14/07/2020
André Frénaud, Il n'y a pas de paradis
14 juillet
C’est le jour de fête de la Liberté
Nous avions oublié la vieille mère
Dont les anciens ont planté les arbres.
Il est des morts vaincus qu’il faut précipiter
Encore un coup du haut des tours en pierre.
Il est des assauts qu’il faut toujours reprendre.
Il est des chants qu’il faut chanter en chœur,
Des feuillages à brandir et des drapeaux
Pour ne pas perdre le droit des arbres
De frémir au vent.
Nous allons en cortège comme une noce solennelle.
Nous portons le feu débonnaire des lampions.
Soumis à notre humble honneur, le geste gauche.
Les bals entrent dans la troupe et les accordéons.
Le génie de la Bastille a sauté parmi nous.
Il chante dans la foule, sa voix mâle nous emplit.
Au faubourg s’est gonflé le levain de Paris.
Dans la pâte, nous trouverons des guirlandes de verdure,
Quand nous défournerons le pain de la justice…
C’est aujourd’hui ! Nous le partageons en un banquet,
Sur de hautes tables avec des litres.
Le monde est en liesse, buvons et croyons !
Je bois à la joie du peuple, au droit de l’homme
De croire à la joie au moins une fois l’an.
À l’iris tricolore de l’œil apparaissant
Entre les grandes paupières de l’angoisse.
A la douceur précaire, à l’illusion de l’amour.
André Frénaud, Il n’y a pas de paradis, Gallimard, 1967.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Frénaud André | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré frénaud, il n’y a pas de paradis, 14 gillet, liberté, bastille, droit de l'homme | Facebook |
05/03/2020
André Frénaud, Les Rois mages
La création de soi
Mes bêtes de la nuit qui venaient boire à la surface,
j’en ai harponné qui fuyaient,
je les ai conduites à la maison.
Vous êtes ma chair et mon sang.
Je vous appelle par votre nom, le mien.
Je mange le miel qui fut venin.
J’en ferai commerce et discours, si je veux.
Et je sais que je n’épuiserai pas vos dons,
vermine habile à me cribler de flèches.
André Frénaud, Les Rois mages (1977),
Poésie/Gallimard, 1987, p. 67.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Frénaud André | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré frénaud, les rois mages, la création de soi | Facebook |
06/10/2019
André Frénaud, Hæres
Le grand masque
Le grand masque, il cache
l’escalier sans retour, aboi des chiens d’enfer,
le miroir toujours vide — le roi des masques,
celui qui rit à gorge déployée
au plus fort de la fête.
André Frénaud, Hæres, Gallimard, 1982, p. 232.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Frénaud André | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré frénaud, hæres, le grand masque, enfer | Facebook |
16/06/2019
André Frénaud, Nul ne s'égare
Pour apurer les comptes
Ce n'est rien, donne-moi l'addition, c'est gratuit.
C'est toujours rien, tout est payé, ta vie aussi.
Tout est donné et tout repris. Mais va-t-en donc.
Pourquoi trembler, ou te vanter, t'émerveiller ?
Pourquoi mentir et ressasser, pourquoi rougir ?
Pourquoi vouloir, ou bien valoir ? Pour être qui ?
Ce n'est rien, ce ne fut jamais rien, c'est la vie.
Céder, chanter. Tout vient, s'en va, pourquoi te plaindre
Si le dieu qui n'est pas paie tout ? Mais pourquoi vivre ?
André Frénaud, Nul ne s'égare [1982], précédé de Haeres 1986],
Poésie / Gallimard, 2006, p. 273.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Frénaud André | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré frénaud, nul ne s'égare, pour apurer les comptes | Facebook |
05/04/2019
André Frénaud, La Sainte Face
L’irruption des mots
Je ris aux mots j’aime quand ça démarre,
qu’ils s’agglutinent et je les déglutis
comme cent cris de grenouilles en frai.
Ils sautent et s »appellent, s’éparpillent et m’appellent
et se rassemblent et je ne sais
si c’est Je qui leur réponds ou eux
encore dans un tumulte intraitablement frais
qui vient sans doute de mes profondes lèvres.
là -bas où l’eau du monde m’a donné vie.
Je me vidange quand m’accouchent ces dieux têtards.
Je m’allège et m’accrois par ces sons qui dépassent,
issus d’un au-delà, presque tout préparés.
J’en fais le tour après, enorgueilli,
ne me reconnaissant qu’à peine en ce visage
qu’ils m’ont fait voir et qui parfois m’effraie,
car ce n’est pas moi seul qui par eux me démange.
André Frénaud, La Sainte Face, Poésie/Gallimard, 1985, p. 72.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Frénaud André | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré frénaud, la santé face, mots, désordre, joie | Facebook |
09/02/2019
André Frénaud, Les Rois mages
La vie morte, la vie
À Jean Tardieu
Ma vie morte, ô mon poids fertile,
la rivière qui me conduit,
ma seule part de toute présence,
la consistance de mon défaut,
mon entrave ardemment ourdie,
mon étrave que je maudis,
glacier qui absorbes mes flammes,
néant coloré qui l’inondes,
tache à flanc de si lourde absence,
aqueduc au rebours de l’eau vive,
c’en est assez, ma vie, merci.
Quand me perdrai-je hors de ma vue ?
André Frénaud, Les Rois mages, Poésie /
Gallimard, 1987, p. 160.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Frénaud André | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré frénaud, les rois mages, la vie morte | Facebook |
29/10/2018
André Frénaud, HÆRES, poèmes 1968-1981
Les expressions de la physionomie
Celui qui sans raison prétend au sacrifice,
celui dont les dons ne valent plus,
celui qui s’entête, celui qui écourte,
celui qui fait la roue — qui fait semblant —
celui qui s’est détourné, qui est là encore
quand il sourit sans plus récriminer,
celui qui s’encourage par des billevesées
à défaut de mieux,
celui qui hurle parce qu’il ne sait plus dire,
celui dont le cri s’est étranglé,
celui qui s’entrouvrait à la rumeur
qu’il n’entend plus,
celui-ci, le même,
sous différents jeux de physionomie,
dans la bonne direction décidément,
et qui atermoie, qui atermoie,
conserve-t-il de la bonté, je le voudrais.
André Frénaud, HÆRES, poèmes 1968-1981,
Gallimard, 1982, p. 253.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Frénaud André | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré frénaud, hÆres, poèmes 1968-1981, expressions de la physionomie | Facebook |
31/03/2018
André Frénaud, Il n'y a pas de paradis
À force de s’aimer
À force de s’aimer on ne se connaît plus,
parce qu’il n’existe plus de toi ni de moi
mais un oiseau aveugle immobile sur le vide,
ne chantant pas, irréprochable, rajeunisseur.
L’éclat de son silence répare les fêlures.
Mon amour, mais toi et moi nous devenons vierges !
André Frénaud, Il n’y a pas de paradis, Poésie/Gallimard,
1967, p. 58.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Frénaud André | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré frénaud, il n’y a pas de paradis, à force de s'aimer, moi, toi | Facebook |
20/08/2017
André Frénaud, HÆRES, poèmes 1968-1981
La femme qui pleure de Picasso (1939)
La femme avait si violemment vu le sang
qu’elle en demeure sans larmes,
et ses yeux se trouvèrent tout à coup
dessaisis,
et les seins et le nez et les mains prirent tous
une difformité calamiteuse,
et — si l’on se souvient de ce jour-là —
c’est chacun de nous, qui portions au cœur l’Espagne du peuple,
dont les yeux interdits se désaccordèrent,
morceaux déviés, agrandis,
devant un monde que l’on ne pourrait désormais
fixer.
juin 1981
André Frénaud, HÆRES, poèmes 1968-1981, Gallimard, 1982, p. 240.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Frénaud André | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
02/05/2017
André Frénaud, HÆRES
Les expressions de la physionomie
Celui qui sans raison prétend au sacrifice,
celui dont les dons ne valent plus,
celui qui s’entête, celui qui écourte,
celui qui fait la roue — qui fait semblant —
celui qui s’est détourné, qui est là encore
quand il sourit sans plus récriminer,
celui qui s’encourage par des billevesées
à défaut de mieux,
celui qui hurle parce qu’il ne sait plus dire,
celui dont le cri s’est étranglé,
celui qui s’entrouvrait à la rumeur
qu’il n’entend plus,
celui-ci, le même,
sous différents jeux de physionomie,
dans la bonne direction décidément,
et qui atermoie, qui atermoie,
conserve-t-il de la bonté, je le voudrais.
André Frénaud, HÆRES, Gallimard, 1982, p. 253.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Frénaud André | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré frénaud, hÆres, expressions de la physionomie, unité, dispersion | Facebook |
03/09/2016
André Frénaud, Les Rois mages
Sans amour
Il va sous les végétations de la lumière,
le cœur sans amour.
Le monde se creuse comme la mer.
Le sourire éclatant du désespoir
tiendra-t-il jusqu’à la mort prochaine ?
André Frénaud, Les Rois mages,
Poésie/Gallimard, 1987, p. 82.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Frénaud André | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré frénaud, les rois mages, sans amour, mort, lumière, désespoir | Facebook |
24/04/2016
André Frénaud, La Sainte Face
La femme de ma vie
Mon épouse, ma loyale étoffe,
ma salamandre, mon doux pépin,
mon hermine, mon gros gras jardin,
mes fesses, mes vesses, mes paroles,
mon chat où j’enfouis mes besoins,
ma gorge de bergeronnette.
Ma veuve, mon essaim d’helminthes,
mes boules de pain pour mes mains,
pour ma tripe sur tous mes chemins,
mon feu bleu où je cuis ma haine,
ma bouteille, mon cordial de nuit,
le torchon pour essuyer ma vie,
l’eau qui me lave sans me tacher.
Ma brune ou blanche, ma moitié,
nous n’aurons fait qu’une couleur,
un soleil-lune à tout casser,
à tous les deux par tous les temps,
si un jour je t’avais reconnue.
André Frénaud, La Sainte Face,
Poésie /Gallimard, 1985, p. 61.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Frénaud André | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré frénaud, la sainte face, la femme de ma vie, énumération | Facebook |
18/03/2016
André Frénaud, Il n'y a pas de paradis
Sans amour
L’amour n’a pas peur de moi
Je lui donne ses régals,
de ma vie tout ce qu’il veut.
Je lui fais seule demande :
qu’il ait pitié, qu’il ne m’oublie.
André Frénaud, Il n’y a pas de paradis,
Poésie / Galliamrd, 1962, p. 171.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Frénaud André | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré frénaud, il n'y a pas de paradis, amour, vie, demande | Facebook |
01/01/2016
André Frénaud, Nul ne s’égare, précédé de Hæres
Petite révolutionnaire
Les yeux ardents
provoquant le soleil
qu’elle aimerait mieux caresser,
et la faille mince marquée
sous les embarras du mépris
pour l’homme qui n’est pas grand :
Révolutionnaire
O mon amant,
homme de demain
et peut-être de jamais,
ô front de gloire inexistant,
mon absurde frénésie.
La hache qui cheminait se déploie.
— Je porterai des hardes.
Je chanterai dans les cours avec ma voix.
J’irai sur la grand-route s’il le faut.
Rien ni personne
qui me guérira.
André Frénaud, Nul ne s’égare, précédé de
Hæres, Poésie :Gallimard, 2005, p. 266-267.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Frénaud André | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré frénaud, nul ne s’égare, précédé de hæres, révolution, mépris, homme de demain, chantar | Facebook |
06/10/2015
André Frénaud, Hæres — et : La fin de La Quinzaine littéraire ?
Trouvé dans l’héritage
Initiales
entrelacées
devenues anonymes
sur les draps du lit
d’un défunt amour
Lieu commun
Le champ-les-vaches, la vie-la-mort... À la gaieté !
André Frénaud, Hæres, Gallimard,
1982, p. 153, 168.
Communiqué
La fin de la Quinzaine littéraire ?
Le jeudi 1er octobre, le numéro à venir de La Nouvelle Quinzaine littéraire, journal fondé par Maurice Nadeau en 1966, a été préparé sans la participation de la direction éditoriale, sans que celle-ci soit informée ni du lieu de sa réalisation, ni des textes censés le composer.
Cela fait suite à une succession d’événements qui ont fait exploser la structure du journal. La gérante de la société de la NQL et directrice de la publication, Patricia De Pas, a en quelques jours :
-
- annoncé une restructuration globale du journal et de ses orientations éditoriales ;
-
- évincé la direction éditoriale formée de Jean Lacoste, Pierre Pachet et Tiphaine
Samoyault qui avaient été cooptés par l’ensemble des collaborateurs du journal à la mort de Maurice Nadeau en 2013 ;
-
- annoncé un déménagement imminent (qui n’a de fait pas encore eu lieu) pour imposer des réunions dans des locaux dépendant de l’Université Paris II Assas
-
- mis fin par mail à sa collaboration avec Hugo Pradelle, qui représentait La Nouvelle Quinzaine littéraire à l’extérieur et qui était l’un des seuls postes rémunérés du journal.
Les collaborateurs, réunis en assemblée le 30 septembre, ont fait part à Patricia De Pas de leur inquiétude face à la rapidité et à la violence de ces changements, ont posé des questions sur les nouvelles orientations du journal et ont marqué leur scepticisme face à un projet préparé sans concertation et dans la précipitation. Ils ont réaffirmé leur soutien à la direction collégiale qu’ils ont choisie.
Patricia De Pas, en 2013, avait repris les actifs de la société en faillite de la Quinzaine littéraire. Elle avait pu fonder une nouvelle société dont elle est l’actionnaire majoritaire et dont l’actionnaire minoritaire est la Société représentant les lecteurs ayant répondu à l’appel lancé par Maurice Nadeau juste avant sa mort pour sauver le journal.
Pendant deux ans, Patricia De Pas s’est occupée de la gestion administrative et commerciale de la NQL, qui continuait à être entièrement réalisée par les collaborateurs et la direction éditoriale (tous bénévoles). Elle a marqué depuis quelques jours son intention d’intervenir personnellement dans la ligne éditoriale et les contenus du journal.
La grande majorité des collaborateurs s’apprête à réagir collectivement, moins contre ces projets qui pourraient être discutés, que contre des procédés qui rompent avec les pratiques de collaboration amicale qui les ont réunis autour de Maurice Nadeau au long des années, et avec les promesses de gestion transparente et de respect des règles de droit que Patricia De Pas avait elle-même avancées.
Tiphaine Samoyault, Pierre Pachet, Jean Lacoste