17/04/2012
Pierre Reverdy, Les épaves du ciel, Main d'œuvre
La repasseuse
Autrefois ses mains faisaient des taches roses sur le linge éclatant qu’elle repassait. Mais dans la boutique où le poêle est trop rouge son sang s’est peu à peu évaporé. Elle devient de plus en plus blanche et dans la vapeur qui monte on la distingue à peine au milieu des vagues luisantes des dentelles.
Ses cheveux blonds forment dans l’air des boucles de rayons et le fer continue sa route en soulevant du linge des nuages – et autour de la table son âme qui résiste encore, son âme de repasseuse court et plie le linge en fredonnant une chanson – sans que personne y prenne garde.
Pierre Reverdy, Les épaves du ciel, Gallimard, 1924, p. 22.
Tête à tenir
Une large bouffée de flammes
Sur la frise en bas des forêts
Le brouillard échappé des larmes
Sous une écharpe de rosée
L’odeur rugueuse des cigares
Le feu caché des feuilles mortes
Rayons cassés qui tissent ton sourire
Le visage effacé sous son voile de peur
Il va il vient il se retire
Un rayon de miel dans la cire
Une larme amère à ton cœur
Amour reviens dans le silence
Le poids de la main sur ton front
Et toujours la mort entêtée
La mort vorace
Pierre Reverdy, Le Chant des morts, 1944-1948, dans
Main d'œuvre, poèmes (1913-1949), Mercure de France, 1949, p. 412.
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17/09/2011
Pierre Reverdy, Main d'œuvre
Cœur à cœur
Enfin me voilà debout
Je suis passé par là
Quelqu’un passe aussi par là maintenant
Comme moi
Sans savoir où il va
Je tremblais
Au fond de la chambre le mur était noir
Et il tremblait aussi
Comment avais-je pu franchir le seuil de cette porte
On pourrait crier
Personne n’entend
On pourrait pleurer
Personne ne comprend
J’ai trouvé ton ombre dans l’obscurité
Elle était plus douce que toi-même
Autrefois
Elle était triste dans un coin
La mort t’a apporté cette tranquillité
Mais tu parles tu parles encore
Je voudrais te laisser
S’il venait seulement un peu d’air
Si le dehors nous permettait encore d’y voir clair
On étouffe
Le plafond pèse sur ma tête et me repousse
Où vais-je me mettre où partir
Je n’ai pas assez de place pour mourir
Où vont les pas qui s’éloignent de moi et que j’entends
Là-bas très loin
Nous sommes seuls mon ombre et moi
La nuit descend
La Lucarne ovale (1916), p. 87-88
Temps couvert
Je suis au milieu d’un nuage
de neige
ou de fumée
L’éclat du jour fait son tapage
la fenêtre en battant
ouvre le mur du coin
la paupière assoupie
et l’œil déjà baissé
Plus loin
sur le détour où aurait dû tomber
le grand vent qui passait
en roulant l’atmosphère
la neige et la fumée
Quelques grains de soleil
et le poids de la terre
à peine soulevée
Cravates de chanvre (1922), p. 211.
Pierre Reverdy, Main d’œuvre, poèmes, 1913-1949, Mercure de France, 1949.
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