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25/12/2012

André Frénaud, Hæres

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Scène de théâtre sur la place

 

   Deux ou trois filles à califourchon au sommet de l'escalier à double rampe, sur la tribune baroque adossée à la façade, d'où partaient autrefois les proclamations. Elles sont là qui jabotent, elles tapotent la vieille pierre de leurs jambes gainées de cuir..  Et l'on dirait qu'elles tiennent la dragée haute à un petit groupe confus en bas des marches, de soldats et quelques civils qui marmonnent parmi l'obscurité... Ils ne cherchent as à grimper. Tout au plus, entre les niveaux, des bouts de phrase viennent, vont... Se relient-ils... Se relaient-elles ? Allusions blagueuses, effronterie, apeurement... C'est ainsi qu'ils s'entretiennent.

   Puis, arrivent des motocyclistes, paradant, pétaradant... qui s'arrêtent, abrupts, chuchotent quelques mots, déjà repartent avec en croupe parfois une fille où un garçon.

   Du menu peuple passe, qui rentre chez soi.

   C'est à la nuit tombante, sur une place autrefois glorieuse, devant la vieille église qui s'encrasse, le train-train de cette scène recommencée chaque jour pour faire patienter et pour divertir de l'inépuisable, de l'inutile foisonnement...

   Ont-ils le sentiment d'amorcer un spectacle ? Il n'y a pas de pièce déjà écrite. Il ne s'en improvisera pas. On pourrait imaginer qu'une fois ou l'autre : sédition massive, affrontements entre quartiers, viols...

   Mais cette sorte d'événement saurait-elle résoudre le vide, l'attente interminable ?

 

André Frénaud, Hæres, Gallimard, 1882.

 

26/12/2011

André Frénaud, Hæres

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Mais qui a peur ?

 

Les arbres mouillés,

les armes rouillées,

l'astre dérobé,

le cœur engourdi,

chevaux encerclés,

château disparu,

forêt amoindrie,

accès délaissé,

lisière éperdue,

source dessaisie,

 

— la neige sourit.

décembre 1974

 

 

  L'homme

 

L'homme

exposé

retourne

à l'origine

à la Mère

est jeté

en défi

au Destin

hors des lieux

par instants

adoptifs.

 

Origine de l'œuf

 

L'œuf se ferme-t-il ou bien s'ouvrira-t-il ?

L'aube traversera-t-elle

ces frondaisons épaisses de la nuit ?

Ou si le couchant s'appesantit décidément, si le globe

s'entoure de cernes concentriques, de paupières,

  l'une après l'autre qui se fermeront,

rapetissant puis annulant

ce point qui étincela comme jamais, un instant bref,

et qui n'en finit pas de disparaître,

ce point, peut-être, qui est là de nouveau,

   qui grandit.

 

L'œuf qui se précise passera-t-il par ce poisson

pour nous faire advenir ?

 

C'était déjà la fin. Et c'est encore la fin.

C'est encore le retour, ou déjà le retour.

 

André Frénaud, Hæres [1982], p. 147, 189, et

Nul ne s'égare, p. 260, dans Nul ne s'égare [1986],

précédé de Hæres, préface d'Yves Bonnefoy,

Poésie / Gallimard, 2006.