Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

01/06/2025

Octavio Par, Arbre au dedans

Unknown-5.jpeg

Arbre au-dedans

 

Dans mon front a poussé un arbre.

Il a poussé au-dedans.

Ses racines sont des veines,

des nerfs ses branches,

ses feuillages confus des pensées.
Tes regards l’enflamment 

et ses fruits d’ombres

sont oranges de sang, grenades de lumière.

                               Le jour se lève

dans la nuit du corps.

Là au-dedans, dans mon front,

l’arbre parle.

                    Approche, tu l’entends ?

  

Octavio Paz, Arbre au dedans, dans Œuvres, édition

Jean-Claude Masson, Pléiade/Gallimard, 2008, p.570.

31/05/2025

Octavio Paz, Liberté sur parole

                                    Unknown-6.jpeg

                    Majuscule

Crête cri de l’aube qui flamboie ! Premier œuf, premier coup de bec, cou coupé, allégresse ! les plumes volent, les ailes se déplient, les voiles se gonflent, des rames plongent dans le matin. Lumière débridée, lumière cabrée, la première. Croulements de cristaux qui déboulent de la montagne, tympanons de glace à rompre mes tympans.

Elle n’a pas de saveur, elle n’a pas d’odeur, l’aube, l’enfant encore sans nom, encore sans visage. Elle arrive, elle avance, elle titube, s’éloigne. Elle laisse une traîne de rumeurs qui ouvrent les yeux. Elle se perd en elle-même. Et le jour de colère écrase de son grand pied une petite étoile.

 

Octavio Paz, Liberté sur Parole, dans Œuvres, édition

Jean-Claude Masson, Pléiade/Gallimard, 2008, p. 89.

 

 

30/05/2025

Octavio Paz, Salamandre

Unknown-4.jpeg

 

      Intérieur

 

Pensées en guerre

veulent briser mon front

 

Par des chemins d’oiseaux

avance l’écriture

 

La main pense à voix haute 

le mot en convie un autre

 

Sur la feuille où j’écris

vont et viennent les êtres que je vois

 

Le livre et le cahier

replient les ailes et reposent

 

On a déjà allumé les lampes

comme un lit l’heure s’ouvre et se ferme

 

Les bas rouges et le visage clair

vous entrez toi et la nuit

 

Octavio Paz, Salamandre, dans Œuvres,

éditionJean-Claude Masson, Pléiade/Gallimard,

2008, p. 241.

29/05/2025

Octavio Paz, Semences pour un hymne

Unknown-4.jpeg

À Uxmal

 

          1

Pierre des jours

 

Le soleil est du temps ;

le temps, soleil de pierre ;

la pierre, sang.

 

         2

       Midi

 

La lumière ne cille pas,

le temps se vide de ses minutes,

un oiseau s’est arrêté dans les airs.

 

       3

Plus tard

 

La lumière tombe,

les colonnes s’éveillent

et dansent sans bouger

 

       4

    Plein soleil

 

L’heure est transparente :

si l’oiseau est invisible

nous voyons la couleur de son chant.

 

      5

   Reliefs

 

 La pluie aux pieds qui dansent, aux longs cheveux,

la cheville mordue par la foudre,

descend accompagnée par les tambours :

le maïs ouvre les yeux et pousse.

 

Octavio Paz, Semences pour un hymne, dans Œuvres, édition Jean-Claude Masson, Pléiade/Gallimard, 2008, p. 56-57.

 

 

 

28/05/2025

Octavio Paz, Calamités et miracles

Unknown-3.jpeg

Entre la pierre et la fleur

 

               I

 

Comme pierres naissons.

Rien que la lumière, il n’y a

que la lumière contre la lumière.

 

La terre :

paume d’une main de pierre.

 

L’eau qui se tait

dans sa tombe calcaire.

L’eau prisonnière,

humble langue humide

qui ne dit rien.

 

La terre soulève une vapeur.

Volent des oiseaux bruns, argile ailée.

L’horizon :

quelques nuages ras.

 

Plaine énorme, sans rides.

Le sisal, cet index vert,

divise les espaces terrestres.

Ciel enfin sans rives.

 

Octavio Paz, Calamités et miracles, dans Œuvres, édition Jean-Claude Masson, Pléiade/Gallimard, 2008, p. 29-30.

 

27/05/2025

Henri Michaux, Façons d'endormi, façons d'éveillé

                            Unknown.jpeg

Dans les moments où, trahi par les muscles amollis, je me sens le plus incapable de bouger, c’est alors que je me transporte au-dehors.

   Profitant de l’étonnante liberté retrouvée au moment où elle paraissait perdue, je m’élance au-dehors, non je jaillis plutôt que je ne m’élance, ce n’est pas pour aller à la porte ou à la fenêtre mais plutôt sur les murs, ou bien au plafond, et sans me servir de mes pieds ni d’aucun de mes membres. Les continuité, et discontinuités ne m’affectent plus, comme elles font à l’ordinaire.

   Ainsi d’emblée je suis dans la pièce voisine, dans une autre, ou dans la rue.

   Oui, quand étendu, emmailloté dans ma fatigue, les membres rigides, je suis tel un cadavre, c’est alors que je suis le plus actif — le plus libre. Noué, je suis dénoué.

 

Henri Michaux, Façons d’endormi, façons d’éveillé, II, dans Œuvres complètes, III, Pléiade Gallimard, 2004, p. 531.

25/05/2025

Pierre Chappuis, Le miroir de l'été

 

Une brassée d’étincelles, ces braises

 

Les coquelicots, encore — niant la solitude, traces d’un incendie prêt à reprendre, papillons aux ailes repliées qu’agite, vraie folie de parler inassouvie, le moindre vent venu de la mer.

 

                                             pierre chappuis, le miroir de l'été solitude

Ensemble pour une fois (impossible) en pleins champs où tant de sépultures furent  creusées : salut, sur nos lèvres insouciantes, à ces brassées d’étincelles, ces braises éparses parmi les herbes sèches !

 

Pierre Chappuis, Le miroir de l’été, La Dogana, 2002, p.39.

24/05/2025

Pierre Chappuis, À portée de la voix

 

Unknown-2.jpeg

L’ombre diaphane

 

À peine un tressaillement de la poitrine, comme si elle allait revenir à elle (mais non) ; à peine les lèvres remuent-elles, ciel ou eau, porteuses de l’aube.

Amenuisée, l’ombre s’éclaire, s’anime, bruit d’une scintillation éparse.

 

Respirant doucement, souriante, heureuse dans son léger sommeil, vaque après vague (murmure évanoui), son rêve la berce jusqu’au cœur de la roselière.

Amoureuse instabilité.

 

Pierre Chappuis, À portée de la voix, Corti, 2002, p. 25.

23/05/2025

Pierre Chappuis, Entailles

Unknown-1.jpeg

À mi-pente

le brouillard

— nappe, océan —

s’écaille, se boursouffle.

 

Presque

du pied

l’effleurer.

 

Sans ébréchure

luit

le fil de l’horizon.

 

Pierre Chappuis, Entailles,

Corti, 2014, p. 49.

22/05/2025

Pierre Chappuis, En bref, paysage

 

                         Unknown.jpeg

Allées et venues au gré des chemins dans la forêt dénudée, sous un ciel largement ouvert, à brasser un amas de feuilles prompt à coller aux semelles.

 

Brouet d’automne. Son embarras.

 

Feu couvant. Terni.

 

 

Plus ou moins anguleux, plus ou moins gros, cailloux et pierres se conjuguent diversement sous le pied. Chaque pas — nos pas jumeaux jusqu’à il y a peu — chaque pas invente ou réinvente le chemin. Quelle renaissance mener désormais, solitairement ? à quoi bon ? de quel profit ?

 

Pierre Chappuis, En bref, paysage, Corti, 2021, p. 38.

21/05/2025

Pierre Chappuis, Dans la lumière sourde de ce jardin

                                                    Unknown-1.jpeg        

Irrésistiblement rien

 

Barque telle une musique en moi dans l’obscurité, dans le noir, lugubrement mystérieuse et banale, sans destination (absolument, où que ce soit, errant) muette compagne dans l’absence et la désolation (sa solitude), à battre obstibément dans mes veines, dans un silence d’hypnose, qui interminablement m’habite (à en finir ; à n’en pas finir), s’emparer de moi (tourment, apaisement), m’engeôle, m’étreint.

 

Ténèbres.

 

Ombre glissant dans l’ombre (ombre encore le sillage, moindre renflement d’ombre), longuement jusqu’à perdre de tout, connaissance.

 Pierre Chappuis, Dans la lumière sourde de ce jardin, Corti, 2016, p. 16.

20/05/2025

Pierre Chappuis, Comme un léger sommeil

                              Unknown-2.jpeg

                             À contre-jour

 

En bas : la nuit primordiale, nourricière maintient autour de moi, dense, détachée du sommeil, une marge de solitude.

À sa frontière, la barrière de l’échange. Le jour se lève. Aube et vent s’infiltrent à l’envi.

 

Bien au-dessus, en pleine course, dans une mêlée, une belle empoignade de nuages, les masses nocurnes, peu à peu désagrégées, ne feront plus obstacle.

 

Pierre Chappuis, Comme un léger sommeil, Corti, 2009, p. 38.

19/05/2025

Charles Albert Cingria, Florides helvètes et autres textes

                                               Unknown-2.jpeg

 

Je voudrais avoir, plutôt qu’un talent dont je me défie — et je ne suis pas le seul — ou qu’une inspiration dont le moment ne m’appartient pas, et qui me fait alors souvent défaut, me laissant tout chancelant, une fine et précise écriture penchée de carte de visite. Et un cœur semblable, un cœur de cire, un cœur rose, dont je serais attentif à ce qu’aucune température inusitée ne fût en danger de lui faire perdre sa forme, afin qu’au moins dans cet artificiel — j’emploie ce mot au sens étymologique de construit selon les règles de l’art — j’aie la certitude de ne pas dépasser un ton. Oui, et pour tout dire, ce ne serait pas une plume d’oie (quelle absurdité qu’une plume d’oie !) ni un roseau qu’il faudrait, mais une dure petite plume moderne — de fer évidemment, mais pas noire : noire seulement dans le haut, à l’intérieur, dans cette partie voûtée d’encre sèche ou vacille en croix un infime jour, comme, à de grands temps, jadis, sur la nuit du Siège de Damiette — afin que je puisse m’exprimer avec convenance sur un tel sujet.

 

Charles Albert Cingria, Florides helvètes autres textes, L’Âge d’homme, 1983, p. 63.         

18/05/2025

Charles Albert Cingria, Bois sec bois vert

                                     Unknown-5.jpeg

C’est donc d’abord les lettres de deux fillettes ulcérées qui s’écrivent des bouts du monde. Elles sont, sans jamais se voir, entrées en rapport par des journaux d’enfants mal censurés où se communiquent des adresses incendiaires. C’est un langage chiffré auquel personne — ni surtout les réacteurs qui l’ont inventé — ne comprend rien. Elles jettent ainsi les bases, sans qu’on s’en doute, d’une entraide féminine précoce puissante, apte à lutter contre l’isolement où la belle éducation, que la richesse ou un excès de race implique, confine la malheureuse enfance.

 

Charles Albert Cingria, Bois sec bois vert, L’imaginaire /Gallimard, 1983 (1948), p. 71.

16/05/2025

Hélène Sanguinetti, Jadis, Poïena une poème

Unknown-6.jpeg

Scène 2

(Un cauchemar à la frontière)

 

QUI EST LÀ ?

(bis)

Mouche posée

ivre noire sur,

la nuque d’un

chat, un

soldat tête nue

couché au fond

au milieu des feuilles

tombées dorées

de la rue

dans un coin

étranglé de forêt

là-bas loin et ici

à gauche, enroulé

sur lui-même, voilà

une autre mouche

balayeur sifflotant

pousse sa charrette

d’une main, de l’autre il

téléphone ou la met dans

une poche de ses grands

pantalons faits exprès

Petit Noir gouttière

cherchait amour hier

 se tortillait ce matin,

2 novembre, pof ! mort,

une chance, pas d’odeur,

Balayeur s’éloigne

le bruit du char décroît, la

plaine est vide, elle pleure

 

Hélène Sanguinetti, Jadis, Poïena une poème, Flammarion, 2026, p. 28.