28/09/2024
Erwann Rougé, Asile
est-ce la neige qui fait si mal
ou prendre un visage
une espèce de neige folle
une coulure de givre mise à bas
goutte après goutte
avec une saveur de craie
ou bien l’ardoise
les flaques de mots
où le gris de neige
et du crayon s’épuisent
Erwann Rougé, Asile, éditons Unes,
2024, p. 82.
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27/09/2024
Erwann Rougé, Asile
douche savon
gant de toilette
Elle devant le miroir
le miroir grimace
efface les peaux sèches
à quoi bon prononcer son nom
le temps se vide
de sa propre chaleur
se tord la bouche
laisse échapper l’éclat d’un rire
Erwann Rougé, Asile, éditions
Unes, 2024, p. 33 .
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26/09/2024
Erwann Rougé, Asile
Ici le temps circule
dans les lits sous les draps
on ne dort jamais vraiment
la peau fine des murs se resserre
les ongles se raccrochent
Elle rêve un lait noir constellé
à longueur une et infinie
il n’y a pas d’heure dans la nuit
larmes et spasmes
Elle suce la rondeur d’un galet
au matin
il faudra changer les draps
Erwann Rougé, Asile, éditions Unes,
2024, p. 26.
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25/09/2024
Francis Ponge, Pratiques d'écriture ou l'achèvement perpétuel
Les sujets d’art littéraire
Le peintre fait voir sa vue du paysage. C’est un sujet d’art pour la vue, une occasion convenable. Ainsi pour le littérateur, tel ton de langage (le ton des sentiments), le ton de la colère est un sujet, une occasion, le ton de la timidité un autre sujet, et aussi tel type de discours, tel type de raisonnement (mais c’est déjà un empiètement). Il n’est pas d’autres sujets littéraires. C’est là qu’on s’applique : au « beau » langage.
La façon dont parle un homme dans tel sentiment : voilà proprement un sujet d’art littéraire. Ainsi il semble qu’il faille toujours 1° faire parler (et un mortel) 2° garder une unité de ton.
Mais plus loin on peut créer des tons monstrueux c’est-à-dire divins, comme le peintre crée des ensembles mythologiques imaginaires. Certes il ne crée pas de nouvelles formes, mais il peut faire des monstres. De même la littérature peut dans certains cas créer des ensembles monstrueux pourvu qu’ils soient dans des rapports intelligibles et aimables aux mortels.
Et après tout s’ils ne le sont pas ils le deviennent.
Francis Ponge, Pratiques d’écriture ou l’inachèvement perpétuel, Hermann, 1984, p. 57.
24/09/2024
Francis Ponge, Pratiques d'écriture ou l'inachèvement perpétuel
29 janvier 1954
À partir du moment où l’on considère les mots (et les expressions verbales) comme une matière, il est très agréable de s’en occuper. Tout autant qu’il peut l’être pour un peintre de s’occuper des couleurs et des formes.
Très plaisant d’en jouer.
Et pourquoi n’y aurait-il pas un public, une clientèle pour goûter ces jeux ?
Par ailleurs c’est seulement (peut-être) à partir de propriétés particulières à la matière verbale que peuvent être exprimées certaines choses — ou plutôt les choses.
On me dira que telle n’est pas la fin de la parole. C’est possible. Et qu’on préfère aussi d’autres écrits, cela peut certes se concevoir.
Mais s’agissant de rendre le rapport de l’homme au monde, c’est seulement de cette façon qu’on peut espérer réussir à sortir du manège ennuyeux des sentiments, des idées, des théories, etc.
Francis Ponge, Pratiques d’écriture ou l’inachèvement perpétuel, Hermann,1984, p.89.
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23/09/2024
Leontia Flynn, Pertes et profits
Cinq versions ridicules de Catulle
2
Tu veux savoir combien de tes baisers
seraient assez pour moi — et plus qu’assez ?
Autant que les grains « aux vertus réparatrices »
qui gisent sur les plages de sable lointaines,
entre les lupanars que nous prions la nuit
et les ruines légendaires pour gogos.
Ou autant que les étoiles, les nuits calmes,
ignorent les gestes furtifs des amants.
Voilà le nombre de fois qu’il faut t’embrasser.
Je suis dingue, donc c’est assez, « plus qu’assez »
— et c’est plus que les prudes peuvent compter,
guigner, rabaisser de leurs langues frétillantes.
Leontia Flynn, Pertes et profits, traduction de
l’anglais (Irlande du Nord) Théo Bourgeron,
Le Corridor bleu, 2024, p. 109.
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22/09/2024
Leontia Flynn, Profits et pertes
Anecdote
Tu te trouves soudain méchamment éméchée
à une entrée chic dans un dock rénové.
Tu parles trop vite à un homme presque beau,
beauté hollywoodienne — sauf les horribles dents.
Pourquoi ces dents ? Convexes comme celles d’un requin !
Et c’est la dernière pensée que tu retiens
quand tu t’éveilles dans une pièce inconnue.
Au-dessus de ta tête, de la poussière cosmique
tortille la lumière, tu vois la trace étrange
de chaussures jetées, manteau roulé, jean déserté
qui ne mène, hélas, qu’à l’impasse de toi-même.
Tu inspectes une ampoule douteuse sur ton pouce
mais l’indice est muet — donc tu vas dans la rue
où des pigeons s’égayent — ouurrrpp — au bruit de la porte
puis, un à un, reprennent sombrement leur place.
Leontia Flynn, Profits et pertes, traduction de l’anglais (Irlande
du Nord) Théo Bourgeron, Le Corridor bleu, 2024, p. 61.
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21/09/2024
Leontia Flynn, Pertes et profits
Pense-bêtes
Horaires de messe et collecte des poubelles,
Les noms et quantité de gélules à prendre,
Mes parents mesurent à leurs heures
dans l’arrière cuisine, ponctuels comme la mer,
bercés par la bouilloire et la radio ;
Une mouche termine son Grand Prix vrombissant
dans la pièce, puis se pose sur le volet.
« Ne pas laisser les clés dans la serrure »
dit un papier en majuscules, épinglé
sur la porte, par-dessus la clef, dans la serrure.
Leontia Flynn, Pertes et profits, traduit de l’anglais
(Irlande du Nord) par Théo Bourgeron, Le Corridor
bleu, 2024, p. 29.
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20/09/2024
Novalis, L'Encyclopédie
Du caractère musical de toute association et société. Des rapports musicaux seraient-ils la source de tout plaisir et de tout déplaisir ?
Le rêve est souvent signifiant et prophétique, parce qu’il est un effet naturel de l’âme — et repose par conséquent sur un ordre associatif. Il signifie à la manière de la poésie — mais, par là même, sans règle — de façon absolument libre.
Les hommes vraiment actifs sont ceux que —les difficultés stimulent.
On ne doit prend aucune garde (ne prêter aucune attention) à ce qui est désagréable.
Novalis, L’Encyclopédie, traduction Maurice de Gandillac, éditions de Minuit, 1966, p.278, 279, 280, 280.
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19/09/2024
Novalis, L'Encyclopédie
Se fiancer = s’efforcer d’attirer l’attention.
Il est étrange que la liaison entre volupté, religion et cruauté n’ait pas depuis longtemps attiré l’attention sur leur affinité interne et sur leur tendance commune.
Du plaisir sexuel — de l’aspiration nostalgique au contact charnel —de la satisfaction en présence de corps humains dénudés. S’agirait-il d’un secret appétit de chair humaine ?
Extase — phénomène lumineux intérieur = intuition intellectuelle.
La mémoire est le sens individuel — l’élément d’individuation.
Novalis, L’Encyclopédie, traduction Maurice de Gandillac, éditions de Minuit, 1966, p. 282, 283, 284, 285, 286.
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18/09/2024
Antonin Artaud, L'Anarchie sociale de l'art
POST-SCRIPTUM
Qui suis-je ?
D’où je viens ?
Je suis Antonin Artaud
et que je le dise
comme je sais le dire
immédiatement
vous verrez mon corps actuel
voler en éclats
et se ramasser
sous dix mille aspects
notoires
un corps neuf
où vous ne pourrez
plus jamais m’oublier
Antonin Artaud, Le Théâtre de la cruauté,
dans Œuvres complètes, tome XIII, Gallimard,
1974, p. 118.
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17/09/2024
Paul Claudel, Dodoitzu
D’UN SEUL BOND
Je t’aime je suis venue
Le torrent et les montagnes
Les forêts et la campagne
Je ne m’en suis pas aperçue
IN ONE BOUND
Dear love I have come!
Forrest and hill’s over
Roaring wave and snow
Dear love I saw none.
Paul Claudel, Dodoitzu,
Gallimard, 1945, np.
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16/09/2024
Paul Claudel, Dodoitzu
L’AMOUR MUET
Chante pour ma fête
Cigale à tue-tête !
Mais combien c’est mieux
Cette mouche-à-feu
Qui san aucun bruit
Brille dans la nuit
L’amour lui brûle le corps !
MUTE LOVE
Sing still it hurts !
Cricket till it brusts !
But how much better
The firefly’s glitter
Which at light voiceless
Shines away ceaseless
Burning soul and body.
Paul Claudel, Dodoitzu,
Gallimard, 1945, np.
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15/09/2024
Paul Claudel, Dodoitzu
PARTOUT !
La lune au levant
Le soir au couchant
La lune là-haut
L’étoile dans l’eau
Sens dessus dessous
Mon amant partout !
EVERYWHERE
Moon rising
Stars setting
Moon all over
Star in water
Topside down
— I love my own!
Paul Claudel, Dodoitzu,
Gallimard, 1945, np.
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14/09/2024
David Bosc, L'incendie de l'Alcazar
que c’est en somme depuis le salariat
que peu à peu il s’est perdu de vue
et que pour finir il ne sait plus
qui prend le train quand il prend le train
et regarde filer le paysage
inchangée
en revanche
la terreur placide qui le laisse à la porte
des autres gens
impatient toujours de prendre congé
en gardant, cela va sans dire
sa propre porte verrouillée
(mais c’est
une maison de poupées
il y manque le toit
et l’un des quatre murs)
David Bosc, L’incendie de l’Alcazar,
Héros-Limite, 2024, p. 95.
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