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14/04/2024

Ossip Mandelstam, Simple promesse

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Il est vain de rien dire,

Il est vain d’enseigner personne :

Elle est assez triste et bonne,

L’âme animale, obscure.

 

Elle ne veut pas enseigner,

Ne sait en dire davantage,

C’est un jeune dauphin qui nage

Sur les abîmes argentés.

                                            1909

Ossip Mandelstam, Simple promesse

(choix 1908-1937), traduction P. Jaccottet,

L.Martinez, J-C/ Schneider, La Dogana, p. 13.

13/04/2024

Etel Adnan, Je suis un volcan criblé de météores

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Il n’y a pas de grenouilles

dans ce vaste ciel

pas de messages

Il n’y a pas de ciel dans ce cerveau

pas de mots

Il n’y a pas de cerveau

dans ce corps

pas de lien.

 

Les collines sont sèches

l’or ne fait pas pousser

l’herbe

lions et éléphants

sont morts

Y a-t-il déjà longtemps

que ma mémoire

est terre brûlée ?

La sècheresse

est dans l’esprit

et sur le sol 

(…)

Etel Adnan, Je suis un volcan criblé de météores,

Traduction de l’anglais, Poésie/Gallimard,

2023, p. 323.

 

12/04/2024

Monique Laederach, Mots sur le bord de l'être

monique laederach, mots sur le bord d'être, visage, yeux, sang

Tous ceux que je porte

au fond de moi,

leurs visages immuables,

immuablement vivants,

et leurs voix,

leurs mots —

 

Ce sont leurs yeux avec les miens

qui se jettent

sur les toits pour les

degrés d’angle et de chute

jusqu’à l’eau bleue du soir :

un fil ténu, vibrant comme la corde d’un violon,

dont le murmure obstinément,

demeure suspendu

comme toujours

à l’arche allègre de mon sang

vif.

 

Monique Laederach, Mots sur le bord d’être, dans

La revue de belles-lettres, 2023, 2, p. 51.

11/04/2024

Monique Laederach, Mots sur le bord de l'être

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Quand parlerai-je encore avec amour

alors qu’il flotte comme une sorte de guirlande sucrée

entre la peau et la veille ?

Langue à moitié de musée, striée de rêves obsolètes —

et c’est vrai son piédestal même

n’était qu’erreur et poudre

aux yeux !

 

Ah ! Laisse ! Oublie !

L’ancien amour non plus

ne réchaufferait mes poignets.

Et maintenant je ferme les yeux

sur son nom,

j’attends seulement

la douceur d’une peau,

d’un souffle,

d’un appel tiède

sur ma nuit.

Et mon noyau resserré

ferait fleur à la bouche

qui me l’offre.

 

Monique Laederach, Mots sur le bord de l’être, dans

La Revue de belles-lettres, 2023-2, p. 57.

 

 

10/04/2024

Monique Laederach, Cette absolue liberté de parole

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Est-ce que j’aime encore ?

Je bouge à peine dans les fils ténus

de ma propre mante,

rongée par les dents de l’oubli,

mensongère assurément — mais qui, encore,

pourrait m’en assigner, qui  m’offrirait davantage ?

On disparaît. On n’est plus femme,

juste ce fantôme aux cartes de crédit,

celle qui occupe, ne devrait pas,

un siège dans l’autobus.

Et cette image dedans

de la jeune femme qu’on est encore.

 

Monique Laederach, Cette absolue liberté de paroles,

dans La Revue de belles-lettres, 2023-2, p. 19.

08/04/2024

Denis Roche, Les idées centésimales de Miss Elanize

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« faute de paroles l’intruse est levée »

Je ne vous conseille pas d’y souscrire, à

La différence près d’un mot, « d’y croire »,

C’était elle, c’était son style... est la voix

De l’unique du simple du monde, le sien

Enfumé

Et le bête exclusif de toute sa vie

Comme si sur elle les yeux grands ouverts il

Tenait,... il s’était littéralement joué de

Toute son âme sur elle

 

Denis Roche, Les idées centésimales de Miss

Elanize, Seuil, 1964, p. 101.

06/04/2024

Jean Daive, Monoritmica

jean daive, monoritmica, malheur, babel

je dois taire

ce que je n’ai pas

compris.

 

Même

devant toi

tendrement.

 

Ma vie

n’est plus

entre tes échantillons.

 

Merle bleu

parle en nous

du malheur

ancien.

 

Quand nous

en étions à

Babel.

  

Jean Daive, Monoritmica,

Flammarion, 2023, p. 249.

05/04/2024

Jean Daive, Monoritmica

jean daive, monoritmica, le moi, respiration

Au jardin comme en ville

elle porte un tailleur gris

et un diamant au doigt

elle engloutit les débris

dans son sac

pour cacher les soupirs et

le souci perdu

elle tourmente la naissance

des plantes

car chaque feuille est

une respiration.

 

Jean Daive, Monoritmica,

Flammarion/Poésie,

2022, p. 245

04/04/2024

Jean Daive, Monoritmica

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Advient toujours

la question enfantine

qui double le monde sans doute

 

des intensités

et des dessous

d’une affirmation contraire

 

 

j’étreins l’illusion

sans démasquer le mythe

 

détresse de la condition d’infini

 

elle se retire, elle se défait

dans une répétition

jusqu’à nos jours

 

Jean Daive, Monoritmica, Flammarion/

Poésie, 2022, p. 33.

03/04/2024

Anne Calas, Une pente si douce

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Une femme est une énonciation illimitée

 

le ton « Je sais » par exemple

une femme est une énonciation illimitée

est incompatible avec

« Qui suis-je ? »

 

il y a une gorge profonde

que je caresse aussi avec une planche à laver

 

si douce au toucher

que j’en atteins

l’enfance

     un son

générique si particulier comme

animal

 

Anne Calas, Une pente si douce,

Flammarion, 2024, p. 201.

 

 

01/04/2024

Anne Calas, Une pente très douce

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quelques maisons à colombages

renversées dans le cours

         d’une eau poissonneuse

         au trou dans le feuillage et

les balles de foin au loin

la plaine presque

         ici comme

une clarière inhabitée

un chemin dans l’épaisseur

des souvenirs

         un océan de feuillages

une crique de

soleil innocent

et joyeux

 

Anne Calas, Une pente très douce,

Flammarion, 2024, p. 60.

31/03/2024

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf

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Le règne du dehors et avec lui, et grâce à lui, l’empire de ses images sur nous : le corps essaie d’en absorber les chocs, d’en recueillir les forces autant que de les détourner. Le plus souvent toutefois, à l’approche des images, le corps ne s’y retrouve pas et ne fait que les détruire, faisant un désastre de leur rencontre. L’image ne frayant plus comme voie d’accès à la rugueuse irruption des corps.

Par bonheur, il n’en est pas toujours ainsi, la chair sachant adoucir son moyen d’action en bricolant ses paysages, en modifiant l’aspect des choses en sorte qu’elles puissent éteindre les images, en adorer la fièvre, et même aboutir à l’exception du désir.

 

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf, Flammarion, 2024, p. 133.

30/03/2024

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf

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On aimerait une prose qui épouserait notre promenade, un réel d’écriture et une dilatation d’amour dont on connaîtrait les illusions — le sachant ne le sachant pas— la découverte d’un lieu, la naissance d’un pas composé, aimé pouvant sauter le ruisseau dans l’élan des yeux, des forces en action, la perdrix figée, le lièvre qui a peur, la phrase irait comme ça, la lettre que je vous écrirais en même temps, bien qu’il soit trop tôt pour nous, puis trop tard, la vie ayant passé dans l’intervalle, les temps toujours brisés malgré ces accompagnements et cette malice que les corps si doucement montraient, si souplement la couleuvre glissant mais trop tard aussi, les yeux n’ayant pas eu le temps, ce qui les troublait, les trouble encore, les nôtres pourtant rompus à la fiction mais avides d’instants, sûrs d’avoir rêvé, heureux de n’avoir pas inventé cet éclat pareil de la littérature quand il n’en était pas question entre nous (…)

 

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf, Flammarion, 2024, p. 47.

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf

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On aimerait une prose qui épouserait notre promenade, un réel d’écriture et une dilatation d’amour dont on connaîtrait les illusions — le sachant ne le sachant pas— la découverte d’un lieu, la naissance d’un pas composé, aimé pouvant sauter le ruisseau dans l’élan des yeux, des forces en action, la perdrix figée, le lièvre qui a peur, la phrase irait comme ça, la lettre que je vous écrirais en même temps, bien qu’il soit trop tôt pour nous, puis trop tard, la vie ayant passé dans l’intervalle, les temps toujours brisés malgré ces accompagnements et cette malice que les corps si doucement montraient, si souplement la couleuvre glissant mais trop tard aussi, les yeux n’ayant pas eu le temps, ce qui les troublait, les trouble encore, les nôtres pourtant rompus à la fiction mais avides d’instants, sûrs d’avoir rêvé, heureux de n’avoir pas inventé cet éclat pareil de la littérature quand il n’en était pas question entre nous (…)

 

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-neuf, Flammarion, 2024, p. 47.

29/03/2024

Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-neuf

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La tradition veut que l’amour ne puisse exister préalablement à sa déclaration. Seuls les mots l’autorisent, seuls ils le déclenchent et seuls ils le consacrent Dans cette perspective, nous étendons les pouvoirs de la langue à tout ce qui la précède, nous divulguons ces pouvoirs  depuis les corps et  les images. Poésie est le nom de ces plongées dans la nuit continuée des commencements. Partie prenante de cette perspective est le paysage. L’amour, et plus encore ce pourquoi il naît, peuvent loger dans un « jeu de langage » gagné par les stridences et la rouerie des échanges.

 

Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-neuf, Flammarion, 2024, p. 51.