16/08/2016
Pierre Reverdy, Sable mouvant
Il faut donc se décider à dire que la poésie n’est intelligible à l’esprit et sensible au cœur que sous la forme d’une certaine combinaison de mots, en quoi elle se concrète, se précise, se fixe et assure une réalité particulière qui la rend incomparable à toute autre. Je dis une certaine combinaison de mots à dessein, parce que, en effet, si dans la forme arbre on est toujours sûr de trouver la matière bois, dans la forme sonnet, par exemple, on est beaucoup moins sûr de trouver, à tout, coup, son compte de substance poétique. Un sonnet peut être absolument parfait de forme sans que la moindre parcelle de poésie y soit incluse. À l’assemblage de mots que je laisse pour l’instant libre, la qualité, la richesse de la matière donneront la forme qui, si peu orthodoxe qu’elle apparaisse, sera — et je n’oublie pas les objections qu’on ne manquera pas de me faire — toujours préférable à celle pré-établie, dans laquelle on aurait coulé une substance pauvre et sans vertu.
Pierre Reverdy, Soleil mouvant, édition E.-A. Hubert, Poésie / Gallimard, 2003, p. 114.
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30/01/2016
Jean de Sponde (1557-1595), Les Amours
Mon Dieu, que je voudrois que ma main fut oisive,
Que ma bouche et mes yeux reprissent leur devoir !
Escrire est peu : c’est plus de parler et de voir,
De ces deux œuvres l’une est morte et l’autre vive.
Quelque beau trait d’amour que notre main escrive,
Ce sont tesmoins muets qui n’on pas le pouvoir
Ni le semblable poix, que l’œil pourroit avoir
Et de nos vives voix la vertu plus naïve.
Mais quoy ? n’estoyent encor ces foibles estançons
Et ces fruits mi-rongez dont nous le nourrissons
L’Amour mourroit de faim et cherroit en ruine :
Escrivons, attendant de plus fermes plaisirs,
Et si le temps domine encor sur nos desirs,
Faisons que sur le temps la constance domine.
Jean de Sponde, Les Amours, dans Œuvres littéraires, édition
Alan Boase, Droz, 1978, p. 54.
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27/09/2015
Jacques Roubaud, Dix hommages / Octogone
In memoriam Edoardo Sanguineti
sopra il secondo versodi un sonetto rovesciato
Ed. S., in Renga, 1971.
Quelques jours avant la mort nous évoquions
Par lettre écrite, à l’ancienne, ces moments
<Antiques (quarante ans !) dans la fosse aux lions
De l’Hôtel Saint-Simon, quadri-dialoguant-
Sourds, ce renga occidental : lui, moi, pions
Agités plus qu’erratiques insolents
Dans le jeu par Octavio conçu : sonetto,
Sonnet, la chose italienne où Shakespeare
A passé ; Góngora, Marino, les pires
Poètes, et meilleurs ; Mallarmé, Giacomo
« Caro padre » notre, peu profond ruisseau
Calomnié la mort. La forme où l’écrire
Fut notre lien en toutes ces années. Dire
Cela soit ma poussière sur ce tombeau.
Jacques Roubaud, Dix hommages, Ink, 2011, np,
repris dans Octogone, Gallimard, 2014, p. 55.
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17/05/2015
Tristan Corbière, Las Amours jaunes
À un Juvénal de lait
Incipit, parve puer, risu cognoscere
À grands coups d’aviron de douze pieds, tu rames
En vers... et contre tous — Hommes, auvergnats, femmes. —
Tu n‘as pas vu l’endroit et tu cherches l’envers.
Jeune renard en chasse... Ils sont trop verts — tes vers.
C’est le vers solitaire. — On le purge. — Ces Dames
Sont le remède. Après tu feras de tes nerfs
Des cordes-à-boyaux ; quand, guitares sans âmes,
Les vers te reviendraient, déchantés et soufferts.
Hystérique à rebours, ta Muse est trop superbe,
Petit cochon de lait, qui n’as goûté qu’en herbe,
L’âcre saveur du fruit encore défendu.
Plus tard, tu colleras sur papier tes pensées,
Fleurs d’herboriste, mais, autrefois ramassées,
Quand il faisait beau temps au paradis perdu.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros,
T. C., Œuvres complètes, édition établie par Louis Forestier
et Pierre-Olivier Walser, Pléiade / Gallimard, 1970,
p. 764-765.
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31/03/2014
Shakespeare, Sonnet 1 (2)
Deux traductions du premier des Sonnets de Shakespeare.
From fairest creatures we desire increase,
That thereby beauty's rose might never die,
But as the riper should by time decease,
His tender heir might bear his memory ;
But thou contracted to thine own bright eyes,
Feed'st thy light's flame with self-substantial fuel,
Making a famine where abundance lies,
Thyself thy foe, to thy sweet self too cruel,
Thou that art now the world's fresh ornament.
And only herald to the gaudy spring,
Within thine own bud buriest thy content,
And, tender churl, mak'st waste in niggarding,
Pity the world, or else theis glutton be,
To eat the world's due, by the grave and thee.
The Oxford Shakespeare, The Complete Works, Clarendon Press, Oxford, 1988, p. 751.
Des plus beaux êtres, nous voulons croissance
et que par eux la rose point ne meure,
qu'ils laissent dans leur tendre descendance
la richesse qu'ils eurent à leur heure ;
mais toi fasciné par tes propres yeux,
tu te nourris toi-même de ta flamme,
empêchant que le lit de tes aïeux
se perpétue en fécondant la femme.
Ô toi, du monde si bel ornement
mais seul héraut de tes années superbes,
hélas ! ton bourgeon meurt en enterrant
ce que tu devrais nous offrir en gerbes
car tu ne peux permettre qu'au tombeau
tu donnes tout entier ton corps si beau.
Shakespeare, Sonnets, édition bilingue, traduits par William Cliff, Les éditions du Hasard, 2010, p. 9.
Les êtres les plus beaux on voudrait qu'ils s'accroissent
et que jamais leur splendeur n'en vienne à mourir
mais puisque avec le temps ce qui mûtit périt
qu'en soit mémoire au moins quelque tendre héritier.
Mais toi tu ne te voues qu'à l'éclat de tes yeux,
tu en nourris le feu par ta propre substance,
tu crées de la famine en un lieu d'abondance,
ennemi de toi-même et cruel à ton charme.
Toi qui es aujourd'hui le chatoiement du monde
et le seul messager du triomphal printemps,
dans ton propre bourgeon tu enterres ta sève
et par économie, cher faraud, tu gaspilles.
Ô prends pitié du monde ou sinon dévores
toi et la tombe, ce qu'au monde vous deviez.
Shakespeare, dans Jean Grosjean, Une voix, un regard, textes retrouvés, 1947-2004, édition de Jacques Réda, préface de J.M.G. Le Clézio, 2012, p. 232.
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30/03/2014
William Shakespeare, Sonnet 1 (1)
Trois traductions du premier des Sonnets de Shakespeare.
From fairest creatures we desire increase,
That thereby beauty's rose might never die,
But as the riper should by time decease,
His tender heir might bear his memory ;
But thou contracted to thine own bright eyes,
Feed'st thy light's flame with self-substantial fuel,
Making a famine where abundance lies,
Thyself thy foe, to thy sweet self too cruel,
Thou that art now the world's fresh ornament.
And only herald to the gaudy spring,
Within thine own bud buriest thy content,
And, tender churl, mak'st waste in niggarding,
Pity the world, or else theis glutton be,
To eat the world's due, by the grave and thee.
The Oxford Shakespeare, The Complete Works, Clarendon Press, Oxford, 1988, p. 751.
Sonnet I
Les êtres les plus beaux, on voudrait qu'ils engendrent
Pour que jamais la Rose de la beauté ne meure ;
Que, lorsque le plus mûr avec le temps succombe,
En son tendre héritier son souvenir survive ;
Mais, n'étant fiancé qu'à tes seuls yeux brillants,
Tu nourris cette flamme, ta vie, de ta substance,
Créant une famine où l'abondance règne,
Trop cruel ennemi envers ton cher toi-même.
Toi, le frais ornement de ce monde aujourd'hui,
Seul héraut du printemps chatoyant, tu enterres
Dans ton propre bourgeon ta sève et ton bonheur,
Et, tendre avare, en lésinant, tu dilapides.
Aie donc pitié du monde, ou bien la tombe et toi,
Glouton ! dévorerez ce qui au monde est dû.
William Shakespeare, Sonnets, texte établi, traduit de l'anglais et présenté par Robert Ellrodt, édition bilingue, Actes Sud, 2007, p. 57.
Des êtres les plus beaux nous voulons qu'ils procréent
Pour que la rose de beauté jamais ne meure
Et, quand tout défleurit, qu'eux restent vifs
Dans l'amour qu'ils auront de leur descendance.
Mais toi, tu t'es fiancé à tes yeux seuls,
Tu nourris de ta seule substance leur lumière,
Et la famine règne en terre d'abondance,
Tu es ton ennemi, injustement cruel.
Toi qui es la fraîcheur du monde, le héraut
Des fastes du printemps, tu scelles ton essence
Dans le germe sans joie d'une fleur absente,
Cher avare, par ladrerie tu te gaspilles.
Ah, aie pitié du monde, au lieu de dévorer
Cette vie qu'en mourant tu devras lui rendre.
William Shakespeare, Les Sonnets, présentés et traduits par Yves Bonnefoy, Poésie / Gallimard, 2007 [1993], p. 159.
Des créatures les plus belles nous désirons des naissances, que les beautés de la rose ne puissent mourir, mais que si la très mûre doit périr à son temps, son frêle héritier puisse en donner mémoire ;
Mais toi, voué à tes seuls yeux resplendissants, tu nourris l'éclat de ta flamme par le brûlement de la substance de toi-même, créant une famine où c'était l'abondance, toi-même ton ennemi et trop cruel envers ton cher toi-même.
Toi qui es aujourd'hui frais ornement du monde, et seul héraut du merveilleux printemps, tu enterres ton bien dans l'unique bourgeon, cher avare, tu fais par lésine la ruine.
Aie pitié pour le monde — ou bien sois ce glouton : mange le dû au monde, par toi, et par la tombe.
Shakespeare, Les Sonnets, dans Pierre Jean Jouve, Œuvre, II, édition établie par Jean Starobinski, Mercure de France, 2007, p. 2073.
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21/02/2014
Étienne de la Boétie, Œuvres complètes, Sonnets
Sonnets
X
Ores je te veux faire un solennel serment,
Non serment qui m'oblige à t'aimer davantage,
Car meshuy je ne puis ; mais un vrai tesmoignage
À ceux qui me liront, que j'aime loyaument.
C'est pour vrai, je vivrai, je mourrai en t'aimant.
Je jure le hault ciel, du grand Dieu l'héritage,
Je jure encor l'enfer, de Pluton le partage,
Où les parjurs auront quelque jour leur tourment ;
Je jure Cupidon, le Dieu pour qui j'endure ;
Son arc, ses traicts, ses yeux & sa trousse je jure :
Je n'aurois jamais fait : je veux bien jurer mieux,
J'en jure par la force & pouvoir de tes yeux,
Je jure ta grandeur, ta douceur & ta grace,
Et ton esprit, l'honneur de cette terre basse.
Étienne de la Boétie, Œuvres complètes, II, introduction, bibliographie et notes de Louis Desgraves, Conseil général de la Dordogne / William Blake ans Co, 1991, p. 120.
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03/01/2014
Théophile de Viau, Après m’avoir fait tant mourir
Ode
Un Corbeau devant moi croasse,
Une ombre offusque mes regards,
Deux belettes et deux renards
Traversent l’endroit où je passe :
Les pieds faillent à mon cheval,
Mon laquais tombe du haut mal,
J’entends craqueter le tonnerre,
Un esprit se présente à moi,
J’ois Charon qui m’appelle à soi,
Je vois le centre de la terre.
Ce ruisseau remonte en sa source,
Un bœuf gravit sur un clocher,
Le sang coule de ce rocher,
Un aspic s’accouple d’une ourse,
Sur le haut d’une vieille tour
Un serpent déchire un vautour,
Le feu brûle dedans la glace,
Le Soleil est devenu noir,
Je vois la Lune qui va choir,
Cet arbre est sorti de sa place.
Le monde renversé
Sonnet
L’autre jour inspiré d’une divine flamme,
J’entrai dedans un temple, où tout religieux
Examinant de près mes actes vicieux,
Un repentir profond fit soupirer mon âme.
Tandis qu’à mon secours tous les Dieux je réclame,
Je vois venir Phyllis : quand j’aperçus ses yeux
Je m’écriai tout haut : ce sont ici mes Dieux,
Ce temple, et cet Autel appartient à ma Dame.
Le Dieux injuriés de ce crime d’amour
Conspirent par vengeance à me ravir le jour ;
Mais que sans plus tarder leur flamme me confonde.
Ô mort, quand tu voudras je suis prêt à partir ;
Car je suis assuré que je mourrai martyr,
Pour avoir adoré le plus bel œil du monde.
Théophile de Viau, Après m’avoir fait tant mourir, Œuvres choisies, édition présentée et établie par Jean-Pierre Chauveau, Poésie / Gallimard, 2002, p. 88 et 90.
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29/12/2013
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
I Sonnet avec la manière de s’en servir
Vers filés à la main et d’un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton,
Qu’en marquant la césure, un des quatre s’endorme…
Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.
Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme ;
Aux fils du télégraphe : — on en suit quatre, en long ;
À chaque pieu, la rime — exemple : chloroforme,
— Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.
— Télégramme sacré — 20 mots. — Vite à mon aide…
(Sonnet — c’est un sonnet —) ô Muse d’Archimède !
— La preuve d’un sonnet est par l’addition :
— Je pose 4 et 4 = 8 ! Alors je procède
En posant 3 et 3 ! — Tenons Pégase raide :
« Ô lyre ! Ô délire ! Ô… » — Sonnet — Attention !
Pic de la Maladetta — Août.
Le crapaud
Un chant dans une nuit sans air…
La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.
… Un chant ; comme un écho, tout vif
Enterré, là, sous le massif…
— Ça se tait : Viens, c’est là, dans l’ombre…
— Un crapaud ! Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue… — Horreur !
… Il chante. — Horreur !! — Horreur pourquoi ?
Vois-tu pas son œil de lumière…
Non : il s’en va, froid, sous sa pierre…
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Bonsoir — ce crapaud-là c’est moi.
Ce soir, 20 juillet.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros, Tristan Corbière, Œuvres complètes, édition établie (pour Tristan Corbière) par Pierre-Olivier Walzer, avec la collaboration de Francis F. Burch pour la correspondance, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1970, p. 718 et 735.
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14/06/2013
Jacques Roubaud, La forme d'une ville change plus vite, hélas,...
Discours aux rues de Paris
« Rues
Madame
Mademoiselle
Monsieur »,
etc.
*
À la tour Eiffel
Tour Eiffel cesse de me dévisager comme ça
Si je t'offre un sonnet en vers de quatorze syllabes
(Un mètre assidûment cultivé par Jacques Réda)
Ce n'est pas pour que tu me toises de cet œil de crabe
Des toises, certes, tu en as et cette couleur « drab »
(Terne, comme disent les Anglais) du crabe tu l'as
Malgré le mercurochrome du mini-um dont la
Ville soigne tes griffures causées par vents et sables
Entre tes jambes écartées passe la foule épaisse
Qui te lorgne les dessous, que ne voiles-tu tes fesses
(D'ailleurs théoriques) il y a des enfants ici
Qui s'en retourneront bientôt rêver dans nos campagnes
Par trouble amour d'une géante à jamais pervertis
Comme hameaux intranquilles au pied d'une montagne.
Jacques Roubaud, La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains, Poésie/Gallimard, 2006 [1999], p. 233 et 105.
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11/05/2013
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
1 sonnet
avec la manière de s'en servir
Réglons notre papier et formons bien nos lettres :
Vers filés à la main et d'un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton ;
Qu'en marquant la césure, un des quatre s'endorme...
Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.
Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme ;
Aux fils du télégraphe : — on en suit quatre, en long ;
À chaque pieu, la rime — exemple : chloroforme,
— Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.
— Télégramme sacré — 20 mots — Vite à mon aide...
(Sonnet — c'est un sonnet —) ô muse d'Archimède !
— La preuve d'un sonnet est par l'addition :
— Je pose 4 et 4 — 8 ! Alors je procède,
En posant 3 et 3 ! — Tenons Pégase raide :
« Ô lyre ! Ô délire ! Ô...» — Sonnet — Attention !
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros, Tristan Corbière, Œuvres complètes, édition établie par Pierre-Olivier Walzer pour T. C., Bibliothèque de la Pléiade, 1970, p. 718.
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29/12/2012
Jacques Roubaud, Les animaux de tout le monde
La vache : description
La
Vache
Est
Un
Animal
Qui
A
Environ
Quatre
Pattes
Qui
Descendent
Jusqu'
À terre.
L'escargot
Il passe comme un paquebot
dans l'herbe tremblante de pluie
quand les araignées essuient
leurs toiles car il fait beau
J'ai toujours aimé l'escargot
son pas frais luisant et sans bruit
sa navigation dans la nuit
le long des murs, vivant cargo
on en retrouve le sillage
le matin, brillant au soleil
Où va l'escargot, qui voyage
dans le noir cornes en éveil ?
En haut du fenouil, en équilibre
il médite sur les étoiles libres.
Jacques Roubaud, Les animaux de tout le monde,
poèmes illustrés, Seghers, 1990, p. 74, 78.
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05/10/2012
Dominique Meens, Vers
Une lune énorme a surgi du bois
les engoulevents pétaradaient moi
ahuri j'inventais l'œil rond du lièvre
et l'heure dont je goutais l'humeur mièvre
dans sa nuit que fait le poète il boit
j'étranglerai la mienne sans émoi
quelque chaleur moite la tourterelle
ronronne il est midi le ciel querelle
venteux dessous du vert qu'il voudrait bleu
deux geais ont grincé j'arrive avec eux
noué l'appel anxieux d'un crécerelle
à l'orage imprévu qui précisément grêle
*
Novembre aux embruns de mélancolie
m'a cloué le bec je mâche ma nuit
ravale mes pleurs et mon cœur s'enfuit
d'un lieu perdu comme un amour s'oublie
non la cause mais l'effet où tout sombre
tout et rien soit la parence des mots
dont s'éprennent les esprits animaux
à la peine à la peine à la pénombre
novembre courtois la chanson est neuve
paroles en l'air musique à l'envers
avec un pendu au diable vauvert
imagine autour la ronde des veuves
et la mandragore et ses cris plaintifs
l'orfèvre bientôt et ses pendentifs
Dominique Meens, Vers, P. O. L, 2012, p. 78 et 38.
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09/07/2012
Louise Labé, Sonnet XIIII
Sonnet XIIII
Tant que mes yeux pourront larmes espandre,
A l'heur passé avec toy regretter,
Et qu'aux sanglots & soupirs resister
Pourra ma voix, & un peu faire entendre :
Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignart Lut, pour tes graces chanter :
Tant que l'esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toy comprendre :
Ie ne souhaitte encore point mourir.
Mais quand mes yeux ie sentiray tarir,
Ma voix cassee, & ma main impuissante,
Et mon esprit en ce mortel seiour
Ne pouvant plus montrer signe d'amante :
Prirey la Mort noircir mon plus cler jour.
Louise Labé, Œuvres, Lyon, chez Jean de Tournes,
1555, p. 118, dans Gallica, Bibliothèque numérique de la BNF.
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22/06/2012
Louise Labé, Sonnet III
Sonnet III
Ô longs désirs, ô espérances vaines,
Tristes soupirs & larmes coutumières
À engendrer de moi maintes rivières
Dont mes deux yeux sont sources & fontaines :
Ô cruautés, ô dur[e]tés inhumaines,
Piteux regards des célestes lumières :
Du cœur transi ô passions premières,
Estimez-vous croître encore mes peines ?
Qu'encor Amour sur moi son arc essaie,
Que nouveau feu me guette & nouveaux dards
Qu'il se dépite, & pis qu'il pourra face :
Car je s[u]is tant navrée en toutes parts,
Que plus en moi une nouvelle plaie,
Pour m'empirer ne pourrait trouver place.
Louise Labé, Œuvres, Lyon, chez Jean de Tournes, 1555, p. 113.
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