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30/06/2015

Brume du matin

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Brume au-dessus de la vallée

 

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Brume sur la forêt

 

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Brume en Aveyron

29/06/2015

Gerard Manley Hopkins, Carnets-Journal-Lettres

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Les arbres sont connus

 

Par ce qu’ils portent, mais moi —

 

Ma sève est scellée,

 

Et sèche ma racine.

 

 

 

Si je ne puis avoir

 

Une vie intérieure

 

(Sinon pour fauter)

 

Ni produire de fruits

 

Cela doit être que

 

Je n’aime pas.

 

Est-il quelqu’un

 

Pour me prouver

 

Que j’ai mal raisonné ?

 

Car si je me condamne

 

Je ne perds pas confiance

 

S’Il m’éprouvait

 

Et me sondait

 

Ne trouverait-il pas (ce qui pourtant

 

Doit être là

 

Dissimulé derrière).

 

 

 

Gerard Manley Hopkins, Carnets-Journal-Lettres,

                                    traduits et présentés par Hélène Bokanowski

 et Louis-René des Forêts, Bibliothèque, 10/18,

 

 1976, p. 60.

 

28/06/2015

Alberto Giacometti, Écrits

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Paysage ! Paysage ! Ciel du matin, ciel du soir toujours doré là-bas au fond. Ah ! Comment dire ? On ne peut pas dire, il faut les peindre les grands ciels liquides et les avoir et les a r b r e s ! les arbres ! les arbres !

 

Depuis quinze jours j’essaie de faire des paysages. Je passe toutes les journées devant le même jardin, les mêmes arbres et le même fond. J’ai vu ce paysage la première fois le matin, brillant de soleil, les arbres couverts de fleurs, et dans le fond, très loin, les montagnes couvertes de neige. C’est ça que je voulais peindre mais depuis le ciel est moins clair, il pleut souvent, les montagnes je ne les vois plus depuis quinze jours, les fleurs sont fanées, les blanches et les lilas, et je continue mes paysages jusqu’à la nuit. Chaque jour je vois un peu plus que je ne vois presque rien et je ne sais plus du tout comment, par quel moyen, je pourrais mettre sur la toile quelque chose de ce que je vois. Tout espoir de rendre la vision du premier jour est disparu mais cela m’est assez indifférent. Ce paysage ne devait être qu’un commencement. C’est celui que j’ai tout le temps sous les yeux devant la porte de mon atelier, j’en ai vu beaucoup d’autres dans les environs que je voulais faire aussi, un je l’ai commencé un jour.

 

Alberto Giacometti, Écrits, Hermann, 1990, p. 202.

27/06/2015

Georges Braque, Le jour et la nuit

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En art, il n’y a pas d’effet sans entorse à la vérité.

                                *

Contentons-nous de faire réfléchir, n’essayons pas de convaincre.

                                 *

Il ne faut pas imiter ce que l’on veut créer.

                                  *

Il n’est en art qu’une chose qui vaille : celle qu’on ne peut expliquer.

                                   *

C’est la précarité de l’œuvre qui met l’artiste en posture héroïque.

                                    *

Faute de pouvoir adapter un vocabulaire périmé, le critique condamne.

                                     *

L’écho répond à l’écho. Tout se répercute.

 

Georges Braque, Le jour et la nuit, Gallimard, 1952, p.10, 11, 11, 12, 13, 14, 30.

26/06/2015

Max Ernst, Écritures

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Laïcité

 

Ne pas confondre

le baiser de la fée

avec

la fessée de l’abbé.

 

 

Soliloque

 

Pour apprendre à lire et à écrire

Ignorez la parole aux œufs durs

Pour apprendre à boire et à manger

Inaugurez la pêche au soleil levant.

 

La Paix

             la guerre

                            et la rose

 

la paix : source fraîche et amère

la guerre : le général rit sous cape

                      au nez du pape

la rose : nulle rose ne pleure virginité

 

Max Ernst, Écritures, Gallimard, 1970, p. 374, 375 et 373.

 

25/06/2015

Jean Arp, Jours effeuillés

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Sur le dos ou sur le ventre

 

Le jour est parfois plat.

On a beau faire

on n’arrive pas à s’élever.

Il n’y a personne pour s’élever.

On est forcé de rester plat

sur le dos ou sur le ventre

plat comme une feuille de papier

dans un bloc à écrire.

 

                       *

 

La petite obèse

détrompe ses nains

décroche sa cour.

Elle court elle ronronne

au nom d’une roue.

Elle est à bout.

Les nains s’étonnent.

Leur belle patronne

se décèlerait si vite,

plierait si vite ses cris

pour devenir une grande grenouille

rouge et chaude

donnant du lait ?

Le temps est gris

et mécontents les nains se plient

vivants et crus

et tour suit tour

nuage nuage.

 

Jean Arp, Jours effeuillés, Gallimard, 1966, p. 473, 462.

24/06/2015

Dino Campana, Chants orphiques

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Jardin d’automne

 

 

 

Vers le jardin spectral et le laurier muet

 

Aux vertes guirlandes

 

Vers la terre automnale

 

Un dernier salut !

 

Vers les pentes arides

 

Apres rougies dans la fin du soleil

 

Désordre de rauques rumeurs

 

Crie la vie lointaine :

 

Crie au soleil mourant

 

Qui ensanglante les massifs.

 

On entend une fanfare

 

Qui monte déchirante : le fleuve disparaît

 

Dans les sables dorés : dans le silence

 

Les statues blanches se dressent, tournées

 

Vers la tête des ponts : et les choses déjà ne sont plus.

 

Et du profond silence, une sorte de chœur

 

Grandiose et tendre

 

                        Surgit et soupire vers mon balcon :

Et en arôme de laurier

 

En arôme d’âcre laurier languissant,

 

Parmi les statues immortelles dans le crépuscule

 

Elle m’apparaît présente.

 

 

 

(Florence)

 

 

 

Dino Campana, Chants orphiques, traduction de l’italien par Michel Sager, Seghers, 1977, p. 49.

 

23/06/2015

François Muir, Le jeûne de la vallée

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Liens

 

Tel tracé aux pétales,

Aux courses filantes

La demeure sous les mains,

Épanouie, quelle rose

Innocente au venin ?

Sous la bise, le sable

Se tourne aveugle

Le chandelier, l’équarrisseur

Ce dehors du monde

Au levant réfracté

N’est-il d’autre semis ?

En joue, martèle l’enclume

De notre semence, à quelle encablure

résonne ce pas, ruines de l’orbe ?

 

Cailloux

 

Mutins,

Boyaux sous l’humus des forêts,

Rampent et colloquent

Espiègles,

L’étendard dressé,

S’échappent en comptines

Sur les digues apparaissent,

Ogres inaltérés

Bas serpes et dagues,

Au salut du semeur

En sa retraite, l’homme de cirque,

Tintant cailloux,

D’or les blasons

Que nul ne possède

 

François Muir, Le jeûne de la vallée, La Lettre volée,

2015, p. 16 et 25.

22/06/2015

Marie Étienne, extrait de Onze petits contes

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3 janvier 2008

 

   Elle constatait avec effroi que son appartement dominait, surplombait la falaise. Ou plus exactement que son prolongement, un espace ni privé ni public, ne se terminait pas, se terminait sur le néant, un vide après lequel il n’y avait plus rien.

   Et elle pensait à la petite qui lui rendrait visite, au terrible danger qu’elle y rencontrerait, elle s’étonnait, elle s’insurgeait contre elle-même : comment avait-elle pu ne pas en tenir compte au moment de l’achat ?

   Son compagnon disait : la falaise s’effondre. Il avait ajouté quelque chose sur la bêtise des promeneurs qui abîmaient les bords de mer, et sur ceux, qui ensuite, y dressaient leur maison.

   Et justement c’était son cas. Devait-elle en changer ?

 

   À quelques jours de là, elle aperçut un pré en pente, très incliné, planté peut-être de lavande — une herbe drue et bleue. En haut du pré, une haie d’arbres, irrégulière, derrière laquelle une maison. « Sa » maison qui l’attend. « Sa » ou « une » mais c’est elle qu’elle attend.

 

Marie Étienne, Onze petits contes, dans Marie Étienne : organiser l’indicible, textes réunis et présentés par Marie Joqueviel-Bourjea, éditions L’improviste, 2013, p. 117-118.

21/06/2015

Francis Cohen, Les choses que nous savons

                Francis Cohen, Les choses que nous savons, écrire, peur, crasse, danse

                                         Crasse

 

(Peut-être... Écoutez... Vous avez commencé la lecture de la traduction écrite. La voix qui vous parle où il n’y a rien.

Il a écrit ceci.

Il vous parle, il écrit : Non, je n’ai pas vu ceci, je suis en train.

 

Je suis en train d’écrire ?)

 

Où suis-je ?

Un dossier.

 

Ils savent en venir à bout.

 

Vous savez ce que c’est, chaque jour suffit, en quelques minutes, en musique.

 

Il y a beaucoup à dire à leur propos. Exactement tout ce qu’ils ne peuvent raconter jusqu’à leur disparition complète.

 

Quand il n’existe plus, elle meurt de confusion.

Il gobe l’air, inerte. Ils abusent de l’eau, d’ailleurs les mains ne ferment pas les yeux. Point de réaction entre les doigts — soit une bave nacrée.

 

Oui. Amorphe si bien qu’elle danse sans fin. Ils l’épuisent pour des mains plus propres.

 

Se ride, se fendillent. Les peurs fendent l’oubli.

 

[...]

 

Francis Cohen, Les choses que nous savons, NOUS, 2015, p. 64-65.

 

20/06/2015

Erich Fried, La Démesure de toutes choses

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                     Valeur durable de la littérature

 

   On demandait à un écrivain allemand qui n’avait pas mauvaise opinion de lui-même s’il aimerait changer sa place avec celle du président des États-Unis.

   « D’un côté, oui, dit-il enfin. Si on considère les choses à court terme, j’aurais même le devoir de faire l’échange. On éviterait presque à coup sûr une guerre atomique. Des centaines de milliers d’êtres humains qui sont aujourd’hui menacés resteraient en tous cas en vie. Même contre la faim en Aise, an Afrique et en Amérique du Sud, je saurais faire mieux que simplement promouvoir la libre économie de marché. Mais d’un autre côté... » Il secouait la tête, plein de scrupules.

   « Quoi, d’un autre côté ? lui avons-nous demandé. Qu’est-ce qui pourrait encore contrebalancer cela ? »

   Il nous a regardés longuement : « Ce n’est pas du tout aussi simple. Considérez donc : cet homme serait du coup écrivain à ma place. Imaginez les écrits qu’ils concocterait, et certainement qu’il publierait, dans sa soif d’un vaste public. Je le sais, la littérature n’a pas un effet aussi immédiat que les bombes atomiques, en revanche son action en est plus durable, se prolongeant souvent pendant des siècles. Non, il est impossible de se représenter quel genre de malheur il en sortirait à long terme. »

   Nous l’avons quitté, un espoir en moins.

 

Erich Fried, La Démesure de toutes choses, traduit de l’allemand par Pierre Furlan, Actes Sud, 1984, p. 80-81.

19/06/2015

Paul Claudel, L'Oiseau noir dans le soleil levant

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                                         Haï-kaï

 

                     nuit du 1er septembre 1923 entre Tokyo

                                       et Yokohamaî

 

   À ma droite et à ma gauche il y a une ville qui brûle mais la Lune entre les nuages est comme sept femmesblanches.

   La tête sur un rail mon corps est mêlé au corps de la terre qui frémit. J’écoute la dernière cigale.

   Sur la mer sept syllabes de lumière une seule goutte de lait.

 

Paul Claudel, L’Oiseau noir dans le soleil levant, dans Connaissance de l’Est, suivi de L’Oiseau..., préface de Jacques Petit, Poésie / Gallimard, 1974, p. 198.

18/06/2015

Bruno Fern, Le petit test

 

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   En quatrième de couverture, Bruno Fern renvoie explicitement au Testament, invitation modeste à lire Le petit test comme un prolongement de ceux de Villon ; il repose sur une lecture approfondie du poète du Moyen Âge, non pour imiter, à quelque point de vue que ce soit, mais pour en conserver l’esprit : l’humour, une certaine paillardise, le plaisir de parler des choses de la vie quotidienne et d’être dans une « matière pleine d’érudition et de bon savoir ».

 

   « Voici un livre fait de greffes et d’excroissances », précise Bruno Fern. L’une des greffes consiste à retenir le huitain du Testament — il y en a cent — et à y introduire d’autres éléments, non des ballades mais trois envois, le livre s’achevant par un « renvoi ». Les vers ne sont ni comptés ni rimés, mais il faut tout de suite indiquer les exceptions. Un huitain est en vers de 3 syllabes et rimé, aaaabcbc (93)1, le suivant en vers mêlés, 44544544, avec rimes, abbcbcac (94), et sa seconde version en vers de 4 syllabes, non rimé (94). Le lecteur relèvera ici et là des rimes : elles ont toujours une fonction qui déborde le rôle habituel ; ainsi reprenant « le trou Perrette », qui rimait chez Villon avec « cornette », Bruno Fern développe autrement le thème burlesque (ou paillard, si l’on veut) (59):

 

préférant (et de loin) le trou Perrette

qui sent pas que la violette

mais le rose nuancé bat

ant jusqu’au sang [..]

 

   On trouvera des variations d’un autre genre. Un poème est uniquement formé de questions prélevées dans Villon ; le premier vers d’un autre, « celer mes amours », vient aussi du Testament (« Je pense celer mes amours, xcv), dans les vers suivants seul le complément est conservé (« mes amours »), le premier mot retenu est homophone du verbe ou en conserve la première syllabe :

 

celer mes amours

 

seul et    "      "

semer     "      "

seller      "      "

serrer       "      "

céder      "      "

 cesser     "      "

c.v.         "      "

 

   Une autre greffe, comme on l’a vu ci-dessus, consiste à introduire dans chaque poème un fragment emprunté à Villon, signalé en caractères gras. On situe sans trop de difficulté des vers ou des parties de vers (« Dieu sait quelle sueur », « Les vers n’y trouveront pas graisse »), mais Bruno Fern introduit des grains de sable : par exemple, reprenant le vers de Villon « En petits bains de femmes amoureuses », il remplace "femmes" par "filles" ; par ailleurs, « en », « plus aigu », « des flûtes », etc., présents dans le Testament, pourraient évidemment se trouver ailleurs... Un mot repris dans le Testament est commenté, non pour sa place juste dans le vers original mais en tant qu’élément grammatical adéquat : « rondement / c’est l’adverbe qui convient ».

   Comme le faisait Villon, Bruno Fern mêle les registres et le vocabulaire dit populaire, ou familier, est bien représenté : kif kif, fastoche, cool, triquer, tire-larigot, rien à branler, accro, à donf, etc. Mais surtout, il introduit dans presque tous les poèmes des lieux communs, des slogans publicitaires, des formules de mode d’emploi, des syntagmes propres à l’administration, toutes manières complètement usées d’être dans la langue qui, mises ici en évidence, apparaissent pour ce qu’elles sont, marques d’une totale absence d’inventivité : y a pas photo, ça le fait pas, y a comme un défaut, [Pince-mi et Pince-moi] sont sur un bateau, sonnerie personnalisée, intégralement recyclables, etc. — ajoutons ce qui est en relation directe avec l’actualité, par exemple renforcer la lutte contre la délinquance, made in China, vive émotion dans la communauté internationale. Des expressions rebattues sont détournées, ainsi : tombe au champ d’odeurs, la ligne bleue des cours, en mourant par la Lorraine, mais aussi un chant révolutionnaire : c’est la lutte finale grouillons-nous et deux mains ; etc.

   Viennent s’ajouter des citations en italique, presque toutes littéraires et dont l’auteur est signalé en note — Kafka, Mallarmé, Nathalie Quintane, Soupault, Beckett, Malherbe —, mais il y a aussi Lacan et le compositeur Steve Reich ; d’autres, non signalées comme telles, passent inaperçues, parfaitement intégrées : on lit « bijoux sonores » et l’on se souvient de Baudelaire ("Les bijoux"), et de Mallarmé dans « la nue à câbles » : avec "accable" on retrouve "À la nue accablante". Entrent aussi dans des poèmes des figures d’écrivains contemporains ; « à J. S. l’ardeur des mots » (62) évoque Jude Stéfan, dont le prénom en toutes lettres et l’allusion à une nouvelle viennent un peu plus tard (69) ; « à Jean-Pierre V. une bouteille » (75) débute un récit à propos de Verheggen, « à Ch.P. cette vigueur qu’il prouve » est l’entrée d’un portrait de Prigent lisant : deux écrivains dont Bruno Fern est proche par certains aspects de son écriture. La "géographie" littéraire est toujours complexe ; sont également présents Petr K.[ral] et ses cigares, Philippe Boutibonnes à qui un poème est dédié.

    Parmi les moyens d’ « essayer [...] tous les sens possibles », Bruno Fern emploie abondamment le chevauchement : un mot2 appartient à deux séries syntaxiques différentes ; par cette épargne des mots, la lecture est freinée et, surtout, la polysémie permet des effets comiques. Des exemples : « tendance à sous estimer [le monde] / roule pour lui-même » ; avec bilinguisme : « à tue / [tête] bêche dans le raidillon n° 69 / of [course] au cotillon (page 62) ; en jouant sur l’homophonie : « ténue [= t’es nue] jusqu’aux sourcils / à donf tombe en un comme en / [sans] attendre » (page 63) ; le mot commun est verbe dans le premier ensemble, adjectif dans le second : « se [grise] de préférence dans l’entrejambe / toutes les chattes le sont la nuit » (73) ; c’est un article et un mot-une syllabe qui sont communs : « présents les pieds posés sur [le sol] / stice d’hiver stigmate à son échelle », et remarquons qu’ici p est repris dans le premier vers, sti[c,g] dans le second.

   La répétition d’un son est régulièrement un des éléments du burlesque dans Le petit test, comme dans les deux premiers vers du "Renvoi" final : « ainsi se clôt s’exclut s’excla / s’achève la période d’essais [...] » (page 61). On a pour ce registre burlesque une liste d’homophonies, de par mon et par vos et le classique neiges – que n’ai-je à en pur don de soie et  toute en R s’envoyer en l’air, des séries d’à-peu-près comme des mouvements divers et avariés et d’un pas décédé, des anagrammes parfois signalées (parties-patries). À chaque lecture, on découvre de nouvelles pistes dans l’usage plein de jubilation de la langue et, comme chez Villon, s’expriment des « préoccupations diverses » (4ème de couverture), tragique et burlesque liés : dans le huitain 99 adressé à un "tu" (« tu branles carcasse... »), si l’on réunit mots et syllabes en gras, on obtient : « car en amours mourut martyr ».

 

Bruno Fern, Le petit test, Sitaudis, 2014, 72 p.

Cette recension a été publiée dans Les Carnets d'eucharis, n° 45, printemps 2015.

lescarnetsdeucharis.hautetfort.com/

 

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1. sauf indication contraire, le nombre entre parenthèses renvoie au numéro d’un poème.

2. noté ici entre crochets.

 

 

 

 

 

17/06/2015

Jean-Pierre Burgart, Gris lumière

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                           L’encre des signes

 

Ignorant de ma fin et de mon commencement, j’écris aveuglément

pour apprendre de l’encre des signes

ce qui ordonne et croise

la trame des images et la chaîne des mots

 

j’écris pour que la blancheur irrévocable

qui ajoure et cerne les mots saisis par l’encre

se souvienne du souffle qui les assemble

en les mêlant à l’air qui me traverse.

 

Je veux qu’entraîné par la nappe de silence

qui sourd et s’étend quand la page se détache de moi

soient abolis regrets, désirs, attente

et que, même fragment, l’écrit s’achève

dans le deuil blanc qui le suit, alors

je serai libre, écrire serait naître.

 

Jean-Pierre Burgart, Gris lumière, La Lettre volée, 2014,

p. 46.

16/06/2015

Rose Ausländer, Été aveugle

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Roméo et Juliette à Central Park

 

Roméo et Juliette

 à Central Park

ne disent mot de leur parents

à l’autre bout du monde

où le saule pleureur

pleure

non

 

Juliette et Roméo

deux flammes vertes

dans l’herbe

embrassées par

l’air de juin

à même le cœur

 

Danse d’autos

yeux d’écureuil et

le jeu qui tourne

en boucle

 

Devant les visages à dollars

flottant

des nuages de souffle

parfums de juin

le globe vert

au jeu de la fleur qu’on effeuille

 

Roméo et Juliette

immortels

sous les trembles

éclairs rouges sur les cils

soleil vert à l’oreille

les lèvres de Roméo

les cheveux de Juliette

le globe tourne

autour du oui vert

autour du oui rouge

autour de l’herbe souffle coupé

 

Rose Ausländer, Été aveugle, traduction

de Michel Vallois, Héros limite, 2015,

p. 33-34.