29/04/2011
Johannes Bobrowski, Terre d'ombres fleuves
Der Judenberg
Spinnenreise
weiß, mit rötlichem Sand
stäubte die Erde — Wald,
flechtenhaarig, Tierschrei,
stieß um die Wange ihm, Gras
stach seine Schläfe.
Spät, wenn der Uhu, Sausen
aus hundert Nächten, umherstrich
durch den Schlaf der Geniste,
hob er sich in der Grillen
Schwirrgesträuch, einen fahlen
Mondweg zu sehn, der heraufkam
an die seufzende Eiche, die Greisin, in ihrem
Wurzelgeflecht verging.
Über das Bruch sah er hin.
Jäh, undeutbar, Lichtschein
flog vorüber, diesen
Herzschlag lang ragte wüstes
Schaufelgeweih aus der Finsternis,
zottig, ein tränendes Haupt.
Unter die Hände gepreßt
Zet, unbenannt: die Schwärme,
gelb, die dem Curragh
folgten, tönende Wolken
über der See, die Bienen
folgten dem frommen Vater,
er rührte die Ruder, et sagte :
Ich werde tot sein im grünen Tal.
Le mont des Juifs
Voyage d’araignée,
blanc, la terre se répandait en poussière
de sable rougeâtre — forêt,
comme chevelure de tresses, cri d’animal,
lui heurtait la joue, herbe
piquait ses tempes.
Tard, lorsque le grand duc, bruissement
de cent nuits, traversait
le sommeil des genêts,
il se levait dans le hallier frémissant
des grillons pour voir un
blême chemin de lune qui montait
dans l’entrelacs des racines.
Il regardait par-delà le marécage.
Abrupt, indistinct, un reflet de lumière
le frôlait de son vol, le temps de ce
battement de cœur une sauvage
empaumure émergea des ténèbres,
hérissée, tête larmoyante.
Pressé entre les mains
le temps, non nommé : les essaims
qui, jaunes, suivaient
Curragh, nuées grondantes
au-dessus du lac, les abeilles
suivaient le pieux père,
il remuait les rames, il disait :
Je serai un mort dans la verte vallée.
Johannes Bobrowski, Terre d’ombres fleuves, traduit de l’allemand par Jean-Claude Schneider, Atelier La Feugraie, 2005, p. 84-87.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : johannes bobrowski, jean-claude schneider, le mont des juifs | Facebook |
24/04/2011
Horace, Odes, I, 5, traductions François Lallier, John Milton
Quis multa gracilis te puer in rosa
perfusus liquidis urget odoribus
grato, Pyrrha, sub antro ?
cui flauam religas comam,
simplex munditiis ? heu quotiens fidem
mutatosque deos flebit et aspera
nigris aequora uentis
emirabitur insolens,
qui nunc te fruitur credulus aurea,
qui semper uacuam, semper amabilem
sperat, nescius aurae
fallacis. Miseri, quibus
intemptata nites. Me tabula sacer
uotiua paries indicat uuida
suspendisse potenti
uestimenta maris deo.
Horace, Odes, I, 5
Quel est ce mince garçon parmi les roses,
Qui te presse, inondé de parfums
Pyrrha, sous une grotte charmante,
Et pour qui tu dénoues ta blonde chevelure
Avec une élégante simplicité ?
Hélas, combien de fois
Pleurera-t-il les dieux et ton amour changeants
Et, novice au naufrage, s’étonnera-t-il
Du flot qu’agitent les vents noirs,
Celui qui sans méfiance jouit en ce jour de ton corps lumineux,
Et croit que tu seras toujours vacante, et prête
À aimer, ignorant le vent trompeur ?
Malheur à ceux pour qui tu brilles, intouchée !
Une planche, sur la paroi sainte, proclame
Votive que j’ai pendu là mes habits trempés,
En l’honneur du puissant dieu des mers.
Traduction de François Lallier, dans Vita poetica, éditions L’Arbre à paroles, 2010, p. 118.
What slender youth, bedew’d with liquid odors,
Courts thee on roses in some pleasant cave,
Pyrrha? For whom bind’st thou
In wreaths thy golden hair,
Plain in thy neatness? O how oft shall he
Of faith and changed gods complain, and seas
Rough with black winds, and storms
Unwonted shall admire!
Who now enjoys thee credulous, all gold,
Who, always vacant, always amiable
Hopes thee, of flattering gales
Unmindful. Hapless they
To whom thou untried seem’st fair. Me, in my vow’d
Picture, the sacred wall declares to have hung
My dank and dropping weeds
To the stern god of sea.
Traduction de John Milton (1608-1674), dans Poems, etc, Upon Several Occasions, 1673.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : horace, pyrrha, ode, françois lallier, john milton | Facebook |
23/04/2011
Georg Trakl, Deux poèmes
Crépuscule du matin en été
Dans l’éther vert scintille brusquement une étoile
Et ceux de l’hôpital flairent le matin.
Cachée dans le buisson, la grive lance ses notes ivres
Et les cloches d’un couvent donnent rêveuses et lointaines.
Une statue se dresse sur la place, solitaire et svelte,
Et dans les cours émergent de rouges coussins de fleurs.
L’air autour des balcons de bois tremble de chaleur
Et des mouches s’affolent sans bruit autour de la puanteur.
Le rideau d’argent, là, devant la fenêtre, cache
Des membres enlacés, des lèvres, des seins tendres.
Des coups de marteau résonnent dans les échafaudages du clocher
Et la lune dépérit, blanche, au firmament.
Un accord de rêve, spectral, s’affaiblit
Et des moines sortent par le porche de l’église
Et s’avancent perdus dans l’infini.
Une cime claire dans le ciel s’élève.
Déclin
Au-dessus de l’étang blanc
Les oiseaux sauvages ont émigré.
Au soir souffle de nos étoiles un vent glacial.
Au-dessus de nos tombes
Se courbe le front brisé de la nuit.
Sous des chênes nous berce une barque d’argent.
Toujours sonnent les murs blancs de la ville.
Sous des voûtes de ronces
Ô mon frère nous gravissons, aiguilles aveugles, vers le minuit.
Georg Trakl, Œuvres complètes, traduites de l’allemand par Marc Petit et Jean-Claude Schneider, Gallimard, 1972, p. 334 et 111.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : georg trakl, crépuscule, déclin | Facebook |
22/04/2011
Philippe Beck, Chants populaires
Chaque poème ou chant populaire s’inspire ici d’un conte « noté » par les Grimm.[…] Les Chants populaires dessèchent des contes, relativement. Ou les humidifient à nouveau. Par un chant objectif. Un conte est de la matière chantée ancienne, intempestive et marquante, à cause d’une généralité. (Philippe Beck, Avertissement, p. 7 et 9).
18. Faille
Tailleur a un fils,
né petit.
Petit Relatif.
Petit-Poucet est variété
de Tom.
Ce sont deux rhumains.
Des coupes.
Tailleur a aussi du cœur
au ventre.
Plus que beaucoup.
Il s’en va pour connaître le monde.
Ce qui s’appelle du monde.
Mère cuisine un adieu.
Avec rivière.
Il va à la cheminée,
couloir vertical
de terre privée à commencement
de ciel.
Vapeur qui monte du bouillon
le lance en haut. Il monte dans les airs
sur la vapeur
et redescend à terre.
Il est au milieu de Monde.
Dans le Grand Extérieur.
À Publicité et Possibilité.
Il commence un voyage.
Soucis divins disparaissent
pour l’instant.
Il va droit devant.
Il est dans la grande forêt,
image de l’Ensemble Menaçant.
Elle a des failles.
Comme une porte.
C’est une grille.
Et une chambre d’or.
Les écus sont comme des appelants
Appelants inconnus ?
Ou des communiqués de chasse ?
Ils manquent comme des pommes comptées.
Les écus dansent et font
cling ! cling ! cling !
Petit va dans les brèches,
les fentes de monde,
et prend.
Fentes d’opéra ?
Il prend quoi ?
Derrière une pièce qui brille,
Il dit « Hé ! hé ! »,
« Ho ! ho ! » ou « Ohé ! ».
Il est ailleurs, et ailleurs.
Successivement.
Héros qui apparaît.
Il va au monde. Indéfiniment.
Une bête le prend dedans.
Il est dans la nuit de monde.
Il a peur.
Il est dans la noire.
Au milieu de chair qui a des mouvements.
Il passe dans l’intervalle des coups.
À l’usine de nuit.
Danger donne le nerf
et le muscle.
Il reste à l’Ensemble de Viande.
Vivant élément.
Ou Chair de Marionnette curieuse.
Jungle ou Manège Menaçant.
Avec des souffles d’enfer.
Il y danse énergiquement.
Maison provisoire est en mouvement.
C’est l’hiver. Il sort la tête
d’un monde sombre et vivant.
Dehors alimente le souvenir
de danse et des vapeurs
mélancoliques.
Souvenir d’Usine Dedans.
D’après « Le voyage du Petit-Poucet »
Philippe Beck, Chants populaires, Poésie / Flammarion, 2007, p. 62-64.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philippe beck, chants populaires, grimm, petit-poucet | Facebook |
21/04/2011
Henri Cole, Terre médiane (traduction Claire Malroux)
Mask
I tied a paper mask into my face,
my lips almost Inside its small red mouth.
Turning my head to the left, to the right,
I looked like someone I once knew, or was,
with straight white teeth and boyish bangs.
My ordinary life had come as far as it would,
like a silver arrow hitting cypress.
Know your place or you’ll rue it, I sighed
to the mirror. To succeed, I’d done things
I hated ; to be loved, I’d competed promiscuously :
my essence seemed to boil down to only this.
Then I saw ma own hazed irises float up,
like eggs clinging to a water plant,
seamless and clear, in an empty pondlike face.
Masque
J’ai attaché un masque en papier sur mon visage,
mes lèvres presque au-dedans de sa petite bouche rouge.
Tournant la tête à gauche, à droite,
je ressemblais à quelqu’un que j’avais connu, ou été,
aux dents blanches bien droites, aux boucles juvéniles.
Ma vie ordinaire avait suivi son cours attendu,
comme une flèche d’argent se plante dans un cyprès.
Reste à ta place ou tu t’en repentiras, ai-je murmuré
au miroir. Pour réussir, j’avais fait des choses
que je détestais ; pour être aimé, j’avais rivalisé de promiscuité ;
mon essence semblait se réduire seulement à cela.
Puis j’ai vu mes iris noisette monter à la surface,
comme des œufs accrochés à une plante aquatique,
lisses et clairs, dans un visage vide, un visage d’étang.
Henri Cole, Terre médiane, édition bilingue, traduction de l’anglais (États-Unis) et présentation par Claire Malroux, Le Bruit du Temps, 2011, p. 86-87.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : henri cole, claire malroux, terre médiane, le bruit du temps, masque | Facebook |
19/04/2011
Jean Ristat, Le théâtre du ciel, Une lecture de Rimbaud
E blanc
Scène 1
La mort couche dans mon lit elle a les dents blanches
Patauger dans la nuit appelle-t-on cela
Vivre O dans ma bouche l’ancolie amère
Des jours anciens mon vieux Verlaine rien ne sert
De pleurer au temps des souvenirs la partie
Est déjà perdue tu n’avais pas su le
Retenir il courait plus vite que le vent
Amants de la mort qu’attendiez-vous de la vie
Il n’aurait fallu qu’un mot peut-être à ta lèvre
Dolente et non le chapelet à l’angélus
Ah l’ordre comme un petit serpent fourbe arrive
Toujours quad le clocher sonne douze au clair de
Lune le christ O vieille démangeaison
Pauvre lélian habité par un fantôme à
La jambe de bois l’autre en toi O moulin à
Prières
Scène 2
Que cherchais-tu en franchissant le saint-gothard
À demi enseveli dans la neige quelle
Porte par où t’enfuir encore et toujours
O toi l’ébloui sans sommeil dévoré par
Les mouches du rêve et que l’éclair divise à
Jamais hagard comme le faucon
Scène 3
Elle venait sans que j’y prenne garde à pas
De loup et ce cœur en moi s’usait peu à peu
À battre la chamade je ne l’avais pas
Reconnue tant son visage était pâle et
Ressemblait à s’y méprendre à la blanche nuit
Ses regards enjôleurs me grisaient doucement
O comme elle était tendre lorsqu’elle voulut
Me prendre par surprise au petit matin calme
J’aurais pu te quitter sans avoir baisé ta
Bouche tandis qu’à m’étreindre elle buvait mon
Sang O la camarde ma camarade attends
Encore un peu je n’ai pas fini d’inventer
Pour lui les mots du nouvel amour
Jean Ristat, Le théâtre du ciel, Une lecture de Rimbaud, Gallimard, 2009, p. 39-41.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean ristat, le théâtre du ciel, une lecture de rimbaud | Facebook |
17/04/2011
Jaromír TYPLT, Ce murmure insistant... (traduction C. Tanet et J. Typlt)
To naráží řeč
Ležím
na podloží
sotva slyšitelných
drnčení a hukotů.
Sotva slyšitelných,
ale vytrvalých. Prosazují se
a odspodu do mě vnikají,
přenášejí se na mě, lehce,
ale velmi velmi lehce
mě
pobolívají.
Jako by něco drhlo
mezi stropem a podlahou,
někde tam, kde se od sebe ještě nedají rozeznat.
Zvlášť to vysoké,
málem až jasné,
chvílemi přerušované
chvění.
To naráží řeč.
Asi spolu o patro níž mluví ženské.
Ce murmure insistant
Je suis allongé
sur une couche
de vibrations et de bruissements
à peine audibles.
À peine audibles
mais continus. Ils forcent le chemin,
me pénètrent par en-dessous,
me rabotent, doucement
mais très, très doucement
me
blessent.
Comme si quelque chose se frayait
un passage
entre plancher et plafond,
dans un entre-deux.
Surtout ce frémissement
sonore,
presque clair,
parfois discontinu.
Ce murmure insistant,
comme un bavardage féminin venant d’en bas.
Jaromír Typlt, To naráží řeč, in revue Souvislosti, 01/2009 ; repris dans anthologie Nejlepší české básně 2009 ("Les meilleurs poèmes tchèques 2009"), édition Host, Brno 2010. ©Traduction inédite Chantal Tanet, avec le concours de l'auteur.
Jaromír Typlt (né en 1973 à Nova Paka, Bohème), après des études de philosophie à Prague, s’est installé à Liberec où il a tenu une galerie d’art contemporain et de photographie jusqu’en 2010. Son œuvre littéraire, menée parallèlement et publiée à partir de 1991, fait alterner prose et poésie. En 1994, il reçoit le prix Jirí Orten qui récompense les jeunes auteurs.
Avec des artistes comme Jan Měřička, il crée aussi des livres-objets (že ne zas až, 2003). Il publie également des essais critiques sur des écrivains et des artistes tchèques. À partir de 1999, il développe la « lecture mutante d’auteur », fondée sur des voix enregistrées, les rythmes de la langue, et aussi sur des objets trouvés et des mouvements scéniques. (À écouter : stáhnout mp3 )
Les premières traductions françaises de Jaromír Typlt ont été réalisées par Jérôme Boyon. Voir : http://www.typlt.cz/index.php?content=poesie-fr
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jaromir typlt, poésie tchèque, murmure, chantal tanet | Facebook |
16/04/2011
Guennadi Aïgui, Dernier ravin
Dernier ravin
(Paul Celan)
à Martine Broda
Je monte ;
ainsi, en marche,
un temple
se construit.
Vent de fraternité, — et nous, en ce nuage :
moi ( et un mot inconnu,
comme hors de mon esprit) et l’armoise (cette amertume inquiète
qui près de moi m’enfonce
ce mot)
armoise.
Argile,
sœur.
Et, de tous les sens, le seul étant, inutile-essentiel,
là (dans ces mottes tuées),
comme un nom inutile. Ce
mot-là me tachant, lorsque je monte
dans la très simple (comme un feu) illumination,
pour se marquer — marque dernière au lieu
de la cime ; elle —
vide (tout est déjà donné)
visage : comme un lieu sans-douleur
dans un surplomb — un au-dessus l’armoise
(…
Et
la forme
resta
inaperçue
…)
et le nuage :
plus aveugle qu’acier (une-arme-non-visage)
le fond — inerte ; la lumière
comme jaillie d’une pierre béante.
Toujours plus
haut.
Guennadi Aïgui, Hors-commerce Aïgui, textes réunis et traduits par André Markowicz, Le Nouveau Commerce, 1993, p. 99-100.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : guennadi aïgui, ernier ravin, paul celan, martine broda | Facebook |
14/04/2011
Claude Simon, Le tramway
… Personne ne ramassait les olives tombées de l’arbre et dont les pulpes écrasées parsemaient de taches noires les trois marches de brique par lesquelles, tournant brusquement à droite, se terminait la première rampe du sentier bordé de ces buissons d’un bleu pâle, personne non plus, sauf les enfants, ne faisait attention aux figues trop mûres, à la peau ratatinée et ridée, presque noire, à la chair éclatée, pourpre, granuleuse et sucrée, éparpillées quelques mètres plus loin parmi les touffes d’herbe encore vertes du pré roussi par l’été et qu’il fallait dans l’odorant et lourd parfum des feuilles disputer aux fourmis. Au bout de l’allée bordée de mûriers, le tramway s’arrêtait au pied du grand pin parasol dont le tronc penché par le vent, presque couché à sa base, était recouvert non pas exactement d’écorce mais d’épaisses écailles encastrées l’une dans l’autre en losanges, d’un gris soyeux, légèrement teinté de rose en leur centre et bordées d’un rugueux bourrelet brun. Entre deux d’entre elles sourdait en permanence une coulée de résine qui formait d’abord une grosse bulle, à peu près de la taille d’une groseille, d’un jaune d’or étincelant au soleil et dont la base se couvrait d’une sorte de taie avant de finir par s’écouler en une longue traînée de larmes grises, peu à peu blanchâtre, comme une fiente d’oiseau.
Claude Simon, Le tramway, les éditions de Minuit, 2001, p. 139-140.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : claude simon, tramway, olive, figue | Facebook |
12/04/2011
Aurélie Loiseleur, Entrées en matière
Entrées en corps
[…]
Qui est mal dans sa peau qu’il se gratte : ça desquame.
Jambes mâchent.
Démarrage de la souffrance pavoisée de fleurs rougies par grand froid : mourir le démange. Mauvais vouloir
avec des lentes illusions qui le grouillent.
Sa main intenable.
Il vint : virus.
Avoir tant cru en son profil borgne qu’il révèlerait
L’autre côté donne froid : partager savoir la mort à l’œuvre dans ce
qu’elle couche.
Terre contaminée évolue en théâtre : acteur d’extrême bord
de scène tombe au rang de spectateur connaît tous ses trucs d’avoir déjoué ses rôles.
Comme il se glisse du monde trop lâche.
Se dépecer de ses pensées : impossible
Jambes hachent.
Le harcèlent graissées par grande halte à se quitter.
Pays d’apparence somnolent se dérobe sous lui.
Qui en remontre à son écorché (surnu) s’ose plus qu’obscène : suicidé.
Atteinte de porose : monde l’entre
mange
peau est pont
passant dans son perméable idées s’interposent elle
pense avec ses sens.
Trouvée au pied des montagnes
de son corps dénudé en statue se ronge le devenir
universel.
Dort à la merci du monde craint
L’épidermie se déclare.
Qui rêve en non-langue
c’est dur à discourir : chien mis à errer
lui donne à dévorer son reste.
Concepts calcifiés.
Balle tête pansue.
Ciel se déverse en vase.
Arbres tètent leurs reflets au fleuve de marbre.
Aurélie Loiseleur, Entrées en matières, éditions NOUS, 2010, p. 38-39.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Mandelstam Ossip | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : aurélie loiseleur, entrées en matière, corps | Facebook |
11/04/2011
Cesare Pavese, Travailler fatigue (Lavorare stanca)
La putana contadina
La muraglia di fronte che accieca il cortile
ha sovente un riflesso di sole bambino
che ricorda la stalla. E la camera sfatta
e deserta al mattino quando il corpo si sveglia,
sa l’odore del primo profumo inesperto.
Fino il corpo, intrecciato al lenzuolo, è lo stresso
dei primi anni, che il cuore balzava scoprendo.
Ci si sveglia deserte al richiamo inoltrato
del mattino e riemerge nella greve penombra
l’abbandono di un altro risveglio : la stalla
dell’infanzia e la greve stanchezza del sole
coloroso sugli usci indolenti. Un profumo
impregnava leggero il sudore consueto
dei capelli, e le bestie annusavano. Il corpo
si godeva furtivo la carezza del sole
insinuante e pacata come fosse un contatto.
L’abbandono del letto attutisce le membra
stese giovani e tozze, come ancora bambine.
la bambina inesperta annusava il sentore
del tabacco e del fieno e tremava al conttato
fuggitivo dell’uomo : le piaceva giocare.
Qualche volta giocava distesa con l’uomo
dentro il fieno, ma l’uomo non fiutava i capelli :
le cercava nel fieno le membra contratte,
le fiaccava, schiacciandole come fosse suo padre.
Il profumo eran fiori pestati sui sassi.
Molte volte ritorna nel lento risveglio
quel disfatto sapore di fiori lontani
e di stalla e di sole. Non c’è uomo che sappia
la sottile carezza di quelle’acre ricordo.
Non c’è uomo che veda oltre il corpo disteso
quell’infanzia trascorsa nell’ ansia inesperta.
La putain paysanne
Le grand mur qui est en face et clôture la cour
a souvent des reflets d’un soleil enfantin
qui rappellent l’étable. Et la chambre en fouillis
et déserte au matin, quand le corps se réveille,
sait l’odeur du premier parfum gauche.
Même le corps enroulé dans le drap est pareil à celui
des premières années, que le cœur bondissant découvrait
On s’éveille déserte à l’appel prolongé
du matin et dans la lourde pénombre resurgit
la langueur d’un autre réveil : l’étable
de l’enfance et le soleil ardent pesant las
sur les seuils indolents. Léger,
un parfum imprégnait la sueur coutumière
des cheveux, et les bêtes flairaient. Le corps
jouissait furtivement de la caresse du soleil
insinuante et paisible comme un attouchement.
La langueur du lit engourdit les membres étendus,
jeunes et trapus, presqu’encore enfantins.
L’enfant gauche flairait les senteurs
du tabac et du foin et tremblait au contact
fugitif de l’homme : elle aimait bien jouer.
Quelquefois elle jouait étendue dans le foin
avec un homme, mais il ne humait pas ses cheveux :
il cherchait dans le foin ses membres contractés,
puis il les éreintait, les brisant comme l’eût fait son père.
Comme parfum, des fleurs écrasées sur les pierres.
Bien souvent, pendant le long réveil
revient cette saveur sure des fleurs lointaines,
d’étable et de soleil. Aucun homme ne sait
la subtile caresse de cet âcre souvenir.
Aucun homme ne voit par-delà le corps étendu
cette enfance passée dans une attente gauche.
Cesare Pavese, Travailler fatigue [Lavorare stanca], édition bilingue, traduit de l’italien par Gilles de Van, Gallimard, 1962, p. 104-107.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cesare pavese, travailler fatigue, putain paysanne | Facebook |
09/04/2011
Claude Chambard, Carnet des morts
Les feuilles sont mortes sur votre tombeau,
grand-père que je ne connais,
élevé dans la forêt la hache dans les deux poings,
Perdu dans les rues des villes,
pleurant le départ des enfants,
& la femme morte trop jeune.
Où serions-nous allés ?
Qu’auriez-vous montré à l’infans ?
Vous seriez-vous battu avec Grandpère ?
Ou de votre air doux auriez-vous dit :
— Je vais partir, je ne vous gênerai plus.
Longue silhouette de dos
disparaissant après le virage du pont.
À pied toujours, cinq kilomètres vers l’autre village
où même la ferme ne vous appartient plus,
dévorée par la fratrie infectée.
Car l’adieu c’est la nuit.
La langue, la voix impossible.
Le nom est un silence. On ne peut en compter les syllabes.
Ce n’est pas la mort, ce n’est pas la vie.
Un rêve, les mains jointes, près du coffret où s’entassent les
lettres perdues.
Une longue marche — toujours vivant —
sans me soucier des murs
ni du tunnel
ni du balancier des heures.
Claude Chambard, Carnet des morts, Coutras, Le bleu du ciel, 2011, p. 55-56.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : claude chambard, carnet des morts | Facebook |
08/04/2011
Martial, Epigrammes, Livre X, 47 : traduction et adaptation
Ad Julium Martialem
Vitam quæ faciunt beatiorem,
Jucundissime Martialis, hæc sunt :
Res non parta labore, sed relicta ;
Non ingratus ager, focus perennis,
Lis numquam, toga rara, mens quieta,
Vires ingenuæ, salubre corpus,
Prudens simplicitas, pares amici,
Convictus facilis, sina arte mensa ;
Nox non ebria, soluta curis ;
Non tristis torus, attamen pudicus ;
Somnus, qui faciat breves tenebras ;
Quod sis, esse velis, nihilque malis ;
Summum nec metuas diem, nec optes.
Martial, Œuvres complètes, trad.. de V. Verger, N-A. Dubois et J. Mangeat, revue par F. Lemaistre et N.-A. Dubois, Livre X, 47, Garnier, 1864, p. 138.
À Jules Martial
Voilà, mon cher Martial, ce qui fait la vie heureuse :une fortune acquise sans peine et par héritage ; un champ qui rapporte ; un foyer qui toujours brûle ; point de procès ; peu d’affaires ; la tranquillité de l’esprit ;un corps suffisamment vigoureux, une bonne santé ; une simplicité bien entendue ; des amis qui soient nos égaux ; des relations agréables ; une table sans faste ; des nuits sans ivresse et libres d’inquiétude ; un lit où il y ait place pour la gaieté et pour la pudeur à la fois ; un sommeil qui abrège la durée des ténèbres ; être content de ce que l’on est et ne rien désirer de plus ; attendre son denrier jour sans crainte comme sans impatience.
Traduction de Charles-Joseph Panckouke (1736-1798), dans Sept études publiées à l’occasion du 4ème centenaire du célèbre imprimeur anversois Christophe Plantin, Bruxelles, Musée du Livre, 1920, p. 58.
Veux-tu savoir que peut faire la vie heureuse,
Folastre d’Aubigné ? Ce sont les points icy:
Des biens non pas acquis, mais trouvez sans souci ;
Bonne chere, beau feu, la terre fructueuse ;
Point de procès, de noise, avoir l’âme joieuse,
Le cors dispos, qui n’est trop maigre ou trop farcy ;
N’estre point cauteleux, ni point niais aussi,
Avoir pareilz amis, table délicieuse,
Sans crainte, sans soupçon, en sa bourse un escu,
Belle femme gaillarde et n’estre pas cocu,
Un dormir sans ronfler, un repos sans se feindre,
Qui fasse la nuict courte et contente les yeux,
Estre ce que tu veux, n’affecter rien de mieux,
Ne desirer la mort, & la fuir sans la craindre.
Aggripa d’Aubigné, Œuvres complètes, accompagnées de notices biographique, littéraireet bibliographique […] par Eugène Réaume & de Caussade, tome 3, Paris, Alphonse Lemerre, 1874, p. 246.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : martial, panckoucke, d'aubigné, épigramme | Facebook |
07/04/2011
Georges Perros, Poèmes bleus
Ces envies de vivre qui me prennent
Et cette panique, cette supplication
Cette peur de mourir
Alors que je n’ai pas encore vécu
Et que dans ces moments
J’ai ma vie sur ma langue
Il me semble que ça va être possible, enfin
Que je vais y aller d’une grande respiration
Que je vais avaler le soleil et la lune
Et la terre et le ciel et la mer
Et tous les hommes mes amis
Et toutes les femmes mes rêves
D’un seul grand coup
De poitrine éclatée
Quitte à en mourir, oui,
Mais pour de bon
Pas de cette mort ridicule
Déshonorante, inutile,
Qui accuse la parodie
Qui accuse le défaut
De ce qu’on appelle la vie
Sans trop savoir de quoi nous parlons.
On se renseigne auprès des autres
On leur pose des tas de questions
Avec cette hypocrisie de bonne société
On marque des points en silence
Ils souffrent autant que nous, tant mieux
On se dit même
Qu’on est un peu plus vivants qu’eux
O l’horreur
Et la fragilité
De nos amours.
Georges Perros, Poèmes bleus, Gallimard, Le Chemin, 1962, p. 129-130.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : georges perros, poèmes bleus | Facebook |
06/04/2011
William Butler Yeats, Symboles
Symbols
A storm-beaten old watch-tower,
A blind ermit rings the hour.
All-destroying sword-blade still
Carried by the wandering fool.
Gold-sewn silk on the sword-blade,
Beauty and fool together laid.
Symboles
Une vieille tour de guet battue par les tempêtes,
Un ermite aveugle sonne l’heure.
La lame d’une épée destructrice
Que porte encore le fou qui vagabonde
De la soie brodée d’or sur la lame,
La belle et le fou couchés côte à côte.
William Butler Yeats, L’escalier en spirale et autres poèmes [The Winding Stair and Other Poems], présenté, annoté et traduit par Jean-Yves Masson, Verdier, 2008, p. 40-41.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : yeats, symbole, jean-yves masson | Facebook |