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04/03/2022

Boris Khersonski, Surtout que la ville est grande...

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Surtout que la ville est grande, il se trouvera toujours

un jeune homme en cagoule avec deux trous pour les yeux,

armé d’un pistolet de type militaire,

parce qu’il est un soldat, un exécutant, tout ce que vous voulez

mais pas un assassin, le meurtre suppose des sentiments,

un rapport personnel, l’envie, la rancœur, la colère,

là c’est purement technique, il suffit

de sortir de la foule, de se mêler à la foule.         

 

Ne tirer que le strict nécessaire.

 

Celui qui tombe, en sang, détourne l’attention

de celui qui a tiré, la victime est toujours populaire,

du moins tant qu’on n’a pas enlevé le corps.

 

La cagoule en poche. Un gars bien entraîné

allume deux cierges dans une petite église,

il sort, crache par terre, sort une cigarette, s’assied

sur une marche à côté d’un mendiant loqueteux.

 

Dans une heure, il a rendez-vous. Elle l’attend devant le kiosque,

lui fait signe de la main : tu t’es déjà libéré ?

 

Il répond : je n’ai jamais été en prison. Tous deux rigolent.

Ils s’éloignent, il marche à grands pas, elle peine à le suivre

et lui dit : pas si vite, s’il te plaît, personne

ne te court après ! Il ralenti le pas. C’est vrai,

personne ne lui court après.

 

                                                                20 janvier 2009 (1)

 

1) Le 19 janvier 2009, au centre de Moscou, ont été assassinés l’avocat et défenseur des droits de l’homme Stanislav Markelov et la journaliste Anastasia Babourova.

 

Boris Khersonski (1950), Ukrainien, traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs, dans Bacchanales n° 45, Anthologie de la poésie russe contemporaine 1989-2009, p. 116

 

08/12/2012

Jean Genet, Le condamné à mort

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                       Le condamné à mort

 [...]

Sur mon cou sans armure et sans haine, mon cou

Que ma main plus légère et plus grave qu'une veuve

Effleure sous mon col, sans que ton cœur s'émeuve,

Laisse tes dents poser ton sourire de loup.

 

Ô viens mon beau soleil ô viens ma nuit d'Espagne,

Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.

Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main.

Mène-moi loin d'ici battre notre campagne.

 

Le ciel peut s'éveiller, les étoiles fleurir,

Ni les fleurs soupirer, et des prés l'herbe noire

Accueillir la rosée où le matin va boire,

Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.

 

Ô viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !

Visite dans sa nuit ton condamné à mort.

Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,

Mais viens  ! Pose ta joue contre ma tête ronde.

 

Nous n'avion pas fini de nous parler d'amour.

Nous n'avions pas fini de fumer nos gitanes.

On peut se demander pourquoi les Cours condamnent

Un assassin si beau qu'il fait pâlir le jour.

 

Amour viens sur ma bouche ! Amour ouvre tes portes !

Traverse les couloirs, descends, marche léger,

Vole dans l'escalier plus souple qu'un berger,

Plus soutenu par l'air qu'un vol de feuilles mortes.

 

Ô traverse les murs ; s'il le faut marche au bord

Des toits, des océans ; couvre-toi de lumière,

Use de la menace, use de la prière,

Mais viens, ô ma frégate, une heure avant ma mort.

 

Jean Genet, Le condamné à mort, dans Le condamné à mort,

L'enfant criminel, Le funambule, L'Arbalète, 1958, p. 18-19.