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20/06/2021

Étienne Faure, Penchants aux fenêtres

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L’été, fenêtre ouverte, nous voyageons avec les avions

qui s’en vont, quittant le territoire en vrombissant

comme soulevés d’un destin trop lourd — deux août,

même chaleur anniversaire qui jour pour jour

avait saisi les aïeux de fureur

dans la mobilisation des corps soudain

suspendus à des déclarations d’amour, non, de guerre,

peaux empourprées aux moindres caresses,

une dernière fois sous le soleil posant

la tête sur la patrie qu’est la poitrine

à susurrer ça va vous coûter cher., l’amant, autant dire

la vie, moissons défaites, toutes faux passées

et des poèmes écrits à la dernière minute

dans la poussière de l’été, cette saison

à jamais révolue, enfermée dans le passé

d’un mot qui ce jour-là aura

été, à Paris maintenant démobilisé

 

énième deux août à Paris

 

Étienne Faure, Penchants aux fenêtres, dans

Contre-Allées, N° 43, printemps 2021, p. 8

01/06/2021

Étienne Faure, Jours de repos

 

D’une ville arasée naguère, ce qui reste au sol,

toute hauteur perdue, c’est le socle,

fondation arrachée jamais

à la terre, empirique emprise

où la cité embryonnaire, aboutie, détruite

endure à présent la tracé des fleurs rudérales

au lieu des pas qui résonnèrent

sur la place herbue du théâtre — y jouaient

d’antiques tragédiens avançant pour dire

je suis ici ô dieu du temps qui fait tomber les pluies

désormais sur nos bras dressés pour quérir le ciel,

relier cette parole diluvienne à nos gestes

et trouver un terrain d’entente

pour nos vies, nos corps tandis que l’herbe

sous nos pieds repousse, herbe à chats,

vieux acteurs au soleil qui éloignent

tout ce qui ronge, les idées noires

entre les gradins.

 rêves de chats dans les gradins

 

Étienne Faure, Jours de repos, dans Europe, n° 1106-1107-1108, Juin-juillet-août 2021, p. 279.

31/01/2021

Étienne Faure, Et puis prendre l'air : recension

Étienne Faure, Et puis prendre l’air, recension

"Prendre l’air", c’est sortir de chez soi, de ses habitudes, comme l’écrivait Flaubert dans sa correspondance, « Je comptais cet été sur un peu d'argent pour prendre l'air ». C’est ce que les dix ensembles du livre explorent, avec en ouverture le sous-titre Sortir et en clôture Prendre l’air ;  entre ces deux bornes, l’idée de mouvement peut être explicite ("Changement de saison", "Dix postures pour cueillir les mûres", "Aux coins du globe") ou sembler être contredite dans l’énoncé ("Voyage à la cave") : dans ce cas, le texte de Khlebnikov cité en exergue, « O cave de la mémoire », oriente vers une autre forme de sortie ; plusieurs sous-titres valorisent plutôt l’immobilité, comme "Claustrales", mais le premier poème de cet ensemble s’achève par « Abstraites errances », noté en italique. Et puis prendre l’air, outre son unité thématique, s’inscrit dans une tradition, celle du poème en prose depuis Baudelaire, privilégiant surtout la description des choses de la vie et, souvent, la méditation à leur propos.

Le narrateur marche beaucoup, observe sans cesse les personnes autour de lui, les oiseaux dans les jardins parisiens et à la campagne, les changements du ciel. Il écoute des étrangers qui tentent de se comprendre, il songe à la campagne en voyant des jeunes femmes qui, assises en amazone sur un banc, évoquent des cavalières et, toujours dans un square, il prend le temps de regarder des acteurs improvisés. Ce qui est recueilli, ce sont tous ces gestes, ces bruits, ces mots qui forment l’essentiel des jours, c’est-à-dire tout ce qui s’oublie, comme a été oublié le trot des charrettes qui naguère livraient le lait dans les grandes villes. Il y a quelque chose proche du spleen baudelairien dans la tentative de rassembler ce qui s’échappera toujours, ce que figure ce qui est vu lors d’un voyage en train, « on aperçoit les arbres qui fuient, les buissons, les lapins, tout un monde qui détale ». On peut croire voler des moments en passant dans la rue et parfois penser faire sienne la ville, on comprend cependant « qu’on ne s’approprie rien, que tout n’est qu’emprunt, mimétisme, camouflage ». Peut-on commencer, parce qu’on se trouve à son aise dans une ville, à « s’en faire une patrie » ? Étienne Faure cite ici Mme de Staël et a sans doute en tête la suite du texte de Corinne ou de l’Italie : « voir des visages humains sans relation avec votre passé ni avec votre avenir, c’est de la solitude et de l’isolement sans repos et sans dignité ».

La marche reste indispensable pour « ne plus voir contraires réel et imaginaire, passé et futur, haut et bas », et sur ce point le lecteur est renvoyé à André Breton, mais il est nécessaire de s’arrêter pour (se) construire. Sur le banc naît le questionnement, « où suis-je, où en suis-je, qui suis-je, quel jour est-on ? », et le banc lui-même suscite le départ dans l’imaginaire : il se souvient qu’il a été arbre, il vit son usure, l’inscription des amours. Bien des éléments du quotidien renvoient à autre chose qu’eux-mêmes, notamment au passé ; ce journal qui emballait un objet engage un voyage dans le temps de sa publication, les vêtements d’automne ressortis on y découvre les traces de la saison passée (châtaigne, gland, faîne) et « Telle une lecture interrompue (...) on reprend la tournure d’esprit de la saison où on l’avait laissée : mélancolique ». Des photographies retrouvées de parents ramènent à l’entre-deux guerres ; l’Histoire, celle des conflits du XXe siècle, s’impose aalors comme dans les précédents livres, et les enfants passent du statut de « titis du peuple à enfants de la patrie, prêts à leur tour pour la prochaine guerre ». Analogues aux animaux faisandés accrochés autrefois aux crocs des boucheries, les souvenirs connaissent « un temps de faisandage » et, en même temps, ce qui a été vécu par les uns se reproduit autrement ; dans un hôtel en 1919, mort de Jacques Vaché, retrouvailles de Gide et Maria Van Rysselberghe, écriture d’un livre par Breton et Soupault, « cent ans après, 2019, les séjours à l’hôtel étaient toujours au rendez-vous : écrire, aimer, mourir ». 

Les sentiments du narrateur ne sont donc pas absents du texte, cependant est marqué l’effort dans l’écriture pour éviter toute confidence, « on reprise dix fois le texte, le rature, laissant passer trop de clarté de soi ». C’est plutôt la pratique de l’écriture qui est décrite à différents moments du texte, comme l’usage d’un carnet employé tête-bêche où sont notés prose et vers ou le parallélisme entre l’ortie et l’écrit, entre l’écureuil et l’écrivain : l’animal « amasse des idées, les oublie, n’en finit pas d’aller de branche en branche ainsi qu’un écrivain — nouveaux chapitres, paragraphes, à la ligne ne sachant s’arrêter ». Chaque ensemble est précédé d’un exergue, et des écrivains du passé sont cités dans les poèmes (outre les noms relevés ci-dessus, La Fontaine, Desnos, Crevel, Conrad, Wilde, Jean-Jacques [Rousseau], Jules Renard, Laforgue), mais aussi leurs textes, notamment Baudelaire, Rimbaud, Aragon, textes rarement attribués mais aisément reconnaissables même quand ils sont intégrés dans celui d’Étienne Faure : mots repris à Apollinaire, à Baudelaire (« Ni luxe ni calme ni volupté ») ou fragment de Rimbaud augmenté d’une parenthèse (« Jeunesse (hardie aventure) à tout asservie »). Relevons encore une allusion transparente à la Commune de Paris avec l’idée d’un roman titré Le temps des merises, la mention du mur des Fédérés (où est la tombe de Jean-Baptiste Clément, auteur du "Temps des cerises") et de paroles de la chanson. Le titre du précédent livre d’Étienne Faure, Tête en bas, est aussi présent mais au pluriel, présence qui suggère de repérer d’éventuels liens formels entre poèmes en prose et poèmes en vers.

On retrouve en effet le plaisir des échos, avec par exemple « oiseaux oisifs », « champ de courses, chevauchées, courses aux Champs », « requin /requiem », jusqu’au jeu anagrammatique : « Offusqué » ouvre un poème que ferme « Suffoqué », figure de la construction du livre. On lira parfois à la fin d’une prose un ou deux mots séparés qui font une sorte de titre, « Perdre sa place », « Raccords », etc., pratique constante dans la poésie en vers, et l’on reconnaîtra aussi le goût pour un vocabulaire donné comme "familier" ou "populaire" (« ça caille », « à la revoyure », « piaule », « pas un carat », etc.). Mais la construction de chaque prose est bien différente de celle des poèmes en vers souvent construits en une seule longue phrase ; ici, la syntaxe est variée, de la phrase réduite à un mot jusqu’à la longue énumération : on pense à celle du mobilier d’un déménagement réuni sur le trottoir.

Prose ou vers, le même regard attentif vers le monde, des retours analogues vers le passé, le même amour de la littérature : pour qui ne connaîtrait pas encore la poésie d’Étienne Faure, Et puis prendre l’air est une belle entrée.

Étienne Faure, Et puis prendre l’air, Gallimard, 2020, 136 p., 14,50 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 16 décembre 2020

 

 

 

 

 

 

22/10/2020

Etienne Faure, Cinq traversées à pied

                      E Faure fevrier 2020 .jpeg


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Par la fenêtre orientée à l’est le O du soleil
levant rougit le zinc des toits, le jour 
est incertain, les nôtres aussi, à regarder 
s’en venir l’avenir comme ça, en bras 
de chemise accoudés, tête ancienne en forme


de gargouille prête à gerber sur le monde


le jour et les bruits se lèvent en même temps,



non ce n’est pas réel, la ville au réveil ne cesse 
de déverser par les ouvertures des clameurs 
de gens assassinés, doublées des sirènes 
du salut, gyrophare blême, ce n’est pas une vie,
sortir, il faut sortir par les pieds, par les textes, un 
début de poème, le voici :
Longtemps j’eus un réveille-matin en plastique 
acheté en Allemagne de l’est – RDA, DDR -
,


frêle et maigre, inapte au travail je le tapais pour qu’il  
arrête de sonner, acerbe ; en rétorsion 
le lendemain il était muet, bloqué à la frontière  
de rêves trop anciens, ne me réveillant plus, 
c’était


au temps où nous vivions de simples pressions à fleur  
de peau, partout des boutons réels à enfoncer 
premiers contacts tactiles avec le monde
dès le matin plus ou moins réel dans la réelle



société plus décriée qu’un poème ancien, virgule…

Sans un regard pour le miroir il met son chapeau,


hésite à prendre un imper, d’un coup d’œil
à la vitre, la pluie semble assez peu probable

et puis après toute une vie de labeur et d’incon-
fort les dieux sont avec lui, la chance à nouveau sourit 


dans la rue, les femmes sur son passage abandonnent 
la sente de leur parfum menant à leur secret 


souvenir de polichinelle qui les rattrape 
place de la République, grosse épingle à nourrice 
accrochant les quartiers épars ensemble



comme il en fut de la patrie, la Commune, la nation, 
puis emprunte le bras de fer surplombant le canal,  
son eau verrouilleuse –c’est le mot tellement 
son indéfectible vert est rouille – 


il y a près des quais des poulbots avec


cet air victorieux que donne un bonbec dans la bouche  
à 7 ans, claquant la langue en signe de



joie, réussite, entière satisfaction



de l’instant et de soi, à la gare 
ancienne et contemporaine, l’horloge indique l’heure 
en vigueur, fuseau inchangé, corbeaux perchés sur la 


corniche, en bas renards qui glapissent,  
au croisement – noble étendard du prolétaire– 
avec la feue ceinture rouge des boulevards, 
revoici l’incarnat des arbres que des feuilles quittent, 
mini-christs descendus de croix quand l’heure 
n’est plus au prochain, mot usé quoique proche aussitôt 
qu’on erre, ras du sol, à pied dans la ville.  



Rien d’authentique, que du toc dans ce quartier,
le monde est notation, sans fin évalue
–j’aime, j’aime pas, j’aime à 3,5 sur 5–
et l’âge est déjà blâme, avertissement, renvoi 
aux temps révolus du cent à l’heure où vivre 
jusqu’à cent ans était prouesse, narration naïve 
– trop tard, revenir sur ses pas ce serait 
rebrousser phrase, chemin, récit de la marche ;
au Terminus de sa voix aigre il 
acidule un peu l’atmosphère, atmosphère
des pensées au comptoir occupées à 


boire lentement, formuler des sentences 
alcalines, pH neutre, au calme entre deux godets,



par trop fatigué des pieds, des mots et des
enjambements, beautés distraites, à retrouver plus tard 


le rire dans un autre bar où l’on danse
à la télé la jota, ferveur des bras levés 
tous en même temps, forêt de castagnettes 
et de poings au-dessus du zinc.

ne plus rentrer

Etienne Faure, Cinq traversées à pied, publié par remue.net.

     

13/09/2020

Étienne Faure, Tête en bas

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Manger du pain noir fut longtemps craint

de tous ceux que la guerre asséna

sur tous les fronts de part et d’autre,

comme si ce froment allait faire revenir

les années noires de frêle constitution

quand il fallait à défaut de croître

escompter, surseoir, subsister,

rassasié jamais en ces temps rassis,

en appelant aux mots, ces ersatz

dont la bouche et les os, les corps dans l’attente

étaient devenus friands, même à l‘école,

à délier gravement à l’encre de sureau

sur des cahiers les lettres mauves, resserrées

je déguste, il savoure, nous nous régalons — l

longeant les jours de guerre en courant

dans des vêtements hérités des grands,

inaptes, pendant longtemps, à les remplir.

 

aux mangeurs de pain noir

 

Étienne Faure, Tête en bas, Gallimard,

2018, p. 133.

 

12/09/2020

Étienne Faure, Ciné-plage

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Logeaient-ils dans la grandiloquence,

le bruit sec bien réel des chaussures

les ramenait, comédiens jour et nuit

sur les planches — presque des étagères —,

à se déplacer lentement, parole et gestes,

dans une jeune ou vieille chair bientôt carne,

mince à passer les portes du décor,

ou tonitruante et tremblante

sous le trouble du verbe en mouvement,

experts à déclamer jusqu’à leur mort

tout ce qu’une cervelle encore recèle

— ce n’est pas là qu’il faut applaudir —

la voix reprenant le dessus,

les mots leur envol déployé

jusqu’aux battements d’ailes imprécis

à la fin qui se joignent

— et le reste est silence.

 

parole et gestes

 

Étienne Faure, Ciné-plage, Champ Vallon,

2015, p. 119.

 

11/09/2020

Étienne Faure, La vie bon train

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Lents comme des états d’âme,

après l’été les trains revenaient,

las d’avoir trimballé tous ces corps

à la mer, dans les montagne, dans les contrées

dont furent natifs les pères (introuvables sur la carte),

à grincer de nouveau en gare,

y faire leur rentrée, annoncer le pire

qui toujours sera à venir,

le soleil ras rougissant la face des ultimes

voyageurs ; c’était l’automne,

chacun se rappelait les vers

d’Apollinaire — un train qui roule ; ô ma saison mentale

et la violente espérance de vie :

devait-on revenir

quand il aurait fallu ne partir jamais

— et puis après,

dans la gare sans issue,

on n’allait pas pleurer pour ça.

 

revenir

 

Étienne Faure, La vie bon train, Champ Vallon,

2013, p. 91.

 

10/09/2020

Étienne Faure, Horizon du sol

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Le taffetas des robes

au chevet des mourants inspire

une espèce de rémission :

les morts, in extremis, les robes

leur accorderont un semblant de répit.

Il faut finir,

ne penser à manger ni dormir

— adieu mon amour, le moins possible —

et ils respirent, c’est ça,

l’éternité — souffles longs —

des grains d’amaryllis au parfum suspendu,

spacieuse éternité,

à la lenteur des pas pressentant du drapé

le mouvement des plis qui frôlent

la lourdeur de la litre, à tout âge

le gris fatidique des femmes.

 

les robes mortes

 

Étienne Faure, Horizon du sol, Champ Vallon,

2011, p. 89.

Photo Chantal Tanet

09/09/2020

Étienne Faure, Vues Prenables

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Et puis après tout ce remue-ménage

laisser les dieux se reposer,

les meubles se déglinguer, lentement

retrouver le guingois propice à la résonance.

Sans inquiétude à l’idée de chute

il reste et prend goût en précaire imposture

à la minime durée qui lui échoit,

pour rire, traverser la langue et s’attarder

dans un vérisme où le soleil dru tombe

sur des motifs très humbles :

ici l’abandon d’un mot qui tout disait

mais boiteux contrariait le texte

— une mortaise le remplace

pas trop visible, ainsi qu’une console au pied plus clair,

ces meubles naguère aimés

quand jeune (pas un ver, rien de vermoulu)

il parlait aux meubles ; ils l’écoutaient, endurant ses mots

poussés jusqu’à la sciure.

 

énième consolation

 

Étienne Faure, Vues prenables, Champ Vallon,

2009, p. 95.

Photo Tristan Hordé

08/09/2020

Étienne Faure, Légèrement frôlée

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Aux champs dans les kermesses,

cérémonies et fêtes, c’est la fusion

des corps, des âmes, feux et foyers

avec le tintamarre des cloches

à la volée, en concordance avec les oiseaux migrateurs

et les canards dans le ciel incendié, les fanfares

et les drapeaux des jours fériés traversés de soleil

et des lois qui les ont institués :

toutes les générations présentes,

à venir, passées, hantent les lieux à la cantonade,

la bouche ouverte au rire, mégot, cigare ou pétard à mèche,

au boire et au manger,

fêtant leur saint patron, plastronnent

avec la certitude éternelle d’être au cœur

du monde et de l’instant

(à peine à cette heure sait-on qu’elle est ronde

et tourne, ignorant

par une sorte d’application de la théorie des vases,

où va le soleil qui s’abat, s’engloutit en silence,

comme étranger aux clameurs du canton).

 

le centre du monde en plein champ

 

Étienne Faure, Légèrement frôlée, Champ

Vallon, 2007, p. 65.

Photo Chantal Tanet

31/05/2020

Étienne Faure, Légèrement frôlée

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Où est l’exil,

en sueur, en train jadis accompli

si les avions, presque

à la vitesse du mensonge nous déposent

en des lieux prémédités de loin,

transmis par la parole, des papiers

traduits ou rédigés dans la langue des mères,

où est l’exil, un écart temporel

réduit à rien — espace crânien

où l’on revient sur ses pas pour retrouver

l’idée perdue en route —

histoire de seconde main aujourd’hui effacée

devant l’entrée des morts sur le seuil,

par politesse ultime de la mémoire

ici trahie, en creux, quand l’avion atterrit

qui ne comblera donc rien, jamais

l’amplitude de la perte.

 

il revient les mains vides

 

Étienne Faure, Légèrement frôlée, Champ Vallon,

2007, p. 90.

04/04/2020

Étienne Faure, Tête en bas

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De la perte il me reste une  enveloppe, pelure

de ton amour naguère qui me souriait — que faire,

respirer, humer le désert, se souvenir du

va-et-vient de l’air dans ton corps qui sortait,

rentrait dans la cage, interdit de quitter

le territoire du torse

pendant tout l’hiver quand légèrement blanchi

Paris givrait de l’intérieur au contact de nos souffles,

cette espèce de candeur où tes lèvres

et la chaleur des corps mue en chaleur humaine

m’avaient assigné — maintenant me voici

face aux arbres, nouvelle fenêtre

d’où l’avenir allègrement raté s’aperçoit,

qui exonère de tout devoir de survie

— le ciel n’est pas trop moche par rapport à hier,

si je mourais maintenant ça ne serait

pas bien grave, il est quelle heure ?

Et pense à respirer mon amour. 

le pire est expiré

 

Étienne Faure, Tête en bas, Gallimard, 2018, p. 91.

On peut lire un texte en prose récent d’Étienne Faure sur remue.net :

https://remue.net/silence-on-reve-etienne-faure

 

 

18/11/2019

Philippe Boutibonnes, Rémanences

         Philippe Boutibonnes, remanies, animal, naissance, ressemblance

Comme l’homme est et comme sont les animaux nous mourrons pareils. Mélangés à la boue, roulés dans des guenilles ou dispersés avec la cendre. L’homme — l’un identifié comme pas l’autre, et tous ceux de notre espèce — parle et se tait quand il faut. L’homme parle, ressasse, avoue, se confesse et prie. L’homme se dit puis se tait. L’animal couine ou feule, alerte ceux de sa race mais il ne se tait pas. Il ne tient pas sa langue et ne retient ni un secret ni le silence. Il implore par le regard.

 

L’homme né en d’atroces eaux troubles, dans le sang et les écoulements, vagit. L’hase et le crocodile dans le champ de luzerne ou le marigot, vagissent. Nu, sans voix ni mots ni nom l’homme ne se sait pas mortel. Mortel il l’est et mort il le sera. L’homme naît nu. Nu, l’homme naît laid. Ni plus ni moins qu’un rat pelé, nu et perdu. Ce que perd l’homme perdu n’est pas son être encore inadvenu mais son lieu st son présent qui le nouent en son ici.

 

Philippe Boutibonnes, Rémanences, dans rehauts, n° 44, octobre 2019, p. 75.

 

03/07/2019

Étienne Faure, Scrutations

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Dans la ville à pied, sans repli, sans arrière

pays, origines, hors cela, il emprunte

sous le nom de rue, pont, grève

un parcours exempté de fil, anonyme,

laissant l’impasse pour attraper les quais

via les passages, les cours et circuler

inclus dans la foule  en mue sans arrêt

selon l’heure ou l’allure à laquelle on passe,

interdit soudain sous un nom, un bouquet

au mur scellé (mortellement blessé)

après la chute de naguère, le bruit d’un corps au sol,

épitaphe à jamais cernée du crible des impacts

encore aux murs, semblant dire : passant,

nous allons mourir, et personne n’en saura rien,

ou bien de continuer de parler aux vivants

plus avant, ceux qui vont te survivre

— et le flâneur éclairé sous un angle

un instant exposé au soleil du soir,

médite à découvert avant de traverser vite,

regagner l’ombre.

 

passage à découvert

 

Étienne Faure, Scrutations, dans la revue de

belles-lettres, 2019, I, p. 110.

07/04/2019

Étienne Faure, Tête en bas — rencontre, lecture

       Prix Max Jacob 2019 E F JBP.jpg

     Étienne Faure et Jean-Baptiste Para pour la remise du prix Max Jacob 2019

 

Le mot Départ taillé dans la pierre 

au fronton de la  gare est resté

comme Liberté, Égalité, Fraternité

ou École de garçons il y a beau temps

devenue mixte, cris indécis,

 simple inscription, vieil incipit

redoré ou repeint en rouge sang,

et ce départ incrusté fédère

dans les cœurs tous les départs forcés,

volontaires, oubliés qui défilèrent sous le linteau,

entrés par la face nord, ressortis plus tard

sous le pignon opposé annonçant Arrivée,

ces enfants de la patrie, déportés, communards,

sinistrés, réfugiés, revenus plus ou moins,

criant dans le heurt des bagages, sacoches, havresacs,

des mots entre-temps érodés, nullement gravés

en mémoire.

 frontons

 

Étienne Faure, Tête en bas, Gallimard, 2018, p. 116.

Étienne Faure a reçu le prix Max Jacob pour Tête en bas.

Les Éditions Gallimard organisent une rencontre lecture le

                          mardi 9 avril à 19 h

        à la librairie Gallimard, Boulevard Raspail

               La lecture rencontre sera animée par

                Myrto Gondicas et François Bordes.