17/11/2025
Jules Renard, Journal

Il a chassé le naturel : le naturel n’est pas revenu.
Triste à voir comme un être cher qui s’enfonce dans le brouillard.
Il n’y a pas d’amis : il y a des moments d’amitié.
C’était un homme méthodique : il déjeunait en mâchant du côté gauche, et dînait en mâchant du côté droit.
Les gens sont étonnants : ils veulent qu’on s’intéresse à eux !
Jules Renard, Journal, Gallimard / Pléiade, 1961 ; p.195, 196, 197, 197, 198.
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16/11/2025
Emily Dickinson, Ses oiseaux perdus

À l’intérieur de cette petite Ruche
Il y a de telles Allusions au Miel
Comme si la réalité faisait un Rêve
Et les Rêves, la Réalité
Witnin that little Hive
Such Hints of Honey lay
As made Reality a Dream
And Dreams Relaity
Emily Dickinson, Ses oiseaux perdus,
traduction François Heusbourg,
Éditions Unes, 2017, p. 61 et 60.
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14/11/2025
Jules Renard, Journal

J’ai envie de faire une monographie de la taupe.
Ne jamais rien faire comme les autres en art ; en morale faire comme tout le monde.
Le talent, c’est comme l’argent : il n’est pas nécessaire d’en avoir pour en parler.
Quand elle avait pris de belles résolutions d’économie, elle commençait tout de suite par refuser aux pauvres.
La peur de l’ennui est la seule excuse du travail.
Jules Renard, Journal, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 123, 127, 129, 131, 134.
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13/11/2025
Jules Renard, Journal
C’est étonnant comme toutes les célébrités littéraires gagnent à être vues en caricature !
Les gens auxquels on trouve du talent et qu’on ne lit jamais.
C’est une errer commune de prendre pour des amis deux personnes qui se tutoient.
Certaines gens voient comme si leurs yeux étaient au bout d’ une perche, très loin de leur cerveau.
Quand il se regardait dans une glace, il était toujours tenté de l’essuyer.
Jules Renard, Journal, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 100, 103,106, 114, 116.
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12/11/2025
Jules Renard, Journal

Acquiers le talent de dire sans bâiller : « C’est intéressant. »
Tout est beau. Il faut parler d’un cochon comme d’une fleur.
Ne jamais être content : tout l’art est là.
En somme, on a toujours un « roulement » d’amis suffisant.
La prose doit être un vers qui ne va pas à la ligne.
Jules Renard, Journal, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 92, 92, 96, 97, 99.
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11/11/2025
Miche Leiris, La ruban au cou d'Olympia

L’étendue de plaine beauceronne vide et tranquille dont, tout – l’heure, une détail perçu au loin (un assez long abri au toit presque blanc sous le frais soleil de fin d’hiver) m’a fait voir — par l’œil même, qui captait en sourdine l’immobilité de cette construction — le silence incapable de se faire entendre pour affirmer qu’il existe.
Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia, Gallimard, 1981, p. 168.
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10/11/2025
Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia

Orphée et sa lyre
Homère et sa canne blanche
Dante et le chaperon qui le distingue de Virgile
Ronsard au front lauré
Cyrano et son nez légendaire
Racine et sa perruque bouclée
Buffon et sa manchette de dentelle
Voltaire dans son fauteuil Voltaire
Mirabeau à la face grêlée
Balzac et sa robe de chambre
Gautier et son gilet rouge
Mallarmé sous son plaid
Rimbaud en costume de bagnard plus que de trafiquant
Tolstoï en blouse de moujik
Wilde aux lys bientôt changés en orties
Jarry en culotte cycliste
Max Jacob porteur de l’étoile jaune
Roussel à bord de sa roulotte
Apollinaire à la tête bandée
Joyce et ses grosses lunettes
Kafka coiffé d’un melon magrittien
Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia,
Gallimard, 1981, p. 158.
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08/11/2025
Christian Prigent, Zapp & Zipp

Qui se déprécie ostensiblement n’est pas en cela modeste — ce n’est pas l’humilité qui y pousse.
Mais plutôt primo une illusion de lucidité sur les ridicules qui affleurent dans les conduites des hommes et les propos qu’au jour le jour ils tiennent ; deuxio, la sensation vaniteuse de n’être pas trop du fait de quelque exceptionnelle puissance (intellectuelle, artistique ou autre), partie prenante des ridicules du commun ; tertio le dépit de ne pas du coup savoir comment faire pour effectivement vivre et communiquer avec autrui dans la faiblesse de pensée, l’ignorance, la futilité, la jovialité forcée.
On assiste chaque jour à sa propre bêtise (qui le dénie, c’est à cause de cette bêtise elle-même. Comme dit Artaud, l'intelligence elle-même, volontiers ahurie de ses propres succès, est par la sottise « toujours sodomisée de près » : il suffit pour cela du moindre pas de côté hors des compétences ; ou de trop de croyance en l’importance desdites.
Christian Prigent, Zapp & Zipp, P.O.L, 2025, p. 449.
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07/11/2025
Judith Chavanne, De mémoire et de vent

Trouble du temps
Trouble du temps, la brume sur les eaux
qui est encore de l’eau, ou son rêve…
La rivière hésitant au crépuscule
entre elle et elle-même dans le gris :
vapeur ou liquide ?
Comme nous qui nous mirons en nos jours,
en nos vies ; la lumière fléchit :
la nuit qui vient, humide,
est-elle d’un autre soir ou d’aujourd’hui ?
Ce presque même soir quand
l’enfant était enfant, et l’oiseau
que débusque notre passage, s’envole-t-il
depuis le milieu des souvenirs ou de la rive ?
Judith Chavanne, De mémoire et de vent,
L’herbe qui tremble, 2023, p. 48.
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06/11/2025
Emily Brontë, Poèmes
Il devrait n’être point de désespoir pour toi
Il devrait n’être point de désespoir pour toi
Tant que brûlent la nuit les étoiles,
Tant que le soir répand sa rosée silencieuse,
Que le soleil dore le matin.
Il devrait n’être point de désespoir, même si les larmes
Ruissellent comme une rivière :
Les plus chère de tes années ne sont-elles pas
Autour de ton cœur à jamais ?
Ceux-ci pleures, tu pleures, il doit en être ainsi ;
Les vents soupirent comme tu soupires,
Et l’Hiver en flocons déverse son chagrin
Là où gisent les feuilles d’automne
Pourtant elles revivent, et de leur sort ton sort
Ne saurait être séparé :
Poursuis donc ton voyage, sinon ravi de joie,
Du moins jamais le cœur brisé.

[Novembre 1839]
Emily Jane Brontë, Poèmes, traduction de Pierre Leyris,
Poésie / Gallimard, 1983, p. 87.
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05/11/2025
Christian Prigent, Zapp & zip

Quant à ce que couramment on appelle poésie « contemporaine », poésie « vivante » (et que d’ailleurs on n’appelle plus ainsi que par commodité distraite : sans guère savoir de quoi l’on parle, sans nul souci de le savoir mieux), ça s’affaire plutôt à oublier la poésie : la poésie comme question posée aux parlants sur le fait qu’ils parlent et que parler fait justement d’eux des « poètes », même s’ils ne savent rien de ce qu’est la poésie, n’en lisent jamais, n’en écrivent pas.
Rien de neuf : il y aura toujours des démangés pour appeler poésie des expressions d’affects ou des jaculations d’opinons découpées en lignes d’inégale longueur, des chroniqueurs pour trouver ça très bien puisque ça parle du monde, dit « réel », des lecteurs attendris pour en prendre connaissance (en écoutant leur profération plutôt qu’en déchiffrant leur version écrite) parce que ça ne fait que répéter les connaissances qu’ils ont déjà.
La poésie inquiète elle-même (qui suis-je ? que puis-je ? où vais-je ?), soucieuse de ce qu’elle fut (encombrée du coup d’une lourde bibliothèque), curieuse de ce qu’elle sera (pas sûr a priori que son illusion ait quelque avenir), cette poésie-là n’a aucune chance face aux rengaines que l’époque nomme poèmes bien que ne les travaille aucune des questions que je dis (elle n’y croit pas (elle n’y voit que ringardise et manie intello.)
Christian Prigent, Zapp & zip, P.O.L, 2025, p. 680-681.
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04/11/2025
Christian Prigent, Artaud, le toucher de l'être

Artaud accomplit dans la violence, dans les mots, dans la radicalité du geste stylistique, un destin d’humain pour autant qu’humain veut dire parlant. Et s’il l’accomplit, c’est parce que ses écrits sont sans doute, parmi tous ceux que compte notre « bibliothèque », ceux qui emportent au plus loin le tracé de ce qui fonde l’être humain en tant qu’être séparé parce qu’il parle. La puissance de fascination que peut exercer Artaud vient à mon sens de la sensation qu’il donne de pousser à bout d’une façon à la fois savante et impulsive, implacablement rythmée et superbement arrogante dans sa douleur même, cette logique de la séparation : parce qu’il forme sans cesse la langue (le chant) du séparé (d’avec le corps, d’avec le monde) et nous assène à chaque coup la vérité sans fleurs. Or, c’est là, à mon sens, le point névralgique auquel touche toute expérience littéraire digne de ce nom. Artaud nous situe au cœur d’une question à laquelle aucune formule théorique ou stylistique ne saurait répondre sinon par la mise en évidence de sa propre énigme et de son propre ratage – au sens où l’œuvre d’Art est ratée mais où c’est dans ce ratage magnifique qu’est sa nécessité (son toucher de l’être). C’est dans ce commentaire infini sur le ratage de l’humain (son inadéquation au réel immédiat et à sa propre réalité corporelle), que se trouve, je crois, la vérité de l’expérience littéraire.
Je suis frappé de voir que les jeunes gens qui écrivent aujourd’hui ne lisent plus guère Artaud. Il n’appartient pas à leur bibliothèque. Peut-être est-ce l’une des conséquences de leur méfiance envers toute tentative de penser globalement la question de la littérature, voire d’une sorte de rejet de la littérature comme pensée et de l’interrogation théorique sur l’essence de la littérature.
Christian Prigent, Artaud, le toucher de l’être, entretien avec Olivier Penot-Lacassagne, dans Artaud en revues, sous la direction d’O. Penot-Lacassagne, L’Âge d’Homme, 2005, p. 137-138.
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03/11/2025
Jude Stéfan, Graines et issues
Et la poésie, elle ? Elle exige une distance dans le langage – on ne poétise pas comme on élabore un roman ou rédige un pamphlet –, elle ne peut répondre à un effort direct, né de la vie même, qui s’inscrirait sitôt en des données verbales propres au scandale ou à la rage de l’être : elle requiert une forme. (À l’opposé de cet artefact D.Collobert a écrit des instants vécus, ponctués de tirets, d’enchaînements de perceptions et sensations unissant vie et écriture, parce qu’elle souffrait cette incapacité d’engagement réel, de témoignage incarné dans le poème, qui l’a menée à son propre renoncement, à ce niveau extrême la littérature étant perçue impossible parce que générale, impersonnelle, négatrice du Soi).
Ces questions ne naissent que d’une croyance naïve en un sujet. Quel est le sujet dans le poème ou le texte – le substrat personnel et fictif ? Beaucoup se croient "auteurs", comme on dit dans les manuels, alors que la littérature est une puissance anonyme de langage, où j’"engage" ma propre mort originelle, en toute perte. Même pas contemporain de moi-même, selon Mallarmé, ailleurs, quelque part dans l’espace virtuel qu’est l’écriture vaine, un simulacre de vérité.
Jude Stéfan, "De l’engagement (ou la poésie, elle)", dans Grains & issues, La ligne d’ombre, 2008, p. 64-65.
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01/11/2025
Yves Bonnefoy, La longue chaîne de l'ancre

Les arbres
Il repoussa du pied la barque, qui s’éloigna du rivage et prit le fil du courant, le laissant à jamais au pied de ces grandes roches. Et lui, qui avait tout de même ramé assez longtemps, depuis cette heure de la veille où il avait entrepris la traversée, il s’ébroua d’abord d’un léger vertige puis il franchit ce premier escarpement, ce qui lui fut facile : quelques-unes des pierres ayant entre elles comme des marches, encore qu’étroites et irrégulières. Pauvre, et pourtant presque bleue, l’herbe qui poussait entre ces dalles. Le vent y avait déposé du sable, petites plages ocre rouge que des fourmis traversaient. Il en observa une, tout un moment, qui zigzaguait il eût dit pour rien. Puis il fut au sommet, il se redressa, il regarda l’horizon.
C’était de toutes parts devant lui, et tout autant à sa droite et à sa gauche, un plateau qui légèrement ondulait sous l’herbe maintenant plus serrée, plus haute, avec des passages d’ombre quelquefois miroitants comme des flaques restées d’une pluie nocturne, jusqu’à des lointains qui semblaient monter de dessous la terre, longues lignes ténues de collines bleues irisées à leur cime par la lumière de l’aube. Et disséminés dans ce grand espace, parfois proches les uns des autres et formant même, alors, de petits bosquets, parfois tout à fait isolés, il vit aussi nombre d’arbres, mais sans éprouver pour autant qu’ils fussent là l’essentiel, les étendues d’herbe étant très vastes, sur l’arrière-plan desquelles ils se détachaient, certains dressés au bord d’un des creux qui modulaient le plateau. Ils n’étaient pas l’essentiel, ils n’étaient pas ce que l’immensité du plateau proposait à celle du ciel. Tout de même, certains paraissaient très grands, leur couronne était majestueuse.
Yves Bonnefoy, Le Théâtre des enfants, dans La longue chaîne de l’ancre, Mercure de France, 2008, p. 67-68.
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31/10/2025
Pierre Jean Jouve, Moires

Mémoire
Dans ce château aux trente fenêtres règne la personne aimée, par moi inventée et vraiment fausse. Je suis seul à le savoir quand je passe, voyageur étranger au pays. Nul ne m’interroge, personne ne sait ; le secret est bien gardé. Cependant une part de cette femme était une part réelle de ma vie. En haut vous voyez les remparts de glace ; et en bas le petit ruisseau près des saules ; des montagnes dangereuses se resserrent en ce point même. Les grandes pièces d’apparat ont été fermées depuis ; mais elles me sont familières, puisque j’y ai mis la mort.
Pierre Jean Jouve, Moires, dans Œuvre I, Mercure de France, 1987, p. 1051.
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