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06/01/2024

James Sacré, Une petite fille silencieuse

 

james sacré, une petite fille silencieuse

À côté des iris sans fleurs

                                          

                         4

 

Je voudrais que tes joues

Brillent comme au loin, dans le souvenir que j’en ai,

La tuile un peu vieille d’une ou deux maisons seules

Au fond du mot Poitou,

 

Ou pareil que dans soudain la campagne américaine

Un grand manège où tu t’en vas, charpente en bois peinte roller-

Coaster sa construction savante et fine à travers les arbres...

 

On entend des cris, on entend

Le silence aussi.

 

 

Pendant toute une journée que le beau temps

A été là, quelle impatience quel genou tendre

Sur la pelouse qui dégèle !

Que faut-il oublier pour mieux t’aimer ?

(Pour qu’un poème soit un bas de robe légère

À ta jambe.)

Des petites filles qui t’ont connue sans doute

Ont dit le mot bonjour, de loin

Et comme en riant dans ce paysage où tu pourrais courir.

 

 

Un jour le monde avait ton sourire

En octobre en automne quel plaisir d’oublier

D’aimer le temps dans les saisons, le monde

Avait tes joues dans sa couleur,

Ta jambe griffée dans un buisson donne-

Moi la main, donne.

Mais tout s’incline comment dans ce poème,

Où va la jambe du temps ?

Et qu’est-ce qui saigne ?

[...] 

James Sacré, Une petite fille silencieuse, André Dimanche, 2001, p. 38-40.

05/01/2024

James Sacré, Une fin d'après-midi à Marrakech

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On sait que c’est la cuisine à cause des légumes et des fruits qui sont dans un carton ça fait un coin de couleurs comme quelqu’un qui montrerait d’un coup son cœur et son désir avec beaucoup de simplicité violente. Des piments rouges, des oranges. Le mot vivre dans la grisaille et le silence de cette maison pauvre, le silence. Un coin de cuisine, aussi bien l’endroit du marché dans l’ensemble en pisé couleur d’ocre et de pierre blanchie de la ville. Ou comme dans le haut d’un champ que les gens y travaillent longtemps : mon enfance y ramasse n’importe quelle récolte elle s’accumule en couleur vive tout à l’heure on chargera tout dans la charrette le reste du champ sera plus qu’une surface de terre ou de chaume on le voit mal de plus en plus petit dans le monde autrefois demain je suis content d’avoir tout d’un coup ce carton de légumes comme un sourire en désordre. Comme si j’aimais quelqu’un quand je regarde longtemps la couleur d’une orange, le sol défait, le mur longtemps.

 

James Sacré, Une fin d’après-midi à Marrakech,

André Dimanche, 1988, p. 193.

04/01/2024

James Sacré, Paysage au fusil (cœur) une fontaine

james sacré, paysage au fusil (cœur) une fontaine, oiseau, caille, perdrix

           Oiseaux qui sont dans l’herbe en automne

 

Une caille est un geste

lancé dans le bleu un carré

de petit lotier (dessin

d’un village hangar et des tuiles

entre deux branches) geste lancé

par-dessus le buisson derrière

caillou tombé de la grande herbe

une ombre où dans le silence

bat son cœur d’ombre où ?

 

La perdrix elle pourrait être un bruit

dans ce poème (silence un automne et la

couleur des regains) si les mots...

                           rien qu’un motif

au bord de l’imagination : tache automne

orangé en (silence) d’un coq de roche — Brésil

ou braise en mon trou natal ; perdrix

rouge dans un regain (pas d’Amazonie) parlé

de plus en plus gris.

 

 

Une caille est tellement loin mais

presque sous mon pied (luzerne

en septembre le temps doré des

petits cailloux blancs) autrefois aujourd’hui

quelle trace : un poème aussi soudain (blanc

de la page rempli derrière la vitre un autre

espace en automne un arbre et des

petits mots noirs) aujourd’hui demain

quelle trace. Le mot caille est tellement

Loin. Poème comme un fusil. 

[...]

James Sacré, Paysage au fusil (cœur) une fontaine,

repris dans Les Mots longtemps, Qu’est-ce que le

poème attend ?, Tarabuste, 2003, p. 81-82.

03/01/2024

Jacques Dupin, Chansons troglodytes

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 Romance aveugle

 

Je suis perdu dans le bois

dans la voix d’une étrangère

scabreuse et cassée comme si

une aiguille perçant la langue

habitait le cri perdu

 

coupe claire des images

musique en dessous déchirée

dans un emmêlement de sources

et de ronces tronçonnées

comme si j’étais sans voix

 

c’en est fait de la rivière

c’en est fini du sous-bois

les images sont recluses

sur le point de se détruire

avant de regagner sans hâte

 

la sauvagerie de la gorge

et les précipices du ciel

le caméléon nuptial

se détache de la question

 

c’en est fini de la rivière

c’en est fait de la chanson

 

l’écriture se désagrège

éclipse des feuilles d’angle

le rapt et le creusement

dont s’allège sur la langue

la profanation circulaire

 

d’un bout de bête blessée

la romance aveugle crie loin

 

que saisir d’elle à fleur et cendre

et dans l’approche de la peau

et qui le pourrait au bord

de l’horreur indifférenciée

[...] 

Jacques Dupin, Romance aveugle, dans

Chansons troglodytes, Fata Morgana,

1989, p. 21-23.

02/01/2024

Jacques Dupin, écarts

                               jacques dupin, troglodytes, nuit

Dans la nuit, un corps. De l’écriture le combustible et le conducteur. Un corps. Terre immense, ouverte, qui embaume. Qui n’a pas de mesure. Ni centre, ni aiguilles, ni lisières. Une terre, ou un corps, sans origine – insomniaque, inhumain – offert à la jouissance des monstres, et déréglant les rythmes, bousculant les vides de la feuille et les espacements du souffle.

 

La nuit remue, écrivait un ami lointain et le plus proche, lointain intérieur, vraie voix des écorchés vifs et la plus sensitive des fleurs nyctalopes. La nuit écrit. Ne cessera jamais d’écrire selon lui. Énigme compacte contre le ciel. Contre les dieux. Phosphore d’une trace d’encre tirant la plume ou le pinceau entre précipices et météores.

 

La nuit écrit. Élargissant l’espace, extravaguant la page, pulvérisant le cercle de pierres. Et enrôlant la mort. On lui doit un surcroît de force, et l’aggravation du silence. On lui doit de toucher l’extrême fond de la faiblesse, et la cime de nos plissements.

 Jacques Dupin, Écarts, P.O.L., 2000, p. 32.

01/01/2024

Bernard Vargaftig, Le monde le monde

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Encore un versant d’acacias

Une route presque une syllabe

La clairière s’est dénouée

Ciel tout à coup et nudité voici comme

La ressemblance disparaît

La plage sans désolation

Sable éraflé un mouvement

Dans les profonds  paysages qui s’étendent

Jardin et lointain emportés

Et hâte dont l’immensité nomme

Et le trou autour de l’aveu

Le cri le linge les dahlias d’être épars

Chaque fois l’alouette après

L’alouette est-ce où tout dérapait

L’ombre m’abandonne entre enfance

Et frémissement que le silence fuit

 

Bernard Vargaftig, Le monde le monde,

André Dimanche, 1994, p. 75.

 

31/12/2023

Bernard Vargaftig, Dans les soulèvements

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La fugacité disparaît

Toujours la même déflagration je t’aime

La hâte obstinément éclaire

Ton souffle où je tombe encore une fois

 

Quel dénuement n’ai-je pas dit

Un souvenir sans souvenir aucun ciel

N’a l’étendue de l’abandon

Un cri l’impudeur pensive

 

Le sens et l’effacement bougent

Le désir avec les oiseaux qui respirent

Tellement le jour était vaste

Comme quand l’aveu n’a plus d’ombre et roule

 

Quand la ressemblance sans cesse

Si ensevelie se sépare de moi

L’enfance changée en pitié

Dans les rochers que l’apaisement forme

 

Bernard Vargaftig, Dans les soulèvements,

André Dimanche, 1996, p. 51

30/12/2023

Edoardo Sanguineti,Codicille

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le passage à créativité et développement » après (et après tout) a été très facile :

(et l’imudon, plus que prodigieux, ne fut pas du tout superflu) : (et je ne te cache pas

les infinies complications symboliques que je ne te révèle pas) :

                                                     mais maintenant que j’atterris

maintenant que j’ai vu les intellectuels des cinq continents célébrer cette cour

élyséenne (j’étais un E. T., mais en pire, qui disait classes sociales, lutte des classes,

et caetera et caetera, et patati et patata), je suis à la recherche d’un habitat : et toi ?

 

Edoardo Sanguineti Codicille, traduction Patrizia Atzei et Benoît Casas, éditons NOUS 2023, p. 15.

29/12/2023

Edoardo Sanguineti, Codicille

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              je fais de l’écriture, et ne suis pas écriture :

                                                                reste le fait tout de même, que je fais des étincelles

(avec le feu et les flammes) : (je fais l’amour, et je te fais pitié) : (et j’ai fait les sept

rêves) : (et je fais le joyeux, et je ne le suis pas)) : (et je fais la tête que tu me vois) :

(je la fais longue et grosse, et cuite et crue) : (j’ai les yeux plus gros que le ventre) :

(je fais le bras de fer, je montre mes muscles) : (et je vais me faire voir et foutre) :

(m’occuper de mes oignons, de mes affaires) : (j’en fais pour trois, à moi tout seul : pour ainsi dire) :

(et pour faire et défaire) : (je me mets en quatre, en cent, et je sais y faire) : (et

enfin j’y mets fin) : n’étant pas écriture, donc, en attendant,

je garde en tête la similitude :

                                      (et ainsi je la transmets à ce papier) :

 

Edoardo Sanguineti, Codicille, traduction Patrizia Atzei et Benoît Casas, éditions NOUS, 2023, p. 9.

 

27/12/2023

Paul Éluard, Pour vivre ici, onze haïkaïs

   

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    Palissades peintes

Les arbres verts sont tout roses

         Voilà ma saison.

 

L’automobile est vraiment lancée

         Quatre têtes de martyrs

        Roulent sous les roues.

 

Ah ! mille flammes, un feu, la lumière,

            Une ombre !

         Le soleil me suit.

 

Une plume donne au chapeau

         Un air de légèreté

         La cheminée fume.

   

Paul Éluard, Pour vivre ici, onze haïkaïs,

dans Œuvres complètesI, Pléiade/Gallimard,

1968, p. 51)52.

 

26/12/2023

Paul Éluard, Pour vivre ici, onze haïkaïs

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         Le vent

         Hésitant

Roule une cigarette d’air

 

Le cœur à ce qu’elle chante

Elle fait fondre la neige

La nourrice des oiseaux

 

         La muette parle

 

C’est l’imperfection de l’att

         Ce langage obscur

 

         Femme sans chanteur

Vêtements noirs, maisons grises

L’amour sort le soir

 

Paul Éluard, Pour vivre ici, onze haïkaïs,

Dans Œuvres complètes, I, Pléiade/Gallimard,

1968, p. 51-52.

25/12/2023

Roger Gilbert-Lecomte, Haïkaïs

 

       

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       Haïkaïs (2)

 

L’aube — Chante l’alouette —

Le ciel est un miroir d’argent

         Qui reflète des violettes

 

La nuit — L’ombre du grand noyer

est une tache d’encre aplatie

         au velours bleu du ciel

 

Vie d’un instant…

J’ai vu s’éteindre dans la nuit

L’éternité d’une étoile

 

Roger Gilbert-Lecomte, Œuvres complètes, II,

Poésie, Gallimard, 1977, p. 127.

Roger Gilbert-Lecomte, Haïkaïs

 

       

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       Haïkaïs (2)

 

L’aube — Chante l’alouette —

Le ciel est un miroir d’argent

         Qui reflète des violettes

 

La nuit — L’ombre du grand noyer

est une tache d’encre aplatie

         au velours bleu du ciel

 

Vie d’un instant…

J’ai vu s’éteindre dans la nuit

L’éternité d’une étoile

 

Roger Gilbert-Lecomte, Œuvres complètes, II,

Poésie, Gallimard, 1977, p. 127.

24/12/2023

Roger Gilbert-Lecomte, Poésie

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              Haïkaïs

 

Tous ces verts marronniers pansus

Se moquent entre eux du noyer

Qui n’a pas encore de feuilles

 

Sur l’Avril de vert feuillu

         Bruine et ciel sale

                     — Triste…

 

Dans le ciel de cendre

Comme un dernier tison

La petite étoile

 

Roger Gilbert-Lecomte, Œuvres

complètes, II, Poésie, Gallimard,

1977, p. 132.

23/12/2023

Arno Schmidt, Scènes de la vie d'un faune

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Je ris tout seul, un instant, m’imaginant que je suis un mort célèbre et que Berta, ma veuve, guide les visiteurs dans les salles du « Musée Düring » de Fallingshotel. On y voit dans les vitrines mes manuscrits (pa exemple, l’avertissement à Fintels, le sommant pour la dernière fois de venir apposer ses empreintes digitales sur sa carte d’identité — « Sa dernière lettre, oui » — à côté de la grande biographie inédite de Fouqué). Au mur, mon portrait par Oskar Kokoschka, avec une seule oreille et un teint d’un incarnat fort peu catholique.

 

Arno Schmidt, Scènes de la vie d’un faune, traduction Jean-Claude Hémery, Christian Bourgois, 1981, p. 151.