06/09/2024
Eugenio de Signoribus, Isthmes & écluses
(concours civique)
devant notre orgueil, notre civilisation
la langue se cabre en parabolant
la bien commun, la structure municipale
la forteresse civile occidentale
orgueil qui rabâche, vanité, semences
d’idées grossière et airs supérieurs
cigales en chaussures vernies
mires et fards de l’aspect brutal
Eugenio de Signoribus, Isthmes & écluses,
traduction Thierry Gillybœuf, Rehauts,
2024, p. 39.
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05/09/2024
Eugenio de Signoribus, Isthmes & écluses
(disparitions)
les fileurs fous se sont comme dissous
après avoir détruit leurs lents métiers
d’aucuns respirent dans des maisons éparses, des villages
d’autres se sont tués avec leur chanvre
Eugenio de Signoribus, Isthmes & écluses, traduction
Thierry Gillybœuf, Rehauts, 2024, p. 29.
04/09/2024
Jacques Roubaud, Octogone
Douce
le ruban de l’air roule autour de la lampe
l’acacia tombe sur elle doucement
le temps vient de l’est
temps de feutre à moitié aussi de crépitements
l’air l’enveloppe d’étamines
douce
mais morte
c’est tout à fait ça douce
mais morte
Jacques Roubaud, Octogone, Gallimard, 2014, p. 279.
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03/09/2024
Jacques Roubaud, La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains
L’automne rue du printemps
Les feuillages du boulevard Pereire (sud)
Roussissent
Déjà
Ça choque
On devrait barrer d’u grand rideau
De toile le bout de cette rue
Résolument terne, et ne le tirer
Que le jour du printemps.
Jacques Roubaud, La forme d’une ville change plus vite,
hélas, que le cœur des humains, Poésie/Gallimard, 1999, p. 66.
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02/09/2024
Jacques Roubaud, In memoriam Edoardo Sanguinati
In memoriam Edoardo Sanguineti
Quelques jours avant la mort nous évoquions
Par lettre écrite, à l’ancienne, ces moments
Antiques (quarante ans !) dans la fosse aux lions
De l’Hôtel Saint-Simon, quadri-dialoguant
Sourds, ce renga occidental : lui, moi, pions
Agités plus qu’erratiques insolents
Dans le jeu par Octavio conçu : sonetto,
Sonnet, la chose italienne où Shakespeare
A passé ; Gongora, Marino, les pires
Poètes, et meilleurs ; Mallarmé, Giacomo
‘Caro padre’ notre, « peu profond ruisseau
Calomnié la mort ». La forme où l’écrire
Fut notre lien en toutes ces années. Dire
Cela soit ma poussière sur ce tombeau.
Jacques Roubaud, Dix hommages, ink, 2011, np.
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01/08/2024
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis
Mémoire
mémoire : née tardivement
corps continus êtres réels et infinis
loin de l’instant désignés par la souffrance
du souvenir qui ne veut pas que j’oublie
du souvenir qui n’oublie pas ce que je veux
mémoire entretissée de nuits
le temps se reforme autour d’une voix
les surfaces sans nom et le sans nom s’apparient
l’espace s’agrège enfin, se duplique
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis,
Gallimard, 1991, p. 54.
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31/07/2024
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis
Plénitude
tout ce qu’un monde pourrait être, quoi que ce soit
est, quelque part, en quelque façon,
plénitude des possibles, consistance.
n’importe quelle tête parlante, la mienne,
par exemple, contiguë à ton corps
et
pourquoi non
contre mon visage, le visage d’ange, le noir visage même,
mais toutes les places sont prises, tous les mondes
indisponibles,
pour toi.
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis, Gallimard,
1991, p. 38.
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30/07/2024
Pierre Reverdy, Autres écrits sur l'art et la poésie
Réponse à l’enquête « Pourquoi écrivez-vous ? »
Vous m’écrivez pour me demander
J’écris pour vous répondre
On écrit aussi pour faire parler de soi, en s’occupant bien plus de faire écrire sur ses œuvres que de savoir si elles sont dignes qu’on en parle ; mais ceci est une tendance ! Pour le moment je ne lis que les affiches électorales. Eh bien, on écrit aussi pour que les autres en prennent de la graine !!! Vous comprenez ce qu’il y a !
Littératuren°10, décembre 1919.
Pierre Reverdy, Autres écrits sur l'art et la poésie, dans Œuvres complètes, I, Flammarion, 2010, p. 562.
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29/07/2024
Pierre Reverdy, Self defence
On a combattu et injurié tous les grands artistes, d’où les petits qu’on maltraite concluent qu’ils sont grands.
Beaucoup de camaraderies artistiques ne sont que des contrats de publicité.
La vulgarisation d’une œuvre n’est que la conséquence et le développement du germe vulgaire qu’elle portait à son début.
Il y a à chaque époque quelques créateurs originaux, le reste c’est le remplissage et ce remplissage la part entière — pour un moment.
Si un auteur ne veut qu’étaler ses dons, il est libre, les tempéraments doués fourmillent. Mais l’art veut une discipline. Il n’y a pas d’art sans discipline, il n’y a pas d’art personnel sans discipline personnelle.
Pierre Reverdy, Self defence, dans Œuvres complètes, I, Flammarion, 2020, p. 528, 528, 529, 530, 530.
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28/07/2024
Pierre Reverdy, Cravates de chanvre
Adieu
La lueur plus loin que la tête
Le saut du cœur
Sur la pente où l’air roule sa voix
les rayons de la roue
le soleil dans l’ornière
Au carrefour
près du talus
une prière
Quelques mots que l’on n’entend pas
Plus près du ciel
Et sur ses pas
le dernier carré de lumière
Pierre Reverdy, Cravates de chanvre, dans Œuvres complètes, I,
Flammarion, 2010, p. 342.
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27/07/2024
Pierre Reverdy, La guitare endormie
L’amour dans la boutique
Tout ce qui se passe glisse dans la pénombre
C’est ce carré au sol qui marque la limite et le nombre
C’est un peu de soleil
Chaud derrière la tête
La poussière ou les bulles de l’air montent sur la cloison
Sortent sur le palier
L’amour se vend dans la boutique
Mais cette forme d’ombre ou blanche ou encore qui ne bouge pas sur la tenture
À l’angle plus étroit
Qui est-ce
Pierre Reverdy, La guitare endormie, dans Œuvres complètes, I,
Flammarion, 2010, p. 270.
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26/07/2024
Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit
Soleil
Quelqu’un vient de partir
Dans la chambre
Il reste un soupir
La vie déserte
La rue
Et la fenêtre ouverte
Un rayon de soleil
Sur la pelouse verte
Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit,
dans Œuvres complètes tome I,
Flammarion, 2010, p. 193.
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25/07/2024
Jean-Luc Sarré, Autoportrait au père absent
Ni vert ni violet, pas le moindre reflet,
si la démarche est tout aussi saccadée
le plumage est plus terne que celui des adultes.
Trois pies arpentent le pré en quête de ce qu’elles trouvent
mais la volée d’une cloche ou deux avant l’office
qui convoque et rassemble ses ouailles les disperse,
à moins que ce ne soit le tché-tché-tché d’alarme.
Pure coïncidence ? Simultanéité ?
Tout compte fait ce dimanche n’avait rien d’insipide.
C’était bien. Je ne m’en aperçois que ce soir.
Jean-Luc Sarré, Autoportrait au père absent, Le Bruit du temps, 2010, p. 70.
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24/07/2024
Jean-Luc Sarré, Poèmes costumés avec attelages...
L’éraillure d’un coup de clairon
dans le silence de l’office
et la bonne empoigne sa jupe
avant de franchir en deux bonds
la volée de marches qui délivre
de la monotonie des jours.
Derrière la grille passe la fanfare,
et les couleurs d’un amoureux
dont les joues sollicitent les basses
d’un tuba, scrupuleusement.
Jean-Luc Sarré, Poèmes costumés avec attelages
et bestiaire en surimpression, Farrago/Léo Scheer,
2003, p. 81.
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23/07/2024
Jean-Luc Sarré, Bardane
Son chien l’ignore
son chat l’a quitté pour la voisine
même sa villa se gausse
lui tire une langue
haute de quinze marches
et de sa glycine qui embaume
il se sent si indigne
qu’il n’ose jouir de son ombre.
Jean-Luc Sarré, Bardane, farrago,
2001, p. 45.
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