27/04/2025
Philippe Jaccottet, Observations I
Le vingt-huit novembre au matin, comme je passais le pont du Carrousel, une brume sans aucun poids ni moiteur (le ciel au zénith étant clair) enveloppait encore la Seine, le Louvre, la passerelle des Arts et au moins la base de l’Île. Ni la Tour Saint-Jacques, ni le City-Hôtel, ni le Vert Galant n’existaient plus qu’une âme endormie. Un soleil parfaitement rouge apparut dans leur rêve et roula, par-dessus les toits du Louvre jusque sur le jardin qu’ils encadrent.
Philippe Jaccottet, Observations I, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard,
2014, p. 32.
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René Char, Rougeur des Matinaux
III. Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront.
IV. Au plus fort de l’orage, il y a toujours un oiseau pour nous rassurer. C’est l’oiseau inconnu. Il chante avant de s’envoler.
VI. Allez à l’essentiel : vous n’avez pas besoin de jeunes arbres pour reboiser votre forêt ?
IX. . Il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière. Beaux yeux brûlés parachèvent le don.
XX. Il semble que l’on naît toujours à mi-chemin du commencement et de la fin du monde. Nous grandissons en révolte ouverte presque aussi furieusement contre ce qui nous entraîne que contre ce qui nous retient.
René Char, Rougeur des Matinaux, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1981, p. 328, 330, 330, 331, 333.
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26/04/2025
René Char, Le Consentement tacite
Les lichens
Je marchais parmi les bosses d’une terre écurée, les haleines secrètes, les plantes sans mémoire. La montagne se levait, flacon empli d’ombre qu’étreignait par instants le geste de la soif. Ma trace, mon existence se perdaient. Ton visage glissait à reculons devant moi. Ce n’était qu’une tache à la recherche de l’abeille qui la ferait fleur et la dirait vivante.
Nous allions nous séparer. Tu demeurerais sur le plateau des arômes et je pénètrerais dans le jardin du vide. Là, sous la sauvegarde des rochers, dans la plénitude du vent, je demanderais à la nuit véritable de disposer de mon sommeil pour accroître ton bonheur. Et tous les fruits t’appartiendraient.
René Char, Le Consentement tacite, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1981, p. 316-317.
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25/04/2025
René Char, Le Poème pulvérisé
Marthe
Marthe que ces vieux murs ne peuvent pas s’approprier, fontaine où se mire ma monarchie solitaire, comment pourrai-je jamais vous oublier puisque je n’ai pas à me souvenir de vous : vous êtes le présent qui s’accumule. Nous nous unirons sans avoir à nous aborder, à nous prévoir comme deux pavots font en amour une anémone géante.
Je n’entrerai pas dans votre cœur pour limiter sa mémoire. Je ne retiendrai pas votre bouche pour l’empêcher de s’entrouvrir sur le bleu de l’air et la soif du jardin. Je veux être pour vous la liberté et le vent de la vie qui passe le seuil de toujours avant que la nuit ne devienne introuvable.
René Char, Le Poème pulvérisé, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1981, p. 260.
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24/04/2025
René Char, Feuillets d'Hypnos
41
S’il n’y avait pas parfois l’étanchéité de l’ennui, le cœur s’arrêterait de battre.
46
L’acte est vierge, même répété.
59
Si l’homme parfois ne fermait pas souverainement les yeux, il finirait par ne plus voir ce qui vaut d’être regardé.
62
Notre héritage n’est précédé d’aucun testament.
83
Le poète, conservateur des infinis visages du vivant.
René Char, Feuillets d’Hypnos, dans Œuvres complètes,
Pléiade/Gallimard, 1981, p. 185, 186, 187, 190, 193.
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23/04/2025
René Char, Dehors la nuit est gouvernée
Dent prompte
5
Comme midi fume un verre
Tout ce que j’aimais a fléchi
Tangible anodin familier
Un visage que je ressentais teneur d’arène
Un corps qui glaçait les dents du vent
Quelques voix festivales plus adroites que la création
Une parole d’immunité où s’empêtre toute audace
Je me suis accoutumé au mouvement perpétuel de la solitude
À son guidon décoré de poussière
À son belvédère aux marches d’escalier accablant.
René Char, Dehors la nuit est gouvernée, dans
Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1981, p.119.
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22/04/2025
René Char, Les Loyaux Adversaires
Chaume des Vosges
Beauté, ma toute droite, par des routes si ladres,
À l’étape des lampes et du curage clos
Que je me glace et que tu sois ma femme de décembre,
Ma vie future c’est ton visage quand tu dors.
René Char, Les Loyaux adversaires, dans Œuvres complètes,
Pléiade/Gallimard, 1983, p. 239.
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21/04/2025
Aurélie Foglia, On•e
Un corps de rêve
On•e a un corps
de rêve. N’a qu’un
Corps de rêve. En a
plein sa penderie.
À travers son rêve
on passe la main
sans la toucher.
On ne la trouvera
Pas. Nul•le part.
On•e s’est déteint•e.
Pendu•e.
(…)
Aurélie Foglia, On•e,
Lanskine, 2025, p. 56.
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Aurélie Foglia, On•e
Un corps de rêve
On•e a un corps
de rêve. N’a qu’un
Corps de rêve. En a
plein sa penderie.
À travers son rêve
on passe la main
sans la toucher.
On ne la trouvera
Pas. Nul•le part.
On•e s’est déteint•e.
Pendu•e.
(…)
Aurélie Foglia, On•e,
Lanskine, 2025, p. 56.
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19/04/2025
Georg Trakl, Œuvres complètes
Rencontre
Sur le chemin du pays étranger — nous nous regardons
Et nos yeux fatigués interrogent :
Qu’as-tu fait de ta vie ?
Tais-toi ! Tais-toi ! Cesse ces plaintes !
Il fait déjà plus froid autour de nous,
Les nuages se défont dans les lointains,
Nous n’interrogerons plus longtemps, il me semble,
Et nul ne nous accompagnera dans la nuit.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction
Marc Petit et Jean-Claude Schneider,
Gallimard, 1972, p. 309.
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18/04/2025
Georg Trakl, Œuvres complètes
Le long des murs
Un vieux chemin s’en va le long
Des jardins sauvages et des murs solitaires.
Des ifs millénaires frissonnent
Dans le chant montant tombant du vent.
Les phalènes dansent près de mourir,
Mon regard boit en pleurant les ombres et lumières.
Au loin flottent des visages de femmes
Fantomatiquement peintes sur le bleu.
Un sourire tremble dans l’éclat du soleil,
Tandis que je poursuis lentement mon chemin ;
Un amour infini m’accompagne.
En silence verdit le roc dur.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction
Marc Petit et Jean-Claude Schneider,
Gallimard, 1972, p. 183.
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17/04/2025
Georg Trakl, Œuvres complètes
Dans un vieil album
Toujours tu reviens, mélancolie,
Ô douceur de l’âme solitaire.
Un jour d’or embrase sur sa fin.
Humble se couche à sa douleur le patient
Résonnant d’harmonies et de tendre folie.
Vois ! Le soir déjà s’est assombri.
Revient la nit, et lamente un destin mortel,
Avec lui un autre endure.
Tressaillant sous les étoiles d’automne
Penche plus profond chaque année la tête.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduction
Marc Petit et Jean-Claude Schneider,
Gallimard, 1972, p.42.
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16/04/2025
Pierre Reverdy, Nord-Sud
Littérature
Dans un coin de petits personnages se dont face. Derrière chacun d’eux, il y a une glace. Et ils se retournent pour écrire, car ils écrivent. Plus énorme à leurs yeux que l’actualité — qui pourtant leur est chère (de quoi s’occuperaient-ils ?) — chacun parle de soi et se félicite. Ils se félicitent même l’un l’autre… humblement. Il y a aussi ce petit concert de voix d’enfants encore naïfs qui trépignent de joie. On entend des applaudissements nombreux. Les acteurs eux-mêmes applaudissent.
Quand on a fini de parler de soi-même quelqu’un prend l’encensoir et le promène sous le nez de quelque faux grand homme en forme de mannequin. À l’enseigne de … la boutique est fermée.
La muflerie est un courage autant qu’encourir les rigueurs de la censure (celui-ci très recherché). Et on travaille ferme pour la littérature.
Pierre Reverdy, Nord-Sud, dans Œuvres
complètes, Flammarion, 2010, p. 486.
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15/04/2025
Pierre Reverdy, Le cadran quadrillé
Le temps demain
La flamme au cadre
Et le visage au fond du puits
À son rebord
On entend la musique sourde
l’esprit s’endort
Le chemin dans le ciel bordé de briques rouges
La rampe où se suivent les mains
Devant les paupières fermées
Près du jardin
Les armes suspendues
La lune sur la tête
Et l’heure qui sort de la croisée
En même temps qu’une voix claire
Peut-être rien
Pierre Reverdy, La cadran quadrillé, dans Œuvres complètes, Flammarion, 2010, p. 833.
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14/04/2025
Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit
Et là
Quelqu’un parle et je suis debout
Je vais partir là-bas à l’autre bout
Les arbres pleurent
Parce qu’au loin d’autres choses meurent
Maintenant la tête a tout pris
Mais je ne l’ai pas encore compris
Je marche sur tes pas sans savoir qui je suis
Il faut passer par une porte où personne n’attend
Pour un impossible repos
Tout s’écarte et montre le dos
Un peu de vide reste autour
Et pour revivre d’anciens jours
Une âme détachée s’amuse
Et traîne encore un corps qui s’use
Le dernier temps d’une mesure
Plus tendre et plus déchirant
Plus tenace et plus déchirant
Un chagrin musical murmure
Pierre Reverdy, Les Ardoises du toit, dans Œuvres
complètes, Flammarion, 2010, p. 229.
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