10/09/2024
David Bosc, L'incendie de l'Alcazar
les rangs de pommiers, la route et la haie noire
dans l’étau inhumain
du crépuscule
jusqu’à ce que s’ouvre
à travers la poitrine
un appétit inquiet d’animal nocturne
l’oreille parvient à museler
l’aboi misérable des chiens
la narine insensiblement
déplace vers le fond
les remugles criards de poubelles qui débordent
et tout entier tu t’ouvres à de menus miracles
de feuilles émues de fruits tombés
de remuements d'amour
au ventre d’un cyprès
David Bosc, L’incendie de l’Alcazar,
Héros-Limite, 2024, p. 50.
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09/09/2024
Eugenio de Signoribus, Isthmes & écluses
— oublie le doute ! oublie
le destin gris !
ceux qui vous tirent à eux sont nombreux
les sûrs les aveugles les yeux de lynx
les granitiques graticulant
qui ne voient pas de failles dans leurs propos
mais seulement, coûte que coûte, le maintien
dans le contingent servile…
pourtant cette vie limitrophe n’est pas
recherche de la carte perdue
mais une brèche solitaire
un autre remède à la blessure
Eugenio de Signoribus, Isthmes & écluses,
traduction Thierry Gillybœuf, Rehauts,
2024, p. 135.
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08/09/2024
Eugenio de Signoribus, Isthmes & écluses
oh, si les non confiés
les rares
les pas encore ravagés
les non vaincus non victorieux
trouvaient la pierre milliaire
le point de rassemblement
peut-être
au-dessus de la plus dolosive doline
pour y déposer la doctrine des noms
de corps qui s’acharnent sur les corps
pétris pour la gloire de l’expiation
ou de la consommation…
Eugenio de Signoribus, Isthmes & écluses,
traduction Thierry Gillybœuf, Rehauts,
2024, p.138.
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07/09/2024
Eugenio de Signoribus, Isthmes & écluses
(le château)
le reclus n’apparaît pas aujourd’hui
le dignitaire ne parle pas aujourd’hui
peut-être que dans le reflet de la vitre
il rend visite à lui-même, déçu…
(il n’aime plus ni visite, ni parole
mais son journal peut le dire)
dans la cour et devant le lapidaire
ricochent piétinements et babillages…
aujourd’hui on refuse les pourboires
et on écoute les pleurs des chaussures…
Eugenio de Signoribus, Isthmes et écluses,
traduction Thierry Gillybœuf, Rehauts,
2024, p. 69.
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06/09/2024
Eugenio de Signoribus, Isthmes & écluses
(concours civique)
devant notre orgueil, notre civilisation
la langue se cabre en parabolant
la bien commun, la structure municipale
la forteresse civile occidentale
orgueil qui rabâche, vanité, semences
d’idées grossière et airs supérieurs
cigales en chaussures vernies
mires et fards de l’aspect brutal
Eugenio de Signoribus, Isthmes & écluses,
traduction Thierry Gillybœuf, Rehauts,
2024, p. 39.
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05/09/2024
Eugenio de Signoribus, Isthmes & écluses
(disparitions)
les fileurs fous se sont comme dissous
après avoir détruit leurs lents métiers
d’aucuns respirent dans des maisons éparses, des villages
d’autres se sont tués avec leur chanvre
Eugenio de Signoribus, Isthmes & écluses, traduction
Thierry Gillybœuf, Rehauts, 2024, p. 29.
04/09/2024
Jacques Roubaud, Octogone
Douce
le ruban de l’air roule autour de la lampe
l’acacia tombe sur elle doucement
le temps vient de l’est
temps de feutre à moitié aussi de crépitements
l’air l’enveloppe d’étamines
douce
mais morte
c’est tout à fait ça douce
mais morte
Jacques Roubaud, Octogone, Gallimard, 2014, p. 279.
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03/09/2024
Jacques Roubaud, La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains
L’automne rue du printemps
Les feuillages du boulevard Pereire (sud)
Roussissent
Déjà
Ça choque
On devrait barrer d’u grand rideau
De toile le bout de cette rue
Résolument terne, et ne le tirer
Que le jour du printemps.
Jacques Roubaud, La forme d’une ville change plus vite,
hélas, que le cœur des humains, Poésie/Gallimard, 1999, p. 66.
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02/09/2024
Jacques Roubaud, In memoriam Edoardo Sanguinati
In memoriam Edoardo Sanguineti
Quelques jours avant la mort nous évoquions
Par lettre écrite, à l’ancienne, ces moments
Antiques (quarante ans !) dans la fosse aux lions
De l’Hôtel Saint-Simon, quadri-dialoguant
Sourds, ce renga occidental : lui, moi, pions
Agités plus qu’erratiques insolents
Dans le jeu par Octavio conçu : sonetto,
Sonnet, la chose italienne où Shakespeare
A passé ; Gongora, Marino, les pires
Poètes, et meilleurs ; Mallarmé, Giacomo
‘Caro padre’ notre, « peu profond ruisseau
Calomnié la mort ». La forme où l’écrire
Fut notre lien en toutes ces années. Dire
Cela soit ma poussière sur ce tombeau.
Jacques Roubaud, Dix hommages, ink, 2011, np.
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01/08/2024
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis
Mémoire
mémoire : née tardivement
corps continus êtres réels et infinis
loin de l’instant désignés par la souffrance
du souvenir qui ne veut pas que j’oublie
du souvenir qui n’oublie pas ce que je veux
mémoire entretissée de nuits
le temps se reforme autour d’une voix
les surfaces sans nom et le sans nom s’apparient
l’espace s’agrège enfin, se duplique
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis,
Gallimard, 1991, p. 54.
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31/07/2024
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis
Plénitude
tout ce qu’un monde pourrait être, quoi que ce soit
est, quelque part, en quelque façon,
plénitude des possibles, consistance.
n’importe quelle tête parlante, la mienne,
par exemple, contiguë à ton corps
et
pourquoi non
contre mon visage, le visage d’ange, le noir visage même,
mais toutes les places sont prises, tous les mondes
indisponibles,
pour toi.
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis, Gallimard,
1991, p. 38.
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30/07/2024
Pierre Reverdy, Autres écrits sur l'art et la poésie
Réponse à l’enquête « Pourquoi écrivez-vous ? »
Vous m’écrivez pour me demander
J’écris pour vous répondre
On écrit aussi pour faire parler de soi, en s’occupant bien plus de faire écrire sur ses œuvres que de savoir si elles sont dignes qu’on en parle ; mais ceci est une tendance ! Pour le moment je ne lis que les affiches électorales. Eh bien, on écrit aussi pour que les autres en prennent de la graine !!! Vous comprenez ce qu’il y a !
Littératuren°10, décembre 1919.
Pierre Reverdy, Autres écrits sur l'art et la poésie, dans Œuvres complètes, I, Flammarion, 2010, p. 562.
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29/07/2024
Pierre Reverdy, Self defence
On a combattu et injurié tous les grands artistes, d’où les petits qu’on maltraite concluent qu’ils sont grands.
Beaucoup de camaraderies artistiques ne sont que des contrats de publicité.
La vulgarisation d’une œuvre n’est que la conséquence et le développement du germe vulgaire qu’elle portait à son début.
Il y a à chaque époque quelques créateurs originaux, le reste c’est le remplissage et ce remplissage la part entière — pour un moment.
Si un auteur ne veut qu’étaler ses dons, il est libre, les tempéraments doués fourmillent. Mais l’art veut une discipline. Il n’y a pas d’art sans discipline, il n’y a pas d’art personnel sans discipline personnelle.
Pierre Reverdy, Self defence, dans Œuvres complètes, I, Flammarion, 2020, p. 528, 528, 529, 530, 530.
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28/07/2024
Pierre Reverdy, Cravates de chanvre
Adieu
La lueur plus loin que la tête
Le saut du cœur
Sur la pente où l’air roule sa voix
les rayons de la roue
le soleil dans l’ornière
Au carrefour
près du talus
une prière
Quelques mots que l’on n’entend pas
Plus près du ciel
Et sur ses pas
le dernier carré de lumière
Pierre Reverdy, Cravates de chanvre, dans Œuvres complètes, I,
Flammarion, 2010, p. 342.
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27/07/2024
Pierre Reverdy, La guitare endormie
L’amour dans la boutique
Tout ce qui se passe glisse dans la pénombre
C’est ce carré au sol qui marque la limite et le nombre
C’est un peu de soleil
Chaud derrière la tête
La poussière ou les bulles de l’air montent sur la cloison
Sortent sur le palier
L’amour se vend dans la boutique
Mais cette forme d’ombre ou blanche ou encore qui ne bouge pas sur la tenture
À l’angle plus étroit
Qui est-ce
Pierre Reverdy, La guitare endormie, dans Œuvres complètes, I,
Flammarion, 2010, p. 270.
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