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20/11/2025

Pierre Reverdy, Gant de crin

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Je ne connais pas d’exemple d’une œuvre qui ait inspiré moins de confiance à son auteur que la mienne.
Aussi me gardé-je bien de la défendre.
J’accepte ici qu’elle peut n’être qu’un témoin d’impuissance.


Le propre de l’image forte est d’être issue du rapprochement spontané de deux réalités très distantes dont l’esprit seul a saisi les rapports.

Le poète est poussé à créer par le besoin constant et obsédant de sonder le mystère de son être intérieur, de connaître son pouvoir et sa force.
Il n’est que les gens de métier qui se satisfassent de quelque certitude sur leurs facultés.
Mais en poésie les gens de métier sont les médiocres.

Si les glaces de verre sont flatteuses pour toi, supprime-les. Ne te regarde pas en dehors mais en dedans, il y a là un sombre miroir sans complaisance.


Pierre Reverdy, Gant de crin, Plon, 1927, p. 26-27, 34, 44, 105.

 

 

 

19/11/2025

Jules Renard, Journal

 

Un Journal, ce n’est pas beaucoup plus littéraire qu’une table d’hôte.

 

Il voyait le moins de personnes qu’il pouvait afin de s’épargner le plus possible l’ennui des enterrements.

 

Ma littérature, c’est comme des lettres à moi-même que je permettrais de lire.

 

Le Français crible d’épigrammes surtout ce qu’il voudrait être : le député, et ce qu’il voudrait avoir : le ruban rouge.

 

Ma littérature n’est qu’une continuelle rectification de ce que j’éprouve dans la vie.

 

Jules Renard, Journal, Gallimard / Pléiade, 1961, p. 217, 218, 224, 227, 228.

18/11/2025

Jules Renard, Journal

 

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Il passe son temps à chercher des gens du même avis que lui.

 

Aujourd’hui les hommes de lettres prennent copie de leurs lettres, afin que la postérité puisse sans trop de mal réunir leur correspondance.

 

Les enfants devraient être des apparitions facultatives.

 

Si vous pensez du bien de moi, il faut le dire le plus vite possible, parce que, vous savez, ça se passera.

 

L’homme est un être qui lève la tête au ciel et ne voit que les araignées du plafond.

 

Jules Renard, Journal, Gallimard / Pléiade, 1961 ; p. 202, 203, 203, 206, 216.

17/11/2025

Jules Renard, Journal

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Il a chassé le naturel : le naturel n’est pas revenu.

 

Triste à voir comme un être cher qui s’enfonce dans le brouillard.

 

Il n’y a pas d’amis : il y a des moments d’amitié.

 

C’était un homme méthodique : il déjeunait en mâchant du côté gauche, et dînait en mâchant du côté droit.

 

Les gens sont étonnants : ils veulent qu’on s’intéresse à eux !

 

Jules Renard, Journal, Gallimard / Pléiade, 1961 ; p.195, 196, 197, 197, 198.

16/11/2025

Emily Dickinson, Ses oiseaux perdus

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À l’intérieur de cette petite Ruche

Il y a de telles Allusions au Miel

Comme si la réalité faisait un Rêve

Et les Rêves, la Réalité

 

Witnin that little Hive

Such Hints of Honey lay

As made Reality a Dream

And Dreams Relaity

 

Emily Dickinson, Ses oiseaux perdus,

traduction François Heusbourg,

Éditions Unes, 2017, p. 61 et 60.

 

14/11/2025

Jules Renard, Journal

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J’ai envie de faire une monographie de la taupe.

 

Ne jamais rien faire comme les autres en art ; en morale faire comme tout le monde.

 

Le talent, c’est comme l’argent : il n’est pas nécessaire d’en avoir pour en parler.

 

Quand elle avait pris de belles résolutions d’économie, elle commençait tout de suite par refuser aux pauvres.

 

La peur de l’ennui est la seule excuse du travail.

 

Jules Renard, Journal, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 123, 127, 129, 131, 134.

13/11/2025

Jules Renard, Journal

 

C’est étonnant comme toutes les célébrités littéraires gagnent à être vues en caricature !

 

Les gens auxquels on trouve du talent et qu’on ne lit jamais.

 

C’est une errer commune de prendre pour des amis deux personnes qui se tutoient.

 

Certaines gens voient comme si leurs yeux étaient au bout d’ une perche, très loin de leur cerveau.

 

Quand il se regardait dans une glace, il était toujours tenté de l’essuyer.

 

Jules Renard, Journal, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 100, 103,106, 114, 116.

12/11/2025

Jules Renard, Journal

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Acquiers le talent de dire sans bâiller : « C’est intéressant. »

 

Tout est beau. Il faut parler d’un cochon comme d’une fleur.

 

Ne jamais être content : tout l’art est là.

 

En somme, on a toujours un « roulement » d’amis suffisant.

 

La prose doit être un vers qui ne va pas à la ligne.

 

Jules Renard, Journal, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 92, 92, 96, 97, 99.

 

 

 

 

11/11/2025

Miche Leiris, La ruban au cou d'Olympia

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L’étendue de plaine beauceronne vide et tranquille dont, tout – l’heure, une détail perçu au loin (un assez long abri au toit presque blanc sous le frais soleil de fin d’hiver) m’a fait voir — par l’œil même, qui captait en sourdine l’immobilité de cette construction — le silence incapable de se faire entendre pour affirmer qu’il existe.

 

Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia, Gallimard, 1981, p. 168.

10/11/2025

Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia

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Orphée et sa lyre

Homère et sa canne blanche

Dante et le chaperon qui le distingue de Virgile

Ronsard au front lauré

Cyrano et son nez légendaire

Racine et sa perruque bouclée

Buffon et sa manchette de dentelle

Voltaire dans son fauteuil Voltaire

Mirabeau à la face grêlée

Balzac et sa robe de chambre

Gautier et son gilet rouge

Mallarmé sous son plaid

Rimbaud en costume de bagnard plus que de trafiquant

Tolstoï en blouse de moujik

Wilde aux lys bientôt changés en orties

Jarry en culotte cycliste

Max Jacob porteur de l’étoile jaune

Roussel à bord de sa roulotte

Apollinaire à la tête bandée

Joyce et ses grosses lunettes

Kafka coiffé d’un melon magrittien

 

Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia,

Gallimard, 1981, p. 158.

 

08/11/2025

Christian Prigent, Zapp & Zipp

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Qui se déprécie ostensiblement n’est pas en cela modeste — ce n’est pas l’humilité qui y pousse.

Mais plutôt primo une illusion de lucidité sur les ridicules qui affleurent dans les conduites des hommes et les propos qu’au jour le jour ils tiennent ; deuxio, la sensation vaniteuse de n’être pas trop du fait de quelque exceptionnelle puissance (intellectuelle, artistique ou autre), partie prenante des ridicules du commun ; tertio le dépit de ne pas du coup savoir comment faire pour effectivement vivre et communiquer avec autrui dans la faiblesse de pensée, l’ignorance, la futilité, la jovialité forcée.

On assiste chaque jour à sa propre bêtise (qui le dénie, c’est à cause de cette bêtise elle-même. Comme dit Artaud, l'intelligence elle-même, volontiers ahurie de ses propres succès, est par la sottise « toujours sodomisée de près » : il suffit pour cela du moindre pas de côté hors des compétences ; ou de trop de croyance en l’importance desdites.

 

Christian Prigent, Zapp & Zipp, P.O.L, 2025, p. 449.

07/11/2025

Judith Chavanne, De mémoire et de vent

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             Trouble du temps

 

Trouble du temps, la brume sur les eaux

 qui est encore de l’eau, ou son rêve…

 

La rivière hésitant au crépuscule

entre elle et elle-même dans le gris :

vapeur ou liquide ?

 

Comme nous qui nous mirons en nos jours,

en nos vies ; la lumière fléchit :

la nuit qui vient, humide,

est-elle d’un autre soir ou d’aujourd’hui ?

 

Ce presque même soir quand

l’enfant était enfant, et l’oiseau

que débusque notre passage, s’envole-t-il

depuis le milieu des souvenirs ou de la rive ?

 

Judith Chavanne, De mémoire et de vent,

L’herbe qui tremble, 2023, p. 48.

06/11/2025

Emily Brontë, Poèmes

Il devrait n’être point de désespoir pour toi

 

Il devrait n’être point de désespoir pour toi

Tant que brûlent la nuit les étoiles,

Tant que le soir répand sa rosée silencieuse,

Que le soleil dore le matin.

 

Il devrait n’être point de désespoir, même si les larmes

Ruissellent comme une rivière :

Les plus chère de tes années ne sont-elles pas

Autour de ton cœur à jamais ?

 

Ceux-ci pleures, tu pleures, il doit en être ainsi ;

Les vents soupirent comme tu soupires,

Et l’Hiver en flocons déverse son chagrin

Là où gisent les feuilles d’automne

 

Pourtant elles revivent, et de leur sort ton sort

Ne saurait être séparé :

Poursuis donc ton voyage, sinon ravi de joie,

Du moins jamais le cœur brisé.

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                                                         [Novembre 1839]

 

Emily Jane Brontë, Poèmes, traduction de Pierre Leyris,

Poésie / Gallimard, 1983, p. 87.

05/11/2025

Christian Prigent, Zapp & zip

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Quant à ce que couramment on appelle poésie « contemporaine », poésie « vivante » (et que d’ailleurs on n’appelle plus ainsi que par commodité distraite : sans guère savoir de quoi l’on parle, sans nul souci de le savoir mieux), ça s’affaire plutôt à oublier la poésie : la poésie comme question posée aux parlants sur le fait qu’ils parlent et que parler fait justement d’eux des « poètes », même s’ils ne savent rien de ce qu’est la poésie, n’en lisent jamais, n’en écrivent pas.

Rien de neuf : il y aura toujours des démangés pour appeler poésie des expressions d’affects ou des jaculations d’opinons découpées en lignes d’inégale longueur, des chroniqueurs pour trouver ça très bien puisque ça parle du monde, dit « réel », des lecteurs attendris pour en prendre connaissance (en écoutant leur profération plutôt qu’en déchiffrant leur version écrite) parce que ça ne fait que répéter les connaissances qu’ils ont déjà.

La poésie inquiète elle-même (qui suis-je ? que puis-je ? où vais-je ?), soucieuse de ce qu’elle fut (encombrée du coup d’une lourde bibliothèque), curieuse de ce qu’elle sera (pas sûr a priori que son illusion ait quelque avenir), cette poésie-là n’a aucune chance face aux rengaines que l’époque nomme poèmes bien que ne les travaille aucune des questions que je dis (elle n’y croit pas (elle n’y voit que ringardise et manie intello.)

 

Christian Prigent, Zapp & zip, P.O.L, 2025, p. 680-681.

 

04/11/2025

Christian Prigent, Artaud, le toucher de l'être

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Artaud accomplit dans la violence, dans les mots, dans la radicalité du geste stylistique, un destin d’humain pour autant qu’humain veut dire parlant. Et s’il l’accomplit, c’est parce que ses écrits sont sans doute, parmi tous ceux que compte notre « bibliothèque », ceux qui emportent au plus loin le tracé de ce qui fonde l’être humain en tant qu’être séparé parce qu’il parle. La puissance de fascination que peut exercer Artaud vient à mon sens de la sensation qu’il donne de pousser à bout d’une façon à la fois savante et impulsive, implacablement rythmée et superbement arrogante dans sa douleur même, cette logique de la séparation : parce qu’il forme sans cesse la langue (le chant) du séparé (d’avec le corps, d’avec le monde) et nous assène à chaque coup la vérité sans fleurs. Or, c’est là, à mon sens, le point névralgique auquel touche toute expérience littéraire digne de ce nom. Artaud nous situe au cœur d’une question à laquelle aucune formule théorique ou stylistique ne saurait répondre sinon par la mise en évidence de sa propre énigme et de son propre ratage – au sens où l’œuvre d’Art est ratée mais où c’est dans ce ratage magnifique qu’est sa nécessité (son toucher de l’être). C’est dans ce commentaire infini sur le ratage de l’humain (son inadéquation au réel immédiat et à sa propre réalité corporelle), que se trouve, je crois, la vérité de l’expérience littéraire.

Je suis frappé de voir que les jeunes gens qui écrivent aujourd’hui ne lisent plus guère Artaud. Il n’appartient pas à leur bibliothèque. Peut-être est-ce l’une des conséquences de leur méfiance envers toute tentative de penser globalement la question de la littérature, voire d’une sorte de rejet de la littérature comme pensée et de l’interrogation théorique sur l’essence de la littérature.

Christian Prigent, Artaud, le toucher de l’être, entretien avec Olivier Penot-Lacassagne, dans Artaud en revues, sous la direction d’O. Penot-Lacassagne, L’Âge d’Homme, 2005, p. 137-138.