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09/03/2012

Claude Dourguin, Laponia

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[...] Un vieil instinct à foulées lentes fait se remettre en route, étranger à toute intimité — ailleurs la courbe d'une prairie, un boqueteau de peupliers au creux d'un vallon —, le paysage boréal est inhabitable. Il ne permet, évidence familière chérie, jamais redoutée, que la traversée ; le parcours est la seule approche, cette sympathie dynamique, aérienne qui lie au paysage, fait éprouver sa vérité, livre son être même. Certaines hautes terres, roches, landes et pelouses livrées au seul vent accordent cette ivresse. Mais la variété des formes rencontrées, les toits humains en une ou deux journées de marche vite rejoints, provoquent l'attention, sollicitent les rêveries et atténuent l'intensité de la perception de l'étendue, lui donnent les limites des moments. Ici à traverser les centaines de kilomètres sans âme qui vive que le blanc unifie j'éprouve l'espace nu, bien des fois il ma semblé le pousser devant moi, à l'infini toujours reconstitué, inépuisable, et peut-être est-ce folie dont me tient l'exaltation, avancer projetée vers là-bas, allégée, délivrée des attaches et du regard par-dessus l'épaule, toute entière dessein, tendue vers l'avenir inconnu, illusoire peut-être, qui se confond avec le franchissement des distances. Alors cet élan sans rupture que rien n'arrête — un jour, la mer, seule — tient lieu de destin.

 

Claude Dourguin, Laponia, éditons Isolato, 2008, p. 41-42.

© Photo Claude Dourguin.

19/01/2012

Nelly Sachs, Brasier d'énigmes et autres poèmes

 

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Dans un paysage

 

Dans un paysage de musique

dans une langue uniquement de lumière

dans une gloire

que s'est allumé le sang

avec les paroles de la nostalgie,

 

là-bas où les épidermes,

les yeux, les horizons,

où la main et le pied

ne se distinguent déjà plus,

 

là-bas où le parfum de santal

déjà flotte malgré l'absence du bois

et où l'haleine continue à construire cet espace

qui n'est que frontières outrepassées...

 

Ici où le soir de son torchon rouge

excite jusqu'à la mort

le taureau de la vie,

 

ici s'étend mon ombre

main de nuit

 

qui possédée de l'esprit noir du chasseur

a tué

l'oiseau rouge du sang.

 

In einer Landschaft

 

In einer Landschaft aus Musik,

in einer Sprache nur aus Licht,

in einer Glorie,

die das Blut

sich mit der Sehnsucht Zunge angezündet,

 

dort wo die Haüte,

Augen, Horizonte,

wo Hand und Fuss

schon ohne Zeichen sind,

 

dort wo des Sandelbaumes Dufr

schon holzlos schwebt

und Atem baut au jenem Raume weiter,

der nur aus übertretnen Schwellen ist —

 

Hier wo ein rotes Abendtuch

den Stier des Lebens reizt

bis in den Tod,

 

hier liegt mein Schatten,

eine Hand der Nacht,

 

die mit des schwarzen Jägers Jagegeist

des Blutes roten Vogel

angeschossen hat.


Nelly Sachs, Brasier d'énigmes et autres poèmes, édition bilingue, traduit de l'allemand par Lionel Richard, "Les Lettres Nouvelles", Denoël, 1967, p. 103 et 102.