24/12/2024
Danielle Collobert, Cahiers 1956-1978
1960, mars
peut-être je n’ai jamais été aussi loin dans la solitude que ces derniers mois — peut-être ça ne suffit pas encore — ici il reste une vague forme de stabilité — de sécurité — quelques doutes sur ce que je peux supporter vraiment —
errer davantage — ajouter le dépaysement — la rupture de toutes les attaches — ou quoi — être sans argent dans un pays que je ne connais pas — peut-être —
probablement une illusion — équivalence d’être dans une pièce seule pendant des jours —ou de partir ailleurs —
Danielle Collobert, Cahiers, 1956-1978, Change, Seghers/Laffont, 1983, p. 31.
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23/12/2024
Danielle Collobert, Cahiers, 1956-1978
1957, décembre
Pourquoi écrire que cette chambre est dans une grisaille jaune — que je somnole presque dans cette inexistence — que seul par momen le bruit du venr dans la plaque de la cheminée… ?
Seule —
Écrire ? faire des phrases ? encore…
La mort — ma mort — sûre — mais essai factice de représentation — infructueux d’ailleurs — À quoi j’arrive : au plus à une sensation très brutale de mon corps — Sensation qui revient de plus en plus souvent ces jours-ci — Idée de la mort — très salutaire si on peut encore parler à ce point-là de santé.
Danielle Colllobert, Cahiers, 1956-1978, Change, Seghers/Lafffont, 1983, p. 11.
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22/12/2024
François Heusbourg, Une position pour dormir : recension
La quatrième de couverture propose une lecture de Une position pour dormir, ce serait un « Livre de fantômes » qui jouerait « de l’apparition et de l’effacement ». C’est ce que suggère le titre avec le passage par le narrateur de sa présence au monde à sa disparition dans le sommeil, d’où surgissent des images recomposées de la vie éveillée plus ou moins trompeuses, des fantômes qui, comme l’affirme Spicer mis en épigraphe, « ne sont pas des gens perspicaces ». Une autre lecture est proposée dans un épilogue en prose : après un résumé des poèmes, d’abord la fin de l’histoire d’un couple (« Ils étaient sur le point de partir chacun de leur côté (…) Comme tout était parti avant eux »), ensuite l’évocation d’une autre histoire, celle de la mère qui semblait exclure le narrateur à sa naissance avec ce commentaire : « il n’est pas très beau ».
Le premier poème présente d’emblée de manière lapidaire et imagée le thème de la séparation, « rentré // forme courte / d’un long voyage ». Il est immédiatement suivi de ce qui apparaît souvent dans la relation entre un je et un tu, l’extrême difficulté d’établir une langue commune : l’Autre parle toujours autrement que soi, quel que soit le sujet, « je dis traquenard tu prononces guet-apens » ; le temps vécu est saturé de mots dont la signification ne peut être entièrement partagée — « nous lisons le même livre dans des livres différents ». Ce qui, pour l’essentiel, constitue les jours d’un "couple" peut devenir une épreuve si est désirée par l’un ou/et l’autre une transparence impossible, une fusion qui gommerait l’écart entre les mots, la langue étant d’abord lieu de l’ambiguïté. Mais les oppositions existent dans tous les domaines, comme si l’idée même d’harmonie dans la société n'avait pas de sens. Il suffit de voyager pour rencontrer, criantes, les différences sociales, l’extrême misère à côté d’une opulence qui s’exhibe, les habitations faites de matériaux de rebut et les maisons à étages devant la mer.
Qu’est-ce donc qui, dans la vie quotidienne, peut être partagé ? tout ce qui ne s’inscrit pas dans le temps, ne demande donc pas de mots ou en demande peu, par exemple « les plus petits gestes quotidiens », notamment ceux des repas arrosés d’un bon vin :
dans les plus petits gestes quotidiens
peut-être ne nous sommes-nous pas trompés
ni de plaisirs ni de vie
Aller ensemble dans un lieu neutre par excellence autorise aussi le partage, encore peut-il être vécu par l’un et l’autre différemment : à la « plage » est associée la « page », une lettre suffit pour séparer la réalité de l’imaginaire. Certes, dans l’étreinte la certitude d’une unité est entière, même si chacun sait qu’elle est éphémère et fondée de manière différente ; une figure tout autre de l’unité du je et du tu est d’ailleurs donnée par la position du chat qui se couche entre leurs pieds — il se trouve un jour devant les portes fermées. Toujours chacun se heurte au mystère d’être, « nous aurions voulu être / tout à la fois, sans savoir quoi // chacun sa solitude / chacun/ sa cacophonie » et si le savoir rend possible l’échange, quelque chose reste infranchissable — dormir met provisoirement à distance la « cacophonie / le bruit d’être les uns / avec les autres ». Cependant, une vie avec l’Autre pourrait-elle « se résumer pour tout dire en une phrase ? » Elle existe dans le temps, s’est construite des souvenirs, se nourrit des moments présents et même de ce qu’il a été rêvé de faire ensemble. La rupture, c’est ce moment où on ne peut franchir l’écart entre le passé et le présent, comme si le temps se vidait de toute trace :
rien dans rien
les choses posées
rien
ne prend plus corps
fantômes
si tu t’en vas
L’Autre disparaît parmi les autres quand le "deuil" de l’amour est accompli. C’est à ce moment que revient un rêve d’abandon, « ce matin enfant perdu dans les bois », sans sortie possible (« on ne sort pas ») et cette perte de soi est immédiatement associée à la mère : le tu n’est plus la femme aimée mais celle qui « racontai[t] des histoires », histoires non pas d’abandon mais d’enfants qui jouent sous le regard de la mère, rêvant peut-être d’aventures très codifiées avec leur voiliers sur le bassin du jardin du Luxembourg. Les mots sur la laideur à la naissance sont une forme forte de rejet, le discours social dominant décidant que tout enfant est "beau" à son arrivée dans le monde.
Peut-on oublier l’abandon ? Le narrateur passe du je au on parce qu’il choisit de se taire — « on enterre on enterre / on fait des tas de terre » —, le silence (ou le sommeil) étant la seule réponse qui permet de maintenir une distance avec la violence du passé, de faire comme s’il appartenait à une autre vie.
Le titre, Une position pour dormir, ne s’éclaire que lentement dans ces poèmes qui mêlent deux histoires différentes, la première de perte, à peine esquissée, modifiant sans doute la seconde même si le narrateur tient à les distinguer, « et maman ou mère ou toi / non ». Plongée dans un vécu ou songe et réalité souvent difficiles à séparer, ce qui provisoirement éloigne les douleurs de la vie.
François Heusbourg, Une position pour dormir, Gallimard, 2024, 112 p., 16 €. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 17 novembre 2024.
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21/12/2024
Hommage à Jacques Roubaud (1932-2024) : C et autre poésie
La nuit s’est approchée
La nuit s’est approchée il n’est pas besoin de
se le dire dans l’épaisseur complète dans la nuit
d’empiètements pas besoin d’une parole pour
répandre dans la nuit en l’épaisseur cela.
que la nuit s’est approchée et dans la non
présence complètement emplie de l’épaisseur du
principe du plus intérieur principe réalité
de la nuit quand d’épaisseur je me retourne
de me le taire.
sujet à des chuchotements.
Là.
Jacques Roubaud, C et autre poésie,
NOUS, 2015, p. 229.
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20/12/2024
Hommage à Jacques Roubaud (1932-2024) : Quelque chose noir
Nonvie, II
Vision nulle au fond du verre épais et brun
Gagné en surface de veines mais jamais dit
Jamais dit au chant vogueur de ta voix rabattu
Du contre-jour tâtonnant à la gorge sans fin
Peut-être cachée derrière le sol avec ça
Grand ouvert du ciel à l’éclat supportable
Au milieu de ta chair et drainant un bruit de mouches
Qui fronce sur l’horizon où il fait bleu
Une heure verticale encore mais juste tes poumons
Jacques Roubaud, Quelque chose noir, Gallimard, 1986, p.141.
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19/12/2024
Hommage à Jacques Roubaud (1932-2024) : Quelque cose
Au matin
Je suis habitant de la mort idiote la tête comme un porridge
Les oiseaux s’envolent à l’avoine noire de fumée (il est quatre heures, il est cinq heures)
Les arbres s’habillent de fond en comble
Dans mon bol des archipels de boue noire qui fondent
Je bois tiède
L’église, le sable, le vent irrésolu
J’avance d’une ligne, à deux doigts
Je voudrais nous coucher tête-bêche
Tes yeux sur ma bouche à la place de ce rien
Jacques Roubaud, Quelque chose noir, Gallimard, 1986, p. 35.
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18/12/2024
Hommage à Jacque Roubaud (1932-2024) : ϵ
combien de poignées de neige jetions-nous sur les fleurs grises
les pivoines de fumer alors en jouant combien sur les remparts
dans les sentiers couverts de neige combien de neiges terriennes
jetions-nous sur les buissons osselets la prunelle la ronce la
réglisse le houx
savions-nous combien peu durerait le manteau de neige dans
les vignes les manches sous les ronces noires ou crevées dans
l’aire aux barbes des épis. combien peu de neiges nouvelles
fondraient à des anneaux de fer ou sur la brique du foyer sur
l’artère assombrie des braises
la neige était précieuse amande sur et tendre peu de jours de
peu même pas toutes les années ah garde vif le goût de neige
quand il faisait tomber le vent sur le parchemin des sous-bois le
golfe inerse des corneilles
quand nous éprouvions qu’il n’est que quelques neiges capables
d’un creux dans la mémoire capables d’éblouissantes fougères
fraîches sur une vitre qu’une bouche à l’aube couvre de buée
Jacques Roubaud, ϵ, Gallimard, 1988, p. 22-23.
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17/12/2024
Hommage à Jacques Roubaud (1932-2024) : La pluralité des mondes de Lewis
La forme n’est que le mouvement dont elle est la forme ; qu’elle ne retient pas mais qu’elle donne en commun, pour être poésie. Ainsi est-elle, parce qu’’ainsi est ce qu’elle peut faire de mieux’. Il ne lui est pas arrié d’être ainsi (il n’y a pas de forme ancienne) ; il ne lui arrivera pas d’être ainsi (il n’y a pas de forme future) ; elle est ‘ainsi, maintenant’ ; maintenant est la poésie.
Dans le présent infiniment mince est la forme, pour mettre en place le ‘maintenant’ de la poésie. Là est son inférence infernale : approcher au plus près le démon du silence, qui ‘implore notre secours.’ (D’où l’effroi, déguisé en indifférence, le recul des modernes devant la poésie).
Elle ne dit rien, ‘elle préfèrerait ne pas’. Ou encore : elle ne dit qu’en disant.
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis, Gallimard, 1991, p. 72.
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16/12/2024
Hommage à Jacques Roubaud (1932-2024) : Autobiographie, chapitre dix
131
Où l’on fait le point avec le lecteur
Si tu ne m’as pas, cher lecteur, abandonné depuis longtemps en route, peut-être te demandes-tu où nous en sommes ? question légitime. Moi aussi je me le demande. Auta nt qu’il m’en souvient, je t’ai parlé de ma famille, de la guerre, de mes amours, tu m’as accompagné dans mes voyages, tu as partagé avec moi le vin de la joie, le pain de l’absence (et vice versa), le sel de la douleur ; tu en as été ému peut-être. Mais enfin, tout cela, c’est du passé. Que va-t-il arriver MAINTENANT ?
Jacques Roubaud, Autobiographie, chapitre dix, Gallimard, 1977, p. 82.
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15/12/2024
En hommage à Jacques Roubaud, 1932-2024 : Jacques Roubaud, Dors
nuit
nuit
tu viendrais
les tilleuls
noirciraient
les fusains les
sauges
les villages
pousseraient contre
les collines
des lumières
les collines en
seraient noires
Jacques Roubaud, Dors,
Gallimard, 1981, p. 77.
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14/12/2024
Marc Cholodenko, De très brefs rêves
J’ai entendu ma voix mais je n’ai pas compris ce qu’elle disait. Ce n’est pas la première fois que je ne comprends pas ce que j’entends. Sauf qu’il s’agit de ma voix et de moi. Ou est-ce moi ou ma voix. Après tout quand j’étais petit je disais des choses incompréhensibles surtout pour moi. C’était au autres de les interpréter. Il faudrait que je trouve un autre qui est moi.
Mar Cholodenko, De très brefs rêves, P. O. L, 2024, p. 19.
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13/12/2024
Oscar Wilde, Poèmes
La tombe de Shelley
Comme des torches éteintes près de la couche d’un malade,
De maigres cyprès veillent la pierre que le soleil décolore,
La petite chouette y a établi sa demeure
Et le rapide lézard comme un joyau pointe sa tête.
Là où s’embrasent les calices des coquelicots,
Dans la chambre tranquille de cette pyramide,
Un Sphinx antique se tapit dans la pénombre,
Noir gardien de ce lieu de plaisir des morts.
Ah ! qu’il est doux de reposer dans le sein
De la Terre mère accomplie de l’éternel sommeil,
Mais pour toi bien plus douce une tombe inquiète
Dans la caverne bleue des profondeurs peuplées,
Ou bien là-haut, où les hautes nefs sombrent dans la nuit
Comme les rochers escarpés brisés par les vagues.
Oscar Wilde, Poèmes, traduction Bernard Delvaille,
Pléiade/Gallimard, 1996, p.10.
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12/12/2024
Au bord de l'Océan
Photos T. H. 2024
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11/12/2024
Oscar Wilde, Poèmes
Sur la vente aux enchères des lettres d’amour de Keats
Voici des lettres qu’écrivit Endymion
À celle qu’il aima en secret, sans rien dire.
Aujourd’hui, les braillards de la salle des ventes
Disputent chaque pauvre billet fané.
Pour chaque battement d’un cœur, les marchands
Font leur prix. Ils ignorent ce qu’est l’art,
Pour briser ainsi le cœur de cristal d’un poète,
Cupides yeux brillants de convoitise !
Ne dit-on pas qu’il y a bien des années,
Dans une ville de l’Orient lointain, des soldats
Ont couru, éclairant de leur torche la nuit,
Pour partager de pauvres vêtements
Et jouer aux dés les défroques d’un malheureux
Un Dieu dont ils ignoraient tout : miracle et douleurs.
Oscar Wilde, Poèmes, traduction Bernard Delvaille,
Pléiade/Gallimard, 1996, p. 21-22.
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10/12/2024
Oscar Wilde, Poèmes
Impressions
Le jardin
Le calice fané du lis tombe
Sur l’ombre du pistil doré
Et, dans les bouleaux de la lande,
Roucoule un ultime ramier.
Le tournesol à crinière de lion,
Noir et flétri, penche sur sa tige
Et, dans les allées du jardin venteux,
Volettent les feuilles mortes.
Les blancs pétales des blancs troènes
Forment des boules de neige,
Et les roses tombent dans l’herbe
Tels haillons de soie cramoisie.
Oscar Wilde, Poèmes, traduction Bernard
Delvaille, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard,
1996, p. 17-18.
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