24/06/2018
Bo Carpelan (1926-2011), Un autre langage
Métamorphoses du paysage
Métamorphoses du paysage, le cri
ivre du sommeil de la mort près du lit
où l’amour a déjà veillé —
paysage éternel
comme les nuages qui tintent dans le vent,
les voix avant que la mort les récolte,
les gens, les troupeaux de bétail
et les nuits tombantes du silence
les reflets tendres
de la vague éternelle
rayonnant à travers le sang :
nomade en toi, je vois
les ombres chinoises du manque
et le poids oscillant des montagnes en flammes.
Bo Carpelan, Un autre langage, traduction du suédois
(Finlande) Pierre Grouix, dans poe&sie, n° 131-132, p. 87.
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25/10/2017
Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, treize à quinze
Le 2 août [2011]
Les fantômes n’ont pas besoin de se cacher, ils habitent toutes les collines. Il suffit de les lire, car ils viennent parfois dans des phrases exceptionnelles qui les libèrent. Souvent à notre insu, incrustation de chair dans le paysage. Chevreuil à dix pas. Perdrix mixte.
Le désir implante ses peut-être, où écrire s’ensource en continu.
Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, treize à seize, Flammarion, 2016, p. 121.
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02/10/2017
Guillevic, Relier
Brabant
Voir l’étendue
Venir vers toi.
L’espace est plus
Que du volume
Qui veut s’ouvrir.
L’espace n’est pas
Quelque chose qui se donne.
Le souffle de l’étendue
S’appelle l’espace.
Tourne le dos à l’espace
Il te rattrapera.
Tout cela
Que tu ne caresseras
Que de l’œil.
Même si ce paysage
Ne veut pas de toi,
Plonges-y ton front.
De ce paysage
Ne se lèvera
Que ce que tu feras se lever.
Prends autrement
Ce que tu ne peux
Prendre dans tes mains.
Guillevic, Relier, Gallimard,
2007, p. 307-308.
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12/09/2017
Claude Chambard, Le chemin vers la cabane
le jardin est désert
aucun chemin n’en part
ciel vert le matin
ciel rouge le soir
un assemblage un paysage
la porte du paradis
est condamnée
faute de clef
il n’y a pas de sentier derrière la porte fermée
partout le paysage est interrompu
par de méchantes larmes
(en Petite Sologne)
Claude Chambard, Le chemin vers la cabane, le bleu
du ciel, 2008, p. 16.© Photo Michel Durigneux.
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10/05/2017
Paysages (Périgord)
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24/03/2017
Gilbert Vautrin, Anges et Corbeau
À Bagdad
il y a des yeux comme des soleils voilés
à Bagdad partout sur la terre
il y a des yeux comme des soleils voilés
mais c’est si loin à Bagdad
parce qu’on ne tue pas que le temps…
tu disais hier encore
nous étions tous des anges
aujourd’hui je ne vois plus le paysage
j’appelle je dis ce n’est qu’un geste
comme si l’ombre venait de la parole
parce qu’on ne tue pas que le temps
cette voix qui n’en finissait pas
d’être et de se perdre
là où le cœur est sans pourquoi
cette voix qui n’en finissait pas…
Gilbert Vautrin, Anges et Corbeau, sérigraphies
D’Élisabeth Bard, Æncrages & Co, 2015, np.
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10/01/2017
James Sacré, Cappuccino brioche au Belvedere Bar à Montalcino
Si j’étais peintre et doué pour le dessin
En quelques traits et taches de couleur
J’aurais là sur le papier ce qu’on voit de la campagne par le fond vitré du café :
Au pied des dernières maisons avant la chute en presque falaise
Toits de tuiles qui se distinguent mal de la pierre et briques des murs…
J’aurais là sur mon papier le silence ou l’esprit de Montalcino.
Paysage toscan sans trop de cyprès (il n’y en a pas
Dans les fresques de Lorenzetti à Sienne,
Ou de Signorelli Monte Olivero Maggiore) :
La très large étendue de campagne s’ouvre au loin
Jusqu’à sa remontée vers des Crêtes perdues dans le gris d’aujourd’hui
Taches de verts, et d’autres couleurs de terre
À peine soulignées d’arbres et de buissons.
Je dessine quoi avec des mots ? Et quel rapport
Entre le rythme de mes vers et celui des lignes
Qui tiennent le paysage et l’ouvrent dans l’infini ?
James Sacré, Cappuccino brioche au Belvedere Bar à Montalcino, Faï fioc, 2016.
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28/06/2015
Alberto Giacometti, Écrits
Paysage ! Paysage ! Ciel du matin, ciel du soir toujours doré là-bas au fond. Ah ! Comment dire ? On ne peut pas dire, il faut les peindre les grands ciels liquides et les avoir et les a r b r e s ! les arbres ! les arbres !
Depuis quinze jours j’essaie de faire des paysages. Je passe toutes les journées devant le même jardin, les mêmes arbres et le même fond. J’ai vu ce paysage la première fois le matin, brillant de soleil, les arbres couverts de fleurs, et dans le fond, très loin, les montagnes couvertes de neige. C’est ça que je voulais peindre mais depuis le ciel est moins clair, il pleut souvent, les montagnes je ne les vois plus depuis quinze jours, les fleurs sont fanées, les blanches et les lilas, et je continue mes paysages jusqu’à la nuit. Chaque jour je vois un peu plus que je ne vois presque rien et je ne sais plus du tout comment, par quel moyen, je pourrais mettre sur la toile quelque chose de ce que je vois. Tout espoir de rendre la vision du premier jour est disparu mais cela m’est assez indifférent. Ce paysage ne devait être qu’un commencement. C’est celui que j’ai tout le temps sous les yeux devant la porte de mon atelier, j’en ai vu beaucoup d’autres dans les environs que je voulais faire aussi, un je l’ai commencé un jour.
Alberto Giacometti, Écrits, Hermann, 1990, p. 202.
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28/09/2014
Georg Trakl, Poèmes, traduits et présentés par Guillevic
Paysage
Soir de septembre ; les sombres appels des
bergers tristement résonnent
À travers le village au crépuscule ; du feu jaillit dans la forge.
Puissamment se cabre un cheval noir ; les boucles de jacinthe de la [servante
Happent l'ardeur de ses pourpres naseaux.
Doucement se fige à la lisière du bois le cri de la biche
Et les fleurs jaunes de l'automne
Se penchent muettes sur la face bleue de l'étang.
Dans une flamme rouge un arbre a brûlé ;
figures sombres de chauve-souris s'élevant en battant des ailes.
Landschaft
Septemberabend ; traurig tönen die dunklen Rufe der Hirten
Durch das dämmernde Dorf ; Feuer sprüht in der Schmiede.
Gewaltig bäumt sich ein schwarzes Pferd ; die hyazinthenen Locken [der Magd
Haschen nach der Inbrunst seiner purpurnen Nüstern.
Leise estarrt am Saum des Waldes der Schrei der Hirschkuh
Und die gelben Blumen des Herbstes
Neigen sich sprachlos über das blaue Antlitz des Teichs.
In roter Flamme verbrannte ein Baum , aufflattern mit dunklen [Gesichtern die Fledermäuse.
Georg Trakl, Poèmes, traduits et présentés par Guillevic, Obsidiane, 1986, p. 25 et 24.
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31/01/2014
James Sacré, Portrait du père en travers du temps
Une semaine avec James Sacré
Il n'y a qu'un paysage où j'inventais mon enfance
Qui m'inventait dans ses grands ormes devant la maison
Dans les tas de bûches et de rondins, de fagots
(Les Mouches qu'on appelait l'endroit),
Et le pailler en forme de grande meule dans le vent,
Le foin sous les hangars qu'on était bien dedans...
Il y a que ce paysage a disparu
Les chemins que je prenais, l'arrangement des pâtis, des [prailles, les fontaines
Tout a été défait on ne sait plus très bien
À quoi correspondaient des noms de lieux qu'on a gardés.
Et ça n'est plus que dans le souvenir, de moins en moins [précis,
Que j'en ai.
(29 juillet 2005-17 mars 2007)
James Sacré, Portrait du père en travers du temps, lithographies de Djamel Meskache, La Dragonne, 2009, p. 45.
Photographie Tristan Hordé
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06/10/2012
James Sacré, Le paysage est sans légende,
Malgré des mots qu'on y met
Je me rappelle très bien, près d'une ville dont on pourrait dire le nom
La forme d'un village courant sur l'arête d'un long rocher
On le voir à partir d'un autre parvis de pierre
De ce côté-ci de la faille avec du vert qui suit un cours d'eau.
Il y a eu soudain la présence d'un jeune garçon
Dans un vêtement blanc, son invite à traverser. Quelques mots.
On pourrait dire son nom et donner une adresse.
Une autre année le village est resté dans la solitude de nos yeux.
Dans son peu de vert, avec le brillant d'un souvenir.
Une autre année presque tout
Disparaît dans un poème.
*
Je m'en retourne où je ne verrai pas
Ce qui ressemble à du paysage déchiré dans la montagne;
Si le vif des pentes nues
En cette fin d'octobre, et quelques silhouettes dans le lointain
Peut-être une ou deux mules, la pointe d'un capuchon
Ou le geste qui dresse
Un outil agricole dans un endroit plus cultivé du pays
Vont pas quand même
Récrire dans l'œil de ma mémoire
Ce dessin broussaillé qui déchire le temps ?
[...]
James Sacré, Le paysage est sans légende, "Al Manar", éditions Alain Gorius, 2012, p. 20-21.
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02/10/2012
Marie Cosnay, Des métamorphoses
L'incendie debout sur ses petites pattes rouges s'élevait, trouait le ciel pâle à souhait. Des silhouettes allaient à travers les giclées verticales du feu. De lourdes flammes léchaient les vitrines, les bibliothèques, les salons, les chambres et les cabanons où se camouflaient à l'écart des villes, parfois sur des rivages de magnificence, parfois dans les collines ou les territoires déserts, les plus innocentes des grandes et petites personnes. Dans les forêts les arbres tendaient les bras. Des suppliants, transformés en troncs et têtes feuillues pour peine reçue et fautes anciennes. La terre était remuée. C'était une odeur de pins, une odeur peu commune de montagne ou de sexe, une odeur interdite. L'odeur inconnue s'élevait de la terre noire et grasse qui gigotait, soufflait d'abruptes cheminées, on ne sait pas exactement ce qui bougeait, vermines ou corps inachevés. On voulait respirer, respirer, courir et galoper, mais on allait à tout petits pas. Les arbres terrifiants se courbaient et une armée ensevelie d'enfants gémissait à petits pleurs. Les tertres improvisés grondaient, les bouches de terre haletaient.
Marie Cosnay, Des métamorphoses, collection "Grands fonds", Cheyne éditeur, 2012, p. 61-62.
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26/09/2012
Jean Frémon, Rue du Regard
Paysage / Figure
La très étroite bande verticale de paysage qui se découpe entre le mur et le volet à demi fermé de la fenêtre qui éclaire la chambre nuptiale où les époux Arnolfini se tiennent , debout, par la main, est très irréelle. Très imaginaire.
Par une effet de métonymie, on a coutume d'appeler Figure un tableau plus haut que large, parce qu'il est plutôt approprié au portrait, buste, mi-corps ou en pied, et Paysage un tableau plus large que haut. (Par la vertu d'une seule ligne horizontale, un sol et un ciel sont là, c'est un paysage, le reste est facultatif. Il serait amusant de chercher les exceptions — Corot, il peint les arbres comme des figures, Constable aussi.)
Verticale, la bande de paysage des Arnolfini est plus une figure qu'un paysage, c'est l'intrusion, à dose infinitésimale, comme par une meurtrière, du mythe du paradis perdu dans le rite matrimonial. Adam et Éve, chassés par Mantegna, ont retrouvé un bercail. Il est cossu, il est même sacré, on est près de se déchausser !
Sur l'appui de la fenêtre, comme oubliée là par mégarde, une pomme, en pleine lumière, avec sa petite ombre portée, vient opportunément rappeler l'innocence d'avant la chute.
Jan Van Eyck était là.
Jean Frémon, Rue du Regard, P. O. L, 2012, p. 199-200.
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18/08/2012
John Ashbery, Poèmes français, dans Fragment
Simples, les arbres posés sur le paysage
Comme des gerbes de foin qu’on aurait laissé traîner là.
Le crottin des chevaux disparus, les pierres qui l’imitent,
Tout nous parle des cieux, qui ont créé cette scène
Par leur seule position.
Or en s’associant trop strictement aux trajets des choses
On perd cette sublime espérance faite de la lumière qui asperge les arbres.
Car chaque progrès est négation, de mouvement et surtout de nombre.
Ce nombre ayant perdu sa finesse indescriptible
Tout doit être perçu comme quantités infinies de choses.
Tout est paysage : perspective de rochers
Battues par d’innombrables vagues ;
Champs de blé à ne plus pouvoir en compter ; forêts
Aux sentiers perdus ; tours de pierre
Et enfin et surtout les grands centres urbains, avec
Leurs buildings et leurs populations, au centre desquels
Nous vivons notre vie, faite d’une grande quantité d’instants isolés
Pour être perdue au sein d’une multitude de choses.
John Ashbery, Poèmes français, dans Fragment, traduit de l’américain par Michel Aucouturier, Seuil, 1975, p. 18.
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09/03/2012
Claude Dourguin, Laponia
[...] Un vieil instinct à foulées lentes fait se remettre en route, étranger à toute intimité — ailleurs la courbe d'une prairie, un boqueteau de peupliers au creux d'un vallon —, le paysage boréal est inhabitable. Il ne permet, évidence familière chérie, jamais redoutée, que la traversée ; le parcours est la seule approche, cette sympathie dynamique, aérienne qui lie au paysage, fait éprouver sa vérité, livre son être même. Certaines hautes terres, roches, landes et pelouses livrées au seul vent accordent cette ivresse. Mais la variété des formes rencontrées, les toits humains en une ou deux journées de marche vite rejoints, provoquent l'attention, sollicitent les rêveries et atténuent l'intensité de la perception de l'étendue, lui donnent les limites des moments. Ici à traverser les centaines de kilomètres sans âme qui vive que le blanc unifie j'éprouve l'espace nu, bien des fois il ma semblé le pousser devant moi, à l'infini toujours reconstitué, inépuisable, et peut-être est-ce folie dont me tient l'exaltation, avancer projetée vers là-bas, allégée, délivrée des attaches et du regard par-dessus l'épaule, toute entière dessein, tendue vers l'avenir inconnu, illusoire peut-être, qui se confond avec le franchissement des distances. Alors cet élan sans rupture que rien n'arrête — un jour, la mer, seule — tient lieu de destin.
Claude Dourguin, Laponia, éditons Isolato, 2008, p. 41-42.
© Photo Claude Dourguin.
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