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07/12/2024

Olivier Barbarant, Partitas pour violon seul

 

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                    Rue Émile Zola

 

Unr pente ou

la nervure d’une feuille dans la ramure de la ville

couronnée par une Bourse  du Travail où se faisaient les réunions

 

Puis dévalant parmi les briques et le béton

d’anciennes maisons à colombage

jusqu’à la rouge terrasse du café de Foy

 

Enfin un second segment s’étrécit et se met à courir

vers une trop vaste place

un peu vide et dite de La Libération

que tentent de peupler quelques arbres et des carrés de verdure

 

On aura beau flâner et caresser de l’œil

les façades et les passants

s’attarder aux  pierres lépreuses

de la Basilique Saint Urbain

beau tisonner en soi les braises

rien n’y reste d’une ancienne enfance

 

Olivier Barbarant, Partitas pour violon seul,

Gallimard, 2024, p. 49-50.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

06/12/2024

Olivier Barbarant, Partitas pour violon seul

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Chaconne pour une planète

 

I

Œuf ou perle pendue

Dont le fil se déchire

Il n’y a pas que nous

 

     Toute le terre est périssable

 

Un souffle suffira

Une branche d’étoile

Coupant la cordelette

 

    Coup d’ongle dans les galaxies

 

Des tours jumelles Des cathédrales

Une centrale au bord d’un raz de marée

Une autre auparavant explosant dans la neige

 

    Cela qui s’effondre

 

Nous avons appris à en dire :

« Ceci est mon temps »

 

Soit que le monde étouffe

Sous le baillon de ses fumées

Soit que le sol en craque et verse

 

    La lave entre ses lèvres absorbant les forêts

 

Ou bien les océans

Enflant de tous leurs bleus

Noieront les rives et leurs falaises

 

Sous un ciel qui s'ébrèche

Le royaume est la ruine

 

    Tous les chemins mènent au néant

[…]

 

Olivier Barbarant, Partitas pour violon seul,

Gallimard, 2024, p. 25-26.

 

05/12/2024

Olivier Barbarant, Partitas pour violon seul

             

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Petit matin

 

Le jeune plongeur arabe et sans papiers

d’un restaurant thaï au pied de la Butte

(sainte modernité métissée)

avec un français chancelant propose

de le rejoindre à l’aurore dans la salle

où ses patrons le claquemurent :

grande diagonale, courte extase ; deux univers

étanches qu’une urgence soudain rapproche,

le temps d’une brève étreinte

contre un rideau de fer abaissé.

 

Olivier Barbarant, Partitas pour violon seul,

Gallimard, 2024, p. 67.

04/12/2024

Olivier Barbarant, Partitas pour violon seul

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Paris

 

Ma ville ce sont

des toits de zinc

ur des falaises de craie

 

On y marche entre deux eaux grises

 

Pour peu qu’un peu de pluie barre le paysage

De courts soleils éclatent sur les trottoirs mouillés

 

Et comme au fond des plus beaux tableaux

les brouillards et les murs soulignent les silhouettes

d’une ombre par contraste avec la pâleur des corps

 

Ma ville c’est

sur l’étain des jours ternes

une farine de visages

et le plâtre de tant de mains

 

Olivier Barbarant, Partitas pour violon seul,

Gallimard, 2024, p. 17.

29/06/2014

Aragon, La Grande Gaîté [1929]

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           Art poétique

 

On me demande avec insistance

Pourquoi de temps en temps je vais à

La ligne

 

C'est pour une raison

Véritablement indigne

D'être cou

Chée par écrit

 

            Les derniers jours

 

Les philosophes les artistes

Les crémiers les gens très bien

Sont tombés dans le précipice

Pas besoin d'enterrement

 

Plus de théories de peinture

Le monde en reste désolé

Heureusement que pour se distraire

On a la Radiophonie

 

                 Partie fine

 

Dans le coin où bouffent les évêques

Les notaires les maréchaux

On a écrit en lettres rouges

DÉGUSTATION D'HUÎTRES

Est-ce une allusion

 

On me fait remarquer que c'est pitoyable

Ce genre de plaisanterie

Et puis c'est mal foutu paraît-il

En tant que Poème

Car pour ce qui touche à la Poésie

On sait à quoi s'en tenir

 

Mais je n'ai pas fini de prendre en mauvaise part

Tout ce qui touche à la flicaille à la militairerie

Et plus particulièrement croa-croa aux curetages

Je n'ai pas assez le goût des alexandrins

Pour me le faire par-donner pan pan pan pan

 

Mais ici même si on ne sait d'où elle tombe

D'où tombe-t-elle d'ailleurs D'ailleurs

Il me plaît d'opposer à la clique des têtes à claques

Une femme très belle toute nue

Toute nue à ce oint que je n'en crois pas mes yeux

Bien que ce soit peut-être la millième fois

Que ce prodige s'offre à ma vue

Ma vue est à ses pieds

Son très humble serviteur

 

                 Aragon, La Grande Gaîté [1929], dans Œuvres poétiques

                 complètes, I, édition sous la direction d'Olivier Barbarant,                            Pléiade, Gallimard, 2007, p. 407, 408, 411-412.