27/09/2022
Umberto Saba, Il Canzoniere
Seul
Je suis seul. Nul n’écoute là
où tout appel aux amis dispersés
est vain.
La haine brille comme un glaçon, et je pense
que je te verrai ce soir, toi que j’aime.
Je pense à tous mes efforts,
tandis que j’allais au hasard
au soleil qui découvre, dans l’ombre qui protège,
pour me dire en paix quelques
mots.
Umberto Saba, Il Canzionere, L’âge d’homme, 1988, p. 460.
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26/09/2022
Umberto Saba, Il Canzoniere
L’adieu
Sans adieu tu m’as laissé et sans pleurs ;
dois-je m’en affliger .
Tu ne pleurais pas parce que tu avais tant,
tant de baisers à me donner.
Certaines ententes amoureuses durent assurément
autant qu’une vie et davantage.
Je connais un amour qui a duré un mois
et qui fut un amour véritable.
Umbero Saba, l Canzoniere, L’âge d’homme, 1988, p. 198.
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25/09/2022
Umberto Saba, Il Canzoniere
La solitude
Saison changeante, ombre et soleil
font le monde varié, qui dans son aspect riant
nous console, et de ses nuages nous peine.
Et moi, qui à tant de nos apparences et à mes
yeux portait une infinie gratitude
je ne sais aujourd’hui si je dois m’affliger
ou m’en aller joyeux comme quand on sort d’une épreuve :
je suis triste et pourtant la journée est si belle ;
dans mon cœur seulement il fait pluie et soleil.
D’un long hiver je sais faire un printemps ;
quand la route au soleil est une traînée d’or,
le bonsoir, je le dis à moi-même.
J’ai mes brouillards et mes beaux temps en moi tout seul
comme en moi seul est ce parfait amour
pour que l’on souffre tant, moi je ne pleure plus :
en mes yeux en mon cœur je trouve suffisance.
Umberto Saba, Il Canzoniere, L’âge d’homme, 1988, p. 146.
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07/10/2020
Umberto Saba, Du Canzionere
Seul
Je suis seul. Nul n’écoute ou
est vain tout appel aux amis
dispersés.
La haine brille come un glaçon, et je pense
que je te verrai ce soir, toi que j’aime.
Je pense : dans le jour qui révèle,
dans l’ombre qui dérobe, j’ai tant fait,
tant erré, pour me dire en paix quelques
mots.
Umberto Saba, Du Canzoniere, traduction P.
Renard et B. Simeone, Orphée / La Différence,
1992, p. 63.
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01/04/2020
Umberto Saba, Il Canzoniere
Sur la place
L’un va à la chasse à l’amour, l’autre aux plaisirs,
ou seulement aux souvenirs.
Dans les baraques
le soir, on n’arrive plus à servir
les lourds marrons grillés aux grands gaillards
du quartier libre.
Sur l’antique place
règne encore là-haut la gloire.
Personnage à cheval, prisonnier dans l’ennui
de marbre qui gauchement l’adule.
Umberto Saba, Il Canzoniere, L’Âge d’homme,
1988, p. 475.
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28/02/2019
Umberto Saba, Presque un récit
Moment
Les oiseaux à la fenêtre, les persiennes
demi-closes : un air d’enfance et d’été
qui me console. Ai-je vraiment l’âge
que je sais avoir ? ou seulement dix ans ? À quoi
l’expérience m’a-t-elle donc servi ? À vivre
satisfait des petits riens qui autrefois
inquiétaient ma vie.
Umberto Saba, Presque un récit, traduction René de
Ceccaty, dans Il Canzionere, L’Âge d’Homme, 1988, p. 584.
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19/07/2018
Umberto Saba, Il Canzionere
En train
Je regarde les arbres dépouillés, la campagne
déserte aux couleurs de l’hiver. C’est à toi que je pense
toi qui t’éloignes, que je viens de laisser.
Le soir pose comme un feu rose
sur les maisons, sur les troupeaux ; le train
qui fuit fait se retourner par sa course folle
quelque jeune animal, des poules
bigarrées.
Mon cœur est déchiré tandis qu’il sent
qu’il ne vit plus dans ta poitrine. Toute angoisse
se tait auprès de celle-là. Et c’est à peine
si la dure vie résiste à tant de maux.
Mais toi, tu changes selon ta loi,
et mon regret est vain.
Umberto Saba, Il Canzionere, L’Âge d’Homme, 1988, p. 491.
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08/12/2017
Umberto Saba, Trente poèmes
Printemps
Printemps que je n’aime pas, je veux
rapporter que tournant au coin
d’une rue, le présage de ta venue me blessait
comme un coup de couteau. L’ombre mince encore
des rameaux, sur la terre encore
nue, me trouble aujourd’hui comme si je pouvais,
comme si je devais renaître. La tombe elle-même
semble mal sûre à ton retour, antique
printemps, qui, plus que nulle autre saison,
cruellement, ressuscites et tues.
Umberto Saba, Trente poèmes, traduction Georges Mounin,
L’Apprentypographe, 1986, p. 17.
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05/04/2017
Ariane Dreyfus, La bouche de quelqu'un
C’est ainsi
Hasard légèrement fleuri, s’enracinant à peine,
Je contemple le vent, je respire.
Ne plus dire car personne, et même aucune image ensemble, que je donnais on visage à boire dans tes mains.
Tu l’as renversé, et encore renversé.
Même si je glisse
Non je ne suis pas sur le rocher !
Je tire sur la corde,
Pourquoi tiendrait-elle, tu l’as lâchée.
Pas comme l’amour qui n’ôte pas ses mains. Des miennes je m’accroche aux mots appuyés.
Enflure sans danse
- ardent découpage, oubli passionné.
Un jour, puis deux
Avec leurs joues à embrasser, ne pas embrasser.
Ils viennent tous.
Ariane Dreyfus, La bouche de quelqu’un, Tarabuste, 2003, p. 99.
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13/11/2016
Ariane Dreyfus, Le dernier livre des enfants
Amherst (Emily Dickinson)
Je n’ai pas vu l’océan, mais l’arbre du XIXe siècle.
L’écorce n’a pas cessé de vivre
Elle ouvrait sa fenêtre
Pour nourrir les petits garçons
Si seule
Qu’elle est encore là
Dans ses pattes jointes
Un petit écureuil gris d’Amérique
Grignote à son tour
Une parcelle de ce monde
La terre sous les arbres sent si fort
On devient sage rien qu’en respirant
Quelque part le cimetière quelque part la maison
De quelques pas
L’angoisse qui se penche
L’humour la fait droite
Sombre jusqu’aux épaules étroites
La seule photo est minuscule
Enfermée en transparence
Elle est devenue le plus petit clou de la demeure
Mais il brille
Enfin un voyage
Où je n’ai pas bougé !
Je traverse ses pièces
Heureuse de ne rien chercher
Ses outils pour le pain sont tout noirs
De temps en temps s’être éclairci la voix
Sur le papier sans dimension
Neige ou ricochets
Ses messages sont les messagers
Qui tombèrent des manches
Je sais ouvrir un livre
Je m’assois
Adossée à rien
Entre deux miettes
Un moineau
Ariane Dreyfus, Le dernier livre des enfants,
Flammarion, 2016, p. 68-69.
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25/05/2016
Ariane Dreyfus, Iris, c'est votre bleu
Je veux bien essayer au bord mais avec toi.
Je vois ta main ton bras, et le deuxième aussi m’entoure quand la lumière baisse.
Chacun s’allonge avec l’autre, calmant son ombre.
Un doigt parfois suffit
Au vertige de te toucher
Pas disparu
Et puis le ciel !
Qui restera,
Lui, immense,
Mais toi aussi, immense et tiède.
Serrée entre tes bras et le regard sur la montagne,
Je ne l’aime pas autant, l’éternelle,
Tendres flancs humains.
C’est léger une main qui caresse, qui va revenir,
Si légère que nous continuons.
Il faut car le temps nous pose plus haut.
Ariane Dreyfus, Iris, c’est votre bleu, Le Castor Astral,
2008, p. 30-31.
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23/03/2016
Ariane Dreyfus, Quelques branches vivantes
Le centre de la scène
Elle danse très loin.
C’est ainsi que je rêvais. C’est pourquoi je reste dans le noir. Mais j’ai soif. Cette soif d’une liberté qui recule.
Il vient lui aussi.
Sans le dire entrouvre l’arabesque d’une main
Qu’on veut libre.
L’embrasse avec ses jambes ouvertes le temps d’être portée là-haut
Contre lui.
Son visage contient des choses humaines on se souvient
Mais c’est dans l’articulation que l’histoire vient.
Toujours ce temps pour faire un geste
Ne plus le revoir.
Ariane Dreyfus, Quelques branches vivantes, Poésie / Flammarion,
2001, p. 47.
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29/05/2015
Ariane Dreyfus, Nous nous attendons, Reconnaissance à Gérard Schlosser
« Encore une fois »
Derrière la porte il ne respire qu’à moitié
Si elle entre rien ne s’arrête
Ne s’oppose
À celle qui s’approche elle est vraie
Maintenant on peut s’ouvrir en deux
Les lèvres pas toutes seules
De toute sa figure il y va
Elle recule
Contre l’armoire l’attend, figée de désir
Pas froid chérie
Il faut poser sa robe
Ariane Dreyfus, Nous nous attendons (Reconnaissance
à Gérard Schlosser), Le CastorAstral, 2012, p. 98.
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23/08/2014
Ariane Dreyfus, Nous nous attendons
« Encore une fois »
Derrière la porte il ne respire qu'à moitié
Si elle entre rien ne s'arrête
Ne s'oppose
À celle qui s'approche elle est vraie
Maintenant on peut s'ouvrir en deux
Les lèvres pas toutes seules
De toute sa figure il y va
Elle recule
Contre l'armoire l'accent, figée de désir
Pas froid chérie
Il faut poser sa robe
« Je vais au jardin »
Elle ouvre la main même s'il ne comprend pas
Être visible,
Est-ce se montrer ?
À un endroit, un cri de couleur
Le forsythia, se montre
Ariane Dreyfus, Nous nous attendons, Reconnaissance à Gérard Schlosser, Le Castor Astral, 2012, p.
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03/01/2013
Ariane Dreyfus, La lampe allumée si souvent dans l'ombre
"La poésie quand nous la faisons"
Moi peu importe
« C'est moi ? » Dès que j'écris, cette question ne se pose plus.
« Qui est-ce ? » Écrire sans le savoir, sans vouloir le savoir.
Je mets JE si je veux dire « ici maintenant », face au vide donc, et IL ou ELLE pour reculer de quelques pas, inscrire de la présence dans un cadre ou un paysage. De quelque côté que j'écrive, j'y vais avec ce que j'ai et aussi ce que je n'ai pas.
Un jour, j'ai entendu dans un film1 « Le passé, ce n'est pas ce qui a disparu, c'est ce qui t'appartient », phrase qui m'a bouleversée. Car j'entendais : « Ton passé, il sera ce que tu en fais en ce moment ». Je vis dans le faire, dans un certain volontarisme, énormément. Ainsi n'ai-je vraiment conscience que du présent, présenr que je ne suis pas seulement en train de vivre, mais d'élaborer. Écrire y contribue. Ce qui fait que je reviens assez souvent à l'enfance, comme on replonge le pinceau dans l'eau pour continuer à peindre, l'enfance étant le moment de l'attente sans bords. Mais attente qui agit : joue. En effet, toute création est un jeu, c'est-à-dire mise à distance du réel pour ne pas constamment le subir, dans une minutie qui peut sembler folle à qui n'y entre pas. L'enfance étant à la fois l'irréparable et l'espoir, je ne vois pas comment j'écrirais dans un esprit qui ne serait pas d'enfance. Et comme le temps ne s'arrête pas, je ne cesse de poser et reposer cette question : « Est-il trop tard ? », d'où, pour y répondre, mes nombreuses réécritures du Petit Poucet sur lequel s'ouvre d'ailleurs mon premier vrai livre : Les Miettes de décembre. Figure récurrente, et quand j'ai réalisé à quel point, j'ai entrepris de lui offrir un livre entier : La Terre voudrait recommencer. Il est pour moi celui qui ne renonce jamais, celui qui parvient toujours à trouver un chemin, au-delà de l'abandon répété par des parents absurdes, au-delà de l'indifférence des oiseaux qui sont dans leur ciel, au-delà de l'ogre qui aurait pu faire que tout s'arrête. Il trouve toujours une issue ; le conte s'achève d'ailleurs sur des bottes qu'il chausse. Trop grandes ? Non, du seul fait qu'il prenne l'initiative, sans se poser de questions, d'y mettre les pieds, elles lui vont !
Une des questions les plus justes de l'état dans lequel on est quand on se lance dans l'écriture d'un poème est donnée par Barthes quand il parle de l'écriture d'une lettre d'amour : « Ce que l'amour dénude en moi c'est l'énergie. Tout ce que je fais a un sens (je puis donc vivre, sans geindre), mais ce sens est une finalité insaisissable : il n'est que le sens de ma force. Les inflexions dolentes, coupables, tristes, tout le réactif de ma vie quotidienne est retourné2 ». J'écris pour ressentir — vérifier ? — que j'ai encore envie.
Ariane Dreyfus, La lampe allumée si souvent dans l'ombre, José Corti, 2012, p. 85-86.
© Photo Tristan Hordé.
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