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27/01/2024

Henri Pichette, Apoèmes

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Polichinelle, épelle-moi le monde.

L(Océan, l’Arbre et la Pierre

Sont d’inertes patries :

Où meurt l’arbre qui dort,

L’oiseau ne se décide

A rien, il est de pierre.

Femmes, ciguë, lys et

Serpents, votre heure sonne.
Vierges, l’amour appelle

Votre chair estimée.

Chassons la guerre ensemble.

Plus jamais d’hallali !

Plus de sang sur les plumes !

Plus d’hosties dans les pièges !

Garenne, tu es libre.

Si rien ne va, du moins

La mort va à l’encontre.

La pensée ;.. pourquoi elle

Plutôt que le butoir.

 

Henri Pichette, Apoèmes, Granit, 1979, p.23.

26/01/2024

Monique Laederach, Mots sur le bord d'être

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Quand parlerai-je encore avec amour

alors qu’il flotte comme une sorte de guirlande sucrée

entre la peau et la veille ?

Langue à moitié de musée,

striée de rêves obsolètes —

et c’est vrai : son piédestal même

n’était qu’erreur et poudre

aux yeux !

 

Ah ! Laisse ! Oublie !

L’ancien amour non plus

ne réchauffait mes poignets.

Et maintenant je ferme les yeux

sur son nom,

j’attends seulement

la douceur d’une peau,

d’un souffle,

d’un appel tiède

sur ma nuit.

Et mon noyau resserré

ferait fleur à la bouche

qui me l’offre.

 

Monique Laederach, Mots sur lebord d’être, dans

La revue de belles-lettres, 2023-2, p. 57.

25/01/2024

Monique Laederach, Cette absolue liberté de parole

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XIII

Tout a coulé dans l’innocence.

Tellement imbriqués l’amour la nuit le jour

et ce corps qui voulait bien qui

voulait davantage, n’avait

jamais de satiété véritable –

dans l’innocence et pourtant

la douleur.

 

L’amour jetant l’angoisse hors de ses gonds,

tirant, jetant et dans des frénésies

tellement aiguisées

que l’amour tu s’est fait amputation.

 

Alors, parfois, on s’asseyait dans l’herbe,

en restant immobiles,

juste une surface de peau sous le soleil,

à supposer qu’il y ait eu du soleil,,

immobiles dans un temps arrêté,

les précipices de mort à droite à gauche

qu’il fallait voir

qu’il fallait enfin accepter de voir.

 

Monique Laederach, Cette absolue liberté de

parole, dans La revue de belles-lettres, 2023-2, p. 23.

24/01/2024

Pierre Chappuis, Muettes émergences

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                         Noir et blanc

 

La lumière, non les couleurs. 

Chaleur et lumière pleinement, passées les dunes et les dernières traces de végétation, les derniers chardons à moitié enfouis dans le sable. Exclusif, l’œil ne retient, noir et blanc, que l’ombre portée d’une de ces barrières à claire-voie qui partout courent le long du rivage, plus ou  moins usées par le  vent.

 

Pierre Chappuis, Muettes émergences, José Corti, 2023, p. 141.

23/01/2024

Pierre Chappuis, Éboulis et autres poèmes

                              Pierre Chapppuis, Éboulis et autres poèmes, herbe

                              Éboulis

 

L’herbe est râpée. L’alpage, usé au point de lâcher.

 

Des arêtes percent et des moignons, des dents.

 

À ces confins se terrent encore de précaires abris ; dans les cailloux des moutons paissent.

 

Plus que de rares lichens.

 

Plus d’herbe, bien que s’enhardisse un papillon trompé par la chaleur de midi.

(...)

 Pierre Chappuis, Éboulis & autres poèmes, éditions Empreintes, 2005, p. 95-96.

22/01/2024

James Sacré, Les animaux sont avec toi, depuis toujours : recension

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                        « Les animaux sont avec toi, n’y sont pas »

 

Les animaux sont présents depuis fort longtemps dans les poèmes de James Sacré et apparaissent   même dans des titres, sans précision (Un oiseau dessiné sans titre et des mots, 1988) ou avec le nom d’un animal, Le taureau, la rose, un poème (1990). Un des titres, Des animaux plus ou moins familiers (1998) est devenu un vers de ce nouvel ensemble de cinq poèmes et pose la question de la familiarité, de la relation entre l’animal et les humains.

 

Les poèmes ont partiellement la forme de récits où, notamment, est évoquée l’enfance du narrateur — une figure de James Sacré ; elle s’est passée dans une ferme de Vendée et les animaux du quotidien étaient liés au travail agricole, la vache, la jument, le chien (qui fait revenir les soir les vaches à l’étable et accompagne à la chasse), la perdrix que l’on chasse ; ailleurs, au Maroc que connaît bien le narrateur, l’âne est aussi un auxiliaire précieux pour le travail et le transport. Écrire à propos des animaux si longuement fréquentés, c’est revenir vers des images de l’enfance qu’il faut rappeler régulièrement à la mémoire mais qui, cependant, s’effacent, comme les paysages que les remembrements successifs ont détruits. Le passé se réduit à des mots, le temps a fait son œuvre.

Que dire alors de cette présence familière des animaux, autrefois à la ferme, aujourd’hui dans la maison ou l’appartement pour beaucoup de nos contemporains ?

Quels liens se créent entre les animaux et celui qui les côtoie, utilise leurs aptitudes ou se limite à leur compagnie ? La familiarité instaurée conduit à leur donner un nom (pas un nom et un prénom), dans la ferme : « le chien Bob », « Les vaches / Chacune avec son caractère / La tranquille Blanchette, la Charmante / L’insupportable Muscadine / (…) Ardente la jument ». Cette tentative de rapprocher l’animal de l’humain rencontre vite ses limites. Que voit-on dans les yeux de l’animal ? interroge James Sacré. La peur, la méfiance — au moins échappe-t-il à la folie qui n’est qu’humaine. Combien de fois entend-on « il ne lui manque que la parole », à propos d’un chien ou de tout autre animal familier. C’est ainsi, involontairement, souligner l’impossibilité d’un échange par manque d’une langue commune, les gestes ne suppléant pas à tout : « Tu sais peut-être comment ton chien ou ton cheval / Vont répondre aux gestes que tu as/ Mais tu ne sais pas / Ce qu’ils pensent ».

Il n’y aurait rien d’autre à partager que le silence, la solitude. On sait bien que le mot « cheval », le mot « chien » ne sont que des mots. Ils suscitent pourtant des images venues des livres, des contes de l’enfance. Mais comme les souvenirs, ce sont des images qui « S’enfuient, charpie de quelques mots / Au fond des brumes du temps ». Dans le poème, les mots semblent prendre vie par la « musique et [le] rythme, mais est-ce bien un bison que l’on voit dans ces vers rimés ?

 

                       Le dessin d’un bison bourru

                       Ou le mot bison (désir éperdu)

                       Serait quelle vraie bête accourue

                       Sur de la pierre ou du papier nus ?

 

Dessin ou mots restent à jamais silencieux dans le poème, ils ne se mêleront pas aux bruits de la nature et les nombreux mots recopiés qui caractérisent les bruits émis par les animaux ne sont toujours que des mots, « c’est rien qui rugit ou qui couine ».

 

Écrivant à propos des animaux, James Sacré n’abandonne pas des thèmes qui charpentent ses livres, comme l’extrême difficulté de l’échange avec l’Autre, ici l’impossibilité humaine de sortir du silence face à l’animal. C’est aussi le temps de l’enfance, temps perdu de la proximité des bêtes totalement coupé du présent, que les mots ne feront pas revivre. « Si des animaux parlés, dessinés / Sont le vide et l’ailleurs / Du poème qu’on vient d’écrire ? »

 

James Sacré,Les animaux sont avec toi, Peintures de Guy Calamusa, Æncrages & Co, 2023, 40 p., 18 €. Cette recension a été publiée dans Sitaudis, le 21 novembre 2023.

21/01/2024

Pierre Chappuis, Le noir de l'été

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              Naissance de l’ennui

 

Ce qu’il croyait rejoindre en se mettant en route (l’été, lé belle insouciance de l’été), des forces adverses l’en éloignent sournoisement pour l’ankyloser toujours davantage, néfastes harassantes, bien plus incontournable que, dans sa  fougue, le vent. Toujours devant lui la même distance infranchie.

 

L’enfance, irrémédiablement une lézarde vient d’y  porter atteinte, la première par où s’infiltre la lèpre de la solitude.

Les lieux, portant les mêmes, lieux de toujours (comment, en un instant, défigurés ?), le temps, les lieux en partent, irascible, la marque. La garderont.

 

Nulle aide, nul attrait, nulle part.

Voix, inéluctablement (où donc aller ?), chaque tour de roue (à quoi bon ?) se fait plus pesant comme cs, au lieu d’avancer, soudain misérable, il reculait.

(…) 

Pierre Chappuis, Le noir de l’été, La Dogana, 2002, p.15-16.

20/01/2024

Pierre Chappuis, Entailles

pierre Chappuis, entailles, giboulée

Colombes,

colonne, ou trombe

en marche d’ouest en est `

à l’horizon.

 

Migration printanière.

 

Entraînée, la montagne

elle aussi se déplace.

                         (giboulée)

 

Pierre Chappuis, Entailles,

éditions Corti, 2014, p. 43.

19/01/2024

Pierre Chappuis, Comme un léger sommeil

pierre chappuis, comme un léger sommeil, vent, mot

L’envers des mots

 

Dans le lit du vent déployé à largeur d’horizon (vacarme, vacarme, un vacarme de déménagement), sur le rivage des saules qui pour un rien  tournent casaque, émoustillés ?

 

Parallèlement, mais à coups d’ébréchures., de crêtes échevelées, retournement intempestif des vagues.

 

L’envers des mots, (quelque ordre, désordre que ce soit) : l’éclat argenté, les plis de l’ample doublure de satin ne déguiseraient la vacuité ?

 

Pierre Chappuis, Comme un léger sommeil, José Corti, 2009, p. 42.

18/01/2024

Pierre Chappuis, À portée de la voix

                                      pierre chappuis, à pportée de la voix, nuit

                           Dans la clarté maintenue

 

Sans hâte, sur l’esplanade, le soir étend ses linges ici et là à même le sol entre les arbres, de moment en moment (oh ! le ralentissement de la durée) diffère la tombée de la nuit.

 

Au fond se dresse l’étroite façade de pierre jaune dont le sommet se perd dans les touffes d’arbres.

 

Flotter entre deux dans la clarté  maintenue, porté par le parfum des tilleuls.

 

Pierre Chappuis, À portée de la voix, José Corti, 2003, p. 23.

17/01/2024

Henri Michaux, Poteaux d'angle

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Village de guêpes. En as-tu connu d’autres ? Sinon, tu te serais habitué.

En combien d’autres sociétés, d’autres climats, d’autres époques aurais-tu pareillement été un raté ? Question à te poser.

Cela fait peur, mais peut guérir de beaucoup d’autosatisfaction injustifiée.

Dans « la civilisation occidentale », tu penses « ma civilisation ».

Si tu demeurais seul sur terre, quand bien même elle serait encore intacte (et même avec quelques-uns dans ton genre), qu’est-ce que tu arriverais à en faire marcher, de ‘ta’ civilisation ?

 

Si affaissé, brimé, si fini que tu sois, demande-toi régulièrement — et irrégulièrement — « Qu’est-ce qu’aujourd’hui encore je peux risquer ? »

 

Henri Michaux, Poteaux d’angle, dans Œuvres complètes, III, Pléiade / Gallimard, 2004, p.1055, .1056, 1057, 1062.

 

 

16/01/2024

Henri Michaux, Poteaux d'angle

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Le style, cette commodité à se camper et à camper le monde, serait l’homme ? Cette suspecte acquisition dont, à qui l’écrivain qui s’en réjouit, on fait compliment ? Son prétendu don va coller à lui, le sclérosant sourdement. Style : signe (mauvais) de la distance inchangée (mais qui eût pu, eût dû changer), la distance où à tort il demeure et se maintient vis-à-vis de son être et des choses et des personnes, bloqué ! Il s’était précipité dans son style (ou l’avait cherché laborieusement). Pour une vie d’emprunt, il a lâché la totalité, sa possibilité de changement, de mutation. Pas de quoi être fier. Style qui deviendra manque de courage, manque d’ouverture, de réouverture : en somme une infirmité.

 

Henri Michaux, Poteaux d’angle, dans Œuvres complètes, III, Pléiade/Gallimard, 2004, p. 1054-1055.

15/01/2024

Henri Michaux, Émergences-résurgences

 

                            Émergences-résurgences, nuit, noir

Dès que je commence, dès que se trouvent mises sur le papier noir quelques couleurs, elle cesse d’être une feuille, et devient nuit. Les couleurs posées presque au hasard sont devenues des apparitions ... qui sortent de la nuit.

 

Arrivé au noir. Le noir ramène au fondement, à l’origine.

 

Base des sentiments profonds. De la nuit vient l’inexpliqué, le non-détaillé, le non rattaché à des causes visibles, l’attaque par surprise, le mystère, le religieux, la peur..., et les monstres, ce qui sort du néant, non d’une mère.

 

Henri Michaux, Émergences-résurgences, dans Œuvres complètes, III, Pléiade/Gallimard, 2004, p. 556-7-8.

14/01/2024

Henri Michaux, Façons d'endormi, façons d'éveillé

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Le rêve, on le sait, donne des équivalences ; assez avilissantes le plus souvent, et terre à terre.

On n’y reconnaît très mal ce qui, de jour, est considéré avec enthousiasme ou idéalisme. L’amour n’y échappe pas. Le sentiment qui en faisait l’unité, qui en donnait le sens et l’atmosphère disparaît, comme s'il ne comptait pas. La matérialité est mise au premier plan. Non pas que le rêve salisse nécessairement l’amour. Mais plutôt il ne le voit pas, ni du reste la haine, ou l’aversion. Les sentiments le font songer à des objets, les objets ordinaires de notre vie quotidienne, de notre ordinaire le plus ordinaire. Il faut qu’il dénature, qu’il passe à des choses, et les choses mêmes, qu’il les fasse passer dans une autre catégorie.

 

Henri Michaux, Façons d’endormi, façons d’éveillé, dans Œuvres complètes, III, Pléiade/Galimard, 2004, p. 495.

13/01/2024

Henri Michaux, Passages

                              henri michaux, passages, araigné

Combien d’araignées sont mortes, desséchées, attendant des mouches succulentes tout près, tout près, mais pas assez près néanmoins, et sont tombées pour finir, grises, légères, délicates, que la vie n’a pas entretenues et qu’elle eût entretenues laides et déplaisantes, vulgaires.

 

Henri Michaux, Passages, dans Œuvres complètes, II, Pléiade / Gallimard, 2001, p. 346.