06/12/2019
Durs Grünbein, Presque un chant
Mantegna, peut-être
Un jour, dans le demi-sommeil... entre recevoir et donner,
J’ai vu mes mains, leur peau rouge, jaunâtre,
Comme celles d’un autre, d’un cadavre à la morgue.
Au repas, elles tenaient couteau et fourchette, ces outils
De cannibale qui faisaient oublier la chasse
Et le vacarme de l’égorgement.
Vide comme l’assiette,
Une paume était devant moi, relief charnu
Du dernier singe à qui tout était devenu accessible
Dans un monde de primates. Mantegna, peut-être,
Aurait pu les peindre dans toute leur cruauté, sans les enjoliver,
Ces callosités crasseuses.
Qu’était l’avenir
Résultant des lignes de la main, bonheur ou malheur,
Comparé à la terreur des pores par lesquels perlait la sueur
Comme la légende de la compréhension silencieuse sur un front.
Durs Grünbein, Presque un chant, traduction de l’allemand Jean-Yves
Massson et Fedora Wesseler, Gallimard, 2019, p. 90.
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