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23/10/2025

Jehan Rictus, Les Soliloques du pauvre

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P’têt’ ben qu’un jour gn’aura du bon

Pour l’Gas qui croit pus à grand’chose,

Qu’a ben sommeil, qu’est ben morose

Et qui bourlingue à l’abandon ;

 

Pour l’Gas qui marche en ronflant debout

Et qui veut pas en foutre un’ datte

Et qui risqu’rait p’têt’ un sal’ coup

S’il l’tait pus vaillant su’ ses pattes

 

Et s’y n’aurait pas qu’en fin d’comptes

Pus ya d’misère et d’scélérats,

Pus ya d’ l’horreur, pus ya d’ la honte,

Pus ya d’pain pour les magistrats !

(…)

 

Jehan Rictus, Les Soliloques du pauvre, Poésie/

Gallimard, 2020, p. 41.

22/10/2025

Philippe Jaccottet, Autres journées

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Loriot : oiseau lié au soleil de huit heures du matin, aux ombres encore longues dans les vergers, les truffières.
   
   
Les engoulevents sont déjà repartis : brefs compagnons. Messagers ponctuels du crépuscule, avec leur bruit d'horloge de bois. Messagers de l'entre-deux, entre ciel et terre, entre jour et nuit — au ras de la cime des arbres.
Il y a une décantation qui se produit, en même temps qu'il fait plus sombre peu à peu — et c'est alors que paraît cet oiseau couleur d'ombre, plutôt paisible, flottant, autour duquel plus ou moins vainement je tourne. Comme un morceau de nuit, découpé dans son étoffe.
Quand la fumée brillante du jour se dissipe.
   
   
Travail au jardin, sous un temps doux, ciel pâle. Pas une feuille nouvelle, sinon celles, infimes, de la spirée. Le rouge-gorge, le « cravaté de rouge» d'Emily Dickinson si cher à Roud dans sa vieillesse, par moments semble accompagner mon travail ou même s'y intéresser, tant il est proche ; petit piéton plutôt qu'oiseau, presque toujours à picorer dans la terre.
   
   
Aube d'octobre
   
Il fait un peu plus froid.
   
Le rouge-queue chante dans l'aube qui se dissipe.
   
C'est comme si chantait un charbon.
   
En plein midi, soudain, deux martinets très haut dans le ciel à côté d'un nuage en forme de tour blanche, légère — comme je ne sais quelle apparition foudroyante, énigmatique, ou quelle mesure de la hauteur de l'air, quelle révélation de l'espace aérien, quelle flèche de fer dans le cœur. Une joie bizarre, d'à peine une seconde — et en me relisant, je me rappelle le gerfaut des Solitudes, « scandale bizarre de l'air » —, une lettre tracée sur le bleu puis effacée, un trait — ou le crochet d'un hameçon ? Sait-on qui a pu vous ferrer ainsi ?
   
   
La fauvette dans le tilleul : chant extraordinairement, mystérieusement clair, comme s'il traversait, transperçait une enveloppe, franchissait une limite.
   
   
Fauvette
dernier oiseau parleur en plein été
de quoi me parles-tu ainsi de loin en loin
dans le feuillage du tilleul ?
De quoi peut donc parler voix si limpide ?
   
   
Philippe Jaccottet, Autres journées, Fata Morgana,

1987, p. 15, 19, 28, 34, 46, 82, 88.

21/10/2025

Queneau Raymond, les Ziaux

 


                          Les ziaux

les eaux bruns, les eaux noirs, les eaux de merveille
les eaux de mer, d'océan, les eaux d'étincelles
nuitent le jour, jurent la nuit
chants de dimanche à samedi

les yeux vertes, les yeux bleues, les yeux de succelle
les yeux de passante au cours de la vie
les yeux noirs, yeux d'estanchelle
silencent les mots, ouatent le bruit

eau de ces yeux penché sur tout miroir
gouttes secrets au bord des veilles
tout miroir, tout veille en ces ziaux bleues ou vertes
les ziaux bruns, les ziaux noirs, les ziaux de merveille

                                                                         
Raymond Queneau, Les Ziaux, collection Métamorphoses, XVII, Gallimard, 1943, p. 74.

20/10/2025

Georges Perros, Papiers collé, 3

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Il y a toujours quelque chose d’illisible dans un poème (digne de ce nom). L’illisible, c’est le poème lui-même, rendu équivalent à la nature. Incueillable. On se donne des gants en semant.

 

La culture fait des perroquets. Une partie de la poésie moderne — mais qu’entends-je par là ? — est le fait de type pas bêtes qui ont lu jusqu’à la garde, et peuvent à leur volonté singer tel ou tel prédécesseur de leur choix.

 

Tout le monde est capable d’écrire n’importe quoi en se réclamant de la poésie. 

 

Un poème, c’est l’intérieur et l’extérieur, quelque chose au cœur de laquelle on peut habiter. Et quand l’intérieur est trop confortable, permet une pose, voire un repos, ça se sent tout de suite. Un poème fait partie du monde, il s’intègre à tout l’invisible, à tout l’ailleurs, à ce que Bonnefoy appelle l’arrière-pays. Il y a des choses qui passent en nous, qui nous traversent, nous travaillent, comme on dit que la mer est travaillée, sans que nous en soyons les maîtres. Ni les esclaves. Le matériau nous ignore, nous lui sommes parfaitement indifférents. À prendre ou à laisser. L’art n’est pas autre chose que la récupération difficile de ces signes qui échappent au quotidien élémentaire, mais comme le tout échappe au détail.

 

Ce qu’on entend généralement par poésie est devenu la tarte à la crème de notre délicieuse société. On va même jusqu’à l’enseigner — l’ensaigner ? — dans les universités, ce qui pourrait suffire à incendier l’immeuble si l’exercice professoral n’était de longue date voué au ridicule de l’inefficacité absolue. Mais il est vrai, vérifiable, que pas mal d’individus diplômés continuent d’expliciter Rimbaud, Cummings, etc. En tout rien toute horreur. Les étudiants n’y voient que du feu, mais ce feu ne prend pas. Nulle part. Ils connaîtront trois vers de X. Y. Z., juste assez pour les citer de travers quand ils seront devenus députés, ministres, président de je ne sais quelle république.

 

Georges Perros, Papier collés 3, Gallimard, 1978, p. 15, 46, 46, 69, 169.

19/10/2025

Jacques Dupin, Gravir

 

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Le partage

 

Une larme de toi fait monter la colonne du chant.
Une larme la ruine, et toute lumière est inhabitée.

 

La corde que je tresse, la rose que j’expie,
N’ont pas à redouter de lumière plus droite.

 

Le peu d’obscurité que je dilapide en montant
C’est de l’air qui me manque à l’approche des cimes.

 

Par le versant abrupt, la plus libre des routes,
Malgré le timon de la foudre et mes vomissements.

 

            •  

 

L’initiale

 

Poussière fine et sèche dans le vent,
Je t’appelle, je t’appartiens,
Poussière, trait pour trait,
Que ton visage soit le mien,
Inscrutable dans le vent.

 

Jacques Dupin, Gravir, Gallimard, 1963, p. 29 et 59.

18/10/2025

Queneau Raymond, les Ziaux

                         

           raymond queneau,les axiaux

                     Les ziaux


les eaux bruns, les eaux noirs, les eaux de merveille
les eaux de mer, d'océan, les eaux d'étincelles
nuitent le jour, jurent la nuit
chants de dimanche à samedi

les yeux vertes, les yeux bleues, les yeux de succelle
les yeux de passante au cours de la vie
les yeux noirs, yeux d'estanchelle
silencent les mots, ouatent le bruit

eau de ces yeux penché sur tout miroir
gouttes secrets au bord des veilles
tout miroir, tout veille en ces ziaux bleues ou vertes
les ziaux bruns, les ziaux noirs, les ziaux de merveille

                                                                         
Raymond Queneau, Les Ziaux, collection Métamorphoses, XVII, Gallimard, 1943, p. 74.

17/10/2025

Valérie Rouzeau, Récipients d'air

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photo Chantal Tanet, 2009

Pommes poires et tralalas merles renards flûtes à bec
Et les petites bottes bleues enfoncées dans la boue
Après la peine la joie revenait aussi sec

 

Au bois sifflaient les ziaux les loups les pâtres grecs
Beaucoup d’airs de toutes sortes faisaient gonfler nos joues
Pommes poires et tralalères merles renards flûtes à bec

 

Il n’y avait pas d’euros de dollars de kopecks
On pouvait chanter fort la gadoue la gadoue
Après la peine la joie revenait aussi sec

 

Dans le vent murmuraient le lièvre et le fennec
Tournaient les grues les elfes les roues
Pommes poires et tralalères merles renards flûtes à bec

 

Au soleil se grisaient les drontes et les pastèques
Les porcelets songeurs échappés de la soue
Après la peine la joie revenait aussi sec

 

Mais de ce temps bon vieux ont eu lieu les obsèques
Et je sens ma chanson de vilain qui s’enroue
Pommes poires et tralalas merles renards flûtes à bec
Après la peine la joie revenait aussi sec

 

Valérie Rouzeau, Récipients d’air, Le Temps qu’il fait, 2005, p. 21-22.

16/10/2025

Francis Ponge, Pièces

        

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                     Le paysage

L’horizon, surligné d’accents vaporeux, semble écrit en petits caractères, d’une encre plus ou moins pâle selon les jeux de lumière.
De ce qui est plus proche je ne jouis plus que comme d’un tableau,
De ce qui est encore plus proche que comme de sculptures, ou architectures,
Puis de la réalité même des choses jusqu’à mes genoux, comme d’aliments, avec une sensation de véritable indigestion,
Jusqu’à ce qu’enfin, dans mon corps tout s’engouffre et s’envole par la tête, comme par une cheminée qui débouche en plein ciel.

Francis Ponge, Pièces, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, p. 721.

15/10/2025

Francis Ponge, Pièces

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                           Éclaircie en hiver 

Le bleu renaît du gris, comme la pulpe éjectée d’un raisin noir.
Toute l’atmosphère est comme un œil trop humide, où raisons et envie de pleuvoir ont momentanément disparu.
Mais l’averse a laissé partout des souvenirs qui servent au beau temps de miroirs.

 

Il y a quelque chose d’attendrissant dans cette liaison entre deux états d’humeur différente. Quelque chose de désarmant dans cet épanchement terminé.

 

Chaque flaque est alors comme une aile de papillon placée sous vitre,
Mais il suffira d’une roue de passage pour en faire jaillir la boue.

 

Francis Ponge, Pièces, dans Œuvres complètes, I, Gallimard/ Pléiade, p. 720-721.

 

  •  

 

14/10/2025

René Daumal, Le contre-ciel

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                                      La nausée d’être

Je ne suis pas venu au monde
pour forger des bras aux centaures,
pour donner mon sang aux mouchoirs
qui sèchent au clair de lune.

Je ne suis pas venu au monde
pour combattre mon ombre,
ni pour trouver un jour mes poings
becqueté par les faisans.

Je ne suis pas venu pour frapper
ni pour rire à la mort.
Je ne me souviens plus,
des civières s’en vont,
des galères flambent,
des genoux tremblent et des faucons se posent
sur des boules fragiles et vivantes.

Si je regarde en arrière, 
la mort d’en va à reculons,
indéfiniment des portes claquent,
jusqu’aux placards de l’horizon.

La mort au rire vulgaire
derrière ses persiennes vertes
suce un bonbon anglais
et les tapis sont mouillés de tisanes.

Je ne suis pas venu au monde,
au commencement il n’y a qu’un grand rire,
au coin d’une rue une poupée de plâtre
ouvre, en suant une eau verte de rage,
des boîtes qui ne contiennent que des boîtes,
et sans fin des boîtes.

Plus loin, comme un cœur suce le sang,
un trou dans une chair gigantesque m’aspire,
des murs vivants, rouges et chauds,
me traînent par la gorge,
je ne veux plus me retourner,
que tout à l’heure on m’assassine
d’un coup de couteau de cuisine
entre les deux épaules.


René Daumal, Le contre-ciel suivi de Les dernières

paroles du poète, Poésie/Gallimard, 1970, p. 147-148.

13/10/2025

Paul.Cela, La Rose de personne

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Avec toutes les pensées je suis sorti
hors du monde : tu étais là,
toi, ma silencieuse, mon ouverte, et —
tu nous reçus.

 

Qui
dit que tout est mort pour nous
quand notre œil s’éteignit ?
Tout s’éveilla, tout commença.

 

Grand, un soleil est venu à la nage, claires,
âme et âme lui ont fait face, nettes,
impératives, elles lui ont tu
son orbe.

 

Sans peine,
ton sein s’est ouvert, paisible,
un souffle est monté dans l’éther,
et ce qui s’est nué, n’était-ce pas,
n’était-ce pas forme, et sortie de nous,
n’était-ce pas
pour ainsi dire un nom ?

 

 

Mit allen Gedanken ging ich
hinaus aus der Welt : da warst du,
du meine Leise, du meine Offne, und —
du empfingst uns.

 

Wer
sagt, dass uns alles erstarb,
da uns das Aug brach ?
Alles erwachte, alles hob an.

 

Gross kam eine Sonne geschwommen, hell
standen ihr Seele und Seele entgegen, klar,
gebieterisch schwiegen sie ihr
ihre Bahn vor.

 

Leicht
tat sich dein Schoss auf, still
stieg ein Hauch in den Äther,
und was sich wölkte, wars nicht,
wars nicht Gestalt und von uns her
wars nicht
so gut wie ein Name ?

 

Paul Celan, La Rose de personne (Die Niemandsrose), édition bilingue, traduction de Martine Broda, Le Nouveau Commerce, 1979 et La Rose de personne, édition bilingue, traduction Martine Broda, José Corti, 2002, pp. 30, 31.

12/10/2025

Christian Prigent, À quoi bon des poètes

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Je crois […] que faire de la littérature c’est poser la question même du sens, faire glisser les sens les uns dans les autres, dessiner des espaces de prolifération et d’indécision du sens. Et je crois que ce geste (qu’impulse une négativité têtue) a aussi le sens d’une violente affirmation : il affirme empiriquement (dans l’expérience du jeu des langues) qu’il y a toujours quelque chose d’inqualifiable, de suspendu, de vide au cœur du rapport que les parlants entretiennent avec le monde, avec les choses, avec leur corps, avec les autres ; un trou dans la communauté, qui rend la communauté à la fois impossible et possible ; un vide qui rend la communauté intolérable et qui pourtant lui donne l’élasticité, la porosité sans quoi toute communauté serait panoptique et carcérale (totalitaire).

Ce quelque chose est dans le langage, le fait du langage (qui nous sépare du monde). Tenter d’en effacer le point d’obscurité (dans la cohérence des systèmes explicatifs, la stase enchaînée des concepts, l’éclat des visions utopiques, voire l’homogénéité des fictions qui articulent du temps) est l’objectif des énoncés positifs (sans lesquels la communauté sombrerait dans la barbarie sans lois). La ramener obstinément dans et par la langue est l’objectif de la littérature, sans quoi la communauté sombrerait dans la barbarie totalitaire de la loi. Il faut faire avec ça, avec cette fatigante ambivalence : aucune chance de penser le monde (et de vivre un monde ouvert, un monde vivable) si on ne joue pas sur les deux tableaux.

 

Christian Prigent, À quoi bon encore des poètes, collection 222, 1994, p. 33-34.

11/10/2025

Louis Zukofsky, Un objectif et deux autres essais

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Un poème. Cet objet en formation — Le poème comme travail — Un classique.
Les vagues mouillées d’Homère, non pas nos vagues mouillées, mais, dans ces deux mots, assez d’associations pour rendre un contexte capable de s’étendre depuis son lieu jusqu’au présent. Parce qu’il y a, même si les significations changent, une étiquette linguistique, une archive qui peut rester claire pour nous comme image d’un contexte passé — le contexte tel qu’à l’origine il signifia — ou bien, si l’on ne peut y croire, un équilibre atteint — ou du moins le passé que nous ne pouvons même deviner, mais qui atteint un équilibre de sens déterminé par les significations nouvelles surgissant dans le mot à mot.
Un poème : un contexte associé à une forme « musicale », musicale entre guillemets puisqu’il ne s’agit pas de notes, mais de mots plus variables que les variables et employés à l’extérieur comme à l’intérieur du contexte pour une référence communicative.
Impossible de communiquer autre chose que des singularités — historiques et contemporaines — des choses, des êtres humains comme choses, leur appareillage de capillaires et de veines entrelaçant les événements, les circonstances, et s’entrelaçant avec eux. Le mot révolutionnaire, s’il doit accomplir sa révolution, ne peut se libérer d’une référence. Il n’est pas infini. Mais infini est un terme.

L’ordre, pour toute poésie, consiste à s’approcher d’un état de musique où les idées s’offrent aux sens et à l’intelligence, dénuées de toute intention prédatrice. Un dur travail, comme le savent les poètes, qui s’évertuent à réconcilier les principes contrastés des faits. Dans la poésie, le poète ne cesse de rencontrer les faits, qui semblent faire obstacle à la musique en cours de route, bien que ni musique ni mouvement ne puissent exister sans eux, sans les faits qui leur sont propres. Matière première, pour parler vite, qui attend le sceau de la forme. Les poèmes ne sont que des actes exercés sur les singularités. Et par cette seule activité ils deviennent eux-mêmes des singularités — c’est-à-dire des poèmes.

 

Louis Zukofsky, Un Objectif & deux autres essais, traduit de l’américain par Pierre Alféri, Un Bureau sur l’Atlantique / Éditions Royaumont, 1989, p. 18-19 et p. 23.

09/10/2025

William Butler Yeats, L'escalier en spirale

w. b. yeats, l'escalier en spirale, jean-yves masson

 Après un long silence

Des mots après un long silence ; maintenant
Que tous les autres amants sont séparés ou morts,
Qu’un abat-jour voile la lumière inamicale de la lampe
Et que les rideaux sont tirés sur l’inamicale nuit,
Il est bon que nous improvisions encore et encore
Sur ces thèmes suprêmes, l’Art et le Chant :
La décrépitude du corps est sagesse ; quand nous étions jeunes,
Nous nous aimions et nous étions des ignorants.
 

After long silence

Speech after long silence; it is right,
All other lovers being estranged or dead,
Unfriendly lamplight hid under its shade,
The curtains drawn upon unfriendly night,
That we descant and yet again descant
Upon the supreme theme of Art and Song :
Bodily decrepitude is wisdom ; young
We loved each other and were ignorant.

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Mort

Ni peur ni espérance n’assistent
Un animal qui meurt ;
Un homme, lui, attend sa fin
En craignant, en espérant tout ;
Bien des fois déjà il mourut,
Bien des fois il ressuscita.
Un grand homme dans son orgueil
Confronté à des meurtriers
N’a que mépris et dédain
Pour le souffle de la vie ;
La mort, il la connaît à fond –
C’est l’homme qui a créé la mort.
 

Death

Nor dread nor hope attend
A dying animal ;
A man awaits his end
Dreading and hoping all ;
Many times he died,
Many times rose again.
A great man in his pride
Confronting murderous men
Casts derision upon
Supersession of breath ;
He knows death to the bone –
Man has created death.

William Butler Yeats, L’escalier en spirale et autres poèmes [The Winding Stair and Other Poems ; From ‘Full Moon in March’], présenté, annoté et traduit de l’anglais par Jean-Yves Masson, [édition bilingue] éditions Verdier, 2008, p. 119 et 118, 23 et 22.

08/10/2025

Zugène Savitzkaya,  Les Règles de solitude

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Il est possible que nous n’ayons aucun visage, mais que nous soyons tous porteurs de masques. Et il semble que c’est pour cette raison que nous paraissons si différents les uns des autres. Il suffit parfois de malmener très légèrement notre face d’apparat pour que déteigne sur la peau la silhouette intime et vénérable qui est notre représentation cachée et essentielle, l’authentique habitant.

Je conserve, à jamais, très précieusement, ma tête de mort. Elle est ma tête de mort, ce que je cache le mieux et avec le plus de soin et aussi ce qui apparaît avec le plus de netteté au grand jour du soleil. Ma tête de mort si fraîche est la seule chicane.

 Eugène Savitzkaya, Rules of solitude, avec une trad. en anglais par Gian Lombardo, Quale Press, 2004, auparavant Les Règles de solitude ont été publiée en édition bilingue français/allemand, Edition Solitude, Stuttgart, 2004.