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07/12/2014

Jean Genet, L'atelier d'Alberto Giacometti

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   Tout homme aura peut-être éprouvé cette sorte de chagrin, sinon la terreur, de voir comme le monde et son histoire semblent pris dans un inéluctable mouvement, qui s'amplifie toujours plus, et qui ne paraît devoir modifier, pour des fins toujours plus grossières, que les manifestations visibles du monde. Ce monde visible est ce qu'il est, et notre action sur lui ne pourra faire qu'il soit absolument autre. On songe donc avec nostalgie à un univers où l'homme, au lieu d'agir aussi furieusement sur l'apparence visible, se serait employé à s'en défaire, non seulement à refuser toute action sur elle, mais à se dénuder assez pour découvrir ce lieu secret, en nous-même, à partir de quoi eût été possible une aventure humaine toute différente. Plus précisément morale sans doute. Mais, après tout, c'est peut-être à cette inhumaine condition, à cet inéluctable agencement, que nous devons la nostalgie d'une civilisation qui tâcherait de s'aventurer ailleurs que dans le mensurable. C'est l'œuvre de Giacometti qui me rend notre univers encore plus insupportable, tant il semble que cet artiste ait su écarter ce qui gênait son regard pour découvrir ce qui restera de l'homme quand les faux-semblants seront enlevés. Mais à Giacometti aussi peut-être fallait-il cette inhumaine condition qui nous est imposée, pour que sa nostalgie en devienne si grande qu'elle lui donnerait la force de réussir dans sa recherche.

 

Jean Genet, L'atelier d'Alberto Giacometti, dans Œuvres complètes, V, Gallimard, 1979, p. 41.

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