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26/02/2024

Esther Tellermann, Votre écorce

esther tellermann, votre écorce, le dedans le dehors, refaire

     Et comment

épuiser la plainte ?

     Fallait-il refaire

          le dedans

nommer peut-être

contre la nuit

là où tu manques

refaire les mousses

                neuves

affermir la lèvre

l’essor des aubes

et des chemins !

 

Esther Tellermann, Votre écorce,

La Lettre volée, 2023, p. 56.

25/02/2024

Esther Tellermann, Votre écorce

esther tellement, votre écorce, inventer

Vous arriviez

au bord de la saison

je ne savais pas

             si le corps

                      s’interpose.

Nous refaisons

la sève

inventions des

demeures

                des rivages

paroles poudreuses

                   berçaient

                         l’incertain.

 

Esther Tellermann, Votre écorce,

La Lettre volée, 2023, p. 64.

24/02/2024

Esther Tellermann, Votre écorce

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Il me fallut inventer

des signes neufs

lire des

corolles.   Dans

la peur.

        Il me fallut

savoir

                 appartenir

                 se

                 reconnaître

dans le vent

et l’ombre

l’écaille

         qui s’effrite.

 

Esther Tellermann, Votre écorce,

La Lettre volée, 2023, p. 23.

23/02/2024

Gérard Cartier, le Voyage intérieur

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Les amants (Cimetière du Père-Lachaise)

 

Voyez    cette comète à la longue traîne

c’était nous      un feu grégeois dans la nuit

soufre et poix    qui incendiait nos corps

et tout notre être    un même cœur…

     mystérieuse unité en 2 natures

puis une éternelle amitié      en lettres

et en songes nocturnes      qui parfois

plaisir ou jalousie      nous déchiraient encore

et de longs silences traversés de signes

     un prénom     une pierre gravée

2 nuages traçant un instant dans l’éther

des initiales      présence irréelle

jetés enfin dans l’éternel oubli      n’étaient

ces lettres cachées qu’un jour peut-être

un curieux exhumera     nous inventant      

un tombeau plus ferme que la pierre ouvragée

où viendront après nous rêver les amants

séparés

 

              (48°51’33,1’’N – 2°23’30,944E)

 

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur, Flammarion,

2023, p. 450.

22/02/2024

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur

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La mort de Segalen (Huelgoat)

 

De retour d'Algérie le maître du voyage

sentant la vie le fuir entra dans le chaos

de Huelgoat forêt maléfique aux grands fonds

tourmentés d'un pâle madrépore     avoir

bourlingué à la Chine et à l'Océanie

et mourir de consomption au pied d'un chêne

le talon entaillé par un calame au centre

d'un triangle d'eaux et de roches creuses

seul en compagnie de son double un spectre

     bilieux duller shouldst thou be

than the fat weed écoutant dans le soir

se brouiller les paroles prodigieuses tandis

que le suc maudit coulait dans son oreille

de la jusquiame      il me faudrait un mètre

qui naisse du lieu aussi bien que la mort

et non ce garrot de fortune qui peine

à nouer les mots et retenir au monde

le passant du voyage illimité

 

                  (48°21'50,2"N - 3°43'50,4"O)

 

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur, Flammarion, 2023, p. 295.

 

21/02/2024

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur

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         La triperie (Roussillon)

 

Ayant sillonné la colline     en vain

le petit château sur une motte évanoui

en plein ciel     du comte de Roussillon

revenant en tournoyant sous les falaises

     d'ocre des ruelles     tout-à-coup

                saisissement     une vitrine

frottée au sang-de-boeuf BOUCHERIE CHAIR

CUITERIE     et à jamais tripier

que l'on contemple en rêvant à ses amours

tout a disparu les tombes sous les pas

le château abattu     du plaisir et de la gloire

ne restent que les noms     Guillaume

Sermonde     et cette échoppe aux couteaux

étincelants     qui se souviennent du cœur

mangé par la comtesse de Roussillon

    de son amant     haché en ragoût

avec herbes et épices     et qui sait

si le comte jaloux n'y avait pas mêlé

l'objet de son déplaisir

 

                  (43°54'8,5"N - 5°17'36,8'E)

 

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur, Flammarion, 2023, p. 215.

 

20/02/2024

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur

gérard cartier,le voyage intérieur,le patriarche,paradis

         Le patriarche (Hasparren)

 

Trop enclin aux poètes minimes     Delisle

 

     Coppée Carco     et aux ânes

pour éviter     à l'écart du chemin de Combo

Eihartzea     dernier toit de Francis Jammes

avant la pierre grise à l'ombre d'Ursuïa

et de la grosse croix     au bout du village

une ancienne métairie     don fortuit du ciel

manigancé en douce par les bénédictins

pour loger sa tribu     d'où fuyant en ours

il hantait jusqu'au soir les collines rêches

pêchant et herborisant parmi les chardons

barbe au vent et la rime en conserve

mais qu'a-t-on fait du palais des voyelles

éventré     plâtré     ascensorisé

chassant le patriarche à coups de taloches

     comme Adam du paradis

non moins que nous demain de nos thébaïdes

oubliés de tous malgré nos neuvaines ou minimes 

                          (43°23'19,7"N - 1°18'11,8"O)

 

Gérard Cartrier, Le Voyage intérieur, Flammarion 2023, p. 216

19/02/2024

Gérard Cartier, Lz Voyage intérieur

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        Grotte ornée (Gargas)

 

Exhumer le carnet noir à moleskine

sonnets hâtifs pour Romane aux oiseaux bribes

confuses l’ivresse du chagrin … détachées

de l’accident qui les avait fait naître

et des citations     des dessins à la diable

cherchant le poème griffonné sous l’auvent

     en sortant de la grotte    mais rien

ainsi de tout ce qui nous importait

jusqu’aux amours les plus troublantes     moins

désormais que la main aux phalanges coupées

saignant sur la roche     qui vit encore

     dans le carbone 14     moins

que l’accenteur mouchet à coups de ciseaux

qui loue la création depuis des millénaires

dans la forêt de mélèzes    le voilà

     à peu près     le sens perdu

qui suintait de la roche hérissée de calcite

goutte à goutte dans le silence

             (43°3’21,4N - 0°32’10,5"E)

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur, Flammarion, 2023, p. 203

18/02/2024

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur

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 Le mystère des origines (Font-de-Gaume, Les Eyzies)

 

Comment Racine.    Un trouble s’éleva

dans mon âme éperdue      naquit-il de la plainte

d’un Mars scarifié courtisant sur la Beune

     une Vénus prognathe     comment

de 2 silex frappés le bourdon entêtant

de l’alexandrin     troublante énigme

     mais la  société de linguistique interdit

article 2    tout essai sur les origines

du langage humain    ce ne fut peut-être

     au printemps des âges     imitée

des oiseaux     qu’un effusion de voyelles

les herbes frémissent     un martellement sourd

monte de la rive et soudain    Quel mot

     inné devant les chevaux pommelés

qui courent échevelés en roulant de shanches

suel cri pour louer plus éloquent à peine

que le silence     la langue dans sa prison d’os

se tord en tous sens et frappant au hasard

invente le monde

               (44°56’13,3"N - 1°1’35,6"E)

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur, Flammarion, 2023, p. 340.

17/02/2024

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur

gérard cartier, le voyage intérieur, campagne, silence

                      La campagne (Ceyzérieu)

 

Fourgon au cimetière la Faucheuse en visite on s’esbigne

lilas plantes odorantes premier coucou de l’année

botanisant de l’œil et de la langue album de 100 fleurs

prairies de marais derniers vestiges du grand lac de Chautagne

tout paysage est palimpseste tout regard recréation

au géographe aussi prodigue qu’un marchand de tourbe

une trompe rauque au loin motrice en manœuvre en gare de Culoz

on était à la fin du Würm on n’avait pas quitté le siècle

3 ânes gris au pas cassé un baudet du Poitou dans un fossé

nous mangeons nous aussi la corde qui nous tient au piquet

vivre sans art autant qu’on le peut sans philosophie

murets coiffés de lichen petit pont voûté sur le Séran

l’eau passée commence l’Holocène

                         (45°49’56,9"N - 5°44’38,2"E)

 

Gérard Cartier, Le Voyage intérieur, Flammarion, 2023, p. 71.

16/02/2024

Claude Chambard, Cet être devant soi

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Le crayon est le chemin par lequel je peux parcourir le monde. Il me faut y arriver vivant. Ce n’est pas une mince affaire. J’ai toujours pensé que, dans le livre, le monde ne pouvait être vu qu’à hauteur d’enfance. L’écriture commence & prend fin dans une classe du cours préparatoire, pour  toute la vie & pour tous les livres, dans toutes les bibliothèques. De même la lecture. Manipulations, transgressions, interprétations, variations — archaïques. Encre violette & papier réglé à grandes marges, encrier en porcelaine, plumes Sergent Major, buvards publicitaires… Apprendre à dessiner — les caractères ­ apprendre à dessiner - les traits portraits &c - lisibilité, blanc, équilibre, approche, classe, ce qu’on ne voit pas permet ce que l’on perçoit - comme on oublie la ponctuation lorsqu’elle est juste, lorsqu’elle va de soi la lecture va de soi — l’écriture jamais. Ton corps est dans le livre, personne ne le voit, même pas moi, mais je le reconnais, aussi les oiseaux dans le ciel & le corps des écrivains dans leur écriture.

 

Claude Chambard, Cet être devant soi, Æncrages, 2012, np.

15/02/2024

Animaux de chair et de pierre

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Phoyod T. H.

14/02/2024

Laurent Fourcaut, Un morceau de ciel

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                            Chute libre

 

Petite pluie molle et morne presque marron

L’air dans les rues du bled c’est pas gai la province

le seul bistro du coin il faudrait qu’on fût rond

pour lui trouver du charme éviter que ça grince

 

il s’en faut de très peu qu’on  ne se sente prompt

à s’abolir dans le port — est-ce qu’on en pince

pour l’eau froide et le noir néant qui corrom

pent jusques aux os de fond en comble vous rincent ?

 

Les lumières du bar se reflètent dehors

s’incrustent sur la nuit en occultant le port

ainsi face au réel un cordon sanitaire

 

est tendu par l’humanité pusillani

me or le réel fair retour façon tsunami

voilà ce que c’est que d’avoir pas su se taire

 

Laurend Fourcaut, Un morceau de ciel, Tarabuste,

2024, p. 141.

 

13/02/2024

Laurent Fourcaut, Un morceau de ciel

 

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                             À la fontaine

 

 

Un temps mou presque tiède c’est débilitant

fin novembre la pluie n’a pas de caractère

paraît sale lépreuse pas la pluie des Gitans

qui les suit sur les vieilles routes de la terre

 

Belle lurette qu’on a passé la mi-temps

on se retrouve de plus en plus solitaire

dans les rues livrées à la nuit sans excitant

que le pouls qui se bat contre les délétères

 

effondrements mondiaux sous le poids de l’argent

dans tous les coups d’Etat trace de ses agents

le triste globe en est devenu invivable

 

les signes sont partout qui vous crèvent les yeux

même Œdipe a trouvé pire que ses aïeux

le tout anesthésié par le pouvoir des fables

 

Laurent Fourcaut, Un morceau de ciel, Tarabuste,

2024, p.105.

12/02/2024

Niki de Saint Phalle, Traces : recension

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                               « L’art a été mon ami le plus proche »

 

Ni mémoires ni Journal, l’autobiographie, constitue, depuis le XVIe siècle­ un genre littéraire (pensons par exemple aux Commentaires de Blaise de Monluc ou à certaines parties des Essais). Le genre s’est vraiment établi à la fin du XVIIIe (Les Confessions de Rousseau, 1782) et s’est développé au cours du XIXe siècle. Par commodité on peut reprendre la définition qu’en a donné Philippe Lejeune1, « Récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité ». En sachant que plusieurs éléments peuvent être absents :  L’instant fatal, récit autobiographique de Queneau est en vers. Traces de Niki (née Catherine) de Saint-Phalle ne met pas seulement l’accent sur sa « vie individuelle », mais introduit des éléments non verbaux et reste cependant une autobiographie. E. Lebovici marque clairement dans sa préface la pertinence du titre choisi pour une autobiographie et analyse les traces rassemblées, C. Meurisse représente l’auteure comme une femme volontaire, libre.

 

 

Traces est à part dans la collection L’imaginaire, par son format (18x22, au lieu de 12,5x19 habituellement), son emboîtage —  et son contenu : le texte, en partie calligraphié par l’auteure (« La calligraphie m’a toujours fascinée »), est accompagné de dessins et de peintures, de poèmes, de montages de photos et de photos, en noir et blanc, colorisés, ce qui accuse leur ancienneté, d’images de films également colorisées. Cette diversité, qui rompt souvent la linéarité du récit, s’accorde avec le projet ; il ne s’agit pas de suivre dans le temps l’"histoire" d’une personne, mais de relever des traces, sans les restituer dans un ordre chronologique. La succession non ordonnée d’éléments plus ou moins distants les uns des autres restitue quelque chose du chaos d’une vie, quelle qu’elle soit, et la difficulté de penser une unité. Ce que Niki de Saint Phalle revendique (texte calligraphié) :

                                               Je suis 2

                                            J’aime être 2.

                                               Double.

                                            1 + 1 font 2.

                                                 Non. 

                                            Je suis 2 + 2.

                                               au moins.

                           Je me perds dans les nombres,

                                   sans vraie nationalité

                                            ni racines.         

 

Les versions de trois témoins d’un assassinat, dans le film de Kurosawa, Rashomon, sont toutes différentes, rappelle-t-elle au début de son livre : laquelle est "vraie" ? La couverture du livre donne d’emblée à voir la dispersion ; une trentaine de bandeaux colorés s’échappent de la tête d’une femme — l’auteure —, chacun portant ce qui pourrait être une trace : couleur, la mode (elle a été mannequin), écrire, la ville de New York, châteaux français, etc.

 

Les premières traces, relevées dans une page calligraphiée qui porte ce mot en titre, sont relatives à la mère : celle d’un jouet de l’enfance, d’une odeur, d’une robe, d’un rouge à lèvres ; traces présentes dans la mémoire pour dire l’absence (« MAMAN vous me manquez »), absence qui sera évoquée plusieurs fois. Niki de Saint Phalle (1930-2002) commence son autobiographie imprimée par d’autres souvenirs d’enfance qui mettent en scène son frère aîné Jean, son oncle, puis son grand-père avant de revenir à son frère. Ce n’est qu’après ces évocations familiales qu’elle revient à son enfance à New York, à ses jeux de fillette surveillée par sa gouvernante. À ses cauchemars et à ses insomnies, à la peur de mourir : « moments d’agitation / où la paix intérieure m’abandonne / J’ai peur de l’ombre. J’ai peur de tout. L’homme en noir. Le masque noir, / la cape noire, les gants noirs. / Viendra-t-il ? Est-ce qu’il me tuera ? » Les aléas de la fortune parentale, les années de guerre, l’ambition de la mère (« vous vouliez être fière de nous ») mais sa détestation de la peinture de Niki, son rejet du mari Harry Matthews, le mariage de ses parents sur un pari, l’abandon au couvent de la croyance religieuse, sa mise en scène, à 11 ans, d’une pièce avec un cuisinier qui mêle le corps de son épouse à d’autres viandes, le château en France, son second mariage avec Jean Tinguely, etc. : tous ces éléments disparates, accompagnés d’œuvres graphiques dans la manière et les couleurs de ses Nanas, sont une invitation au lecteur à s’interroger sur l’étrange désordre de ce qu’est une vie.

 

Il est nécessaire de s’arrêter à d’autres éléments pour connaître ce qui a, tôt dans le temps, guidé Niki de Saint Phalle. Dans sa jeunesse, elle avait une relation étroite avec une « boîte magique » dans laquelle elle déposait ses poèmes et à qui elle se confiait : « J’avais avec elle des conversations subtiles alors que je ne pouvais avoir d’échanges profonds avec ma famille. De cette époque date mon besoin de solitude. » Si cette solitude est rompue quelque temps par son union avec Harry Matthews qu’elle a épousé tous deux étant très jeunes2, elle la retrouve, sachant que c’est par le retrait qu’elle peut créer, ne pas devenir comme sa mère, « la gardienne d’un foyer ». Le pouvoir appartenait à son époque aux hommes et, écrit-elle, « je voulais le monde ». Elle l’obtiendra par l’art, par la solitude du travail pour peindre et sculpter. L’art a donné une unité à sa vie, « L’art a été mon ami le plus proche. Sans lui, il y a longtemps que je serais morte, / la tête éclatée. »

Niki de Saint-Phalle, traces, préfaces de E. Lebovici et C. Meurisse, L’imaginaire Hors-Série, Gallimard, 2023, 176 p., 20 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 15 janvier 2024.