16/05/2025
Hélène Sanguinetti, Jadis, Poïena une poème
Scène 2
(Un cauchemar à la frontière)
QUI EST LÀ ?
(bis)
Mouche posée
ivre noire sur,
la nuque d’un
chat, un
soldat tête nue
couché au fond
au milieu des feuilles
tombées dorées
de la rue
dans un coin
étranglé de forêt
là-bas loin et ici
à gauche, enroulé
sur lui-même, voilà
une autre mouche
balayeur sifflotant
pousse sa charrette
d’une main, de l’autre il
téléphone ou la met dans
une poche de ses grands
pantalons faits exprès
Petit Noir gouttière
cherchait amour hier
se tortillait ce matin,
2 novembre, pof ! mort,
une chance, pas d’odeur,
Balayeur s’éloigne
le bruit du char décroît, la
plaine est vide, elle pleure
Hélène Sanguinetti, Jadis, Poïena une poème, Flammarion, 2026, p. 28.
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15/05/2025
Hélène Sanguinetti, Jadis, Poïena, une poème
(Désastre)
Caillou lancé
fait floc très loin en bas
du puits
Soir descend avec le seau
Désert où sable orangé
Cave où murs s’effritent
Berceau où fille pleure
devenue grande elle
enferme derrière ses yeux
infinie peine et refus de
consolation
Où est la robe blanche
qui te frôlait quand tu ne
dormais pas et que papillon
de nuit voulut boire ?
POÏENA plus que toujours
se niche dans la poitrine
et bat au rythme de
tam-tams rafistolés à
l’élastique, ne pas tomber, ne pas
laisser aux petits singes
l’enfer de l’incendie,
(à tous les animaux, l’enfer de nous
Hélène Sanguinetti, Jadis, Poïena une poème, Flammarion, 2025, p. 70.
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14/05/2025
Hélène Sanguinetti, Jadis, Poïena, une poème
Mère
Longtemps tu as eu les cheveux longs, épais, blonds. Ta mère te faisait les tresses. Parfois une seule, si lourde. Quand tu tournes la tête, la tresse bat d’un côté, de l’autre. Tchonc tchonc tchonc. Un ruban de velours noir à chause bout, pour cacher les élastiques, comme Deneuve dans les Parapluies. Ta mère aime aussi te coiffer en chignon. Tout serré en haut de la tête avec beaucoup d’épingles, une telle tignasse ! La nuit, épingles enlevées, les cheveux te font mal.
Hélène Sanguinetti, Jadis, Poïena, une poème, Flammarion, 2025, p. 34
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30/06/2013
Pascal Quignard, La nuit sexuelle
Une scène française
Il existe une étrange scène française. On la découvre dans Mellan. Elle se multiplie à partir de Fragonard. Elle se radicalise avec Courbet. Claude Mellan à vrai dire, s'il l'invente, ne la poursuit pas et ne l'acheva pas. On la nomme La Souricière. Un nourrisson sorti de la vulve sa mère se retourne à quatre pattes et regarde la vulve dont il est issu.
Courbet peignit ce que le XIXe siècle appela le "con" en 1866. Il en vendit l'image à Khalil Bey. Khalil Bey la transmit à Bernheim Jeune. Bernheim la passa à François de Harvany, François de Harvany la céda au baron Herzog. Elle arriva de façon mystérieuse entre les mains du psychanalyste Jacques Lacan dissimulée sous un cache conçu par le peintre Masson. Je me souviens qu'en ce temps là on nommait origine du monde ce qui n'est que l'origine de chacun.
Nous ne sommes pas Ulysse. Nous n'avons pas de "chez nous" à la surface de ce monde. Tout Ithaque que nous voudrions rejoindre est interne. Cet internat est celui de la poche maternelle que chaque naissance rompt. L'errance n'aura donc pas de terme à la surface des flots ou de la terre. Pour chaque vivant vivipare un premier monde est perdu. Tout Éden est seuil et expulsion. Où retourner ? Glisserions-nous notre visage dans le sexe d'une femme ? Puis les épaules ? Puis le tronc ? Les hanches ? Le retour impossible, tel est le temps. Notre seul "chez nous" est cette étrange "ek-sistence" où pousse le jadis. Cette poussée est la Nature. L'adieu, le perdre, le ne pas se retourner, l'invisible sont les quatre murs de notre prison.
Pascal Quignard, La nuit sexuelle, J'ai lu, 2009 [2007], p. 137-138.
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