14/01/2015
Constantin Cavafy, Poèmes
Désirs
Semblables à des corps superbes de morts qui n’ont point vieilli,
ensevelis, au milieu des pleurs, dans un splendide mausolée,
des roses à la tête et des jasmins aux pieds —
semblables à ces corps sont les désirs qui passèrent
sans être accomplis, et dont aucun ne parvint
à une nuit de volupté ou à son lumineux matin.
Les fenêtres
Dans ces chambres obscures, où je passe
des jours qui m’oppressent, je rôde de long en large
cherchant à trouver les fenêtres. — Lorsqu’il s’en ouvrira
une, ce me sera une consolation. —
Mais il n’y a point de fenêtres, ou c’est moi
qui ne puis les trouver. Peut-être en est-il mieux ainsi.
Peut-être la lumière ne serait que nouvelle tyrannie.
Qui sait quelles choses nouvelles elle ferait surgir…
Constantin Cavafy, Poèmes, traduits par Georges Papoutsakis,
Les Belles Lettres, 1977 (1ère édition, 1958), p. 25 et 37.
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25/09/2014
Gilbert Lely, La Femme infidèle,
Écrit à Sainte-Radegonde
Le petit jour d’hiver, tremblant sous ses étoles,
Des tours de Saint-Gratien grisaillait les coupoles.
Amour ! tu m’éveillas dans notre lit bien clos.
Le fleuve Loire en bas roulait ses larges eaux.
Étendu sur le flanc contre Irène-Sylvie,
J’entrai, d’un lent désir, en sa grâce endormie.
Les vitres blêmissaient ; le fils de l’hôtelier,
Une chandelle au poing, descendait l’escalier ;
Et le grand coq lançait, en hérissant sa crête,
Un cri rauque et de pourpre à l’aurore muette.
Gilbert Lely, La Femme infidèle, dans Œuvres poétiques,
éditions de la Différence, 1977, p. 111.
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14/06/2014
Samuel Beckett, Têtes mortes
Assez
Tout ce qui précède oublier. Je ne peux pas beaucoup à la fois. Ça laisse à la plume le temps de noter. Je ne la vois pas mais je l'entends là-bas derrière. C'est dire le silence. Quand elle s'arrête je continue. Quelquefois elle refuse. Quand elle refuse je continue. Trop de silence je ne peux pas. Ou c'est ma voix trop faible par moments. Celle qui sort de moi. Voilà pour l'art et la manière.
Je faisais tout ce qu'il désirait. Je le désirais aussi. Pour lui. Chaque fois qu'il désirait une chose moi aussi. Pour lui. Il n'avait qu'à dire quelle chose. Quand il ne désirait rien moi non plus. Si bien que je ne vivais pas sans désirs. S'il avait désiré une chose pour moi je l'aurais désirée aussi. Le bonheur par exemple. Ou la gloire. Je n'avais que les désirs qu'il manifestait. Mais il devait les manifester tous. Tous ses désirs et besoins. Quand il se taisait il devait être comme moi. Quand il me disait de lui lécher le pénis je me jetais dessus. J'en tirais de la satisfaction. Nous devions avoir les mêmes satisfactions. Les mêmes besoins et les mêmes satisfactions.
Un jour il me demanda de le laisser. C'est le verbe qu'il employa. Il ne devait plus en avoir pour longtemps. Je ne sais pas si en disant cela il voulait que je le quitte ou seulement que je m'éloigne un instant. Je ne me suis pas posé la question. Je ne me suis pas posé ses questions à lui. Quoi qu'il en soit je filai sans me retourner. Hors de portée de sa voix j'étais hors de portée de sa vie. C'est peut-être ce qu'il désirait. On voit des questions sans se les poser. Il ne devait plus en avoir pour longtemps. Moi en revanche j'en avais encore pour longtemps. J'étais d'une tout autre génération. Ça n'a pas duré. Maintenant que je pénètre dans la nuit j'ai comme des lueurs dans le crâne. Terre ingrate mais pas totalement. Donné trois ou quatre vies j'aurais pu arriver à quelque chose.
Samuel Beckett, Têtes mortes, éditons de Minuit, 1967, p. 33-35.
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13/02/2014
Brantôme, Recueil d'aulcunes Rymes de mes jeunes Amours
Sonnet
Vous, Amans, qui avez, jusques au ciel d'Amour,
Or tristes, or gaillards, développé voz ailes,
De voz desirs remplis de joyes immortelles,
Si vous avez senti ses secretz quelque jour,
Pour Dieu, ne desdaignez discourir à mon tour,
La joye et le plaisir qu'eurent ces ames belles,
Lors que dedans leur lit de si douces cordelles,
S'entrelaçant si fort, n'estoient point à sejour.
Je ne puis, quant à moy, chetif et miserable,
Vous discourir en rien cet heur si delectable ;
Le sort de mon amour est si fort malheureux
Que je n'en puis conter qu'une peine et tristesse,
Et un mal-traitement d'une rude maistresse ;
Je vis ainsi chetif et vous autres heureux.
Brantôme, Recueil d'aulcunes Rymes de mes jeunes Amours, édition établie et préfacée par Louis Perceau, Georges Briffaut, 1927, p. 93.
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03/01/2014
Théophile de Viau, Après m’avoir fait tant mourir
Ode
Un Corbeau devant moi croasse,
Une ombre offusque mes regards,
Deux belettes et deux renards
Traversent l’endroit où je passe :
Les pieds faillent à mon cheval,
Mon laquais tombe du haut mal,
J’entends craqueter le tonnerre,
Un esprit se présente à moi,
J’ois Charon qui m’appelle à soi,
Je vois le centre de la terre.
Ce ruisseau remonte en sa source,
Un bœuf gravit sur un clocher,
Le sang coule de ce rocher,
Un aspic s’accouple d’une ourse,
Sur le haut d’une vieille tour
Un serpent déchire un vautour,
Le feu brûle dedans la glace,
Le Soleil est devenu noir,
Je vois la Lune qui va choir,
Cet arbre est sorti de sa place.
Le monde renversé
Sonnet
L’autre jour inspiré d’une divine flamme,
J’entrai dedans un temple, où tout religieux
Examinant de près mes actes vicieux,
Un repentir profond fit soupirer mon âme.
Tandis qu’à mon secours tous les Dieux je réclame,
Je vois venir Phyllis : quand j’aperçus ses yeux
Je m’écriai tout haut : ce sont ici mes Dieux,
Ce temple, et cet Autel appartient à ma Dame.
Le Dieux injuriés de ce crime d’amour
Conspirent par vengeance à me ravir le jour ;
Mais que sans plus tarder leur flamme me confonde.
Ô mort, quand tu voudras je suis prêt à partir ;
Car je suis assuré que je mourrai martyr,
Pour avoir adoré le plus bel œil du monde.
Théophile de Viau, Après m’avoir fait tant mourir, Œuvres choisies, édition présentée et établie par Jean-Pierre Chauveau, Poésie / Gallimard, 2002, p. 88 et 90.
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05/12/2013
Caroline Sagot-Duvauroux, dans N4728, revue de poésie
on a couru les chevaux s'échappaient se sont fracassés sur le rocher sourd on est resté planté dans l'aguet d'un galop. entends-tu ? non rien.
c'est le jour qu'on s'est arrêté car
on avait écrit qu'
un jour on s'arrête, saisi par la foison des pistes
C'était une présentation d'un livre ou d'un désir qui fuyait le secret de n'avoir pas d'objet sans doute et qu'il confiait aux mots. Immobiles, vides, s'agrippaient cependant au bord de quelque chose, les mots tombés de la parole sur du papier, c'est quelque chose avec bords, oui c'est peut-être un mot, c'est peut-être la première lettre d'un mot. Qu'on ne comprend plus. Tant il y a de directions qui s'échappent d'un angle. Les directions sont les moments, l'angle c'est souvent le deuil avant ses divers seuils. Il y a tant de seuils, tant de moments co-errants qu'une stupidité vous prive de la cohérence apparente d'un récit. Car il est commencé le récit, depuis longtemps.
Ça fait longtemps : déjà.
Ce que nous voyons : de la broussaille (sensations, analogies, formes) Devant. On est Devant mais les choses au dos le plus souvent. On est Devant pourtant. la broussaille brouille le lien d'un dessin qui n'existe pas.
[...]
Caroline Sagot-Duvauroux, (sans titre) dans N4728, revue de poésie, n° 23, janvier 2013, p. 14.
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26/11/2013
Pierre Chappuis, Le noir de l'été
Une semaine avec les éditions La Dogana
Là encore, absente
Par bouffées, le vent lui apporte, amoindri, presque passé (de même le bleu, comme d'une fin d'après-midi), un parfum de glycine. Tiédeur, moiteur l'envahissent.
Rêveuse, à la croisée ; son esprit autant que son regard se perdent, — mais non : tout allées et venues — parcourent coteaux et vallonnements épanouis en pente douce sous ses yeux.
Ou plutôt, là encore, absente, portée sur une nappe de lumière...
Elle se voit (plus vrai !), elle va, légère, mélodieuse (plus vif !) dans les couleurs d'avril, prêtant sa voix, ses larmes.
Sa marche : éveil dans la complicité des herbes, des pierres hors des chemins.
Son regard : au passage, ce frémissement dans les halliers.
Et sa respiration : paisible, pourtant soutenue, presque haletante parfois dans les creux d'ombre ; toujours à l'unisson de l'heure étale, immobile, où finalement ses désirs se diluent.
De même, dans le ciel, dissipation de temporaires assombrissements.
Ses désirs. Le pollen de ses désirs comme une brève coloration de l'air.
Délivrance ! En elle afflue enfin un sanglot.
Une fois encore, il s'amenuise (langueur !), s'épuise en elle ; n'éclate pas plus que l'orage passé derrière l'horizon chimérique.
Elle n'a plus maintenant qu'à céder à la langueur, à la morne indolence du soir.
Pierre Chappuis, Le noir de l'été, La Dogana, 2002, p. 9-11.
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24/11/2013
Pascal Quignard, Abîmes
Amaritudo
Dans la volupté se perd le désir d'être heureux. Plus on s'abandonne tout entier au désir, plus le bonheur est presque là. On le guette et toute l'erreur consiste dans ce point. On s'attend à sa rencontre. On le pressent. On le voit soudain ; on l'attend encore plus ; il s'approche ; il arrive. En arrivant il se détruit.
Ces arguments permettent de comprendre les décisions de la chasteté.
Le désir est lié au perdu sans limites.
De deux façons. 1. Le désir est plus proche du perdu que la joie génitale, plus récente, qui croit mettre la main dessus. 2. On perd le désir en jouissant. Cette perte très désagréable dans ses conséquences est même la définition de la volupté.
*
Elle frottait ses yeux avec le dos de ses poings.
Les yeux mi-marron mi-noir, impénétrables.
Jamais rien de lumineux ne remontait à la surface de cette eau. Ni même ne la plissait. Ce regard était pour moi, comme il l'est resté, la profondeur elle-même. C'est exactement ce que les anciens Grecs appelaient l'abîme.
Les animaux aussi ont des yeux aussi directs, sans arrière pensée, sans aucun arrière fond, infinis, aussi graves, aussi peu trompeurs, attentifs, angoissés, dévorants que les siens l'étaient. Elle fléchissait ses genoux avant de s'asseoir.
Pascal Quignard, Abîmes, Folio / Gallimard, 2004 [Fasquelle, 2002], p. 57 et 75.
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17/11/2013
Gertrude Stein, Lève bas-ventre
Gertrude Stein par Francis Picabia
II.
Baise mes lèvres. Elle les a baisées.
Baise mes lèvres à nouveau. Elle les a baisées à nouveau.
Baise mes lèvres encore et encore et encore à nouveau et elle les a [baisées encore et encore et en corps à nous vaut.
J'ai des plumes.
De grands poissons.
Penses-tu à des abricots. Nous les trouvons très beaux. Ce n'est pas [seulement leur couleur c'est leur noyau qui nous charme. Nous y [trouvons une différence.
Lève bas-ventre est si étrange.
Je suis venue pour en parler.
Un choix de raisins secs bon leurs raisins les raisins sont bons.
Différence ton nom.
Questionne et jardine.
Il pleut. N'en parle pas.
Mon bébé est chou tout rose. Je veux lui dire une chose.
Chandelles de cire. Nous avons acheté beau cou beaucoup de [chandelles de cire. Certaines sont décorée. Personne ne les a [allumées.
Je ne fais pas mention des roses.
Exactement.
Questionne et beurre.
Je trouve le beurre très bon.
L'Éve bas-ventre est si douce.
Lève bas-ventre grassement.
N'est-ce pas que cela t'étonne.
Tu me désirais intensément.
Dis-le à nouveau.
Fraise.
Lève transporte bas-ventre.
Lève douceur bas-ventre.
Chante jusqu'à moi dis-je.
Certaines sont des épouses pas des héros.
Lève bas-ventre simplement.
Chante jusqu'à moi dis-je.
Lève bas-ventre. Un réfléchi.
[...]
Gertrude Stein, Lève bas-ventre, traduction de Christophe
Lamiot Enos, éditions Corti, 2013, p. 28-29.
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28/09/2013
Matthieu Gosztola, Rencontre avec Lucian Freud
la peinture nous dit
que les pages de la vie
à deux que module
une rencontre
comme c'est le cas
dans son précédent visage
à elle la lumière
comme c'est
le cas dans n'importe quelle
chose respirée par le soleil
une pierre
galet ou autre
un tilleul
*
je ne parle pas du désir
il s'agit
pris dans la toile d'araignée
du désir
et de sa mécanique secrète
de chercher ce qui demeure
loin de soi
afin d'apporter ce surcroît d'univers
de réalité
de sens
à son univers
que l'on troue soudain
du fait de cette rencontre fascinante
qui fait naître le désir
au plus profond de soi
dépeuplé
car l'autre désiré est
un « plein d'être »
que l'on cherche à s'arrimer à soi
Matthieu Gosztola, Rencontre avec Lucian Freud,
éditions des Vanneaux, 2013, ). 54 et 143.
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09/07/2013
André Breton, L'amour fou
Un contact qui n'en a pas même été un pour nous, un contact involontaire avec un seul rameau de la sensitive fait tressaillir en dehors de nous comme en nous tout le pré. Nous n'y sommes pour rien ou si peu et pourtant toute l'herbe se couche. C'est un abattage en règle comme celui d'une boule de neige lancée en plein soleil sur un jeu de quilles de neige. Ou encore un roulement de tambour qui brusquement ne ferait d'une au monde de toutes les compagnies de perdrix. J'ai à peine besoin de te toucher pour que le vif-argent de la sensitive incline sa harpe sur l'horizon. Mais, pour eu que nous nous arrêtions, l'herbe va reverdir, elle va renaître, après quoi mes nouveaux pas n'auront d'autre but que te réinventer. Je te réinventerai pour moi comme j'ai le désir de voir se recréer perpétuellement la poésie et la vie. D'une branche à l'autre de la sensitive — sans craindre de violer les lois de l'espace et bravant toutes les sortes d'anachronismes — j'aime à penser que l'avertissement subtil et sûr, des tropiques au pôle, suit son cours comme au commencement du monde à l'autre bout.
André Breton, L'amour fou, Gallimard, 1969 [1937], p. 97.
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18/12/2012
Robert Duncan, L'ouverture du champ
Commencement de l'écriture
une composition
Commencer à écrire.
Continuer enfin à écrire.
Écrire enfin pour continuer à commencer.
Surmonter le commencement.
Surmonter l'urgence.
Surmonter l'écriture en écrivant.
Ne jamais surmonter le commencement.
Écrire maintenant l'écriture.
Ne pas surmonter en commençant.
*
L'amour parfois progresse et admet. L'amour parfois surmonte et ne commence pas. L'amour comme élément permanent de certaines écritures imagine qu'aimer se développe pour admettre le commencement comme continuation.
Désir : hors de l'écriture. Urgence : hors de l'écriture. Poser l'attente n'est pas l'écriture. Désir est l'avant non-commençant du commencement. Urgence est un non-sentiment d'enfin commencer.
*
Quand je m'imagine ne pas surmonter mais admettre, aimer a lieu au lieu du désirer. Quand je m'imagine le commencement quotidien continuant, l'être n'est plus reformation mais répétition.
Le géant de toute la journée c'est l'éveil.
Le géant de toute la nuit c'est le sommeil.
Être un univers ! Être un univers !
Pris dans son discours continu.
Être renvoyé au rêve.
Quand je m'imagine en amant
L'Amour est revenu, je le dis, ici,
revient encore de Jour
de l'appétit pur, appartenant
au dire.
Le matin prend
le silence quand les mots parlent,
monologue au silence audible.
*
Un monologue ! Un monologue !
paroles oisives aux lumières bigarrées, illusions
de personne imaginée, en personne.
Le grand Pajambour roule son être éternel comme un roulement
de tambour
aux mesures d'un sommeil désordonné.
Discours désordonné.
Robert Duncan, L'ouverture du champ, traduction de Martin Richet,
José Corti, 2012, p. 33-34.
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29/06/2012
Louis Zukofsky, "A" 13
"A" 13, V
Nu assis, éveillé couché
Le silence non loin de la parole
Se dépassent l'un l'autre pour
Ne pas se marcher dessus
Souvent la nuit un sommet pointe
L'aube enveloppe des bouquets de feuilles
Quand brillent au soleil les contours
Même pénombre soir et matin
Traversant la persienne qui s'ouvre
Et qui éclaire la vue.
Des cinq fenêtres contigües d'un dixième étage,
Comme sur le pont d'un bateau
Tout le cycle solaire
Rappelle le désir innocent : de onze à quatre-vingt dix ans
Et laisse vieillir l'innocence
Se rappelle de la famille à ses débuts
De certains moments comme si c'était aujourd'hui
De quatre mains jointes sur les genoux
Scellées par le regard.
L'étreinte
Quand il est question d'enfants
Le désir observe, il voit
Un étage plus bas
Sur un toit voisin
La décoration un pignon à redan
Surmonté d'une licorne assise
Flanqué par quatre conduits
Formes chantournées _
Châteaux ou jeu d'échecs
Faits de la même pierre tendre
Comme les festons de pierre
D'un ridicule canasson
Gros sac à viande —
Pas moyen de deviner
Pourquoi c'est là
À moins de l'honorer
Comme curieuse esquisse
Du désir avant qu'il ne soit
Pulsion et grandisse non loin d'ici.
[...]
Louis Zukofsky, "A" (sections 13 à 18), traduction de Serge Gavronsky et François Dominique, Collection Ulysse Fin de siècle, éditions Virgile, 2012, p. 89-90.
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22/06/2012
Louise Labé, Sonnet III
Sonnet III
Ô longs désirs, ô espérances vaines,
Tristes soupirs & larmes coutumières
À engendrer de moi maintes rivières
Dont mes deux yeux sont sources & fontaines :
Ô cruautés, ô dur[e]tés inhumaines,
Piteux regards des célestes lumières :
Du cœur transi ô passions premières,
Estimez-vous croître encore mes peines ?
Qu'encor Amour sur moi son arc essaie,
Que nouveau feu me guette & nouveaux dards
Qu'il se dépite, & pis qu'il pourra face :
Car je s[u]is tant navrée en toutes parts,
Que plus en moi une nouvelle plaie,
Pour m'empirer ne pourrait trouver place.
Louise Labé, Œuvres, Lyon, chez Jean de Tournes, 1555, p. 113.
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