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20/03/2011

Samuel Beckett, Worstward Ho / Cap au pire (traduction Edith Fournier)

 

                                                           samuel beckett,cap au pire,edith fournier,worstward ho

 

On. Say on. Be said on. Somehow on. Till nohow on. Said nohow on.

 

Say for be said . Missaid. From now say for be missaid.

 

Say a body. Where none. No mind. Where none. That at least. A place. Where none. For the body. To be in. Move in. Out of. Back into. No. No out. No back. Only in. Stay in. On in. Still.

 

All of old. Nothing else ever. Ever tried. Ever failed. No matter. Try again. Fail again. Fail better.

 

First the body. No. First the place. No. First both. Now either. Now the other. Sick of the either try the other. Sick of it back sick of the either. So on. Somehow on. Till sick of both. Throw up and go. Where neither. Till sick of there. Throw up and back. The body again. Where none. The place again. Where none. Try again. Fail again. Better again. Or better worse. Fail worse again. Still worse again. Till sick for good. Throw up for good. Go for good. Where neither for good. Good and all.

 

Samuel Beckett, Worstward Ho, London, John Calder, 1983, p. 7-8.

 

 

 Encore. Dire encore. Soit dit encore. Tant mal que pis encore. Jusqu’à plus mèche encore. Soit dit plus mèche encore.

 

Dire pour soit dit. Mal dit. Dire désormais pour soit mal dit.

 

Dire un corps. Où nul. Nul esprit. Ça au moins. Un lieu. Où nul. Pour le corps. Où être. Où bouger. D’où sortir. Où retourner. Non. Nulle sortie. Nul retour. Rien que là. Rester là. Là encore. Sans bouger.

 

 

Tout jadis. Jamais rien d’autre. D’essayé. De raté. N’importe. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux.

 

D’abord le corps. Non. D’abord le lieu. Non. D’abord les deux. Tantôt l’un ou l’autre. Tantôt l’autre ou l’un. Dégoûté de l’un essayer l’autre. Dégoûté de l’autre retour au dégoût de l’un. Encore et encore. Tant mal que pis encore. Jusqu’au dégoût des deux. Vomir et partir. Là où ni l’un ni l’autre. Jusqu’au dégoût de là. Vomir et revenir. Le corps encore. Où nul. Le lieu encore. Où nul. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux encore. Ou mieux plus mal. Rater plus mal encore. Encore plus mal encore. Jusqu’à être dégoûté pour de bon. Vomir pour de bon. Partir pour de bon. Là où ni l’un ni l’autre pour de bon. Une bonne fois pour toutes pour de bon.

 

Samuel Beckett, Cap au pire, traduit de l’anglais par Édith Fournier, éditions de Minuit, 1991, p. 7-9.

 

19/03/2011

e. e. Cummings, is 5 / font 5 (traduction Jacques Demarcq)

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e.e.cummings, Landscape (aquarelle), The Harry

Ramson Center, Austin, Texas.

 

Five, I

 

After all white horses are in bed

 

Will you walking besides me,my very lady,

if scarcely the somewhat city

wiggles in considérable twilight

 

touch(now)with a suddenly unsaid

 

gesture lightly my eyes ?

And send life out of me and the night

absolutely into me…a wise

and puerile moving of your arm will

do suddenly that

 

                  will do

more than heroes beautifully in shrill

armour colliding on huge blue horses,

and the poets looked at them, and made verses,

 

through the sharp light cryingly as the knights flew.

 

e. e. Cummings, is 5, in Complete Poems 1904-1962, revised,corrected, and expanded edition containing all the published poetry, by George J. Firmage, New York, Liveright, 1991, p. 303.

 

 

Cinq

 I

 

Quand tous les chevaux blancs seront au lit

 

voudrez-vous, ma vraie dame, vous promener

auprès de moi si à peine un semblant de ville

dans un énorme crépuscule vacille

 

et toucher (alors) d’un inexprimé

 

geste subit légèrement mes yeux ?

Et envoyer la vie loin de moi et la nuit

absolument jusqu’au fond de moi… Un prudent

puéril mouvement de votre bras

le fera tout à coup

 

                           fera

plus que des héros magnifiques aux stridentes

armures s’entrechoquant sur de grands chevaux bleus,

et les poètes les regardaient, faisaient des vers,

 

pleurant les chevaliers enfuis sous l’aveuglante lumière.

 

e. e. Cummings, font 5,  traduction et postface de Jacques Demarcq, éditions NOUS, 2011, p. 97, 18 €.

 

18/03/2011

Pierre Bergounioux, La Fin du monde en avançant — L'invention du présent (par Tristan Hordé)

 

Les deux recueils rassemblent des études parues au cours d’une quinzaine d’années. Ils questionnent chacun à leur manière le statut de la littérature dans la société, le point commun dans les deux ensembles portant sur la position de celui qui écrit par rapport au réel, position ainsi explicitée : « Ce qui porte le nom de réalité se déduit de la place que nous occupons, étant bien entendu qu’il ne nous est pas donné de choisir » (La fin..., p. 19) ou, à propos de Pierre Michon dans L’invention... : « On n’a pas le choix. Le monde est là, déjà, quand on s’éveille » (p. 81) – et cette proposition est reprise plusieurs fois.  

Pour Bergounioux, la vraie littérature s’établit dans une faille : il y a toujours, pour tous, un décalage entre la conscience toujours peu claire que nous avons de notre vie et l’idée qu’on s’en fait  quand on revient sur ce que l’on a vécu. L’écrivain « use des clartés secondes, lointaines, pour dissiper l’incompréhension, les ombres qui hantaient l’immédiateté première » (L’Invention,, p. 114), et c’est en travaillant cet écart qu’il invente le présent. Ce travail n’est pas aisé : on ne devient pas écrivain simplement en pensant s’écarter du vécu et le restituer – il est alors probable que le récit (ou le poème) ne quittera pas la pâle fadeur des apparences et rien de ce qui est étranger à la conscience quotidienne des choses n’émergera.

        La littérature ne naît pas quand je commence à écrire, et connaître (ce qui s’appelle connaître) les textes qui ont permis au fil du temps de réduire l’opacité du réel, d’Homère à Shakespeare et Cervantès jusqu’à Faulkner,  est nécessaire. On se rend compte d’ailleurs que non seulement les écrivains ne le sont que se plaçant à l’écart — « pour méditer et connaître, il faut s’absenter » —, mais que par une caractéristique physique, religieuse, etc., ils sont de toute manière à la marge de la classe sociale dominante à laquelle ils appartiennent le plus souvent : Proust juif et homosexuel, Faulkner alcoolique, Flaubert cadet dépossédé, etc. C’est à partir de cette marginalisation que les manuels scolaires construisent la figure du "poète maudit".

C’est essentiellement à partir de réflexions sur la pratique de quelques écrivains que Bergounioux théorise ces quelques principes à la base d’un ouvrage plus développé, Bréviaire de littérature à l’usage des vivants (éditions Bréal, 2004). Ici, il lit Flaubert (auquel il a autrefois consacré une thèse), Alain Fournier, Faulkner, Henri Thomas, Claude Simon, Jacques Réda et Pierre Michon. On peut évidemment se demander quelle position marginale occupe Bergounioux dans la petite bourgeoisie. Il a répondu plusieurs fois à la question : professeur dans la région parisienne, il vit en exil par rapport à ses premiers âges, et tente d’éclaircir l’obscurité des origines, de donner aujourd’hui  un sens à ce qui est passé : « sous le signe du je, c’est du groupe auquel j’ai appartenu qu’il est question, de l’étendue raboteuse, hirsute, inclémente, de l’obstacle partout, des mauvaises ronces, des coins perdus, des petits gars où j’ai fait, avec mes semblables, escholiers limozins et autres crétins ruraux, les expériences cardinales » (p. 99).

Le propos de La fin du monde... inclut la réflexion sur la littérature dans une réflexion plus large, sur les changements irréversibles qui ont transformé la France et ont fait disparaître la vieille société agraire, qui restait en dehors de la culture, en dehors de l’outillage symbolique : le moteur (du tracteur, de la tronçonneuse, etc.) a remplacé le bras, et cela a suffi pour que les gestes répétés pendant des siècles soient oubliés. Parenthèse : Bergounioux, écrivain attentif à restituer quelque chose de la vie de ceux qui n’avaient pas le moyen de l’écriture pour le faire,  récupère l’outillage rouillé, jeté, sans usage, désormais muet, de la société agraire ancienne et, coupant, tordant, assemblant, soudant, tente sous une autre apparence de « tenir ensemble l’ici et l’ailleurs, l’avant et l’après » (p. 26).

D’autres changements sont intervenus, qui ont modifié la nature même du rapport à la littérature. La crise, réelle, constatée, de l’enseignement de la littérature, ne tient pas à l’envahissement de l’image, qui a la même origine que la crise, tout comme le repliement de l’individu sur lui-même. C’est la prégnance du marché qui défait les anciennes valeurs ; ce n’est pas d’hier que l’argent gouverne les conduites, mais il semble bien que toute chose aujourd’hui soit réduite à sa seule valeur marchande, et que c’est cette valeur qui décide des pensées. Dans ce cadre, quand on n’agit plus que par rapport à l’échange marchand et à la possession des biens, la littérature — et toute création — devient un « bien » qui a une « valeur  d’échange » : alors l’accomplissement de l’utopie (le rêve de l’égalité) est rejeté bien loin...

Sur cette mutation, on lira les dernières pages de La fin du monde en avançant :  

« C’est pour être restés à l’écart de l’échange généralisé, de l’évaluation strictement monétaire que les êtres, les objets, les heures se sont présentés comme autant de mystères enivrants ou terribles aux yeux de tous ceux qui tentaient d’en fixer les contours, d’en percer la teneur. La campagne désuète et charmante, les replis du cœur, les chambres de l’enfance, un cageot, un galet ne furent des énigmes qu’autant que la terre échappait à sa vérité nue, potentielle, de moyen de production, les sentiments aux « dures exigences du paiement au comptant », selon la formule de Marx, et au fétichisme de la marchandise, la vie à la finalité consumériste qui en épuise les propriétés. [...]

La première génération du XXIe siècle est essentiellement différente de toutes celles qui l’ont précédée. Elle ne saurait se reconnaître dans la littérature qui en conserve la trace. Affranchie des anciennes limitations spatiales et mentales par le développement des transports et des communications de masse, impatiente et désabusée, elle habite le non-lieu (l’expression est de Marc Augé) qui est en passe de couvrir toute la surface du globe, avec ses barres et ses tours, ses aires commerciales coiffées des mêmes sigles lumineux, ses parkings, ses rocades et ses dalles, ses ZUP et ses ZEP, ses immeubles de verre fumé, d’aluminium brossé, son bureau à moquette beige, ordinateur et plantes en pot. Connectée sur le Net, tripotant ses portables, elle est démonstrative, prolixe et approximative, dispensée de la concision et de l’exactitude de l’âge, tout proche, encore, où l’on ne parlait qu’avec la permission des adultes, où la sonnerie stridente du téléphone noir, lorsqu’elle vous faisait sursauter, annonçait un accident, une naissance ou un décès. »

Pierre Bergounioux, La Fin du monde en avançant, Fata Morgana, 2006, L'invention du présent, Fata Morgana, 2006, p. 57-58.

 

 

 

© Tristan Hordé, mars 2011

 

Cette note a été publiée sous une autre forme en 2006 dans Poezibao.

 

 

 

Caroline Sagot-Duvauroux, Köszönöm

Problème. Écrire convient-il à la poésie, il y a tant de poèmes et tous à crans de tourbillon. Si écrire convenait au poème, un suffirait, un de chaque. La pièce s’ajusterait comme s’ajustent la Critique de la raison pure ou le Parménide à leur propos. Et ça n’est pas parce qu’il y a mille façons d’aimer qu’un poème d’amour ne suffit pas. D’ailleurs on sait qu’il n’y a pas mille façons d’aimer. C’est peut-être même parce qu’il n’y en a qu’une et qu’elle se trouve sous le sabot d’un cheval, qu’on se rendra mieux à la chercher qu’à la trouver. La soumission que cherche le poème est bannie de l’écriture. Proche du religieux. De l’hésitation inquiète. L’angoisse décide de l’orée puis sans chemin dans le brouillon, accepte la pleine mer du brouillon pour n’avoir qu’à accueillir le secours ou la mort qui nommera pour elle le silence, sûre d’unique certitude qu’elle est incapable, que sa langue savante de poème est incapable du silence. Alors mieux vaut l’océan pour n’avoir d’autre choix que se mouiller. Et que l’eau du moins soit, avec ses turpitudes de sel. Car ce n’est pas soi, ce n’est pas être que le poème attend mais autre chose, la chose qui ouvrirait taire et qui peut être taire, on ne sait. Passion de chair qui veut dire passion de chair et passion de la parole sous l’autre chose en même temps que chair ouverte à la parole. Qu’est-ce que c’est ? On écrit cependant. On se colle à l’engrenage de distance. Blanchot au bord du poème se tait car tout de même il s’est tu (non par détresse d’écrivain non par triomphe de l’insolence d’homme), par poème, pour se mouiller. Oui tout de même il l’a fait. Il est mort comme un loup.

Savoir quoi que ce soit indiffère la poésie tant l’inquiète la venue. C’est un truc pour paresseux, pour idiots ou pour fidèles. Ce qui est presque dire pour tout le monde, juste pour tout le monde. La poésie est tellement  à tous qu’elle n’est plus respectable et voilà ce qui effraye car il faudrait s’y risquer, aller aux putes : lire.

 

Caroline Sagot-Duvauroux, Köszönöm, éditions José Corti, 2005, p. 113-114.

 

13/03/2011

Christian Prigent, Météo des plages

 

christian prigent,météo des plages

                                                            (flash-back 1955/1948)

Tout n’est que cendre désormais tout n’est que cendre mais

De cette cendre sort un qui porte sa peau et le couteau

Pour couper soi de soi (qui sera soi tu ne le sais

Pas : la tête est encore infime et blême dans des hauts).

 

Dans l’épaisseur de suie de mélancolie, va, accélère — c’est

Au cinéma, les brutales nuées roulent des manches sur

Des lividités inapaisées. Sens la peau de tes joues fur

Ieusement tirer les brides, hennir dans les cuirs ou corsets :

 

Tu es dans le baquet des épidermes bleus, des porcelaines de genoux,

Des ventres concaves, des os de transparences. L’aigre mot

De rance te rince de vomissures. Ou c’est (plage) ta mère sous

 

L’œuf, l’ardeur safran, le poids de paillasson des nuées,

Les seins d’été dans un bonnet d’âne épouvantablement

Blanc que califourche minuscule dans la contre-plongée

Toi, flou de sueur ou larmes ou du blanchissement du temps.

 

Puis Madame à peau de piquetis de poule fait sa Suzanne

En cabine. Et telle icelle aux vioques dans la feuillée son

Haleine furibonde te sirène aux considérations

De basques interdites : Guarpis d’là bas, bas d’la hanne !

 

Christian Prigent, Météo des plages, roman en vers, P.O.L, 2010, p. 111.

 

Franck Venaille, C’est nous les modernes

 

Faut-il chercher à comprendre la poésie ? Oui ! mais au prix d’une lecture active et créative. Donc d’un effort certain. C’est tout le problème de la communication poétique qui est posé là, avec cette question sous-jacente : comment un poème peut-il circuler le mieux possible entre l’auteur et son lecteur ? Comment peut-il ne rien perdre de sa puissance émotionnelle, mentale, intellectuelle, en chemin ? Avons-nous le droit (nous, poètes) à l’hermétisme et au secret ? Quelle part donner à ce qui demeure à jamais indicible ? […] Faut-il donc toujours comprendre la poésie ? Je crois que ma réponse est négative. Je demande à ce que l’on se méfie de l’impérialisme du sens, à ce qu’on se laisse guider par le rythme, la construction illogique, la langue dans tous ses états, l’humour passé et à venir, une dose de rêve et accepter de pactiser avec l’incompréhensible.

Franck Venaille, C’est nous les modernes, Flammarion, 2010, p. 153-154.

 

Francisco de Quevedo, Les Furies et les Peines, 102 sonnets

 

Aminta, que se cubrió los ojos con la mano

 

Lo que me quita en fuego, me da en nieve

lo mano que tus ojos me recata ;

y no es menos rigor con el que mata,

ni menos llamas su blancura mueve.

 

La vista frescos los incendios bebe,

y, volcán, por la venas los dilata ;

con miedo atento a la blancura trata

el pecho amante, que la siente aleve.


Si de tus ojos el ardor tirano

le pasas por tu mano por templarle,

es gran piedad del corazón humano ;

 

mas no de ti, que pude, al ocultarle,

pues es de nieve, derretir tu mano,

si ya tu mano no pretende belarle.

 

À Aminta, qui s’est couvert les yeux de la main

 

M’ôte le feu, neige me fait faveur

la main sous qui tes yeux ont disparu ;

n’est pas moins dure avec qui elle tue,

ni moins de flammes anime sa blancheur.

 

Le regard boit d’incendies la fraicheur,

et volcan aux veines les distribue ;

le cœur amant d’une peur prévenue,

craint tout ce blanc, car il le sent trompeur.

 

Si de tes yeux le brasier souverain,

tu le passes en ta main pour l’apaiser,

c’est là grande pitié du cœur humain ;

 

mais pas de toi, car il peut, éclipsé,

puisqu’elle est neige, liquéfier ta main,

si cette main ne veut pas le glacer.

 

Francisco de Quevedo, Les Furies et les Peines, 102 sonnets, Choix, présentation et traduction de Jacques Ancet, édition bilingue, Poésie/ Gallimard, 2010, p. 134-135.

 

01/03/2025

Luis Cernuda, La Réalité et le Désir (La Realidad y el Deseo)

 

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Cimetière dans la ville

 

Derrière la grille ouverte entre les murs,

la terre noire sans arbres, sans une herbe,

les bancs de bois où vers le soir

s’assoient quelques vieillards silencieux.

Autour sont les maisons, pas loin quelques boutiques,

des rues où jouent les enfants, et les trains

passent tout près des tombes. C’est un quartier pauvre.

 

Comme des raccommodages aux façades grises,

le linge humide de pluie pend aux fenêtres.

Les inscriptions sont déjà effacées

sur les dalles aux morts d’il y a deux siècles,

sans amis pour les oublier, aux morts

clandestins. Mais quand le soleil paraît,

car le soleil brille quelques jours vers le mois de juin,

dans leur trou les vieux os le sentent, peut-être.

 

Pas une feuille, pas un oiseau. La pierre seulement. La terre.

L’enfer est-il ainsi. La douleur y est sans oubli,

dans le bruit, la misère, le froid interminable et sans espoir.

Ici n’existe pas le sommeil silencieux

de la mort, car la vie encore

poursuit son commerce sous la nuit immobile.

Quand l’ombre descend du ciel nuageux

et que la fumée des usines s’apaise

en poussière grise, du bistrot sortent des voix,

puis un train qui passe

agite de longs échos tel un bronze en colère.

 

Ce n’est pas encore le jugement, morts anonymes.

Dormez en paix, dormez si vous le pouvez.

Peut-être Dieu lui-même vous a-t-il oubliés.

 

 

 

Tras la reja abierta entre los muros,

La tierra negra sin árboles ni hierba,

Con bancos de madera donde allá a la tarde

Se sientan silenciosos unos viejos.

En torno están las casas, cerca hay tiendas,

Calles por las que juegan niños, y los trenes

Pasan al lado de las tumbas. Es un barrio pobre.

 

Tal remiendosde las fachadas grises,

Cuelgan en las ventanas trapos húmedos de lluvia.

Borradas están ya las inscripciones

De las losas con muertos de dos siglos,

Sin amigos que les olviden, muertos

Clandestinos. Mas cuando el sol despierta,

Porque el sol brilla algunos dias hacia junio,

En lo hondo algo deben sentir los huesos viejos.

 

Ni una hoja ni un pájaro. La piedra nada más. La tierra.

Es el infierno así ? Hay dolor sin olvido,

Con ruido y miseria, frío largo y sin esperanza.

Aquí no existe el sueño silencioso

De la muerte, que todavia la vida

Se agita entre estas tumbas, como una prostituta

Prosigue su negocio bajo la noche inmóvil.

 

Cuando la sombra cae desde el cielo nublado

Y del humo de las fábricas se aquieta,

En polvo gris, vienen de la taberna voces,

Y luego un tren que pasa

Agita largos ecos como un bronce iracundo.

 

No es el juicio aún, muertos anónimos.

Sosegaos, dormid ; dormid si es que podéis.

Acaso Dios también se olvida de vosotros.

 

Luis Cernuda, La Réalité et le Désir (La Realidad y el Deseo), édition bilingue, traduction de l’espagnol par Robert Marrast et Aline Schulman, choisis et préfacés par Juan Goytisolo, Gallimard, 1969, p. 87-89.