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14/11/2011

Ludovic Janvier, La mer à boire

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                                On voit les chiens

 

On voit les chiens tirant leurs maîtres vers mourir

suivant les voies imprévisibles de l'odeur

             ou les freinant — selon — pour obéir

           aux manigances incalculables du regret

 

Nous marchons retournés comme chez Dante les pleureurs

mais au lieu d'arroser nos fosses avec des larmes

           c'est nos chiens nous qu'on trempe de repentirs

         pendant que les clébards eux compissent le chemin

    où notre temps se ralentit se précipite

 


 

Paris terre promise à tous les rêveurs des gourbis

Leur Chanaan ce soir est dans l'eau sombre

ils ont gémi sous la pluie mains sur la nuque

c'est mains dans le dos qu'on en retrouve ils flottent

enchaînés pour quelques jours à la poussée du fleuve

c'est la pêche miraculeuse ah pour mordre ça mord

on en repêche au pont d'Austerlitz

on en repêche au pont de Bezons la France dort

on repêche une femme canal Saint-Denis

les rats crevés les poissons ventre en l'air les godasses

ne filent plus tout à fait seuls avec les vieux cartons

et les noyés habituels venus donner contre les piles

on peut dire qu'il y a du nouveau sous les ponts

la Seine s'est mise à charrier des Arabes

avec ces éclats de ciel noir dans l'eau frappée de pluie

 

Ludovic Janvier, La mer à boire, Gallimard, 1987, p. 60 et 44.