23/09/2024
Leontia Flynn, Pertes et profits
Cinq versions ridicules de Catulle
2
Tu veux savoir combien de tes baisers
seraient assez pour moi — et plus qu’assez ?
Autant que les grains « aux vertus réparatrices »
qui gisent sur les plages de sable lointaines,
entre les lupanars que nous prions la nuit
et les ruines légendaires pour gogos.
Ou autant que les étoiles, les nuits calmes,
ignorent les gestes furtifs des amants.
Voilà le nombre de fois qu’il faut t’embrasser.
Je suis dingue, donc c’est assez, « plus qu’assez »
— et c’est plus que les prudes peuvent compter,
guigner, rabaisser de leurs langues frétillantes.
Leontia Flynn, Pertes et profits, traduction de
l’anglais (Irlande du Nord) Théo Bourgeron,
Le Corridor bleu, 2024, p. 109.
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22/09/2024
Leontia Flynn, Profits et pertes
Anecdote
Tu te trouves soudain méchamment éméchée
à une entrée chic dans un dock rénové.
Tu parles trop vite à un homme presque beau,
beauté hollywoodienne — sauf les horribles dents.
Pourquoi ces dents ? Convexes comme celles d’un requin !
Et c’est la dernière pensée que tu retiens
quand tu t’éveilles dans une pièce inconnue.
Au-dessus de ta tête, de la poussière cosmique
tortille la lumière, tu vois la trace étrange
de chaussures jetées, manteau roulé, jean déserté
qui ne mène, hélas, qu’à l’impasse de toi-même.
Tu inspectes une ampoule douteuse sur ton pouce
mais l’indice est muet — donc tu vas dans la rue
où des pigeons s’égayent — ouurrrpp — au bruit de la porte
puis, un à un, reprennent sombrement leur place.
Leontia Flynn, Profits et pertes, traduction de l’anglais (Irlande
du Nord) Théo Bourgeron, Le Corridor bleu, 2024, p. 61.
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21/09/2024
Leontia Flynn, Pertes et profits
Pense-bêtes
Horaires de messe et collecte des poubelles,
Les noms et quantité de gélules à prendre,
Mes parents mesurent à leurs heures
dans l’arrière cuisine, ponctuels comme la mer,
bercés par la bouilloire et la radio ;
Une mouche termine son Grand Prix vrombissant
dans la pièce, puis se pose sur le volet.
« Ne pas laisser les clés dans la serrure »
dit un papier en majuscules, épinglé
sur la porte, par-dessus la clef, dans la serrure.
Leontia Flynn, Pertes et profits, traduit de l’anglais
(Irlande du Nord) par Théo Bourgeron, Le Corridor
bleu, 2024, p. 29.
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20/09/2024
Novalis, L'Encyclopédie
Du caractère musical de toute association et société. Des rapports musicaux seraient-ils la source de tout plaisir et de tout déplaisir ?
Le rêve est souvent signifiant et prophétique, parce qu’il est un effet naturel de l’âme — et repose par conséquent sur un ordre associatif. Il signifie à la manière de la poésie — mais, par là même, sans règle — de façon absolument libre.
Les hommes vraiment actifs sont ceux que —les difficultés stimulent.
On ne doit prend aucune garde (ne prêter aucune attention) à ce qui est désagréable.
Novalis, L’Encyclopédie, traduction Maurice de Gandillac, éditions de Minuit, 1966, p.278, 279, 280, 280.
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19/09/2024
Novalis, L'Encyclopédie
Se fiancer = s’efforcer d’attirer l’attention.
Il est étrange que la liaison entre volupté, religion et cruauté n’ait pas depuis longtemps attiré l’attention sur leur affinité interne et sur leur tendance commune.
Du plaisir sexuel — de l’aspiration nostalgique au contact charnel —de la satisfaction en présence de corps humains dénudés. S’agirait-il d’un secret appétit de chair humaine ?
Extase — phénomène lumineux intérieur = intuition intellectuelle.
La mémoire est le sens individuel — l’élément d’individuation.
Novalis, L’Encyclopédie, traduction Maurice de Gandillac, éditions de Minuit, 1966, p. 282, 283, 284, 285, 286.
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18/09/2024
Antonin Artaud, L'Anarchie sociale de l'art
POST-SCRIPTUM
Qui suis-je ?
D’où je viens ?
Je suis Antonin Artaud
et que je le dise
comme je sais le dire
immédiatement
vous verrez mon corps actuel
voler en éclats
et se ramasser
sous dix mille aspects
notoires
un corps neuf
où vous ne pourrez
plus jamais m’oublier
Antonin Artaud, Le Théâtre de la cruauté,
dans Œuvres complètes, tome XIII, Gallimard,
1974, p. 118.
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17/09/2024
Paul Claudel, Dodoitzu
D’UN SEUL BOND
Je t’aime je suis venue
Le torrent et les montagnes
Les forêts et la campagne
Je ne m’en suis pas aperçue
IN ONE BOUND
Dear love I have come!
Forrest and hill’s over
Roaring wave and snow
Dear love I saw none.
Paul Claudel, Dodoitzu,
Gallimard, 1945, np.
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16/09/2024
Paul Claudel, Dodoitzu
L’AMOUR MUET
Chante pour ma fête
Cigale à tue-tête !
Mais combien c’est mieux
Cette mouche-à-feu
Qui san aucun bruit
Brille dans la nuit
L’amour lui brûle le corps !
MUTE LOVE
Sing still it hurts !
Cricket till it brusts !
But how much better
The firefly’s glitter
Which at light voiceless
Shines away ceaseless
Burning soul and body.
Paul Claudel, Dodoitzu,
Gallimard, 1945, np.
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15/09/2024
Paul Claudel, Dodoitzu
PARTOUT !
La lune au levant
Le soir au couchant
La lune là-haut
L’étoile dans l’eau
Sens dessus dessous
Mon amant partout !
EVERYWHERE
Moon rising
Stars setting
Moon all over
Star in water
Topside down
— I love my own!
Paul Claudel, Dodoitzu,
Gallimard, 1945, np.
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14/09/2024
David Bosc, L'incendie de l'Alcazar
que c’est en somme depuis le salariat
que peu à peu il s’est perdu de vue
et que pour finir il ne sait plus
qui prend le train quand il prend le train
et regarde filer le paysage
inchangée
en revanche
la terreur placide qui le laisse à la porte
des autres gens
impatient toujours de prendre congé
en gardant, cela va sans dire
sa propre porte verrouillée
(mais c’est
une maison de poupées
il y manque le toit
et l’un des quatre murs)
David Bosc, L’incendie de l’Alcazar,
Héros-Limite, 2024, p. 95.
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13/09/2024
David Bosc, L'incendie de l'Alcazar
mais alors que faire ?
rien
ne fais rien
fais ce que tu veux
ne va pas imaginer
ce que tu pourrais faire
pour que les autres
vivent comme il faut
personne ne t’a passé commande d’une civilisation
David Bosc, L’incendie de l’Alcazar, Héros-Limite,
2024, p. 92.
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12/09/2024
David Bosc, L'incendie de l'Alcazar
lieux imprimés
par les yeux-gouges de l’enfant
où l’on revient en visiteur
en voleur
En propriétaire
(quand ça n’est pas à son esprit défendant
qu’on s’y trouve transporté
enfermé, baladé
ramené, ramené, ramené)
précipités de nature sauvage
derrière la palissade
le mont pelé d’une solitude
dans un angle inondé de soleil
où l’on se tenait accroupi, oublié, stylite
la forêt de quatre arbres modus
la terre grattée par les joueurs de billes
la ave noir et chaude
au parfum d’encaustique et de pétrole lampant
David Bosc, L’incendie de l’Alcazar,
Héros-Limite, 2024, p. 71.
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11/09/2024
David Bosc, L'incendie de l'Alcazar
en l’absence de minotaure
il s’est assis
sur ses talons et creuse
- il a cessé de parcourir
le labyrinthe nul
qui n’est fait que d’issues
on l’a confié à la petite ville
aux couloirs aux salles d’attente
aux cages d’escaliers où la moquette est sur les murs
dans l’anachronisme de toute enfance
dans le toute allure interminable
des petites années
David Bosc, L’incendie de l’Alcazar,
Héros-Limite, 2024, p. 65.
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10/09/2024
David Bosc, L'incendie de l'Alcazar
les rangs de pommiers, la route et la haie noire
dans l’étau inhumain
du crépuscule
jusqu’à ce que s’ouvre
à travers la poitrine
un appétit inquiet d’animal nocturne
l’oreille parvient à museler
l’aboi misérable des chiens
la narine insensiblement
déplace vers le fond
les remugles criards de poubelles qui débordent
et tout entier tu t’ouvres à de menus miracles
de feuilles émues de fruits tombés
de remuements d'amour
au ventre d’un cyprès
David Bosc, L’incendie de l’Alcazar,
Héros-Limite, 2024, p. 50.
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09/09/2024
Eugenio de Signoribus, Isthmes & écluses
— oublie le doute ! oublie
le destin gris !
ceux qui vous tirent à eux sont nombreux
les sûrs les aveugles les yeux de lynx
les granitiques graticulant
qui ne voient pas de failles dans leurs propos
mais seulement, coûte que coûte, le maintien
dans le contingent servile…
pourtant cette vie limitrophe n’est pas
recherche de la carte perdue
mais une brèche solitaire
un autre remède à la blessure
Eugenio de Signoribus, Isthmes & écluses,
traduction Thierry Gillybœuf, Rehauts,
2024, p. 135.
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