26/04/2019
E. E. Cummings, Paris
Notre Dame
Paris ; ce couchant d’avril totalement s’exprime ;
s’exprime sereine et silencieuse une cathédrale
devant le magnifique visage décharné qui
des rues sous la pluie rajeunissent,
des hectares de volutes bouffies de rose
lovées dans de cobalt kilomètres de ciel
s’inclinent attentionnés devant
le mauve
de crépuscule (qui descend tout en sveltesse,
portant coquette aux yeux les dangereuses premières étoiles)
les gens vont aiment courent sous gentiment
arrivant la pénombre et
vois ! (la nouvelle lune
emplit tout à coup de soudain argent
ces poches nouées d’une mendiante couleur boiteuse) tandis
qu’ici et là ondule indolente la prostituée
Nuit, elle tente de convaincre
certaines maisons
E. E. Cummings, Paris, Seghers, 2014, p. 27.
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10/07/2018
e. e. cummings, 95 poèmes, traduction Jacques Demarcq
58
le sacré drôle ça oui par un jour noir
cogna si diablement qu’il m’en fit voir —
et j’eus du mal à encaisser du fait
que moi (comme par hasard) même il était
— mais depuis ce suppôt et moi devînmes
deux potes si immortels que l’autre est l’un
e. e. cummings, 95 poèmes, traduction Jacques
Demarcq, Points / Seuil, 2006, p. 91.
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28/05/2018
e .e. cummings, font cinq, traduction Jacques Demarcq
Cinq
I
Quand tous les chevaux blancs seront au lit
voudrez-vous, ma vraie dame, vous promener
auprès de moi si à peine un semblant de ville
dans un énorme crépuscule vacille
et toucher (alors) d’un inexprimé
geste subit légèrement mes yeux ?
Et envoyer la vie loin de moi et la nuit
absolument jusqu’au fond de moi… Un prudent
puéril mouvement de votre bras
le fera tout à coup
fera
plus que des héros magnifiques aux stridentes
armures s’entrechoquant sur de grands chevaux bleus,
et les poètes les regardaient, faisaient des vers,
pleurant les chevaliers enfuis sous l’aveuglante lumière.
e. e. cummings, font 5, traduction et postface de Jacques Demarcq, éditions NOUS, 2011, p. 97, 18 €.
Five, I
After all white horses are in bed
Will you walking besides me,my very lady,
if scarcely the somewhat city
wiggles in considérable twilight
touch(now)with a suddenly unsaid
gesture lightly my eyes ?
And send life out of me and the night
absolutely into me…a wise
and puérile moving of your arm will
do suddenly that
will do
more than heroes beautifully in shrill
armour colliding on huge blue horses,
and the poets looked at them, and made verses,
through the sharp light cryingly as the knights flew.
e. e. cummings, is 5, in Complete Poems 1904-1962, revised,corrected, and expanded edition containing all the published poetry, by George J. Firmage, New York, Liveright, 1991, p. 303.
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03/11/2017
E. E. Cummings, Érotiques
Ma dame, je vais vous toucher de mon esprit
Vous toucher et toucher et toucher
jusqu’à ce que vous m’accordiez
un soudain sourire, timidement obscène
(ma dame je vais vous toucher de mon esprit.) Vous
toucher, c’est tout,
légèrement et vous deviendrez tout à fait
avec une infinie facilité
le poème que je n’écris pas.
Edgar Estlin Cummings, Érotiques, traduction Jacques
Demarcq, Seghers, 2012, p. 113.
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13/04/2017
e. e. cummings, 95 poèmes
16
au temps des jonquilles (au courant
que l’on vit pour devenir grand)
oubliant pourquoi, rappelle-toi comment
au temps des lilas qui conseillent
c’est afin de rêver qu’on veille
rappelle-toi comment (oubliant pareil)
au temps des roses (qui stupéfient
notre ici maintenant de paradis)
oubliant les mais, rappelle-toi les oui
au temps de ces choses bien plus douces
que tout ce qui à l’esprit touche
rappelle-toi chercher (oubliant qu’on trouve)
et dans un mystère qui sera
(quand le temps du temps nous délivrera)
m’oubliant rappelle-toi de moi
e. e. cummings, 95 poèmes, traduit et présenté
par Jacques Demarcq, Points/Seuil, 2006, p. 44.
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17/01/2017
Aimé Césaire, Soleil cou coupé
Marais
Le marais déroulant son lasso jusque là lové autour de son nombril le marais dégoisant les odeurs qui jusque là avaient tissé une épaule avec des aisselles
Le marais défaisant le mauvais œil qui jusqu’à présent lui avait éclairé tant bien que mal le mauvais bouge au fond duquel il entretenait ses mauvaises raisons dans un bocal de sangsues luxueuses réservées au sang des plus illustres têtes couronnées.
et me voilà installé par les soins obligeants de l’enlisement au fond du marais et fumant le tabac le plus rare qu’aucune alouette ait jamais fumé.
Miasme on m’avait dit que ce ne pouvait être que le règne du crépuscule. Je te donne acte que l’on m’avait trompé. De l’autre côté de la vie, de la mort, montent des bulles. Elles éclatent à la surface avec un bruit d’ampoules électriques brisées. Ce sont les scaphandriers des victimes de la réclusion qui reviennent à la surface remiser leur tête de plomb et de verre leur tendresse.
[ …]
Aimé Césaire, Soleil cou coupé, K éditeur, 1948, p. 77.
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08/11/2016
E. E. Cummings, une fois un (traduction Jacques Demarcq)
l’amour est une source à laquelle
s’abreuvent ces fous qui ont grimpé
plus raides que les espoirs sont peurs
simplement pas toujours nommées
des montagnes plus si quand chaque
totalité connue s’évapore
insouciants sont les amants qui
plus hauts que leurs peurs sont espoirs
sont les amants genoux à terre
eux dont les lèvres heurtent des cieux
inimaginés plus profonds
que le paradis n’est l’enfer
E. E. Cummings, une fois un, traduction Jacques
Demarcq, La Nerthe, 2015, p. 31.
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13/06/2016
E. E. Cummings, No Thanks
à l’amour sois (un peu)
Plus attentif
Qu’à tout
tiens-le seulement peut-être
À peine moins
(étant au-delà d’ô combien)
serré que
Rie, souviens t’en par de fréquentes
Angoisses (imagine
Son moindre jamais avec ta meilleure
mémoire) donne entière à chaque
Toujours en liberté
(Ose jusqu’à une fleur,
comprenant outre mesure le soleil
Ouvre quel millième pourquoi et
découvre le rire)
E. E. Cummings, No Thanks, traduit et
présenté par Jacques Demarcq, NOUS,
2011, p. 68.
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24/10/2015
E. E. Cummings, 95 poèmes
93
mai oui ! printemps
partout arrive ici
(avec un bas haut bas
et l’oiseau sur la branche)
comment ? pourquoi
— nous jamais nous savoir
(alors un baiser) timide ardemment douce
ma chérie entre toutes
(meure ! vive)
le neuf est le vrai
et perdre est avoir
— nous jamais nous savoir
hardi ! hardi
(le ciel et la terre
font un aujourd’hui) mon tellement très réjoui
jeune amour
Comment ? pourquoi
nous jamais nous savoir —
(avec un haut bas haut
dans le mai le printemps
vive ! meure
(toujours c’est à présent)
et danse toi l’arbre soudain en fleur
— je chanterai
E. E. Cummings, 95 poèmes, traduit et présenté
par Jacques Demarcq, Points/Seuil, 2006, p. 128.
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22/08/2015
Edward Estlin Cummings, L'Énorme chambrée
Une galerie de portraits
[...] l’Instituteur.
Un petit vieillard fragile dans un pantalon terriblement grand. Quand il marchait, de son pas inquiet, apeuré, ce pantalon faisait les plis les plus saugrenus. Dans la cour, s’il s’appuyait contre un arbre — avec une vieille, très vieille pipe, fragile elle aussi, qui sortait de sa poche — son col , trop grand de trois bonnes tailles, jaillissait de telle sorte que son cou desséché paraissait aussi effilé que la cravate blanche qui flottait sur une chemise à la hauteur du col. Il portait par tous les temps une veste qui lui arrivait au-dessous des genoux : il avait dû l’avoir en héritage, en même temps, d’ailleurs, que les genoux. Quand l’Instituteur s’asseyait tranquillement pour écrire à une petite table à trépieds dans l’Énorme Chambrée, une énorme plume emportant sa faible main osseuse, les vastes épaules de sa veste pointaient, comme des ailes, de part et d’autre de ses coudes. Sa casquette, démesurée elle aussi, était munie d’un petit bouton comme une tête de clou ; c’était à croire que cette vieille marionnette avait perdu sa pauvre tête grise, et que pour la réparer on avait tout bonnement cloué la tête sur le cou — sa place normale après tout.
Edward Estlin Cummings, L’Énorme chambrée, traduit de l’américain par D. Jon Grossman, Christian Bourgois, 1978, p. 113.
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21/08/2015
Edward Estlin Cummings, Érotiques
dame est couverte
de fleurs
ses pieds sont effilés
formés chacun de cinq fleurs sa cheville
est une minuscule fleur
les genoux de ma dame sot deux fleurs
Ses cuisses sont de vastes et fermes fleurs de nuit
et exactement entre
elles endormie intensément
est
la fleur soudaine d’une totale stupéfaction
une dame couverte de fleurs
est un jardin d’ivoire.
Et la lune est un jeune homme
que je vois régulièrement autour du crépuscule
entrer dans le jardin et sourire
en lui-même.
Edward Estlin Cummings, Érotiques, traduit et
présenté par Jacques Demarcq, Seghers, 2012,
p. 75.
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20/08/2015
Edward Estlin Cummings, Paris
plus
pâle
que tous les pourquois
tapis
entre tes omoplates découvertes. — Voici
venir un solide gaillard en sarrau
de l’autre côté de la fenêtre, touchant les becs
de gaz un à un de sa canne
magique (au bout de laquelle une boule
de feu bouillonne enthousiaste)
vois
là et là ça explose
silencieux en crocus d’éclats. (Cela fait bien assez
de vie pour toi. Je comprends. Une fois
encore...) glissant
un peu plus bas ; embrasse-moi de ton corps soudain
incurvant de complètes questions chaudes
Edward Estlin Cummings, Paris, traduit de l’anglais et présenté par
Jacques Demarcq, Seghers, 2014, p. 33.
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