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28/04/2019

Marie de Quatrebarbes, Voguer

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Prière pour Pepper LaBeija, mère de la Maison LaBeija, décédé au Roosevelt Hospital de Manhattan en 2003.

 

Une maison est faite pour y vivre. Une maison est une famille pour ceux qui n’ont pas de maison. C’est une réalité quand on n’a pas de famille. C’est comme ça que naissent les maisons, là où une mère accueille les enfants rejetés par leurs parents biologiques. C’est important pour moi d’être la mère. Aussi, je mène ma maison d’une main de velours. Je prends soin de mes enfants, mes filles et mes fils. J’ai remporté tous les trophées. Et tant que je vivrai, mes filles et mes fils seront protégés, et je mènerai ma maison d’une main de velours. C’est comme traverser le miroir d’Alice. Comme se préparer pour un grand événement. Je me vois sur un lit de roses. Je me vois dans une robe de roses qui s’adapte à chacun de mes gestes. Je me déplace en montgolfière et je jette par-dessus bord des poignées de pétales chiffonnés. C’est mon état d’esprit. Je vais quelque part. Je peux être agressive, mais la plupart du temps je reste calme. Je veille sur mes enfants, mes filles et mes fils. Je me consacre à l’observation des oiseaux et au sport. J’étudie la parade nuptiale des moineaux et leurs stratégies d’accouplement.

[…]

 Marie de Quatrebarbes, Voguer, P. O. L, 2019, p. 29-30.

12/09/2016

Eugène Savitzkaya, Cochon farci

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À l’inconnu tel qu’il fut en os,

entrailles entravant sa marche sous le ciel,

criblé de silice, la faux à l’épaule,

faucheur comme d’autres furent moines,

ceci est mon épaule, ceci mon cœur qui bat,

ceci la faux couchant les tiges et les tuyaux,

dénudant la terre et la pierre comme on ouvre

un chemin qui ne mène qu’à lui-même ou à

la voie lactée, combien de sueur en sobriété,

combien de bières, combien de chemises élimées

portent l’empreinte de son squelette

jusqu’à l’autre face du globe, combien de fils

livrés à eux-mêmes ? demain l’aube, aujourd’hui la fin

et vice-versa à l’infini, c’est du kif,

à n’en pas sortir de l’ornière.

 

Eugène Savitzkaya, Cochon farci, éditions de Minuit, 1996, p. 54.

17/08/2016

Philippe Beck, Chants populaires

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         Concours

 

Paresse est bête !

Qui va sur quel terrain ?

Quelle terre relative ?

Terre est pas d’adieu souvent.

Père lance un concours d’inaction.

Qui est la bête

parmi des enfants immobiles ?

Il fixe des commençants.

(Dans la constance irritable.)

Amour est l’entraîneur.

Père passe la main.

Il faut le palmarès

pour continuer ?

Dans le semble.

Au prix de passivité intime.

Une propriété

au fils immobile.

À l’Indifférent Apparent.

Impassible est le fusible

pour continuer ?

Ou bien le passionné à part ?

Ici, paresse est fille d’impassibilité.

Mère Fixe est fusible infini.

 

Un enfant pleut l’insomnie.

Elle est obstacle infini.

C’est bien.

L’autre est un homme à l’arrêt,

chien inutile,

si les habits sont en feu.

Est-ce un homme d’arrêt ?

Où est la battue ?

Le dernier laisse la corde

serrer,

les bras comme des branches

de saule posé dans les rayons.

À l’office fermé.

Il gagne le concours inventé

par un homme tendu.

Le P. Premier.

Il est allé loin dans l’idée.

Dernier a paressé avec intensité.

Loin dans l’idée

du terrain d’Éternité Limitée.

Maison cimente

les noms défunts de la continuité.

L’enfant qui est un arbre

de pierre

est l’héritier.

Fils Minéral

est une idée de la propriété

Éternité.

Qui a du temps particulier.

Sous le champ manque la plage d’or.

Propriétaire Passif

imprime

des pages de paix antipathique.

 

D’après « Les trois paresseux »

 

Philippe Beck, Chants populaires,

Poésie / Flammarion, 2007, p. 134-135.

"Chaque poème ou chant populaire s'inspire ici d'un conte "noté" par les Grimm" (Avertissement, p. 7)

07/03/2013

Tiphaine Samoyault, La Main négative, Louise Bourgeois

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   Être une fille. Pas tout à fait un fils L'injonction à faire proposée à la fille (savoir se servir de ses mains) peut-elle se transformer en possibilité de créer ? Esthétisme et dandysme sont des postures de fils, toutes deux issues du catholicisme qui est une religion du fils. Qu'est-ce qu'une religion du fils ? Une remise de l'autorité entre les mains de tous, un déplacement de la loi, un éparpillement du symbole. La proposition d'une liberté dont un jour on ne saura pas quoi faire. L'appel de la mère dans le corps de l'enfant. En ce sens , le dogme de l'immaculée conception est une absurdité pour la religion catholique et il en signe une fin. Il ne peut y avoir de religion du fils sans une mère animale dans laquelle l'enfant s'est cogné. Il ne peut y avoir de fils sans mère trop humaine qui cogne ensuite dans le corps de l'enfant.

 

   Qu'est-ce qu'être une fille en termes philosophiques ? est-ce qu'une fille peut être un fils ? Si la fille se résorbe dans la mère, le fils ne disparaît pas dans le père et reste toujours fils de sa mère. La fille qui reste fille ne refuse pas seulement de transmettre. De toute façon elle ne rompt pas, elle, la généalogie. Même en gardant le nom du père, elle n'est qu'incidemment dans la lignée. Cela lui donne une liberté que le fils n'a pas : elle est affranchie de toute manière. Ses possibilités de transgression sont donc aussi très limitées, ce qui, effectivement, la rend moins libre. Si la fille s'est plutôt bien remise d'être privée de quelque chose, elle n'a pas fini pour autant d'être un fils manqué. La question de la filiation ne semble qu'accessoirement concerner la fille. Les modèles à imiter ou dont faire table rase étant ceux des pères, la fille n'a que faire de l'alternative transmettre ou être transmis. Plus encore que son existence elle-même, son existence de fille est contingente. La fille perpétuelle, c'est la sorcière (figure de l'exclusion) ou la religieuse (figure d'une inclusion séparée). Il faudrait dire « c'était ». On ne dit plus « vieille fille » ou « elle est restée fille ». À l'échographie on dit « c'est une fille », d'une petite fille on dira « c'est une vraie fille ». Mais culturellement on s'emploie toujours à faire grandir les filles (une femme n'est plus une fille). Mais philosophiquement on ne dira jamais « une fille c'est ».

 

Tiphaine Samoyault, La Main négative, Louise Bourgeois, récit, Argol, p. 61-62.