérer ! »
Armand Robin, Le Monde d’une voix,
Gallimard, 1968, p. 69.
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Armand Robin, La Monde d'une voix
En tout, partout je tiens debout
Je veux jusqu’à ma tombe qu’on me calomnie,
Je veux qu’après ma tombe encore on me nie.
Grande source inaltérée
Mes beaux cris
Arabes, russes, chinois, japonais
Vous ne pourrez me sauver !
Jamais je n’ai séparé les terres,
Tous les cris bafoués dans ma bouche ont remué,
Ont repris vie
Furent à neuf sur mon sang respectés.
J’eus une âme d’amour et de pureté,
Mes passions furent la brume, les fleurs la lune.
J’ai fait mon âme menue
Pour que la plus faible lune, lorsqu’une nue
L’assiège, puisse chez moi trouver demeure
Humble, amie,
Pour sa grande face incertaine.
Et la nuit, malgré ses étoiles messagères,
Est une étrangère.
Armand Lubin, Le Monde d’une voix,
Gallimard, 1968, p. 9.
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04/07/2025
Armand Robin, Le Monde d'une voix
Un homme
Je ne serai jamais à la mode
Je ne serai jamais commode.
Aragon passe très bien ;
C’est un petit homme de rien,
Mi-bourgeois et mi-malin.
Armand Lubin, Le Monde d’une voix,
Gallimard, 1968, p. 59 .
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03/07/2025
James Sacré, Des objets nous accompagnent (ou l'inverse)
Dans l’agréable fraîcheur de la matinée
Puces de la Mosson, le gris des arbres
Un thé avec un brin de menthe
La vieille dame qui va le servir
Essuie soigneusement le fond du verre
Table fragile en plastique vert sombre
Un bruit de souvenirs vient dans la tête ;
On est au Café Populaire à Sidi Slimane
Frappe des dominos et des verres sur les tables
Ou quelque part à Dar Belamri
Dans un matin tranquille
Verre de thé, méloui, c’est plutôt bruits de mots qui sont
Comme autant d’objets dépareillés qui te racontent
On se demande bien quoi dans ce marché de plein air.
James Sacré, Des objets nous accompagnent (ou l’inverse),
PUHR, 2025, p. 128.
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