05/02/2025
Marc Cholodenko, De très brefs rêves
Pourquoi la manche de mon manteau est toute froissée. Je vais le dépendre pur essayer de la défroisser. Mais il résiste. On dirait qu’il est indépendant. Peut-être que je pourrais même lui parler. Salut ami manteau. Il réagit. Il a l’air de comprendre. De sa manche il m’essuie la figure. Il est sympathique ce manteau. C’est vraiment mon ami. Mais pourquoi il m’essuie la figure. Parce que c‘est moi qui pleure et qui suis dedans. C’est moi qui suis mon ami, mon seul ami. Je n’ai même pas un manteau pour ami.
Marc Cholodenko, De très brefs rêves, P.O.L, 2025, p. 57.
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04/02/2025
Marc Cholodenko, De très brefs rêves
Voilà que j’ai mis ma veste à l’envers. Et moi avec alors. Dans ce cas ma veste serait à l’endroit. Il ne faut pas paniquer mais il y a quelque chose d’étrange. À moins que j’aie mis seulement ma veste à l’envers sans pour autant l’avoir enfilée. C‘est avec soulagement que je me prends à songer que c’est souvent la même précipitation trompeuse qui nous fait choisir nos verbes et nous représenter d’emblée au centre des choses.
Marc Cholodenko, De très brefs rêves, P.O.L, 2025, p.32.
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03/02/2025
Marc Cholodenko, De très brefs rêves
L’heure est bientôt passée. Il faut que je me précipite mais j’ai oublié où c’était. Je me précipite quand même je me rappellerai peut-être même en chemin. Je m’arrête pile. Je me souviens où c’était mais je ne me souviens plus de la date. Ce qui me tracasse dans cette histoire de rendez-vous c’est que j’ai l’impression de l’avoir vécue ou encore mieux de l’avoir déjà entendue quelque part. Ce serait un classique en quelque sorte ou bien plutôt un poncif. Je préfère couper court pour m’évite la honte que j’éprouverai en découvrant que c’est moi qui en serait l’auteur.
Marc Cholodenko, De très brefs rêves, P.O.L, 2025, p. 27.
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02/02/2025
Marc Cholodenko, De très brefs rêves
Ce moment je suis seul au monde à me le rappeler. Il n’y a pas de quoi s’en louer. J’étais déjà seul au monde à le vivre dans sa compagnie. Nous aurions pu nous le rappeler ensemble. Aujourd’hui elle ne peut plus. Mais moi je peux toujours la rappeler. Comme on rappelle une personne pas un souvenir. Elle ne répondra pas plus qu’elle ne répondait au téléphone quand elle était absente pas exemple. Ma chérie mon amour. J’exagère ça n’a jamais été ma chérie mon amour. Mais ça fait venir plus de larmes. Le souvenir se renforce de la désolation autant qu’il s’affaiblit de la complaisance.
Marc Cholodenko, De très brefs rêves, P.O.L, 2025, p. 38.
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01/02/2025
Marc Cholodenko, De très brefs rêves
En même temps que l’ongle je me suis coupé un morceau du gros orteil. Ce qui est douloureux c’est que ce soit dégoûtant. Je ne veux plus voir ça et je le jette. Ou la jette. Si je le jette c’est un lambeau de chair répugnant et si je la jette c’est une partie précieuse de moi. Je suis coupé en deux parties que je ne peux pas départager. Je baisse la tête pour réfléchir à la manière mais les larmes avec leur façon universelle de tout conclure les fondent ensemble sans que je me sois mêlé de rien.
Marc Cholodenko, De très brefs rêves, P.O.L, 2025, p. 20.
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31/01/2025
Gérard Cartier, Le Roman de Mara : recension
« Tout parle tout fait signe »
Gérard Cartier a choisi d’écrire en vers Le Roman de Mara, comme pour la plupart de ses fictions classées dans le genre "poésie" dans sa bibliographie — il approuve sans doute Rémi de Gourmont affirmant en 1892 que « le roman doit être un poème, car il n’y a qu’un seul genre en littérature : le poème. » (1) Le Roman de Mara est un récit à plusieurs personnages : le narrateur, père de Mara, O***, morte mais souvent évoquée et Mara, au centre d’un livre strictement composé. Il commence par un poème titré "Le carnet" qui annonce quelques éléments du récit et s’achève par « le livre s’ouvre » ; suivent trois chapitres de longueur égale, " L’enfance Mara", "Le Grand Huit" et "La Passion Mara" ; le premier et le troisième titres reprennent la syntaxe du Moyen Âge conservée aujourd’hui, par exemple, dans "Hôtel Dieu" ; un poème séparé, "Le reste du carnet", clôt le livre. Chaque chapitre compte 33 poèmes d’une page, numérotés en chiffres romains mais titrée dans la table des matières. On reprendrait volontiers ce qu’écrit l’auteur qui voudrait « que rien ne dérange les lignes » mais qui apprécie le chaos. De là, parce qu’il garde ces choix opposés, « ce trouble à ajuster mes pages / où s’entassent en vrac l’harmonieux et l’informe ».
Harmonie dans la construction et dans le propos, qui suit Mara dans l’enfance, puis dans la formation avec le traditionnel — dans d’autres temps — voyage en Europe, surtout en Italie, et enfin dans sa séparation d’avec l’éducation paternelle quand elle vit sa « passion » amoureuse. Les noms des personnages eux-mêmes ramènent à l’Italie : Mara (d’origine hébraïque) et Ornella, prénom de l’absente restitué à la fin du livre. Le nom Mara est lui-même image de l’harmonie : à une lettre près anagramme de "amare" (latin et italien aimer) et, dans le titre, /m…r/ suit /r…m/, dans un poème, une quasi paronomase quand il est question du « royaume des enfants / à quoi Mara s’amarie ». L’harmonie est aussi dans les références culturelles. Le lecteur rencontre d’abondants renvois à la littérature, avec des noms variés — de Kafka à Maïakovski, de Keats à Laforgue — et de multiples langues ; le latin est présent, plus encore l’italien, souvent pour des citations comme celle du lamento d’Arianna de Monteverdi ; on lit aussi des fragments dans d’autres langues européennes et, dans une allusion à la "magie noire", quelques-uns de la langue des Dogon. La forme des poèmes elle-même participe de cette harmonie : en strophes (de deux, trois ou cinq vers) ou non le plus souvent : elles ne sont alors régulièrement ponctuées que par l’emploi de blancs qui organisent la lecture, et cette forme est commune aux fictions en vers de Gérard Cartier.
D’autres cohérences apparaissent d’un livre à l’autre. Il est question notamment du Dauphiné, du Vercors, communs à d’autres ouvrages et lieux de formation de la sensibilité de l’auteur ; la venue dans la région (« cette montagne sainte ») fait partie de l’éducation de Mara qui, beaucoup plus tard, devrait vivre ce que vit le narrateur quand il y revient, « la / brume des années se dissipe et sur tes / pas se lèvent de très vieux sortilèges ». Le lecteur note aussi que le voyage ailleurs occupe une place privilégiée, ici pour la formation intellectuelle, esthétique, historique — Rome, Venise, etc., Auschwitz, Theresienstadt —, mais également que par la variété, souhaite le narrateur (l’auteur), « mes vers soient le monde » ».
Le monde est si divers qu’il est indispensable de l’accepter tel ; regarder les fleurs, les plantes, tout ce qui est là ne devrait être que pour le « plaisir du regard et de la pensée ». Mais le chaos existe, et la mort : les paroles du lamento de Monteverdi, lasciatemi morire(« laissez-moi mourir »), reviennent plusieurs fois. O***, la morte jamais oubliée (« O*** mia cara »), mère de Mara « enfantée d’une morte », n’est pas une figure apaisante, le narrateur tout au long du récit sait qu’il « s’obstin[e] à ce qui n’est plus » et ne fait son deuil que devant choisir entre « l’abîme » et un « visage juvénile », moment où il peut enfin écrire le nom "Ornella". Encore le fait-il parce qu’il voit le même dans la morte et la vivante, « même regard charbonneux, même visage sous / la cendre ». Mara elle-même semble représenter le chaos, par tous les aspects divers de sa personnalité ; elle est Mara-la-noire, Mara-en-Bacchus, Mara ivre, au jardin, l’enchanteresse, Mara-la-fantasque, Mara en momie, Mara-des-cendres, Mara-des-cauchemars, Mara-du-soleil, Mara-des-vanités, Mara-la-fourbe, Mara-des-fuites. Cette multiplicité est partagée, figure de toute femme, de tout homme. Le chaos est aussi dans le narrateur qui a embrassé les promesses d’une utopie, celle portée par Lénine, puis a renié pour son amour « vers et révolution », qui commence à recouvrer un peu de sérénité à voir Mara devenir femme, vivant sa passion, « chassant d’un cri l’absente, la remplaçant ».
Gérard Cartier est ici écrivain de complexes voyages intérieurs, celui d’un personnage, Mara, dont on ne connaît que des bribes livrées par le narrateur soucieux de développer sa propre histoire. Le récit s’achève avec deux transformations majeures : connaissance de l’amour pour l’une, acceptation de la vie pour l’autre, « on ne doit pas camper sur les tombes. lâcher la main de l’absente (…) tandis que coule, sous le parapet, la vie perpétuelle ». Tout recommence, autrement : l’essentiel consiste toujours à vouloir « l’Énumération du monde ».
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- C’est à la fin du XIXe siècle que Raymond Roussel revendique le terme de "roman" pour La Doublure (1897), écrit en alexandrins classiques. Les romans en vers sont plus que rares au siècle suivant et leur appartenance au genre discutée. On cite toujours Le Voleur de Talan(1917), "roman" de Pierre Reverdy, Chêne et chien (1937), de Raymond Queneau, "roman en vers" comme La beauté de l’amour (1955) de Jacques Audiberti, Une vie ordinaire (1967) de Georges Perros, "roman poème".
Gérard Cartier, Le Roman de Mara, Tarabuste, 2024, 140 p., 14 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 5 janvier 2025.
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30/01/2025
Edmond Jabès, Je bâris ma demeure
Toute porte a pour gardien un mot (Mot de passe, mot magique).
Rendre le mot visible, c’est-à-dire noir.
Parler de soi, c’est toujours embarrasser la poésie.
Le visage qui se mire dans la glace n’efface pas le précédent.
Qui es-tu, sinon, d’abord, celle qui est l’autre ?
Edmond Jabès, Je bâtis ma demeure, Gallimard, 1975, p. 155, 155, 157, 159, 171.
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29/01/2025
Edmond Jabès, Yaël
Être soi-même en l’autre. Graphie de nos routes, jusqu’ici. Yaël, moitié féminine d’un être qui ne dit pas où il va. Ainsi en est-il de la plante, une fois hors de la terre. Nous la croyons enracinée à sa vie, tant elle semble obéir à sa forme préméditée. La plante se développe contre la plante. Son inquiétude est dans la ressemblance. Arbre particulier, fleur désirée, jamais identiques. Le sommeil les épanouit et le jour les tuera.
Aucune blessure n’est pareille. La branche, la tige saignent pour elles seules.
Monotonie du mensonge. Décoloration de la digression. Imaginer n’est plus que l’avilissante abdication devant la souveraine figure préservée des millénaires.
Suprématie de la nature. La terre nous rejette à la dernière image.
Edmond Jabès, Yaël, Gallimard, 1967, p. 146-147.
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28/01/2025
Edmond Jabès, Le Soupçon Le Désert
D’aussi loin que je me souvienne et autant que je puisse l’assurer, je crois que ce sont les fautes d’orthographe que je faisais, enfant, adolescent, qui ont été à l’origine du questionnement qui s’est développé par la suite. Je ne comprenais pas qu’un mot reproduit un peu différemment, avec une lettre de moins ou de trop, ne représentait, brusquement, plus rien que mon maître pouvait se permettre de le biffer rageusement à l’encre rouge sur mon cahier et s’arroger arbitrairement le droit de me punir de l’avoir, pour ainsi dire, inventé.
Edmond Jabès, Le Soupçon, Le Désert, Gallimard, 1978, p. 57.
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27/01/2025
Les lumières du village
Photos Chantal Tanet
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26/01/2025
François Rannou, Le Masque d'Anubis : recension
Le titre engage une lecture du livre. Le masque à tête de chien noir ou de chacal, représentation du dieu Anubis, était dans l’Égypte ancienne porté par les prêtres quand ils embaumaient un cadavre pour l’empêcher de se corrompre ; Anubis avait le pouvoir de faire passer le mort dans une autre vie, pouvoir délégué aux embaumeurs. La mort est bien présente dans les poèmes mais la vie naissante ou renaissante l’est également, toutes deux posées comme toujours imprévisibles, ce qu’énoncent les premiers vers d’un poème cité d’Emily Dickinson :
Nous ne savions pas que nous allions vivre —
Ni quand — nous allions mourir —
C’est dans la vie de tous les jours, dans ce monde où le travail occupe une grande partie du temps à vivre qu’est ressentie la brutalité d’une disparition, qu’est éprouvée fortement la venue d’une naissance. Le caractère énigmatique de cette balance mort/naissance est mise en relief par le renvoi à un lointain religieux qui prétendait maîtriser « l’éclat du désastre » et « le commencement du temps ».
Le narrateur a échappé à la mort à la suite d’un AVC et il connaît alors l’examen qui aboutit à une image précise du cerveau ; homme du livre, il compare immédiatement le résultat à un texte qui exigera une lecture, « je suis le livre qui s’imprime / pour des yeux experts. Les "images" fournies par la machine rendent compte de ce qui n’est pas visible, semblable à des « mots obscurs », comme s’il s’agissait de hiéroglyphes que traduit le travail patient de spécialistes, et il est alors proposé une « édition nouvelle inconnue » de la personne. Le parallélisme entre l’époque de Khéops et le présent apparaît encore à propos d’un patient à l’hôpital ; depuis le début du XXIe siècle, les savants ont déchiffré les notes concernant la construction de la grande pyramide, et sont analogues celles du « cahier de transmission » qui suit l’évolution de la maladie.
Quoi que l’on relève au fil des jours, « l’agonie » survient sans que les proches puissent la prévoir. C’est ce passage du vif au mort qui est interrogé ; dans le silence de la chambre est « guetté le moindre signe » ; c’est lorsque l’on entend à nouveau le trafic de la rue, qui ne s’était pas interrompu, que l’on comprend : « elle a disparu ». Énigme que rien ne peut résoudre et François Rannou use de comparaisons pour en faire percevoir le caractère, par exemple avec une allusion au regard de La jeune fille à la perle de Vermeer impossible à déchiffrer. Ou constater que, la tombe ouverte étant vide, le mort a retrouvé la vie — au moins si l’on croit à la divinité du Christ. Ou encore « retenir l’enfance par les bords dentelés d’une photographie ». Par les mots, oublier la disparition à 84 ans d’une proche et ne se souvenir que de la fillette qu’elle a été « à l’autre bout du temps ».
Cet autre bout du temps revient sans cesse dans Le Masque d’Anubis. La fillette au pensionnat traverse le dortoir pour longuement regarder par la fenêtre le parc, soit le dehors, les arbres, le vivant. Un autre personnage « de sa / fenêtre (…) voit les premières fleurs aux branches ». Le narrateur, lui, s’approche de la fenêtre pour chasser ce qui l’emprisonnait et voir son « vrai visage ». Pourtant, si l’on peut constater le mouvement de la vie à la mort, rien ne semble donner une clé pour le comprendre ; un poème titré "Méditation" met en scène un homme qui « pisse contre le tronc d’un prunier » ; il est donc ancré dans la nature et tout dans ses pensées, mais « aucune langue connue ne peut / traduire son désir d’origine ».
Même si les renvois aux mythologies sont réguliers, aucune religion ne donnera une réponse satisfaisante — que l’on se tourne vers l’Égypte, vers Asclépios (foudroyé pour avoir ressuscité un mort) ou la résurrection christique. Il reste à refuser d’abord d’être assujetti au monde de l’enfermement et vivre les changements, qui se répètent toujours dans le même ordre, des éléments naturels : le « temps nôtre » est celui de l’orage qui éclate, de la pluie, puis des nuages. Gage de continuité qui satisfait toute attente, « la pluie tombe / n’est plus une espérance / vaine me dit-elle ». C’est cette continuité qui ouvre la voie vers l’Autre, vers la « nouvelle aimée » — « l’Opale » — et vers l’écriture. L’absence de toute réponse suscite la mélancolie, le doute dans ces vers de tenue classique, mais la fin du livre suggère un nouveau départ qui annule toute question :
(…) la nouvelle aimée selon mon rêve inaugure
cette nuit me rejoint laisse glisser sa robe safran
n’est-ce pas là d’une audace inouïe la seule vraie décision ?
François Rannou, Le Masque d'Anubis, peinture de Michème Riesenmey, Des Sources et des Livres, 2023, 60 p., 15 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 23 décembre 2024.
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25/01/2025
Christian Dotremont, Les grandes choses
Chronique
2
Réel qui ne tient debout
que par la faux du temps
réel prêt à mourir
et se haussant sur ses talons
brave pour paraître grand
la mort pouvant le tailler mieux
qui ne fait que le menacer
comme il est de son devoir
et parfois l’attention du réel
faiblit il tremble sur ses jambes
et parfois l’attention de la mort
faiblit elle le frappe vraiment
il tremble sur ses jambes
mais la mort se reprend vite
comme ill est de son devoir
et le réel se reprenant
comme il est de son devoir
vite redevient de fière faction
Christian Dotremont, Les grandes choses,
anthologie poétique 1940-1979, édition
Michel Sicard, Poésie/Gallimard, 2025, p .309.
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24/01/2025
Christian Dotrement, Les grandes choses
Gladys en allée
Gladys en allée, vers les dix heures du matin en 1952. Christian observa tout de suite le tas d’extrêmes diversités qu’elle lui laissait : des souvenirs encore chauds de joie de Tervuren et de Copenhague même, des draps par exemple, des épingles à cheveux, une fragrance, des aquarelles et des photographies, tout un bol de soupe, fort peu de vin et d’aspirines, énormément de vide, avec un désespoir encore trop lourd pour grossir : plus tard, oh beaucoup plus tard, ailleurs, revenant seul à Tervuren, il s’aperçut que ce désespoir l’empêchait, non certes de retrouver là une épingle à cheveux encore, mais de trouver à la vie un autre goût que de pourriture.
Christian Dotremont, Les grandes choses, anthologie poétique, 1940-1979, édition Michel Sicard, Poésie/Gallimard, 2025, p. 324.
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23/01/2025
Christian Dotremont, Les grandes choses
Moi qui j’avais
I
Moi qui j’avais pensé
qui pensais je me disais j’argauais
Étant sale qu’un peu de propreté
qu’une éponge de lit
Étant debout qu’un peu de
glissement conviendrait j’avais pensé
Qu’un peu de foin
ne convenant pas à mes systèmes
Conviendraient je veux dire changeraient
ma vie qu’un peu de foin
Et j’ai donc bu ce langage
j’ai regardé ces yeux
À perte de vue à perte
étant sale étant debout pensé
qu’à perte d’élocution à
perte de sens je trouverais
Un peu beaucoup une
ombre de lumière
Étant pensé qu’un peu de changement
me ferait du bien un peu de foin
ChristianDotremont, Les grandes choses, Anthologie poétique, 190-1979, édition Michel Sicard, Poésie/Gallimard, 2025, p. 117-118.
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22/01/2025
Christian Dotremont, Les grandes choses
Les garanties mythologiques de la nature
ARBRE (L’) Il est i mais à l’ouvre. De cette contradiction catastrophique prend appui la foudre pour le frapper. Il verse des pommes dans le tablier de la pesanteur, mais parfois sans être remarqué les lance dans le mystérieux univers de l’air : ainsi naquit en automne la terre, qui n’point encore perdu la vitesse acquise.
L’HORLOGE — C’était un cadeau de Mme Ourlet. Neuf heures sonnèrent.Les concierges virent passe r un vieux eau, chargé de petits paquets prometteurs.
À Noël on dut faire venir un ouvrier pour dégager la porte d’entrée. Mais le cadeau ne cessa pas un instant de fonctionner.
JURY (LE) — Quand le condamné entra la populace se tut. Le magistrat sanglotait, les bras ballants.
Christian Dotremont, Les grandes choses, anthologie poétique 1940-1979, édition Michel. Sicard, Poésie/Gallimard, p. 99.
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