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11/09/2024

David Bosc, L'incendie de l'Alcazar

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en l’absence de minotaure

il s’est assis

sur ses talons et creuse

- il a cessé de parcourir

le labyrinthe nul

qui n’est fait que d’issues

 

on l’a confié à la petite ville

aux couloirs aux salles d’attente

aux cages d’escaliers où la moquette est sur les murs

 

dans l’anachronisme de toute enfance

dans le toute allure interminable

des petites années

 

David Bosc, L’incendie de l’Alcazar,

Héros-Limite, 2024, p. 65.

06/07/2024

Paul de Roux, Entrevoir

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                   L’enfance

 

La nuit dans les grands arbres on entendait le vent

ou pour ainsi dire rien, et c’était pire ;

comme un bruit de pas trop près des murs

puis escaladant la façade — est-ce possible ?

Les volets sont fermés

la lourde porte verrouillée

mais la peur tombe en piqué sur le cœur

qui bat soudain plus fort que tout.

 

Paul de Roux, Entrevoir, Poésie/Gallimard, 2014, p. 143.

03/04/2024

Anne Calas, Une pente si douce

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Une femme est une énonciation illimitée

 

le ton « Je sais » par exemple

une femme est une énonciation illimitée

est incompatible avec

« Qui suis-je ? »

 

il y a une gorge profonde

que je caresse aussi avec une planche à laver

 

si douce au toucher

que j’en atteins

l’enfance

     un son

générique si particulier comme

animal

 

Anne Calas, Une pente si douce,

Flammarion, 2024, p. 201.

 

 

06/10/2023

Jean-Luc Sarré, Les journées immobiles

 

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Enfance

 

la route vers la mer

est longtemps jaune et grise

elle va dans l’air chaud

et les vapeurs d’essence

c’est la route des insectes

et des peurs infimes

celle aussi d’une joie étrange

malmenée jusqu’à ce qu’on aperçoive

enfin entre les branches les barques

la rade endimanchée

 

Jean-Luc Sarré, Les journées immobiles,

Flammarion, 1990, p. 47.

21/07/2023

Joseph Joubert, Carnets

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Nous sommes tous de vieux enfants plus ou moins graves, plus ou moins remplis de nous-mêmes.

Il me semble beaucoup plus difficile d’être un moderne que d’être un ancien.

L’histoire doit être la peinture d’un temps, le portrait d’une époque. Lorsqu’elle se borne à être le portrait d’un homme et la peinture d’une vie, elle n’est qu’à demi histoire.

Quand je luis… je perds mon huile.

Amour. Avec quel soin les anciens évitaient tout ce qui pouvait en rappeler tous les plaisirs mais du moins le mécanisme, le jeu.

 

Joseph Joubert, Carnets, Gallimard, 1994, p. 436, 438, 445, 447, 458.

19/06/2023

Francis Ponge, Comment une figue de paroles et pourquoi

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Pour ne savoir point trop ce qu’est la poésie (nos rapports avec elle ne sont qu’indirects), d’une de ces figues sèches, par contre (tout le monde voit cela), qu’on nous sert, depuis notre enfance, ordinairement aplaties et tassées parmi d’autres hors de quelque boîte, comme je remodèle chacune entre le pouce et l’index machinalement avant de la croquer, l’idée que je m’en fais paraît bientôt bonne à vous être d’urgence quittée.

 

Francis Ponge, Comment une figue de paroles et pourquoi, dans Œuvres poétiques, II, Gallimard / Pléiade, 2002, p. 863.

04/02/2023

Antoine Emaz, Erre

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on n’a pas trop prise

sur ce qui vient les mots

prennent au passage

ou parfois rien

 

et ce n’est pas plus important

qu’une ligne de plus ou de moins

dans une dictée d’enfance

 

cela peut-être qui remonte

dans la nuit ou le vieux rose

d’une branche de tamaris en fleurs

 

ce qui ne tient à rien

dans la mélasse du temps un balancement

d’acacia ou de pin

le bleu passé au gris d’une lavande

 

quelque chose en tout cas

de presque silencieux

et doux

« regret souriant » ou deuil calme

d’un passé sans heurt

juste passé

poussière en suspension dans la lumière

pas plus

 

Antoine Emaz, Erre, Tarabuste,

2023, p. 89.

 

 

01/12/2022

Louise Warren, Bleu de Delf : archives de solitude

 

                             Commencement

L’été, alors qu’enfant j’allais à la campagne, j’aimais franchir ce lieu interdit que nous appelions tantôt le château, tantôt les ruines, mais jamais la maison brûlée. Une vaste demeure, qui, construite en retrait de notre avenue, semblait reculer tout au fond du paysage. Le sol et les murs de plusieurs pièces de cette maison avaient été recouverts de mosaïque turquoise, vertes ou bleues, ainsi que de grands miroirs, puisque nous trouvions partout de ces éclats de feu que nous ne cessions de retourner au soleil. Tout m’apparaissait possible pour cette maison qui laissait entrer les mauvaises herbes, les chats et chiens errants, le ciel et les enfants. Elle correspondait à la maison de mes rêves. Une maison où l’intérieur et l’extérieur habitent ensemble, où les framboises poussent dans le salon. Un lieu plein d’étrangeté et où le paysage se berce doucement dans les tiroirs, où les escaliers ne mènent nulle part ailleurs que devant soi.

         Les années passaient et, dans ce fouillis de mauvaises herbes, on ne voyait plus rien briller que les guêpes. Il n’y eut bientôt ni entrée ni escalier, les ruines furent rasées pour faire place à une série de maisons basses, chacune collée à un jardinet de banlieue. J’ai longtemps établi un lien entre ces ruines, les maisons en démolition du centre-ville, mon appartement brûlé de la rue Hutchinson, et la poésie. Un fil sacré qui déterminerait un périmètre dans l’imaginaire. La poésie a cette force de traversée, celle de commencer par les ruines.

 

Louise Warren, Bleu de Delf : archives de solitude, éditions Trait d’union, Montréal, 2003, p. 28.

 

29/10/2022

Jacques Lèbre, À bientôt

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Qui n’a jamais erré longtemps dans une ville inconnue à la recherhce d’un café à son goût dans lequel il puisse enfin entrer ne peut pas vraiment savoir ce qu’est l’exil.

 

Une enfance sera toujours vécue de plein fouet.

 

Bouffées de larmes, parfois proches des yeux ; parfois plus enfouies, dans l’âme.

 

Le soir, une fois couché, le réveil posé sur le parquet, l’aiguille des secondes cavalcade sans aucune possibilité de retour en arrière. Si l’on y pense, c’est à la fois la catastrophe la plus naturelle et la plus absolue.

 

Jacques Lèbre, À bientôt, Isolato, 2022, p. 50, 55, 56, 70.

28/09/2022

Umberto Saba, Il Canzoniere

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Quand se levait le rideau

 

Quand se levait le rideau sur le monde

de mon enfance, j’accourus comme

à une fête  promise. Une à une

sont tombées les merveilles.

Des espérances conçues, nulle

qui vaille à m’en souvenir, même une larme

et même un seul soupir. Mais il me reste

ton baiser, jeune amie, qu’absences

et respect de nous-mêmes font plus rares.

 

C’était cela la vie, une gorgée amère.

 

Umberto Saba, Il Canzoniere, L’âge d’homme, 1988, p. 461.

31/03/2022

Jean Daive, Monoritmica

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Monoritmica

 

Épisode VII

 

LEÇON VIII

 

Nous sommes entremêlés et ne formons plus

qu’un seul être. Nous savons ce que le

monde sait. Nous savons et gardons

la bouche fermée. Nous dégageons

une odeur de céleri. MINUIT dans l’escalier

de La Splendeur des Amberson.

 

Serions-nous deux personnes. Protégées

de toute séparation ?

 

LEÇON IX

 

Célébrer la chance

sans la corriger.

Et tout est à craindre.

Revenue-revenante frappe dan s la nuit.

 

De mur en mur

montant ou ne montant plus

en pente avec marches pavées, inégales

des décors se confondent avec

grosse fumée noire

 

enfant je n’ai pas voulu

dire, tout dire

parmi eux, à ma mère

qui ne s’accommode pas

en elle de la présence

de ma sœur. Tout dire

et masquer l’architecture

d’elle et de moi si

toutefois nous étions

objets

d’une conversation

alors commence

notre personne

avec dedans

une pensée et des idées.

 

Jean Daive, Monoritmica, Poésie/

Flammarion, 2022, p. 221-222.

23/03/2022

Emmanuel Hocquard, Une Grammaire de Tanger

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               Des espaces qui ne communiquent pas

 

Un jour, enfant, au cours d’une promenade estivale dans la campagne en fin d’après-midi, j’ai vu des coquelicots en bordure d’un champ, au bout d’une petite route, quelque part entre la villa Harris et le cap Malabata.

 

   Rn dépit de sa banalité, l’impression que m’a laissée cette vision est l’une des plus fortes qu’il m’ait jamais été donné d’éprouver. Chauqe fois que je vois des coquelicots, c’est cette image qui revient et me fait battre le cœur.

 

   Coquelicot ; onomatopée du cri du coq (coquerico, cocorico). Petit pavot sauvage à fleur d’un rouge vif, ainsi nommé par référence à la couleur de la crête du coq ;

  

   L’émotion (la sensation, aurait dit Matisse). Coquelicots contiennent été et quelque part.

{...]

Emmanuel Hocquard, Une Grammaire de Tanger, P.O.L, 2022, p. 93.

26/02/2022

James Sacré, Figures de solitudes

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Les vaches qu’on allait garder

 

Les animaux qui sont dans les poèmes

Si un peu

C’est pas comme au zoo,

Comme au cirque, ou pareil

Qu’à la ferme où je les ai connus

On fait semblant de les aimer

On les aime, on les enferme.

 

Tout ce qu’ils m’ont donné :

Rêveries, mots, savoir et désir.

 

Le fond sale et somptueux du cœur

Et d’autres organes,

Bougent ton poème, tes pensées mal pensées

 

Animaux parlés mal vivants

Dans l’écriture qui les enferme

Quelle amitié leur est donnée ?

 

James Sacré, Figures de solitudes, Tarabuste,

2022, p. 52.

Photo T. H.

12/02/2022

Paul de Roux, Entrevoir

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                L’enfance

 

La nuit dans les grands arbres on entendait le vent

ou pour ainsi dire rien, et c’était pire :

comme un bruit de pas trop près des murs

puis escaladant la façade — est-ce possible ?

Les volets sont fermés

la lourde porte verrouillée

mais la peur tombe en piqué sur le cœur

qui bat soudain plus fort que tout.

 

Paul de Roux, Entrevoir, Poésie / Gallimard, 2014, p. 143.

28/09/2021

Étienne Faure, Légèrement frôlée

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Le cœur serré sans préavis

entre les murs du bâtiment gris public

d’où les cris fusent, on croirait une enfance

à cause des barreaux qui restreignent

la vue du ciel

les origines restituées

comme on s’en trouve à même les livres

enracinés dans la mémoire

avec l’ennui et les récitations

— craie, encrier, cire d’abeille —

la cour d’école au gravier jaune  où crisse

une espèce de véracité française,

racines, à force d’être lues, plausibles

et crues finalement, oui, avec effet rétroactif

tant le désir de croître est commun aux souvenirs

d’une enfance implantée au hasard des sols,

l’autre en papier relue, comme apprise.

Papier relu 

Étienne Faure, Légèrement frôlée, Champ Vallon, 2007, p. 88.

Photo Chantal Tanet

 

   Lecture-rencontre à deux voix :
                   Stéphane Bouquet & Etienne Faure
                         liront
Le fait de vivre (Champ Vallon) & Et puis prendre l'air (Gallimard)
 
                        à la librairie Gallimard,15 Bd Raspail,
                               mercredi 29 septembre19h