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25/11/2012

Pascal Quignard, Les Désarçonnés

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      La Boétie

 

   Nous naissons tout à coup dans l'air atmosphérique, aveuglés par la lumière solaire, asservis aux plus humiliantes dépendances.

     La liberté ne fait pas partie de l'essence de l'homme

     La détresse originaire impose à la survie du petit qui vient de crier soin, propreté, secours, nourriture, défense. C'est-à-dire : la détresse originaire impose les autres à ce qui n'a eu dans sa conception aucune autonomie ; elle impose la famille, l'obéissance, la peur, la langue commune, la religion, l'élevage, la convention des vêtements, l'arbitraire de l'éducation, la tradition de la culture, l'appartenance à la nation. Toute cette étrange « aide » plonge l'enfant dans un mixte d'amour et de haine, envers le père tout neuf et à l'encontre de la mère-source qui l'a expulsé dans la lumière et abandonné le souffle. C'est un mixte d'admiration et de blessure, à la fois désirer l'autre et être désiré par lui, capter sans prendre, pourchasser sans tuer, désirer le désir de chacun, tuer sans que cela se voie, voler tout.

 [...]

 

 

      Ovide

 

     L'anthropomorphose n'est pas achevée.

     On ne peut définir l'homme sans en faire une proie pour l'homme.

     La question humaniste : « Qu'est-ce que l'homme ? » énonce un danger de mort.

     Si on forme le vœu de ne pas exterminer les humains qui ne répondent pas à leur définition — religieuse, biologique, sociale, philosophique, scientifique, linguistique, sexuelle — l'homme doit être laissé comme incompréhensible.

     Ovide : L'homme doit être laissé comme non fini, c'est-à-dire comme appartenant à une espèce en cours de métamorphose infinie dans une nature qui est elle-même une métamorphose infinie.

 

 

Pascal Quignard, Les Désarçonnés, chapitre XL et XLII, Grasset, 2012, p. 121 et 126.

26/12/2011

André Frénaud, Hæres

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Mais qui a peur ?

 

Les arbres mouillés,

les armes rouillées,

l'astre dérobé,

le cœur engourdi,

chevaux encerclés,

château disparu,

forêt amoindrie,

accès délaissé,

lisière éperdue,

source dessaisie,

 

— la neige sourit.

décembre 1974

 

 

  L'homme

 

L'homme

exposé

retourne

à l'origine

à la Mère

est jeté

en défi

au Destin

hors des lieux

par instants

adoptifs.

 

Origine de l'œuf

 

L'œuf se ferme-t-il ou bien s'ouvrira-t-il ?

L'aube traversera-t-elle

ces frondaisons épaisses de la nuit ?

Ou si le couchant s'appesantit décidément, si le globe

s'entoure de cernes concentriques, de paupières,

  l'une après l'autre qui se fermeront,

rapetissant puis annulant

ce point qui étincela comme jamais, un instant bref,

et qui n'en finit pas de disparaître,

ce point, peut-être, qui est là de nouveau,

   qui grandit.

 

L'œuf qui se précise passera-t-il par ce poisson

pour nous faire advenir ?

 

C'était déjà la fin. Et c'est encore la fin.

C'est encore le retour, ou déjà le retour.

 

André Frénaud, Hæres [1982], p. 147, 189, et

Nul ne s'égare, p. 260, dans Nul ne s'égare [1986],

précédé de Hæres, préface d'Yves Bonnefoy,

Poésie / Gallimard, 2006.