04/11/2025
Christian Prigent, Artaud, le toucher de l'être

Artaud accomplit dans la violence, dans les mots, dans la radicalité du geste stylistique, un destin d’humain pour autant qu’humain veut dire parlant. Et s’il l’accomplit, c’est parce que ses écrits sont sans doute, parmi tous ceux que compte notre « bibliothèque », ceux qui emportent au plus loin le tracé de ce qui fonde l’être humain en tant qu’être séparé parce qu’il parle. La puissance de fascination que peut exercer Artaud vient à mon sens de la sensation qu’il donne de pousser à bout d’une façon à la fois savante et impulsive, implacablement rythmée et superbement arrogante dans sa douleur même, cette logique de la séparation : parce qu’il forme sans cesse la langue (le chant) du séparé (d’avec le corps, d’avec le monde) et nous assène à chaque coup la vérité sans fleurs. Or, c’est là, à mon sens, le point névralgique auquel touche toute expérience littéraire digne de ce nom. Artaud nous situe au cœur d’une question à laquelle aucune formule théorique ou stylistique ne saurait répondre sinon par la mise en évidence de sa propre énigme et de son propre ratage – au sens où l’œuvre d’Art est ratée mais où c’est dans ce ratage magnifique qu’est sa nécessité (son toucher de l’être). C’est dans ce commentaire infini sur le ratage de l’humain (son inadéquation au réel immédiat et à sa propre réalité corporelle), que se trouve, je crois, la vérité de l’expérience littéraire.
Je suis frappé de voir que les jeunes gens qui écrivent aujourd’hui ne lisent plus guère Artaud. Il n’appartient pas à leur bibliothèque. Peut-être est-ce l’une des conséquences de leur méfiance envers toute tentative de penser globalement la question de la littérature, voire d’une sorte de rejet de la littérature comme pensée et de l’interrogation théorique sur l’essence de la littérature.
Christian Prigent, Artaud, le toucher de l’être, entretien avec Olivier Penot-Lacassagne, dans Artaud en revues, sous la direction d’O. Penot-Lacassagne, L’Âge d’Homme, 2005, p. 137-138.
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06/10/2025
Christian Prigent, Artaud, le toucher de l'être

Artaud accomplit dans la violence, dans les mots, dans la radicalité du geste stylistique, un destin d’humain pour autant qu’humain veut dire parlant. Et s’il l’accomplit, c’est parce que ses écrits sont sans doute, parmi tous ceux que compte notre « bibliothèque », ceux qui emportent au plus loin le tracé de ce qui fonde l’être humain en tant qu’être séparé parce qu’il parle. La puissance de fascination que peut exercer Artaud vient à mon sens de la sensation qu’il donne de pousser à bout d’une façon à la fois savante et impulsive, implacablement rythmée et superbement arrogante dans sa douleur même, cette logique de la séparation : parce qu’il forme sans cesse la langue (le chant) du séparé (d’avec le corps, d’avec le monde) et nous assène à chaque coup la vérité sans fleurs. Or, c’est là, à mon sens, le point névralgique auquel touche toute expérience littéraire digne de ce nom. Artaud nous situe au cœur d’une question à laquelle aucune formule théorique ou stylistique ne saurait répondre sinon par la mise en évidence de sa propre énigme et de son propre ratage – au sens où l’œuvre d’Art est ratée mais où c’est dans ce ratage magnifique qu’est sa nécessité (son toucher de l’être). C’est dans ce commentaire infini sur le ratage de l’humain (son inadéquation au réel immédiat et à sa propre réalité corporelle), que se trouve, je crois, la vérité de l’expérience littéraire.
Je suis frappé de voir que les jeunes gens qui écrivent aujourd’hui ne lisent plus guère Artaud. Il n’appartient pas à leur bibliothèque. Peut-être est-ce l’une des conséquences de leur méfiance envers toute tentative de penser globalement la question de la littérature, voire d’une sorte de rejet de la littérature comme pensée et de l’interrogation théorique sur l’essence de la littérature.
Christian Prigent, Artaud, le toucher de l’être, entretien avec Olivier Penot-Lacassagne, dans Artaud en revues, sous la direction d’O. Penot-Lacassagne, L’Âge d’Homme, 2005, p. 137-138.
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04/12/2011
Henri Pichette, Odes à chacun

Pichette par Antonin Artaud
L'ode à chacun
Je dirai le meunier, le forain, le tourneur,
Le mitron, le clown blanc, l'échevelé glaneur,
La foi du charbonnier au grand jour témoignée,
L'horticulteur fleuri, la coiffeuse orpeignée,
La trame de la vie aux doigts du tissutier,
Le ruban bleu de lune à l'avant du routier,
Le peintre qui respire au balcon de ses toiles,
l'infini matelot, le pilote aux étoiles,
Celui qui fait la pluie avec un arrosoir
Et l'autre le foyer reprendre à l'attisoir,
Le tombelier dos rond sous les averses drues,
Le salubre éboueur, le balayeur des rues,
Le cordonnier qui tient l'usure des chemins,
Le bateleur habile à marcher sur les mains,
L'ongle en deuil du typo qui désigne la faute,
L'éclusier qui caresse un rêve d'argonaute,
L'humble boulanger qui des pauvres fait la part,
Le vieux curé pour qui ce n'est jamais trop tard,
L'éleveur d'alevin sur l'eau d'un lac de combe,
Le calme jardinier qui met la terre en tombe,
L'empailleur d'animaux qui les veut l'air vivants,
Le vivier au cri de cristal à tous vents,
L'agriculteur masqué s'escrimant aux abeilles,
La cueilleuse de cerises pendants d'oreilles,
Le fermier en haut lieu sur le foin engrangé,
La bonne qui babille au poupon frais langé,
[...]
L'obscur enlumineur les heures adornant,
Et le maître verrier qui d'en bas suit la pose
Des lumières dans la résille de la rose,
Ô librairie en fleurs ! Ô monde romancier !
Ô grand livre imprimé par le divin pressier !
Beau photographe d'art ! tireur subtil d'eaux-fortes !
Chimiste entre les serpentins et les retortes !
Nomenclateur sur les trois règnes incliné !
Frère zoologiste ! ô biologue-né !
Cosmosophe pétri de très vieille sapience
Et poète bordant le berceau de prescience !
Vous, savant avancé dans l'atome essentiel,
Astronome à l'orée admirable du ciel !
Yeux du soudeur à l'arc sous le pare-étincelles !
Ô temps que l'horloge prend avec ses brucelles !
Et celui-là, plus loin sitôt qu'il a bouclé
Le jour de la serrure et l'anneau de la clé.
Henri Pichette, Odes à chacun, Gallimard, 1988, p. 11 et 30.
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