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01/12/2025

Robert Desnos, Domaine public

    

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 Au bout du monde

 

Ça gueule dans la rue noire au bout de laquelle l’eau du

fleuve frémit contre les berges.

Ce mégot jeté d’une fenêtre fait une étoile.

Ça gueule encore dans la rue noire.

Ah ! vos gueules !

Nuit pesante, nuit irrespirable.

Un cri s’approche de nous, presque à nous toucher,

Mais il expire juste au moment de nous atteindre.

 

Quelque part dans le monde, au pied d’un talus,

Un déserteur parlemente avec les sentinelles qui ne

comprennent pas son langage.

 

Robert Desnos, Les Portes battantes, dans Domaine

public, Gallimard/Le Point du jour, 1953, p. 289.

 

30/11/2025

Robert Desnos, Domaine public

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           Hommes

 

Hommes de sale caractère

Hommes de mes deux mains

Hommes du petit matin

 

La machine tourne aux ordres de Deibler

Et rouages après rouages dans le parfum des percolateurs qui suinte des portes des bars et le parfum des croissants chauds

L’homme qui tâte ses chaussettes durcies par la sueur de la veille et qui les remet

Et sa chemise durcie par la sueur de la veille

Et qui la remet

Et qui se dit le matin qu’il se débarbouillera le soir

Et le soir qu’il se débarbouillera le matin

Parce qu’il est trop fatigué

Et celui dont les paupières sont collées au réveil

Et celui qui souhaite une fièvre typhoïde

Pour enfin se reposer dans un beau lit blanc…

Et le passager émigrant qui mange des clous

Tandis qu’on jette à la mer sous son nez

Les appétissants reliefs de la table des premières classes

Et celui qui sort dans les gares du métro et que le chef de gare chasse jusqu’à la station suivante…

 

Hommes de sale caractère

Hommes de mes deux mains

Hommes du petit matin

 

Robert Desnos, Les sans cou, dans Domaine public,

Gallimard/Le Point du jour, 1953, p. 243.

29/11/2025

Robert Desnos, Domaine public

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(…) Je n’ai pas fini de te dire tout.

Mais à quoi bon…

L’indifférence en toi monte comme un rosier vorace qui, détruisant les murailles, se tord et grandit,

Étouffe l’ivrogne de son parfum…

Et puis, est-ce que cela meurt ?

Un clair refrain retentit dans la ruelle lavée par le matin, la nuit et le printemps.

Le géranium à la fenêtre fermée semble deviner l’avenir,

C’est alors que surgit le héros du drame.

Je te conte cette histoire qui ne tient pas debout que parce que je n’ose

pas continuer comme j’ai commencé

Car je crois à la vertu des mots et des choses formulées.

(…)

Robert Desnos, Siramour, dans Domaine

public, Gallimard/Le Point du jour, 1953, p. 206-207.

28/11/2025

Robert Desnos, Domaine public

robert desnos, domaine public, ténèbres

                          En sursaut

 

Sur la route en revenant des sommets rencontré par les corbeaux et les châtaignes

Salué la jalousie et la pâle flatteuse

Le désastre enfin le désastre annoncé

Pourquoi pâlir pourquoi frémir ?

Salué la jalousie et le règne animal avec la fatigue avec le désordre avec la jalousie

Un voile qui se déploie au-dessus des têtes nues

Je n’ai jamais parlé de mon rêve de paille

Mais où sont partis les arbres solitaires du théâtre

Je ne sais où je vais j’ai des feuilles dans les mains j’ai des feuilles dans la bouche

Je ne sais si mes yeux se sont clos cette nuit sur les ténèbres précieuses ou sur un livre d’or et de flamme

Est-il le jour des rencontres et des poursuites

J’ai des feuilles dans les mains j’ai des feuilles dans la bouche

 

Robert Desnos, Ténèbres, dans Domaine public, Gallimard/Le Point du jour, 1953, p. 150.

27/11/2025

Michel Leiris, À cor et à cri

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Répugnance au ton trop affirmatif, l’horreur de parle fort (sans nuance et plus ou moins péremptoirement) qui rend difficiles les rapports entre celui qui éprouve cette gêne et les gens durs d’oreille, ces gens dont le sépare bien autre chose que — grossier manque d’égards – une paresse l’empêchant d’élever suffisamment la voix et d’articuler assez clairement pour être compris d’eux. Marteler ses mots, n’est-ce ce pas faire régresser  le langage en le rapprochant du bestial ?

 

Michel Leiris, À cor et à cri, Gallimard, 1988, p. 61.

 

25/11/2025

Piere Revrdy, Œuvres complètes, II

pierre reverdi,Œuvres complètes,ii,respiration

                  Sans respirer

              
La jambe à droite
                       L’ombre du mort
Le marbre
           La table qui s’est inclinée
La nuit recouvre tout de son tapis troué
Le silence a de la peine à vaincre le bruit
Les mots faiblissent de partout
Et les lèvres frémissent
On ne sait pas pourquoi
Contre le mur des paroles qui glissent
Entre les doigts
                       Le vent
                       Le souffle
                       Et les soupirs
Partout entre les arbres tout ce qu’on voit courir

Piere Reverdy, Œuvres complètes, II, Flammarion,

2010, p. 244.

24/11/2025

Pierre Reverdy, Main d'œuvre

 

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              Tête à tenir

Une large bouffée de flammes
Sur la frise en bas des forêts
Le brouillard échappé des larmes
Sous une écharpe de rosée
L’odeur rugueuse des cigares
Le feu caché des feuilles mortes
Rayons cassés qui tissent ton sourire
Le visage effacé sous son voile de peur
Il va il vient il se retire
Un rayon de miel dans la cire
Une larme amère à ton cœur
Amour reviens dans le silence
Le poids de la main sur ton front
Et toujours la mort entêtée
La mort vorace

Pierre Reverdy, Main d'œuvre,

Mercure de France, p. 412.

23/11/2025

Pierre Reverdy, Main d'œuvre

                             

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                 Lumière rousse


On accroche le ciel d’automne aux quatre coins
               Un tambour résonne
Des pas dans le vent
                             Le regard qu’on donne
                            À chaque passant
Les flammes effilées à travers les barrières
                            Les maisons retournées
                            Tous les dos en prières
Et les jours perdus dans les aventures
                                     le long des années
Il n’y a pas de temps
Mais de la poussière
ou l’eau du printemps
dans chaque clairière au regard ardent
Sous les flocons plus lourds
Sous le poids des nuages
Il reste encore un tour à faire sur la page
Un nom qui se traîne
Un cœur qui s’en va
Ce n’est pas la peine 
De s’arrêter là
                                     Personne dans la marge
Plus rien sur le trottoir
                                     Le ciel est plein d’orages

 

Pierre Reverdy, Main d’œuvre, poèmes, 1913-1949,

Mercure de France, 1949.

22/11/2025

Pierre Reverdy, Le épaves du ciel

                                   

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                             La repasseuse


         Autrefois ses mains faisaient des taches roses sur le linge éclatant qu’elle repassait. Mais dans la boutique où le poêle est trop rouge son sang s’est peu à peu évaporé. Elle devient de plus en plus blanche et dans la vapeur qui monte on la distingue à peine au milieu des vagues luisantes des dentelles.
         Ses cheveux blonds forment dans l’air des boucles de rayons et le fer continue sa route en soulevant du linge des nuages – et autour de la table son âme qui résiste encore, son âme de repasseuse court et plie le linge en fredonnant une chanson – sans que personne y prenne garde.


                                      Cœur à cœur

Enfin me voilà debout
Je suis passé par là
Quelqu’un passe aussi par là maintenant
Comme moi
Sans savoir où il va

Je tremblais
Au fond de la chambre le mur était noir
Et il tremblait aussi
Comment avais-je pu franchir le seuil de cette porte

On pourrait crier
                  Personne n’entend
On pourrait pleurer
                  Personne ne comprend

J’ai trouvé ton ombre dans l’obscurité
Elle était plus douce que toi-même
Autrefois
Elle était triste dans un coin
La mort t’a apporté cette tranquillité
Mais tu parles tu parles encore
Je voudrais te laisser

S’il venait seulement un peu d’air
Si le dehors nous permettait encore d’y voir clair
On étouffe
Le plafond pèse sur ma tête et me repousse
Où vais-je me mettre où partir
Je n’ai pas assez de place pour mourir
Où vont les pas qui s’éloignent de moi et que j’entends
Là-bas très loin
Nous sommes seuls mon ombre et moi
La nuit descend

Pierre Reverdy, Les Épaves du ciel, Gallimard, 1924, p. 22, 86-87.


21/11/2025

Pierre Reverdy, Le livre de mon bord

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Le style, ce ne doit pas être tellement l’homme qu’on l’a dit – car l’on se complaît bien plus à sa personnalité qu’en ce qu’on écrit. On se désespère d’écrire mal, et rien ne concorde entre ce que l’on sent et ce que l’on écrit. On se relit, on retouche ce style répugnant, rien ne vient mieux. Je crois que ce qui est vraiment l’homme c’est le plaisir ou le dégoût qu’il prend à l’effort pour écrire mieux. C’est-à-dire qu’il n’y ait pas plus de vulgarité dans le style que dans la pensée.


L’homme ne se réalise que dans la connaissance. Les frontières de sa connaissance sont les frontières de son être. Plus il connaît, plus il est vaste et étendu, moins il connaît, plus il est étroit et restreint. Mais il y a aussi le parti qu’il tire et l’usage qu’il fait de ces connaissances et qui le font grand ou petit.

Le style, bon ou mauvais, je parle de ce qui caractérise un écrivain, ce n’est pas le premier jet, mais l’état où il laisse la chose écrite, celui auquel il n’éprouve plus le besoin de rien changer. Et ce n’est pas la moindre révélation du caractère que de ne jamais tenir pour définitive l’expression formelle de sa pensée.


Pierre Reverdy, Le livre de mon bord, Mercure de France, 1948,  p. 47-48, 162, 210.

20/11/2025

Pierre Reverdy, Gant de crin

pierre reverdi, gant de crin, image

Je ne connais pas d’exemple d’une œuvre qui ait inspiré moins de confiance à son auteur que la mienne.
Aussi me gardé-je bien de la défendre.
J’accepte ici qu’elle peut n’être qu’un témoin d’impuissance.


Le propre de l’image forte est d’être issue du rapprochement spontané de deux réalités très distantes dont l’esprit seul a saisi les rapports.

Le poète est poussé à créer par le besoin constant et obsédant de sonder le mystère de son être intérieur, de connaître son pouvoir et sa force.
Il n’est que les gens de métier qui se satisfassent de quelque certitude sur leurs facultés.
Mais en poésie les gens de métier sont les médiocres.

Si les glaces de verre sont flatteuses pour toi, supprime-les. Ne te regarde pas en dehors mais en dedans, il y a là un sombre miroir sans complaisance.


Pierre Reverdy, Gant de crin, Plon, 1927, p. 26-27, 34, 44, 105.

 

 

 

19/11/2025

Jules Renard, Journal

 

Un Journal, ce n’est pas beaucoup plus littéraire qu’une table d’hôte.

 

Il voyait le moins de personnes qu’il pouvait afin de s’épargner le plus possible l’ennui des enterrements.

 

Ma littérature, c’est comme des lettres à moi-même que je permettrais de lire.

 

Le Français crible d’épigrammes surtout ce qu’il voudrait être : le député, et ce qu’il voudrait avoir : le ruban rouge.

 

Ma littérature n’est qu’une continuelle rectification de ce que j’éprouve dans la vie.

 

Jules Renard, Journal, Gallimard / Pléiade, 1961, p. 217, 218, 224, 227, 228.

18/11/2025

Jules Renard, Journal

 

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Il passe son temps à chercher des gens du même avis que lui.

 

Aujourd’hui les hommes de lettres prennent copie de leurs lettres, afin que la postérité puisse sans trop de mal réunir leur correspondance.

 

Les enfants devraient être des apparitions facultatives.

 

Si vous pensez du bien de moi, il faut le dire le plus vite possible, parce que, vous savez, ça se passera.

 

L’homme est un être qui lève la tête au ciel et ne voit que les araignées du plafond.

 

Jules Renard, Journal, Gallimard / Pléiade, 1961 ; p. 202, 203, 203, 206, 216.

17/11/2025

Jules Renard, Journal

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Il a chassé le naturel : le naturel n’est pas revenu.

 

Triste à voir comme un être cher qui s’enfonce dans le brouillard.

 

Il n’y a pas d’amis : il y a des moments d’amitié.

 

C’était un homme méthodique : il déjeunait en mâchant du côté gauche, et dînait en mâchant du côté droit.

 

Les gens sont étonnants : ils veulent qu’on s’intéresse à eux !

 

Jules Renard, Journal, Gallimard / Pléiade, 1961 ; p.195, 196, 197, 197, 198.

16/11/2025

Emily Dickinson, Ses oiseaux perdus

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À l’intérieur de cette petite Ruche

Il y a de telles Allusions au Miel

Comme si la réalité faisait un Rêve

Et les Rêves, la Réalité

 

Witnin that little Hive

Such Hints of Honey lay

As made Reality a Dream

And Dreams Relaity

 

Emily Dickinson, Ses oiseaux perdus,

traduction François Heusbourg,

Éditions Unes, 2017, p. 61 et 60.