18/08/2012
John Ashbery, Poèmes français, dans Fragment

Simples, les arbres posés sur le paysage
Comme des gerbes de foin qu’on aurait laissé traîner là.
Le crottin des chevaux disparus, les pierres qui l’imitent,
Tout nous parle des cieux, qui ont créé cette scène
Par leur seule position.
Or en s’associant trop strictement aux trajets des choses
On perd cette sublime espérance faite de la lumière qui asperge les arbres.
Car chaque progrès est négation, de mouvement et surtout de nombre.
Ce nombre ayant perdu sa finesse indescriptible
Tout doit être perçu comme quantités infinies de choses.
Tout est paysage : perspective de rochers
Battues par d’innombrables vagues ;
Champs de blé à ne plus pouvoir en compter ; forêts
Aux sentiers perdus ; tours de pierre
Et enfin et surtout les grands centres urbains, avec
Leurs buildings et leurs populations, au centre desquels
Nous vivons notre vie, faite d’une grande quantité d’instants isolés
Pour être perdue au sein d’une multitude de choses.
John Ashbery, Poèmes français, dans Fragment, traduit de l’américain par Michel Aucouturier, Seuil, 1975, p. 18.
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09/03/2012
Claude Dourguin, Laponia

[...] Un vieil instinct à foulées lentes fait se remettre en route, étranger à toute intimité — ailleurs la courbe d'une prairie, un boqueteau de peupliers au creux d'un vallon —, le paysage boréal est inhabitable. Il ne permet, évidence familière chérie, jamais redoutée, que la traversée ; le parcours est la seule approche, cette sympathie dynamique, aérienne qui lie au paysage, fait éprouver sa vérité, livre son être même. Certaines hautes terres, roches, landes et pelouses livrées au seul vent accordent cette ivresse. Mais la variété des formes rencontrées, les toits humains en une ou deux journées de marche vite rejoints, provoquent l'attention, sollicitent les rêveries et atténuent l'intensité de la perception de l'étendue, lui donnent les limites des moments. Ici à traverser les centaines de kilomètres sans âme qui vive que le blanc unifie j'éprouve l'espace nu, bien des fois il ma semblé le pousser devant moi, à l'infini toujours reconstitué, inépuisable, et peut-être est-ce folie dont me tient l'exaltation, avancer projetée vers là-bas, allégée, délivrée des attaches et du regard par-dessus l'épaule, toute entière dessein, tendue vers l'avenir inconnu, illusoire peut-être, qui se confond avec le franchissement des distances. Alors cet élan sans rupture que rien n'arrête — un jour, la mer, seule — tient lieu de destin.
Claude Dourguin, Laponia, éditons Isolato, 2008, p. 41-42.
© Photo Claude Dourguin.
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19/01/2012
Nelly Sachs, Brasier d'énigmes et autres poèmes

Dans un paysage
Dans un paysage de musique
dans une langue uniquement de lumière
dans une gloire
que s'est allumé le sang
avec les paroles de la nostalgie,
là-bas où les épidermes,
les yeux, les horizons,
où la main et le pied
ne se distinguent déjà plus,
là-bas où le parfum de santal
déjà flotte malgré l'absence du bois
et où l'haleine continue à construire cet espace
qui n'est que frontières outrepassées...
Ici où le soir de son torchon rouge
excite jusqu'à la mort
le taureau de la vie,
ici s'étend mon ombre
main de nuit
qui possédée de l'esprit noir du chasseur
a tué
l'oiseau rouge du sang.
In einer Landschaft
In einer Landschaft aus Musik,
in einer Sprache nur aus Licht,
in einer Glorie,
die das Blut
sich mit der Sehnsucht Zunge angezündet,
dort wo die Haüte,
Augen, Horizonte,
wo Hand und Fuss
schon ohne Zeichen sind,
dort wo des Sandelbaumes Dufr
schon holzlos schwebt
und Atem baut au jenem Raume weiter,
der nur aus übertretnen Schwellen ist —
Hier wo ein rotes Abendtuch
den Stier des Lebens reizt
bis in den Tod,
hier liegt mein Schatten,
eine Hand der Nacht,
die mit des schwarzen Jägers Jagegeist
des Blutes roten Vogel
angeschossen hat.
Nelly Sachs, Brasier d'énigmes et autres poèmes, édition bilingue, traduit de l'allemand par Lionel Richard, "Les Lettres Nouvelles", Denoël, 1967, p. 103 et 102.
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