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08/06/2022

Art roman en Brionnais, 4

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Photographies Chantal Tanet

07/06/2022

Art roman en Brionnais, 3

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Charlieu, Couvent des Cordeliers

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Charlieu, Cloître des Cordeliers

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Iguerande

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Iguerande

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Iguerande

 

Photographies Chantal Tanet

 

06/06/2022

Art roman en Brionnais, 2

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Charlieu

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église Saint-Philibert, Charlieu

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Montceaux-l'Etoile

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Montceaux-l'Etoile

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Montceaux-l'Etoile

 

Photographies Chantal Tanet

 

05/06/2022

Art roman en Brionnais

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Anzy-le-Duc

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Anzy-lz-Duc

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Anzy-le-Duc

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Charlieu

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Charlieu

 

Photographies Chantal Tanet

04/06/2022

Étienne Faure, Vol en V

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Les dieux sont courroucés sur l’Ukraine, il tonne,

ça résonne tout le long de la frontière cernée

de saules et de bouleaux, deux tristesses, deux détresses

— pousser malgré l’eau des marais et la terre sableuse

parmi les tombes d’outre-tombe (terre et ombre)

d’outre-rivière en son temps signataire

du pacte sinueux germano-soviétique —,

les croix en bois dans le jardin

plantées comme s’il en poussait après la pluie

ont repris leur élévation vers le ciel

bleu égaré, vieille antienne

évanouie finalement après qu’on est passé clore

le sujet comme on clôt l’incident de toute une vie,

ne sachant si les tombes affalées

parmi les Versgissmeinnicht et les orties

avaient appartenu un temps au camp

des assaillants, des réfugiés, ni de quel

pays démantelé l’hiver fut recomposé,

ni

de quel bois les souvenirs se chauffent.

Bang

 

dans un jardin planté de croix

 

Étienne Faure, Vol en V, Gallimard, 2022, p. 131.

 

 

03/06/2022

Étienne Faure, Vol en V

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Dans la ville à pied, sans repli, sans arrière-

pays, origines, hors cela, il emprunte

au début sous le nom de rue, pont, grève,

un parcours exempté de fil, anonyme,

laissant l’impasse pour attraper les quais

via les passages, les cours et circuler

inclus dans la foule en mue sans arrêt

selon l’heure ou l’allure à laquelle on passe,

interdit soudain sous un nom, un bouquet

au mur scellé (mortellement blessé)

après la chute de naguère, le bruit d’un corps au sol,

épitaphe à jamais cernée du crible des impacts

encore au mur, semblant redire : passant,

nous allons mourir et personne n’en saura rien,

ou bien continuer de parler aux vivants

plus avant, ceux qui vont te survivre

— et le flâneur éclairé sous un angle

un instant exposé au soleil du soir,

médite à découvert avant de traverser vite,

regagner l’ombre.

 

passage à découvert

 

Étienne Faure, Vol en V, Gallimard, 2022, p. 121.

02/06/2022

Étienne Faure, Vol en V

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Accroché au linge comme on s’agrippe aux livres,

il met en route une machine à laver,

le ronronnement lui fait une présence,

à lessiver on ne sait quel affront du sort,

dans le virage accélérant le mouvement qui

sépare avenir et passé, eau claire et eau usée,

partagés par on ne sait quel hasard,

aléa de la vie centrifuge en allée ailleurs,

hors de son cœur à l’étroit dans sa cage

inapte à contrer l’air qui hésite à sortir,

entrer, redire ce qui le chiffonne, tout ce qu’il ne sait

pas faire, perplexe — choix des textiles, cotons délicats,

vie en couleurs, vie synthétique, mélange,

autres fibres —, on croirait, ces grands draps, des pagnes,

des saris, des sarongs, des toges, tout un monde

de paréos mis à sécher aux fenêtres

au motif qu’il fait beau dehors avec vue sur cour,

Paris, les toits, la rue, autres perspectives.

 

tambour à l’essorage

 

Étienne Faure, Vol en V, Gallimard, 2022, p. 19.

01/06/2022

Étienne Faure, Vol en V

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Le lent croquis du jeune homme mort

ne rend pas les couleurs exactes,

n’ayant retenu la vie, la parole, ni le souffle,

lui, nature morte à présent sur le mur

d’une pension, gravure ancienne,

par mimétisme aura pris la pâleur du lit,

la bouche un peu sépia comme on expire,

surpris à son tour de l’approcher si vite,

la mort à Córdoba lorsqu’on s’allonge,

croyant l’attendre longtemps, fenêtre ouverte,

et que le vent rapporte avec le gong

on ne sait d’où, quelle époque,

un souvenir tombal :

Or, dans un lit d’Espagne, acquitté,

j’étais seul, les yeux rivés au mur,

aucune trace dans le sang, coupé de tout

lien, alcool, à débattre cet aquilon

qui gonfle sous ses fleurs le linceul de la

chambre et cambre le volet vide

au cœur.

 

dans un tableau d’Espagne

 

Étienne Faure, Vol en V, Gallimard, 2022, p. 73.

31/05/2022

Jila Mossaed, Le huitième pays

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J’écris

Je saisis les mots

comme Robinson Crusoé

quand il trouvait de petites choses

 

J’emporte les mots dans ma grotte

comme un animal affamé

 

J’y ai là une mère qui attend

Lui montre les mots

Nous jouons avec comme deux petites filles

 

Nous les rinçons de leur poussière étrangère

nous nous épanouissons avec eux

 

Je récite mes poèmes et les prononce de telle sorte

que tous dans la grotte puissent les comprendre

 

Jila Mossaed, Le huitième pays, Le Castor Astral, traduction du suédois Françoise Sule, 2022, p. 51.

30/05/2022

Pierre Chappuis, La nuit moins profonde

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Que ne nous sépare pas

 

Que ne nous sépare pas, insensible abîme, le moindre écart.

 

Ce que nous étions, ce que nous sommes. N’ayant point souvenir des massifs d’ombre côtoyés, mouvants, dont les senteurs montaient à la tête.

 

 

Un courant de transparence, insensiblement, nous porte ; aurore, démarcation nulle.

 

Pierre Chappuis, La nuit moins profonde, éditions Empreintes, 2021, p.65.

 

 

29/05/2022

Ferdinand Bac, Livre Journal 1921

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Ferdinand Bac (1859-1952), caricaturiste estimé à son époque autant que Sem ou Caran d’Ache, écrivain oublié aujourd’hui, aménageait aussi les jardins de riches propriétaires, notamment sur la Côte d’Azur. Il a tenu quasi quotidiennement un Livre-Journal dont deux années (1919 et 1920) ont déjà été publiées ; ce volume s’ouvre le 2 janvier et se clôt le 31 décembre.

La phrase d’ouverture donne le ton de l’ensemble, « Tournée de visites au Cap Martin ». F. B., déjeune chez la veuve d’un industriel, dont il a refait la décoration de la salle à manger, part à Roquebrune chez Gabriel Hanotaux, délégué à cette date de la France à la Société des Nations : ces mondanités sont l’occupation principale d’une classe sociale aisée. F. B. y rencontre des mécènes mais aussi des personnes comme le général Mangin qui a eu un rôle important dans la défaite allemande en 1918 et qui n’a pas du tout le point de vue dominant sur les suites à donner à la victoire. Comme Hanotaux, il est opposé au règlement par Berlin de dommages de guerre, « gouffre dangereux pour un avenir incalculable ». Hanotaux, un peu plus tard, suggère de « liquider la dette allemande par un concours mondial et renouer des relations avec l’Allemagne » pour éviter « le cataclysme universel ». Ces propositions se heurtent alors à « un bain de mensonges » qui trompe complètement l’opinion publique.

  1. B. a l’art du portrait ; assistant à une représentation du Mariage de Figaroavec Cécile Sorel, il s’étonne d’abord, après l’avoir « quittée presque vieille, marionnette tragique, dans sa lutte de Célimène quinquagénaire », de la voir « rajeunie de 15 ans » et « Telle qu’elle est dans son faux, elle est impressionnante et belle » : passage de la chirurgie esthétique. Observateur sans complaisance, il transpose les attaques de Beaumarchais dans Le Mariage de Figarode l’insolence de la naissance à celle « l’argent gagné par la catastrophe [ = la guerre] », relevant que tous les possédants du Cap Martin recevraient sans doute la Légion d’honneur : « C’est le triomphe de l’argent ».
    Des innovations de son temps, il rejette violemment le téléphone qui permet à n’importe qui de « violer votre logis pour vous dire n’importe quoi ». Résolument opposé à ce nouvel « esclavage », il connaît heureusement un lieu à l’écart des mondains et de leur grossièreté, « de la brutale et stérile actualité », le Louvre, sa « chère patrie ». Il se trompe beaucoup sur les faits sociaux ; ainsi, en 1921, il imagine que la servitude des pauvres est en voie de disparition en voyant, ­ prétend-il, « des porteuses de pain qui portent des robes de soie à la dernière mode (...). La voilà, la grande révolution. » Mais s’il pense qu’il fera chez lui « le ménage lui-même », il admet que, reçu dans des demeures luxueuses il est servi « par des laquais en livrée ». Il manifeste   d’ailleurs son goût pour les invitations de ceux dont il n’est pas entièrement dupe ; il énumère avec gourmandise les titres et parfois la généalogie de ses hôtes, et à d’autres endroits dit le vide, souvent, de ce milieu. Le préfacier le voit qui « ne croit ni en personne ni en rien, si ce n’est à la vertu salvatrice des formes classiques. »
  2. B. se plaît, dit-il, à étudier la psychologie de ces oisifs qui le reçoivent. Il a souvent la dent dure et fustige, par exemple, la romancière américaine Edith Wharton qui, installée à Hyères au milieu d’une petite société « bien née », « se croit une divinité » et rejette une fille mère — née avec une particule... Il s’amuse des réactions de l’abbé Mugnier*qui était « tout émerveillé » d’avoir assisté à un mariage dans la grande bourgeoisie : « Tant de belles dames ! tant de toilettes, des Fragonard ! » Il décrit, sévèrement, Gautier-Villars, écrivain sous le nom de WiIly, « tombé si bas qu’il était devenu le barnum du lesbianisme » après avoir applaudi « sa femme [Colette] demi-nue, dans une scène ignoble avec la Marquise de Belbeuf » au Moulin Rouge ; avec un peu d’ironie, il ajoute que Colette a épousé ensuite Henry de Jouvenel, directeur du « puissant journal Le Matin» et est considérée « génie littéraire »(sic).
    Dans cet univers où l’apparence compte plus que tout, il est impossible d’être accepté si l’on n’appartient pas à la bonne société ; Anatole France est reçu par une "Madame de", mais il a épousé sa gouvernante qui, auparavant, était femme de chambre chez une autre "Madame de" : comment se comporter ? Bac défend l’écrivain pour sa manière de mettre en avant son épouse. Un de ces « risibles parasites » lit dans une réunion le texte antisémite, Les protocoles des sages de Sion et les nantis qui l’écoutent imaginent immédiatement que leur voisine juive, Mme Stern, appartient au complot qui veut diriger le monde. Ils viennent cependant chez elle lorsqu’elle reçoit le roi de Suède. Ils ignorent à peu près tout de ce qui est au-delà de leurs occupations : « Il y a les thés de Madame Mühlfeld [qui tient un salon littéraire]. Voilà qui existe »

Ce Livre-Journal, quand on met de côté l’avalanche de noms de notables et gens fortunés, renseigne avec précision sur les milieux sociaux que fréquentaient beaucoup d’écrivains : la littérature n’est pas hors du monde et il est intéressant d’avoir le témoignage d’un contemporain qui consignait quasi quotidiennement ce qu’il voyait et entendait. Des points de suspension dans le texte indiquent que Lawrence Joseph n’a pas tout conservé ; ses notes éclairent toujours à propos de personnages et d’événements que notre époque a oubliés, les photographies de quelques personnes évoquées, de lieux transformés par Bac ainsi que ses dessins, complètent heureusement la préface.

 

* L’abbé Mugnier (1853-1944), avait plus d’occupations mondaines que d’activités religieuses. Il a écrit un Journal de 1879 à

 

Ferdinand Bac, Livre Journal 1921, Édition établie, préfacée et annotée par Lawrence Joseph, Éditions Claire Paulhan, 2022, 368 p., 29 €. Cette recension a été pub liée par Sitaudis le 28 avril 2022.

 

 

 

28/05/2022

Jack Kerouac, Mexico City Blues : recension

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Le centenaire de la naissance de Jack Kerouac a remis en librairie plusieurs de ses ouvrages, dont Mexico City Blues, seul livre de poèmes édité de son vivant. Écrit au mois de juillet 1955, publié en 1959, Mexico City Bluesa paru en français en 1976 (Christian Bourgois), traduit par Pierre Joris et c’est cette traduction qui est reprise. Le livre est une longue suite divisée en 242 chorus, qui se voulait en poésie ce qu’était l’improvisation en jazz. Le préfacier, Yves Buin, définit l’ensemble comme « Écriture spontanée qui exige la désinhibition, l’absence de censure, l’usage des processus de l’automatisme et de l’association libre ». Ces principes étaient pour l’essentiel partagés par un groupement d’écrivains réunis sous le nom de Beat Generation (nom introduit par Kerouac), qui comprenait notamment William Burroughs, Gregory Corso, Allen Ginsberg ; ils sont tous présents dans les chorus, avec un aîné, William Carlos Williams, et des écrivains classiques comme William Blake et Samuel Johnson, Pope et Oscar Wilde.

 

Les poèmes rendent aussi hommage à de grandes figures du jazz des années 1950, en particulier à Charlie Parker, considéré par Kerouac comme « le Musicien Parfait », « un grand musicien et créateur de formes », « Musicalement aussi important que Beethoven / Mais sans être reconnu comme tel ». Comment restituer le rythme du jazz avec des mots ? Kerouac use de vers très courts et abandonne souvent la cohérence, la logique du discours, ce qui peut correspondre à l’improvisation du saxophoniste ou du pianiste : « As-tu vraiment besoin / du mot juste / As-tu vraiment besoin / Évidemment c’est / Complètement stupide ». La question du sens ne doit pas se poser, ce qu’affirme clairement Kerouac, « Ne cherche pas le sens », et qu’il met en œuvre, par exemple dans ces vers : « Pan Matador / Pazatza cuaro / Mix-technique / Poop / Indio / Yo yo catlepol / Hurlement lune / Indien / Ville & Cité ». À l’improvisation qui n’est pas réglée dans le temps peut correspondre l’énumération, procédé très fréquemment employé dans les chorus ; mais elle est également imitée quand, dans une suite, un fil relie les mots : à partir de « aigre-doux » on passe à « chou », puis « soupe au chou » et « choucroute ». La traduction ne rend pas complètement compte de l’influence de la musique et il est intéressant de relire les poèmes originaux :

                I know I am dead

                I wont camp. I’m dead now.

                What am I waiting to vanish ?

                      The dead dont vanish ?

                            Go up in dirt ?

                How do I know that I’m dead.

                            Because I’m alive

                               And I got work to do

                                  Oh me, Oh my,

                                       Hello - Come in –

(dernière partie du chorus 235)

               

À côté de cet aspect, dominant, pour être en phase avec le jazz, Kerouac ne néglige    pas des formes plus classiques, avec même celle du récit, par exemple pour rendre hommage à Charlie Parker. Cependant, le récit entrepris sur un sujet (« Mais maintenant je vais décrire / les fous que j’ai connus ») s’engage sur une autre voie, introduisant la mère, puis la langue se dérègle (« et plouffant et / blouffant ») et la possibilité du récit est rejetée, il n’a pas sa place dans les chorus : « c’est facile de devenir fou / parfois je deviens fou. Ne peux continuer mon histoire, / j’écris en vers. / Pire / N’ai pas d’histoire, rien que des vers ». Rapportant à sa manière un extrait du Satiricon de Pétrone, Kerouac le termine par « Est-ce vrai ? » et conclut « Petronius Arbitum - / élégant pédé, / mon cher » [pour Petronius Arbiter].

 

Toute la vie de Kerouac s’engouffre dans Mexico City Blues, les souvenirs d’enfance, la mère et le père, la nécessité de l’écriture, les angoisses. Beat signifiait « brisé, défoncé » et, dans la langue des exclus, être beatimpliquait le refus de la société américaine. Cette mise à l’écart volontaire a été liée pour Kerouac à l’usage de la drogue et, surtout, de l’alcool, et a entraîné une difficulté de vivre qui s’exprime crûment parfois dans les chorus, « Merde et misère / Je souffre absolument / attendant sans merci / Que le pire arrive, / Je suis complètement perdu / Il n’y a pas d’espoir », « Et tout est foutu sur cette scène ». Une sortie existe cependant, la tentative d’atteindre le Vide et le Rien — mots récurrents dans les chorus — du bouddhisme, religion à laquelle Ginsberg l’a initié. Le livre est nourri de références à la religion et ce n’est pas l’aspect le plus attachant aujourd’hui. Des vers ramassés rappellent le fond de la doctrine, « c’est que / rien / naît vraiment / ni meurt », doctrine qui est condition d’équilibre : « Ce qu’il me faut Solide dans / Ma tête l’image du Bouddha ». Les musiciens admirés par Kerouac ne peuvent qu’être associés au bouddhisme et, d’abord, le premier d’entre eux, « Charley Parker ressemblait à Bouddha ». Écrire à propos de la religion est par ailleurs présenté comme la tâche la plus utile, « Alors que dois-je faire / À part écrire cette poésie / Instructive ».

 

On peut ne pas apprécier ces chorus qui exhortent à « suiv[re] le vide » et à lire des dizaines de fois « Tathagata », l’une des épithètes de Bouddha ; on (re)découvre avec beaucoup d’intérêt le lyrisme sans limite de Kerouac s’essayant avec succès à écrire comme s’il improvisait au saxophone alto : il faut l’entendre lire ses chorus. Yves Buin dit justement que « coexistaient en lui la nostalgie précoce de l’infini et la marginalité libertaire ».

Jack Kerouac, Mexico City Blues, traduction Pierre Joris, préface Yves Buin, Poésie/Gallimard, 2022, 270 p., 10,60 €. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 23 avril 2022.

 

 

 

 

27/05/2022

Jean de La Fontaine, Fables, 8, XXIV

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                 L’éducation

 

Landon et César, frères dans l’origine,

Venaient de chiens fameux, beaux, bien faits et hardis,

À deux maîtres divers échus au temps jadis,

Hantaient l’un les forêts, l’autre la cuisine.

Ils avaient eu d’abord chacun un autre nom ;

                  Mais la diverse nourriture

Fortifiant en l’un cette heureuse nature,

En l’autre l’altérant, un certain marmiton

                  Nomma celui-ci Laridon :

Son frère, ayant connu mainte haute aventure,

Mis maint Cerf aux abois, maint Sanglier abattu,

Fut le premier César que la gent chienne ait eu.

On eut soin d’empêcher qu’une indigne maîtresse

Ne fît en ses enfants dégénérer son sang :

Landon négligé témoignait sa tendresse

                  À l’objet le premier passant.

                  Il peupla tout de son engeance :

Tournebroches par lui rendus communs en France

Y font un corps à part, gens fuyants les hasards,

                  Peuple antipode des Césars.

On ne suit pas toujours ses aïeux ni son père :

Le peu de soin , le temps, tout fait qu’on dégénère :

Faute de cultiver la nature et ses dons,

Ô combien de Césars deviendront Laridons !

 

Jean de La Fontaine, Fables, 8, XXI, préface

Yves Le Pestipon, édition Jean-Pierre Collinet,

Pléiade/Gallimard, 2021, p. 177.

26/05/2022

Judith Chavanne, Peut-être des lis

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Ce jour, tout ce qui te restait de vie

c’étaient deux grands oiseaux noirs effarés,

noirs dans tes yeux comme presque la folie.

 

Et ton effort devant nous était de retenir

ces oiseaux qui battaient des ailes, fébriles :

 

qu’une fois encore, quelques minutes

(nous étions tous réunis au pied du lit)

ils te tiennent lieu jusqu’à nous

de regard, jusqu’aux plus jeunes surtout...

 

Et puis, de nouveau seule dans la chambre,

tu les laisserais partir — puisqu’ils le voulaient.

 

Judith Chavanne, Peut-être des lis,

le bois d’Orion, 2022, p. 23.

25/05/2022

Liliane Giraudon, Le travail de la viande

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(...) j’ai eu envie de marcher

dans de l’herbe

et je me suis demandé pourquoi

                  il devient si difficile

de tout simplement marcher

                  dans de l’herbe

                  russe ou française

la soviétique n’existant plus

puisqu’il n’y a plus

                  d’Union soviétique

                  il n’y a plus d’herbe soviétique

mais Poutine est devenu

l’allié de Bachar el-Assad

 

ensemble ils bombardent

et affament la Syrie

                  là-bas comme ailleurs

                  ici bientôt peut-être

les grandes puissances ont délivré

au régime une licence pour tuer

                  il y a peut-être un lien

                  entre déni de crime

                  et déni de révolution

 

Liliane Giraudon, Le travail de la viande,

P. O. L, 2019, p. 78-79.