16/05/2016
Jaromír Typlt, Fragment B 101
Fragment B 101
Deux bulles d’air comme enseigne
Gribouillées à la craie
Sur le crépi tout près de l’entrée :
Ici vit le délire.
Souriant il viendra vers moi le jour même où prendra sa folie.
Après quelques pas le sourire s’en ira,
de ma vie je n’ai vu personne aussi vite s’assombrir,
s’effondrer de sa face, s’oublier,
et figer son regard en lâchant tout à vau-l’eau
et des yeux d’effroi ébahis observer
combien ça augmente
augmente sans retenue.
Avant qu’une voix ne le brouille
en appelant son nom . Depuis la mort de sa mère
Franrisck vit seul dans la maison.
Par un couloir il me conduira
opinant à tout ce que je dis,
son pantalon trop lâche lui glissera des hanches
jusqu’en bas, vers l’aine toute noire
que d’un regard légèrement interdit
je devinerai
avant qu’il remonte sa culotte.
Plus tard je comprendrai où j’ai mis les pieds.
Chez lui tout est ordinaire, conduite et réponses.
Sauf le reste sans doute :
d’avoir pénétré dans sa maison sens dessus-dessous, sortons des affaires, taillons,
avant de nous asseoir devant un café
et de rigoler de nos blagues. Il fera semblant de tout approuver,
très volontiers,
trop,
mais avec un agacement perçant çà et là.
[…]
Jaromir Typlt, Fragments B 101, traduit du tchèque par Denis
Molcanov, dans NUNC, n° 38, février 2016, p. 113.
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15/05/2016
Marina Tsvétaïéva, Tentative de jalousie
Poème pour Ossip Mandelstam
Tu rejettes la tête en arrière —
Et puis que tu es fier et hâbleur.
Quel joyeux compagnon jusqu’à moi
A conduit ce mois de février !
Cliquetant de pièces de monnaie
Et lentement soulevant la poussière,
Comme des étrangers triomphants
Nous allons par la ville natale.
De qui sont les mains délicates
Qui ont, beauté, touché tes cils,
Quand, comment, par qui et combien
Tes lèvres ont-elles été baisées —
Je m’en moque. Mon esprit avide
A surmonté ce rêve-ci.
Et toi c’est le garçon divin,
Petit de dix ans, que j’estime.
Nous resterons au bord du fleuve,
Où trempent les perles des réverbères,
Je te mènerai jusqu’à la place —
Témoin des tsars adolescents.
Siffle ton mal de jeune garçon,
Serre ton cœur au creux de ta main.
— Toi, flegmatique et frénétique,
Toi, mon émancipé, — pardon !
18 février 1916
Marina Tsvétaïéva, Le ciel brûle, suivi de
Tentative de jalousie, traductions de Pierre Léon
et Ève Malleret, Poésie / Gallimard, 1999, 97-98.
Le sixième numéro de la revue annuelle Place de la Sorbonne, animée par Laurent Fourcaut, sera présenté à la Maison de la Poésie de Paris le 17 mai, à 19h30.
Outre un entretien avec l’éditeur Antoine Jaccottet, le sommaire offre des inédits en langue française, de poètes confirmés (William Cliff, Pierre Dhainaut, Jacques Demarcq, etc.) ou non (Ariel Spiegler, Christine Guinard, Minh-Triet Pham, etc.), et des traductions de poètes d’Argentine, de l’Équateur, de Slovénie, d’Allemagne, d’Autriche. D’autres rubriques — poème commenté, prose accompagnant un tableau, des lectures, etc.) — complètent ce très riche numéro.
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14/05/2016
Paul Celan, René Char, Correspondance 1954-1968 : recension
Bertrand Badiou a déjà publié la correspondance de Paul Celan avec son épouse et celle avec Ingerborg Bachmann*. Sa connaissance de l’œuvre et des études à son propos, nombreuses depuis deux décennies, aboutissent à une édition exemplaire. Aux lettres (dont 3 de Celan non envoyées) et billets, cartes postales, envois de livres, de plaquettes et de traductions, s’ajoutent des lettres entre René Char et Gisèle Celan-Lestrange avant et après le suicide de Celan, d’autres concernant l’internement de Celan. La plupart des lettres sont elliptiques ou portent sur des événements que le lecteur n’a pas en mémoire (par exemple, l’affaire Goll), et les livrer sans rétablir leur contexte risquait de les rendre illisibles : toutes les données nécessaires à la compréhension des échanges sont réunies ; les notes, indispensables, sont abondantes, les références précises. L’édition des lettres est complétée par une chronologie, divers documents, un index, une bibliographie des sources.
Dans sa préface, Bertrand Badiou compare le « poète du maquis de Provence » et « le poète juif d’Europe centrale », relevant entre eux une série de points communs. Retenons que « Char et Celan ont trempé pour toujours leur parole dans [leur] vécu. Une parole qui devait assumer sa part obscure, issue des méandres et des gouffres du siècle » ; retenons aussi que les femmes ont eu une place « considérable dans leur vie, comme dans leur poésie. » Il y eut cependant un décalage de taille entre eux. Ainsi Celan, qui connaissait l’œuvre de Heidegger dans le texte, a pris beaucoup de recul quand il a compris que le philosophe ne regrettait rien de son passé nazi, alors que Char conserva toujours une admiration sans mélange. Par ailleurs, si Celan lisait Char, qu’il a traduit en allemand (notamment Feuillets d’Hypnos), Char n’a connu la poésie de Celan qu’à travers quelques traductions.
C’est Celan, lecteur de Char, qui écrit en 1954 pour une rencontre (« Je retrouve, en vous adressant ces lignes, tout l’espoir angoissé qui préside à mes rares rencontres avec la Poésie », 21/7/54), demande plus que bien accueillie. Il y eut de nombreuses périodes de silences, dus en partie pour Celan aux difficultés qu’il avait à écrire, mais pendant plusieurs années leur proximité fut réelle ; par exemple, on ignore ce que Celan a appris à Char en 1955, mais la réponse témoigne d’une sympathie profonde : « Je ne sais pas partager avec un ami son mal-être, son chagrin […] je ne sais pas lui montrer à l’aide de la parole trop peu précise et balsamique que je le comprends. » (29/4/55 ; souligné par Char). Ce qui a provoqué d’abord une distance entre eux vient de l’affaire Goll ; Claire Goll menait depuis 1953 une campagne diffamatoire, accusant Celan d’avoir plagié son mari Yvan Goll, campagne dénoncée par poètes et critiques mais qui, malgré tous les soutiens qui lui étaient prodigués, atteignait fortement l’équilibre de Celan — son ami Jean-Pierre Wilhelm lui écrivait en 1956 « Je ne pense que cette veuve abusive [=Claire Goll] puisse vous faire beaucoup de mal. Elle est ‘’brûlée’’ partout, détestée ». Char, ne mesurant pas du tout l’effet des calomnies, les a mises en parallèle avec une querelle sans portée qu’il avait avec un universitaire à propos d’une édition de Rimbaud, ce que Celan ne pouvait accepter.
Aucune trace n’est restée des motifs d’une rupture survenue en 1958, au moins pour Celan ; ne demeurent que des notes à propos de Char, prises à la suite d’une conversation téléphonique : « une vanité grandissante, un discours toujours plus indigent qui se répète ». Plus tard, Celan a écarté Char de sa vie par ces mots : « Confirmation de ma première impression — plus tard remise en question eu égard à l’homme — poésie douteuse » (journal inédit, 4/1265, cité p. 21). Dans une lettre à Ingeborg Bachmann, en mars 1959, il dénonçait l’attitude de Char, (« Le mensonge et l’ignominie »), et dans une autre à Char après la mort de Camus, mais qu’il n’a pas envoyée, il écrivait : « vous avez su nous [= PC et Gisèle Celan-Lestrange] faire mal à la légère, vous nous avez peiné » (6/1/60). Enfin, dans son journal (tenu par son épouse), Celan note en mars 1961, « On ne peut pas compter sur lui. » La correspondance devient ensuite plus rare, composée surtout d’envois de livres, et cet éloignement n’a pas donné lieu à des explications entre les deux hommes. Cependant, Char est intervenu efficacement en 1966 pour améliorer l’internement de Celan et lui écrira à sa sortie de l’hôpital. Après le suicide de son mari, Gisèle Celan-Lestrange poursuivra la correspondance avec Char ; j’en retiens cette phrase d’une lettre, qui pourrait s’appliquer à bien d’autres poètes : « La poésie [de Celan] que si souvent j’ai envie de refuser, je refuse à cause de son savoir si lucide jusqu’à l’insupportable. » (22/7/70).
Cette édition permet d’approfondir la connaissance de Celan et il faut espérer la publication, avec le même souci de rigueur, d’autres correspondances disponibles en allemand, en même temps que la poursuite des traductions de la poésie.
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* Paul Celan, Gisèle Celan-Lestrange, Correspondance (1951-1970), éditée et commentée par B. Badiou avec le concours d’Éric Celan, 2 vol. Seuil 2001 ; Ingeborg Bachmann, Paul Celan, Le Temps du cœur, Correspondance (1948-1967), éd. B. Badiou, H. Höller, A. Stoll et R. Wiedemann, trad. de l’allemand B. Badiou, Seuil, 2011.
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Paul Celan, René Char, Correspondance 1954-1968, Gallimard, 2015.
Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 27 avril 2016
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13/05/2016
Ghérasim Luca, La Paupière philosophale
Pour saluer la publication aux éditions Corti de La Paupière philosophale et la sortie du dernier numéro de la revue Europe, coordonné par Serge Martin et consacré à Ghérasim Luca :
Bien au-delà du peu
la peau et l’épée
lapent
l’eau ailée
du petit pire
Toupie d’une peur idéale
épi à pas de pou
appât
ou pâle pet de pétale
*
La vie dupe la fille du vite
Tapis doux
où les fées filent
les feux muets
d’un rien de doute
L’effet est fête
faute hâte
écho et cause
Ghérasim Luca, La Paupière philosophale,
Corti, 2016, p. 9, 10.
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12/05/2016
Trois images de Londres
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11/05/2016
Georges Perros, Papiers collés, III
Ces artistes qui se refusent à connaître l’œuvre de leurs contemporains par craintes d’être influencés, c’est un peu comme si un homme ne voulait voir aucune femme par crainte de tromper la sienne.
La réponse n’est pas hors du texte ou dans le texte. Elle est le texte.
Écrire, pouvoir écrire, c’est, d’une certaine manière, se venger. Remettre l’éternité en marche. Ou tenter d’éliminer le futur.
Le drame : on se fait des idées. La poésie, c’est le contraire. Poésie de nulle part de n’importe où de partout.
Georges Perros, Papiers collés, III, Gallimard, ‘’L’Imaginaire’’, 1994, p. 90, 95, 104, 108.
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10/05/2016
Georges Perros, Poèmes bleus
Je te propose ce fugitif compagnonnage
Entre le chien et le loup
De l’aboiement crépusculaire
Je te demande de m’aider
À extraire de nos solitudes jumelles
Un peu de cette magie
Grâce à laquelle se renouvelle le bail
Se rafraîchissent nos tristes idées
Qui sont comme pierres dans un désert sans oasis
Stupidement debout contre le mur du néant
Comme lorsqu’on attend quelqu’un
Qui ne viendra pas
Qui ne viendra plus
Le rendez-vous n’aura pas lieu
Les pierres de Carnac sont comme ces idées
Muettes comme l’éternité
Justes bonnes à attirer ceux qui veulent savoir tout
Par le biais de qui ne sait rien
Ô l’Histoire belle paresse,
Mais vivre en est une autre, histoire,
Rempli d’épines, le chemin,
Et n’ignore-t-on pas encore
L’étrange énigme d’ici-bas ?
Georges Perros, Poèmes bleus, Gallimard,
‘’Le Chemin’’, 1962, p. 53-54.
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09/05/2016
Georges Perros, Papiers collés
Vivre sans arrêt avec une personne, du matin au soir, au bout de huit jours on la déteste. Mais vivre avec soi-même ! Alors on part en voyage, on dédaigne de prendre une valise qui nous rappellerait… Et on arrive dans une chambre d’hôtel où la première chose entrevue est un miroir. (Inutile de le casser.)
J’aime quand j’ai bu un peu. J’épouse la terre plus aisément. Je tourne un peu. Je suis à jeun quant à elle. Cet état de demi-ébriété me ravit. Comme un coma de juste mesure. Celui-là même que j’ai vainement cherché avec les êtres, que je n’espère plus trouver qu’avec moi-même, un jour de musique privilégiée, musique d’accompagnement qui m’adoptera pour thème.
Georges Perros, Papier collés, Gallimard, 1960, p. 37, 57.
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08/05/2016
Tristan Corbière, La Cigale et le Poète, dans Les Amours jaunes
Corbière par Félix Valloton
À Marcelle
La Cigale et le Poète
Le poète ayant chanté,
Déchanté,
Vit sa Muse, presque bue,
Rouler en bas de sa nue
De carton, sur des lambeaux
De papiers et d’oripeaux.
Il alla coller sa mine
Aux carreaux de sa voisine,
Pour lui peindre ses regrets
D’avoir fait — Oh ! pas exprès —
Son honteux monstre de livre !...
— « Mais vous étiez donc bien ivre ?
— Ivre de vous !...Est-ce mal ?
— Écrivain public banal !
Qui pouvait si bien le dire…
Et, si bien ne pas l’écrire !
— J’y pensais, en revenant…
On n’est pas parfait, Marcelle…
— Oh ! c’est tout comme, dit-elle,
Si vous chantiez maintenant ! »
Tristan Corbière, Les Amours jaunes,
dans Charles Cros, T. C., Œuvres complètes,
Pléiade / Gallimard, 1970, p. 853.
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07/05/2016
Guillaume Apollinaire, Le Guetteur mélancolique
La nudité des fleurs c’est leur couleur charnelle
Qui palpite et s’émeut comme un sexe femelle
Et les fleurs sans parfum sont vêtues par pudeur
Elles prévoient qu’on veut violer leur odeur
La nudité du ciel est voilée par des ailes
D’oiseaux planant d’attente émue d’amour et d’heur
La nudité des lacs frissonne aux demoiselles
Baisant d’élytres bleus leur écumeuse ardeur
La nudité des mers je l’attife de voiles
Qu’elles déchireront en gestes de rafale
Pour dévoiler au stupre aimé d’elles leurs corps
Au stupre des noyés raidis d’amour encore
Pour violer la mer vierge douce et surprise
De la rumeur des flots et des lèvres éprises
Guillaume Apollinaire, Le Guetteur mélancolique, dans
Œuvres poétiques, édition M. Adéma et M. Décaudin,
Pléiade / Gallimard, 1965, p. 574.
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06/05/2016
Giorgio Caproni, Le Mur de la terre
Il battait
(Hommage à Dino Campana)
Il battait le nom (il le battait
Précisément, comme
On bat de la monnaie) et la frappe
(mais celle-ci battait
obstinément), le sens
(la valeur) dans le vent
(dans le souffle de pandémonium
sur Oregina) heurté
se perdait dans la mer
d’aluminium — avec la morte
fumée de la cheminée
de la citerne, dont l’éclair
ferme qui, ferme, secouait
la tôle — que, encore,
lui, battait
obstinément (et battait) (comme
on bat une médaille) dans le nom
vide qui se perdait
au vent que, Lui, battait.
Giorgio Caproni, Le Mur de la terre,
traduction Philippe Di Meo , Atelier
La Feugraie, 2002, p. 49.
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05/05/2016
Paul Valéry, Littérature
Littérature
Si l’on se représentait toutes les recherches que suppose la création ou l’adoption d’une forme, on ne l’opposerait jamais bêtement au fond.
Quand l’ouvrage a paru, son interprétation par l’auteur n’a pas plus de valeur que toute autre par qui que ce soit.
Ce qui plaît beaucoup a les caractères statistiques. Des qualités moyennes.
Dire qu’on a inventé la « nature » et même « la vie » ! On les a inventées plusieurs fois et de plusieurs façons…
Tout revient comme les jupes et les chapeaux.
Le nouveau n’a d’attraits irrésistibles que pour les esprits qui demandent au simple changement leur excitation maxima.
Paul Valéry, Œuvres, II, édition établie par Jean Hytier, Pléiade / Gallimard, 1960, p. 554, 557, 559, 560, 561.
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04/05/2016
William Blake, Chanson de folie
Chanson de folie
Les vents sauvages pleurent,
La nuit est glacée ;
Viens ici, Sommeil,
Et dévoile mes chagrins.
Mais voici le point du jour
Dans les hauteurs de l’Orient
Et les oiseaux frémissants de l’aube
S’envolent loin de la terre.
Voyez, jusqu’au zénith
De la voûte céleste,
Chargés de douleur
Mes accents sont portés ;
Ils frappent l’oreille de la nuit,
Et font couler les larmes du jour ;
Ils font rugir les vents en folie
Et se jouent avec la tempête.
Comme un démon dans la nue
Hurlant de douleur
Suivant la nuit je me hâte
Et avec la nuit je m’en irai
Me détournant de l’Orient
D’où nous est venue consolation,
Car la lumière frappe mon âme
D’un indicible mal.
William Blake, Esquisses poétiques, dans
Poèmes, traduction L. M. Cazamian,
Aubier-Flammarion, 1968, p. 99.
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03/05/2016
Rose Ausländer, Été aveugle
Les étrangers
Des trains amènent les étrangers
qui descendent et regardent autour d’eux l’air perdu
Dans leurs yeux nagent
de craintifs poissons
Ils portent des nez étrangers
des lèvres tristes
Personne ne vient les chercher
Ils attendent le crépuscule
qui ne fait pas de différences
ils pourront alors visiter leurs proches
dans la soirée lactée
dans les cratères de la lune
L’un d’eux joue de l’harmonica —
des mélodies bizarres
Une autre gamme habite
l’instrument :
une suite inaudible de
solitudes
Rose Ausländer, Été aveugle, Héros-Limite, traduction
de l’allemand Michel Vallois, 2015, p. 17.
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02/05/2016
Christian Prigent, Les Amours Chino
Après Les enfances Chino (2013), roman en prose,
une suite en vers, Les Amours Chino, est
disponible aujourd’hui en librairie.
VI Chino à sa Dame
I
(1994, autoportrait patheux)
Madame je ne vis qu’en étonnement
Furieux en ahuri primal ou congé
Nital mon œil furibond natif il s’en
Fonce et me recule assez loin enragé
Des mondes abondants posés sur le gla
Cis de flotte asphyxié gigotant pour ne pas
Couler — à ma périphérie tétanos
D’espacetemps dans la cuirasse os
Tensible des significations (acta :
Professeur en explicitation d’émoi
Abstracteur de ma quintessence extra
[Con]testeur de mes données comprenez-moi)
Christian Prigent, Les Amours Chino, P.O.L, 2016,p. 107.
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