10/09/2025
Ezra Pound, Cantos et poèmes choisis

Canto XII
Et nous, assis ici
sous le mur,
Arena romana, de Dioclétien, les gradins
quarante-trois rangées de calcaire
Baldy Bacon
accapara tous les petits sous de Cuba :
Un centavo, des centavos,
disait à ses péons de les « ramasser ».
« Ramenez-les à la grosse cabine », disait Baldy,
Et les péons les ramenaient ;
« Vers la grosse cabine les ramenaient »
Comme aurait dit Henry.
Nicolas Castaño à Habana,
Lui aussi, avait quelques centavos, mais les autres
Devaient payer un pourcentage.
Pourcentage quand ils voulaient des centavos,
Des centavos d’État.
L’intérêt de Baldy
Était dans l’argent.
« Pas d’intérêt pour rien sinon pour le trafic d’argent »,
Disait Baldy.
(…)
Ezra Pound, Cantos et poèmes choisis, traduction
René Laubies, Pierre-Jean Oswald, 1958, p. 27.
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09/09/2025
verlaine, Sagesse

La tristesse, la langueur du corps humain
M’attendrissent, me fléchissent, m’apitoient,
Ah ! surtout quand des sommeils noirs le foudroient,
Uand des draps zèbrent la peau, foulent la main !
Et que mièvre sans la fièvre du demain,
Tiède encor du bain de sueur qui décroît,
Comme un oiseau qui grelotte sur un toit !
Et les pieds, toujours douloureux du chemin,
Et le sein, marqué d’un double coup de poing,
Et la bouche, une blessure rouge encor,
Et la chair frémissante, frêle décor,
Et les yeux, les pauvres yeux si beaux où point
La douleur de voir encore du fini…
Triste corps ! combien faible et combien puni !
Verlaine, Sagesse, illustrations Maurice Denis,
Gallimard, édition fac-similé, 2025, p. 86
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07/09/2025
Paul Verlaine, Sagesse

Je suis venu, calme orphelin,
Riche de mes seuls yeux tranquilles,
Vers les hommes grandes villes,
Ils ne m’ont pas trouvé malin.
À vingt ans un trouble nouveau
Sous le nom d’amoureuses flammes,
M’a fait trouver belles les femmes :
Elles ne m’ont pas trouvé beau.
Bien que sans patrie et sans roi
Et très brave ne l’étant guère,
J’ai voulu mourir à la guerre :
La mort n’a pas voulu de moi.
Suis-je né trop tôt ou trop tard ?
Qu’est-ce que je fais en ce monde ?
O vous tous ma peine est profonde :
Priez pour le pauvre Gaspard !
Verlaine, Sagesse, illustrations Maurice Denis,
Gallimard, édition fac-similé, 2025, p. 80.
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05/09/2025
Jean Tardieu, Da capo

Litanie du « sans »
Et sans visage et sans image
et sans entendre
sans rien attendre
Partout ce rien
partout ce seuil
et sans recours
Mais la splendeur
jamais perdue
qui la retrouve ?
Sans les merveilles
sans les désastres
plus rien qui vaille
Et sans parler
et sans se taire
et la fureur ?
et les délices ?
Et sans rien d’autre
que le même
et qui s’en va
et qui revient
et qui s’en va.
Jean Tardieu, Da capo,
Gallimard, 1995, p. 27.
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04/09/2025
Jean Tardieu, Da capo

À l’air libre
Pour Marie-Laure
Non je n’exige rien
Vous serez à l’air libre
qui vous protège et vous porte
Prolongé près de cent ans
Je veux dormir sous tes fougères
et non pas caché dans un coffre
sous la pierre
Dans la vapeur de l’Aube
Que la rencontre soit sans fin
près de la forêt légère
où nous avons rêvé souvent
main dans la main
sous un arbre tutélaire
L’espérance de toute vie
c’est l’étendue indéfinie
et non un châtiment
C’est notre lieu de rencontre
Récompense
Vérité
Jean Tardieu, Da capo,
Gallimard, 1995, p. 31-32.
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03/09/2025
Antoine Emaz, Lichen encore
Photo T. H., 2007
L’émotion laisse sans voix ; le but du poème est de se colleter avec cette expérience de bouleversement, de retrouver les mots comme on reprend pied après avoir été submergé par une vague. C’est pour cela qu’il n’est pas de poésie sans risque. Ce qui s’impose à partir de cette expérience pour ce poème, n’est pas reproductible. D’où la nécessité d’être le plus transparent possible, pour laisser le poème s’écrire. Je ne sais pas ce que ça va être, ce que doit être le poème avant de l’avoir écrit.
Antoine Emaz, Lichen encore, Rehauts, 2009, p. 31.
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02/09/2025
George Oppen, Poèmes retrouvés

Le nouveau peuple
Occupant de toutes parts
Avec colère peut-être
Le monde des vérandas
Le nouveau peuple des jeunes
Avec leur nouveau style, les pantalons étroits
Des garçons et la coiffure en choucroute
Des filles cette année on dirait une horde
D’envahisseurs
Et c’est bien ce qu’ils sont !
Mais chacun est unique : faille
Tragique. Car ils ne sont pas la véritable
Forêt
Vierge, l’immensité
Le monde minéral
D’où ils proviennent.
George Oppen, Poèmes retrouvés, traduction
Yves Di Manno, Corti, p. 78.
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01/09/2025
Jean-Patrice Courtois, Théorèmes de la nature

Si le corps est la cachette de la vie au milieu de la carte du monde posée au sol montrant les continents surmontés d’écrans proéminents, d’unités centrales de claviers en rang, de bancs d’immeubles, de régiments pavillons, de dédales urbains, de bidonvilles ratés, de verrues sans identité, carte d’artiste qui ne nomme pas le corps, la cachette ou la vie non plus, casiers blocs sans case s’ajoutant surmontant la carte, alors le nom nommant la carte en image sans lumière n’est pas tourné vers nous. Mais j’ai vu des cartes comme des tribus sans syntaxe.
Jean-Patrice Courtois, Théorèmes de la nature, éditions NOUS, 2025, p. 37.
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01/08/2025
Cesare Pavese, Le Métier de vivre
La richesse de la vie est faite de souvenirs oubliés.
Il y a des gens pour qui la politique n’est pas universalité, mais seulement légitime défense.
Il n’est pas beau d’être enfant ; il est beau étant vieux de penser à quand on était enfant.
Comme elle est grande cette idée que vraiment rien ne nous est dû. Quelqu’un nous a-t-il jamais promis quelque chose ? Et alors pourquoi attendons-nous ?
Il est beau d’écrire pare que cela réunit deux joies : parler tout seul et parler à une foule.
Cesare Pavese, La Métier de vivre, traduction Michel Arnaud, Gallimard, 1958, p. 227, 228, 249, 250-251, 259.
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31/07/2025
Cesare Pavese, Le Métier de vivre

Qu’importe de vivre avec les autres, quand chacun des autres se fiche des choses vraiment importantes pour chacun ?
Un homme qui soufre, on le traite comme un ivrogne. « Allons, allons, ça suffit, secoue-toi, allons, ça suffit… »
La chose secrètement et la plus atrocement redoutée arrive toujours.
« Il a trouvé un but dans ses enfants. » Pour qu’ils trouvent eux aussi un but dans leurs enfants ? Mais à quoi sert cette escroquerie générale ?
Cesare Pavese, Le métier de vivre, traduction Michel Arnaud, Gallimard, 1958, p. 64, 81, 82, 93.
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30/07/2025
Cesare Pavese, Le Métier de vivre

Que dire si, un jour, les choses naturelles — sources, bois, vignes, campagne — sont absorbées par la ville et escamotées et se rencontrent dans des phrases anciennes ? Elles nous feront l’effet des theoi, des nymphes, du naturel sacré qui surgit d’un vers grec. Alors la simple phrase « il y avait une source » sera émouvante.
Le sentiment terrible que tout ce que l’on fait est de travers, et ce qu’on pense, et ce qu’on est. Rien ne peut te sauver, parce que, quelque décision que tu prennes, tu sais que tu es de travers et en conséquence ta décision l’est aussi.
Avec les autres — même avec la seule personne qui émerge — il faut toujours vivre comme si nous commencions alors et devions finir un instant plus tard.
Cesare Pavese, Le métier de vivre, traduction de l’italien par Michel Arnaud, Gallimard, 1958, p. 249, 251, 256.
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29/07/2025
Malcolm Lowry, Pour l'amour de mourir

Nos vies — mais nous n’en pleurons pas —
Sont comme ces cigarettes au hasard
Que, par les journées de tempêtes,
Les hommes allument en les protégeant du vent
D’un geste adroit de la main qui fait écran ;
Puis elles brûlent toutes seules aussi vite
Que s’aggravent les dettes qu’on ne peut pas payer,
Elles se fument si vite toutes seules
Qu’on a à peine le temps d’allumer
La vie suivante, qu’on espère mieux roulée
Que la première, et sans arrière-goût+
Au fond, elles n’ont pas de goût —
Et la plupart, on les jette au rebut..
Malcolm Lowry, Pour l’amour de mourir, traduction J.-M. Lucchioni, préface Bernard Noël, La Différence, 1976, p. 81.
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28/07/2025
Malcolm Lowry, Divagation à Veracruz

Divagation à Veracruz
Où s’est-elle enfuie la tendresse demanda-t-il
demanda-t-il au miroir de Baltimore Hôte, chambre 216
Hélas son reflet peut-il lui aussi se pencher sur la glace
se demandant où je suis parti vers quelles horreurs ?
Est-ce elle qui maintenant me regarde avec terreur
inclinée derrière votre fragile obstacle ? La tendresse
se trouvait là, dans cette chambre même, à cet endroit même
sa forme vue, ses cris par vous entendus.
Quelle erreur est-ce là, suis-je cette image couperosée ?
Est-ce là le spectre de l’amour que vous avez reflété ?
Avec maintenant tout cet arrière plan
de téquila, mégots, cols sales, perborate de soude
et une page griffonnée à la mémoire de ceux-là
qui sont morts, le téléphone décroché.
De rage il fracassa toute cette glace de la chambre.
(Coût 50 dollars)
Malcolm Lowry, Poèmes inédits, traduction Jean Follain, dans Les Lettres nouvelles, n° spécial, mai-juin 1974, p. 226.
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23/07/2025
Antoine Emaz, De peu
Photo T. H., 2012
Bleu très bleu
dans le ciel sans fin d'œil
toute histoire engouffrée
rien
quasi lisse vaste couleur quelle
espèce de bleu
sans honte
tant il est sans mémoire
* * *
ciel plein ciel
sans anges
on rêve leurs battements d'ailes
leurs bruits de mouettes folles
d'envol
alors qu'on veut seulement des mots
pour ici
sous l'aplat de l'été
* * *
comme vivant sans mort
face levée face
au vide du bleu
distendu
couleur d'air
jusqu'à la nuit qui croûte
* * *
soleil fixe
dehors s'efface on s'efface
rien que de la lumière
et plus personne
pour voir
limite basse d'être là
l'été mure
* * *
tristesse sans cause
venue comme du bleu du mot trop court
pour trop de ciel
pas sûr que ce soit si simple
cela n'explique pas
cet abattis de fatigue
pas seulement le bleu
ce qui a lieu dessous
aussi
Antoine Emaz, "Bleu très bleu"
dans De Peu, Tarabuste, 2014, p. 269-270.
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22/07/2025
Antoine Emaz, Peau

Vert, I (31.09.05)
on marche dans le jardin
il y a peu à dire
seulement voir la lumière
sur la haie de fusains
un reste de pluie brille
sur les feuilles de lierre
rien ne bouge
sauf le corps tout entier
une odeur d'eau
la terre acide
les feuilles les aiguilles de pin
silence
sauf les oiseaux
marche lente
le corps se remplit du jardin
sans pensée ni mémoire
accord tacite
avec un bout de terre
rien de plus
ça ne dure pas
cette sorte de temps
on est rejoint
par l'emploi de l'heure
l'à faire
le corps se replie
simple support de tête
à nouveau les mots
l'utile
on rentre
on écrit
ce qui s'est passé
il ne s'est rien passé
Antoine Emaz, Peau,
éditions Tarabuste, 2008, p. 25-28.
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