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25/02/2022

Pierre Vinclair, Éléments, dessins Yuka Matsui

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l’eau)

 

L’informe de l’eau

    

                     dans les courbes du désir

 

                                 caprices de l’encre

 

                          °

 

(l’herbe)

 

Plongeant à travers

 

                  le miroir bleu-vert de l’herbe

 

                                     un martin-pêcheur

 

Pierre Vinclair, Éléments, dessins Yuka Matsui, méridianes, 2021, np.

10/06/2012

Jacques Roubaud, Ciel et terre et ciel et terre, et ciel

Jacques Roubaud, Ciel et terre..., l'eau, enfance, garrigue

                       Chapitre 1

 

                Ciel, septembre 1943

 

   Il falalit d'abord franchir le barrage. La retenue d'eau, à l'abandon, en arrière, était envahie d'arbres. La petite rivière se déversait dans le bas, répide, bouillonnante, écumeuse, impétueuse, bordée de roseaux légers. Grâce au barrage, elle était habillée de ronces, de peupliers à l'odeur de miel lourd, de trembles, de frênes, d'aulnes ; feuilles, feuilles vertes ; feuilles déjà jaunes ; feuilles à dessous presque blancs. Un peu plus haut, des arbres, renversés par le vent ou consumés de vieillesse, formaient une sorte de digue : un mur vert, un mur végétal impénétrable. L'eau filtrait à travers ces débris. Elle en sortait toute meringuée d'écume, de libellules, grandes libellules aux yeux de diamant. Les pierres, sur le dessus du barrage, çà et là s'étaient effondrées, disjointes ; couvertes d'herbes, de graminées. Entre elles, des couleuvres d'eau fuyaient en chuintant. Il sautait d'une pierre à l'autre, en espadrilles, restant du côté gauche, du côté de l'eau, par prudence. Il savait nager ; il n'avait pas peur de tomber dans l'eau. Traverser n'était qu'un jeu ; à dix ans, un jeu d'enfant.

   Ensuite commençait la garrigue, son territoire personnel, la tranquillité sans menaces, la solitude, son bien. Personne. Il montait par le sentier dans les poussières, es thyms, les muscaris, les lavandes, les buissons de genièvres, les chênes-lièges nains, les vignes abandonnées, quelques pins. Aux coins des vieilles vignes, des pêchers de vigne, des amandiers aux fruits couverts de fourrure verte et grise, comme des oreilles d'âne. Chemin ponctué d'insectes, de froissements, de lézards. L'appel des chiens et des chasseurs, oin. Les passages de vent. Le continuum des grillons comme un silence protecteur. Sur le sentier son pas faisait jaillir des sauterelles. Elles étaient brunes, comme poussiéreuses. Pendant leurs bonds on voyait se déployer le drapeau de leurs élytres; les unes bleues, les autres rouges.

 

Jacques Roubaud, Ciel et terre et ciel et terre, et ciel, John Constable, Flohic éditions, 1997, p. 7 et 9.