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12/03/2022

Marie de Quatrebarbes, Aby

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(...) Quelques années plus tard un autre homme, Ernst Friedrich, fera éditer un livre dans lequel il tentera de donner un visage à cette guerre [= Première Guerre mondiale]. Son titre, Guerre à la guerre !, est un retour à l’envoyeur adressé aux chefs d’escadron, aux patriotes et autres publicitaires qui jettent les corps prolétaires dans la guerre sans en subir eux-mêmes les conséquences. Comme Aby, Ernst rassemble des images et des documents qu’il accompagne de légendes. Prélevée dans les tranchées, les camps de prisonniers, les fosses communes, les potences, les fabriques de munitions, les bordels à soldats, les forêts décimées, les corps mutilés, les chansons militaires, les règlements de police, les articles de presse et de propagande, la littérature enfantine et jusqu’aux jouets conçus pour prédisposer au maniement des armes, la collection d’images se resserre, dans les dernières pages du livre, sur les visages décomposés des survivants et les tombes profanées. Ces visages soustraits, ravagés comme la terre soulevée par les obus, déchirée si profondément qu’on ne saurait dire, des cadavres exposés au grand jour ou des vivants ensevelis, lesquels portent le deuil des autres, ont vu la guerre de leurs propres yeux.

 

Marie de Quatrebarbes, Aby, P.O.L, 2022, p. 41-42.

 

 

 

11/03/2022

La Fontaine, Il faut que je vous apprenne jusqu'à mes songes, Correspondance

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(...) Blois est en pente comme Orléans mais plus petit et plus ramassé ; les toits des maisons y sont disposés, en beaucoup d’endroits, de telle manière qu’ils ressemblent aux degrés d’un amphithéâtre. Cela me parut très beau, et je crois que difficilement on pourrait trouver aspect plus riant et plus agréable. Le château est à un bout de la ville, à l’autre bout Sainte-Solenne. Cette église paraît fort grande et n’est cachée d’aucunes maisons ; enfin elle répond tout à fait bien au logis du prince. Chacun de ces bâtiments est situé sur une éminence dont la pente se vient joindre vers le milieu de la ville, de sorte qu’il s’en faut de peu que Blois ne fasse un croissant dont Sainte-Solenne et le château font les cornes.

 

La Fontaine, Lettre à sa femme (3 septembre 1663), dans Il faut que je vous apprenne jusqu’à mes songes, Correspondance, Folio/Gallimard, 2021, p. 96-96.

10/03/2022

Pierre Vinclair, L'Éducation géographique

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Je vois deux stratégies d’écriture : tenter,

vénérant la littérature, une Aufhebung

dans un livre total dont quelque qualité

             littéraire (arrêtée par un secret

 

décret de qui ?) traduira quoi ? l’admiration

plutôt que le salut dont nous aurions besoin,

en dédommagement des quinze années perdues

             à donner une forme à ce machin ;

 

ou plus modestement, passer quelques minutes

à écrire un sonnet sans plus de raison d’être

             qu’un pensum affranchi par sa musique,

 

amusé, amusant avant de regagner

le cimetière des ratés prétentieux

             qu’on vénère au rayon littérature.

 

Pierre Vinclair, L’édiucation géographique, Flammarion, 2022, p. 253.

09/03/2022

Cédric Demangeot, Obstaculaire

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Un colloque des débris

 

L’instant

d’après

 

l’instant d’après la guerre

 

on entend dans la poussière

autre chose que le silence des morts

 

quelque

chose, quel-

 

que chose de cassé qui

parle, peut-être, ou voudrait parler

 

                         *

 

ça se traîne, ça

racle, ça renâcle

 

et ça grince de se multiplier

 

tôt ou tard une multitude

qui demande la  parole

 

intacte, à coups de

dents arrachées –

(...)

 

Cédric Demangeot, Obstaculaire,

L’Atelier contemporain, 2022, p. 65-66.

08/03/2022

Jacques Prévert, Choses et autres

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                              Homélie-mélo

 

Péremptoire, dans sa chaire, un vertical parle à des assis sur leurs chaises.

Et c’est toujours le même crime passionnel, le même haut-fait divers avec les clous, la croix, les épines, l’éponge, le vinaigre, les saintes femmes, le bon et le mauvais gangster, le traître, le tonnerre et les éclairs...

Les assis l’écoutent avec une patience d’ange mais, sur les dalles, des grincements de pieds de chaises témoignent qu’ils font preuve en même temps d’une impatience du diable.

Le suspense du récit du supplice leur semble plus long que le supplice lui-même.

Ils connaissent l’histoire et savent que « ça finit bien puisque le héros ressuscite à la fin. »

 

Jacques Prévert, Choses et autres, Gallimard, 1972, p. 142.

07/03/2022

Jacques Prévert, Histoires

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                   À la belle étoile

 

Boulevard de la Chapelle où passe le métro aérien

Il y a des filles très belles et beaucoup de vauriens

Les clochards affamés s’endorment sur les bancs

De vieilles poupées font encire le tapin à soixante-cinq ans

 

Boulevard Richard-Lenoir j’ai rencontré Richard Leblanc

Il était pâle comme l’ivoire et perdait tout son sang

Tire-toi d’ici tire-toi d’ici voilà ce qu’il m’a dit

Les flics viennent de passer

Histoire de s’réchauffer ils m’ont assaisonné

 

Boulevard des Italiens j’ai rencontré un Espagnol

Devant chez Dupont tout est bon après la fermeture

Il fouillait les ordures pour trouver un croûton

Encore un sale youpin qui vient manger notre pain

Dit un monsieur très bien

 

Boulevard de Vaugirard j’ai aperçu un nouveau-né

Au pied d’un réverbère dans une boîte à chaussures

Le nouveau-né dormait dormait ah ! quelle merveille

De son dernier sommeil

Un vrai petit veinard Boulevard de Vaugirard

 

Au jour le jour à la nuit la nuit

À la belle étoile

C’est comme ça que je vis

Où est-elle l’étoile

Moi je n’l’ai jamais vue

Elle doit être trop belle pour le premier venu

Au jour le jour à la nuit la nuit

À la belle étoile

C’est comme ça que je vis

C’est une drôle d’étoile c’est une triste vie

Une triste vie.

 

Jacques Prévert, Histoires, Gallimard, 1963, p. 134.

06/03/2022

Jacques Prévert, Grand bal du printempos

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Au jardin des misères

sur le sable pourri

d’un square pourrissant

la pelle d’un enfant

trace en signe d’espoir

un petit météore

 

Non loin du square

à la Fontaine des Innocents

leur sang coule encore

 

Et puis revient la nuit

des femmes allument la lampe

dess chiens remuent la queue

de façon différente.

 

Jacques Prévert, Grand bal du printemps,

Gallimard, 1976, p. 30.

05/03/2022

Jacques Prévert, Paroles

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           Le discours sur la paix

 

Vers la fin d’un discours extrêmement important

le grand homme d’état trébuchant

sur une belle phrase creuse

tombe dedans

et désemparé la bouche grande ouverte

haletant

montre les dents

et la carie dentaire de ses pacifiques raisonnements

met à vif le nerf de la guerre

la délicate question d’argent.

 

Jacques Prévert, Paroles, Gallimard, 1949, p. 259.

04/03/2022

Boris Khersonski, Surtout que la ville est grande...

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Surtout que la ville est grande, il se trouvera toujours

un jeune homme en cagoule avec deux trous pour les yeux,

armé d’un pistolet de type militaire,

parce qu’il est un soldat, un exécutant, tout ce que vous voulez

mais pas un assassin, le meurtre suppose des sentiments,

un rapport personnel, l’envie, la rancœur, la colère,

là c’est purement technique, il suffit

de sortir de la foule, de se mêler à la foule.         

 

Ne tirer que le strict nécessaire.

 

Celui qui tombe, en sang, détourne l’attention

de celui qui a tiré, la victime est toujours populaire,

du moins tant qu’on n’a pas enlevé le corps.

 

La cagoule en poche. Un gars bien entraîné

allume deux cierges dans une petite église,

il sort, crache par terre, sort une cigarette, s’assied

sur une marche à côté d’un mendiant loqueteux.

 

Dans une heure, il a rendez-vous. Elle l’attend devant le kiosque,

lui fait signe de la main : tu t’es déjà libéré ?

 

Il répond : je n’ai jamais été en prison. Tous deux rigolent.

Ils s’éloignent, il marche à grands pas, elle peine à le suivre

et lui dit : pas si vite, s’il te plaît, personne

ne te court après ! Il ralenti le pas. C’est vrai,

personne ne lui court après.

 

                                                                20 janvier 2009 (1)

 

1) Le 19 janvier 2009, au centre de Moscou, ont été assassinés l’avocat et défenseur des droits de l’homme Stanislav Markelov et la journaliste Anastasia Babourova.

 

Boris Khersonski (1950), Ukrainien, traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs, dans Bacchanales n° 45, Anthologie de la poésie russe contemporaine 1989-2009, p. 116

 

03/03/2022

Ilya Kaminsky, République sourde

*

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Je courais dans la rue Vasenka, mes habits dans une taie d’oreiller
cherchant un homme qui me ressemble trait pour trait
pour lui donner ma Sonya, mon nom, mes vêtements.
Je courais dans la rue Vasenka et mes lèvres bougeaient,
comme ceux qui s’échappent d’un tram qui explose comme des intestins au soleil,
ceux qui ferment la porte à clé, qui la ferment avec la deuxième clé,
et qui essaient de parler, bafouillent mais essaient de parler.
Une femme est en train de hurler comme si elle était en travail ; elle était en travail.

Je courais le long des fenêtres où les femmes achetaient du citron, du poisson et de l’ail,
à droite Madame Gornik peignait des icônes qu’elle vendait le matin,
à gauche vivait Veronika, mère de deux enfants
qui avait volé les sandwichs à la tomate de ses enfants.
Nous bafouillions, nous buvions et riions, comme des paysans aux pieds nus,
nous buvions aussi en silence, maudissant seulement la terre et en silence
nous faisions de la vodka de cerises et de la vodka de chaises en bois.

Et ça a commencé : ils montent sur les trams
au marché aux puces, brisant
tous leurs exploits en deux. Et les officiers,
dans les trams résonnant d’un bruit métallique, tirent dans la tête de nos voisins,
dans leurs oreilles. Et l’officier dit : Les enfants !
Avancez votre partenaire de deux pas. Tirez.

Et ça a commencé : j’ai vu le canari bleu de mon pays
becqueter les miettes dans les cheveux de chaque soldat
becqueter les miettes dans les yeux de chaque soldat.
La pluie abandonne la terre et tombe vers le haut, comme il se doit.
Avoir un pays, si grand,
courir et se cogner aux murs, aux réverbères, à ceux qu’on aime, comme il se doit.
Regarder leurs jambes comme ils courent et tombent.
J’ai vu le canari bleu de mon pays
regarder leurs jambes comme ils courent et tombent.

« 9AM Bombardment », cet extrait de Deaf Republic, d'Ilya Kaminsky (né en 1977 à Odsessa) est traduit de l’anglais (USA) par G. Condello., dans Catastrophes, 3. 

 Les poèmes de Deaf Republic, République sourde, traduits par Sabine Huynh, sont publiés (bilingue) aux éditions Christian Bourgois (2022).

 

02/03/2022

Joyce Mansour, Carré Blanc

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Lèvres acides et luxurieuses

Lèvres aux fadeurs de cire

Lobes boudeurs moiteurs sulfureuses

Rongeurs rimeurs plaies coussins rires

Je rince mon épiderme dans ces puits capitonnés

Je prête mes échancrures aux morsures et aux mimes

La mort se découvre quand tombent les mâchoires

La minuterie de l’amour est en dérangement

Seul un baiser peut m’empêcher de vivre

Seul ton pénis peut empêcher mon départ

Loin des fentes closes et des fermetures à glissière

Loin des frémissements de l’ovaire

La mort parle un tout autre langage

 

Joyce Mansour, Carré blanc, éditions Le Soleil noir,

1961, p. 121.

01/03/2022

Olivier Apert, Le point de voir : recension

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Le lecteur pourrait être déconcerté par la composition du livre, partagé en neuf ensembles de forme différente et de contenus peu habituels pour plusieurs d’entre eux : la traduction littérale d’un menu de restaurant allemand, l’idée d’un dictionnaire qui réunirait « mots et expressions cons », des réflexions sur la musique, des conseils pour répondre dans diverses situations de parole, etc. Il faut ajouter la présence d’illustrations qui, a priori, ne semblent pas en relation avec les textes. Qu’est-ce qui lie ce qui apparaît disparate ?
La première partie s’achève avec une reproduction de la "Femme au masque" de Lorenzo Lippi, souvent titrée "Allégorie de la simulation". Quelle qu’en soit l’interprétation, le tableau représente une jeune femme tenant un masque féminin dont elle pourrait recouvrir son visage ; cette opposition entre le "vrai" et le "faux", si on la décline de toutes les manières, peut servir de guide de lecture tout en sachant qu’Apert sort volontiers de tout schéma. Ainsi, la reproduction d’un montage de Barbara Kruger — deux gants s’étreignent, accompagnés de la légende « you/ are / seduced by the sex appeal of the inorganic » — illustre aussi cette opposition. Plus avant dans le livre, l’image sulpicienne d’une religieuse, la tête surmontée d’une couronne d’épines et avec un grand crucifix dans son giron (comme on représente sainte Rita) précède une partie titrée « Chapitres » et consacrée à la honte : provocation facile ? peut-être, mais efficace.

Le livre débute avec l’alternance veille/sommeil où s’opposent aux rêves des éléments vérifiables ; d’un côté, la place François Jaumes existe bien à Montpellier, la Mulata des Delacroix y est exposée au musée Fabre, Miller et Durrell étaient des écrivains, etc., de l’autre une girafe à gueule d’hippopotame avale un chat, une jeune femme fend le crâne d’un porcelet, etc. Apert ajoute trois fois "soir" au couple veille/sommeil et met en scène « l’homme-seul-avec-lui-même » — celui de la veille et du sommeil ? — ; le personnage est à la fois dans un espace identifiable, par exemple la plage du Racou, à Argelès-sur-Mer, et dans celui des mots avec On the beach, chanson de Chris Rea dont les paroles sont données sur la page de droite. La distinction entre veille/sommeil/soir est marquée typographiquement par la succession italique/romain/romain gras.
Apert joue avec son nom dans « Les diagnostics [au sens de "jugement"] du Dr Aperstein ». Il s’agit   dans cet ensemble d’une suite de jeux avec le son et le sens ; contrepèterie et à peu près — « Sur le Mont Pirabeau / Se saoule la chienne » — et mise en évidence de l’inanité des tentatives pour modifier la morphologie du français :

                       il-elle [ille] a une vilaine voix 1.0  (...)
                      elle-il [elil] a une vilaine voix 2.0  (...)
                      il a une belle voix
                      elle a un beau voie

Plus avant dans le livre, dans l’énoncé d’un projet d’un dictionnaire « des mots et expressions cons (ou con.ne.s*) », l’astérisque renvoie à une note en bas de page : « déjà un bel exemple ». On lira encore, entre autres remarques réjouissantes liées à l’opposition "vrai"/"faux", « s’il est envisageable de tolérer des inconnus déprimés, / les faux amis déprimants sont intolérables ».
Suivent « 21+1 conseils du Dr Aperstein » qui, par la répétition de la forme, pourraient agacer quelques lecteurs, ce qui est probablement l’intention de l’auteur qui explore toute une série de clichés bien installés dans le discours contemporain : « Si vous ne savez pas quoi dire à propos d’un phénomène quelconque, questionnez : de quoi est-il le nom ? Par exemple : « de quoi est-il le nom ? » ». Sont ainsi intégrés dans des phrases exemples absolument moderne, travail de deuil et résiliencefake newspas de souci !,  horizon indépassable, décisif, etc.
Dans « Guten Appetite ou Épistémologie comique de la traduction », c’est le "vrai", la traduction littérale d’un texte qui est rejetée ; il suffit pour s’en convaincre de lire un passage d’un menu de langue allemande traduit en français par un restaurateur : « Desserts / 66 Apple oscillation plus chaudement avec Vanillesauce et impactsuspect ». Apert rappelle le caractère vain des réflexions sur l’impossibilité de traduire, sur les enjeux classiques et sans cesse répétés de l’opposition source-cible, ou obsolètes de la fidélité. Traducteur lui-même, il connaît le plaisir négatif de la traduction erronée et, en la matière, invite à se souvenir de Baudelaire.
On s’arrêtera à l’avant-dernier ensemble, « Pourquoi je n’écris pas (sur) la musique ». La musique ne peut représenter une image, elle « échappe à la médiation représentative de l’autre comme objet » et un concert peut se définir comme des « corps réunis pour vivre individuellement une émotion ». Réfléchissant à partir d’un concerto de Bartok, Apert sait que l’on peut « penser musicalement », mais cela n’a pas pour conséquence que l’on puisse « penser littérairement le concerto » ; l’approcher avec des mots ne restituera pas « la puissance envahissante, débordante de l’émotion musicale ». Il n’y a donc plus de jeu d’oppositions. Par ailleurs, Apert interroge le fait que parallèlement à la « démocratisation » de la culture, la musique et la poésie contemporaines en sont venues à ne s’adresser qu’à un public limité.

Le lecteur inventera d’autres voies pour construire l’unité d’un livre parfois déroutant. Souvent, quand on est sur « le point de voir », on est entraîné vers une autre piste — ce qui est bon signe !

 Olivier Apert, Le point de voir, éditions Lanskine, 102 p., 15 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 2 février 2022.

 

28/02/2022

James Sacré, Figures de solitudes

 

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       Au bord du mot désert

 

Le désert du cœur : lr mot solitude

Le désert des mots : le silence.

 

   Au loin la ligne des dunes de Merzouga. Un peu de désert avant d’y arriver : longue étendue de sable ou croûte de matière noire jusqu’à la pente d’une remontée en couleur claire quelques dromadaires s’y désassemblent formes fines de plus en plus minces bientôt leur disparition.

   Le vrai désert on le devine après la bourgade poussée désordre autour d’une large rue centrale, on reste

   Au bord du mot désert.

 

   Sur la route qui va jusqu’à l’improbable nom d’un autre village

   Deux enfants donnent à caresser aux touristes la mine en sourire effaré de plusieurs jeunes fennecs. Les enfants t’expliquent

   La façon de les capturer, mais qu’auras-tu compris ?

 

   Dans les bras qui tiennent les bêtes, brassée de solitude.

   Désert de solitude : le silence.

 

James Sacré, Figures de solitudes, Tarabuste, 2022, p. 75.

27/02/2022

James Sacré, Figures de solitudes

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                        Un enfant lisait

 

Le p’tit Poucet ma tête perdue, cailloux cailloux c’est que des mots

(Tante Marie qui raconte et le Chat Botté parti.)

Mais la Moitié de Poulet me tient par la jambe.

Par le cœur et la jambe, une

Moitié d’Poulet comme un

Qu’allait gagner gagner...

J’ai pas retenu l’histoire (tante Marie s’est tue)

La drôle d’histoire, j’en reviens comme

Un p’tit Poucet qui s’égare

Parmi les mots dérisoires.

 

 

Avec son nom comme un têt-à-poules défait juste à côté du fournil et de la petite écurie, un seul toit de tuiles rouges touche à la grande herbe dans le pré derrière sans doute  que la Moitié d’Poulet sortait de là, avec un nom d’écorché pour s’en aller raconter quoi ?

La vie ressemble à cet endroit plein de chiures d’oiseaux sous le perchoir en bois fragiles, les œufs chauds qu’on allait ramasser dans les niches du mur, la vie ressemble à tout. Moitié de Poulet presque oubliée. Vieux mythe épuisé qui t’abandonne.

 

James Sacré, Figures de solitudes, Tarabuste, 2022, p. 109-110.

26/02/2022

James Sacré, Figures de solitudes

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Les vaches qu’on allait garder

 

Les animaux qui sont dans les poèmes

Si un peu

C’est pas comme au zoo,

Comme au cirque, ou pareil

Qu’à la ferme où je les ai connus

On fait semblant de les aimer

On les aime, on les enferme.

 

Tout ce qu’ils m’ont donné :

Rêveries, mots, savoir et désir.

 

Le fond sale et somptueux du cœur

Et d’autres organes,

Bougent ton poème, tes pensées mal pensées

 

Animaux parlés mal vivants

Dans l’écriture qui les enferme

Quelle amitié leur est donnée ?

 

James Sacré, Figures de solitudes, Tarabuste,

2022, p. 52.

Photo T. H.