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29/04/2011

Johannes Bobrowski, Terre d'ombres fleuves

 

Bobrowski Johannes His tFoto Roger Melis 600dpi.jpg

 

             Der Judenberg

 

Spinnenreise

weiß, mit rötlichem Sand

stäubte die Erde — Wald,

flechtenhaarig, Tierschrei,

stieß um die Wange ihm, Gras

stach seine Schläfe.

 

Spät, wenn der Uhu, Sausen

aus hundert Nächten, umherstrich

durch den Schlaf der Geniste,

hob er sich in der Grillen

Schwirrgesträuch, einen fahlen

Mondweg zu sehn, der heraufkam

an die seufzende Eiche, die Greisin, in ihrem

Wurzelgeflecht verging.

 

Über das Bruch sah er hin.

Jäh, undeutbar, Lichtschein

flog vorüber, diesen

Herzschlag lang ragte wüstes

Schaufelgeweih aus der Finsternis,

zottig, ein tränendes Haupt.

 

Unter die Hände gepreßt

Zet, unbenannt: die Schwärme,

gelb, die dem Curragh

folgten, tönende Wolken

über der See, die Bienen

folgten dem frommen Vater,

er rührte die Ruder, et sagte :

Ich werde tot sein im grünen Tal.

 

 

             Le mont des Juifs

 

Voyage d’araignée,

blanc, la terre se répandait en poussière

de sable rougeâtre — forêt,

comme chevelure de tresses, cri d’animal,

lui heurtait la joue, herbe

piquait ses tempes.

 

Tard, lorsque le grand duc, bruissement

de cent nuits, traversait

le sommeil des genêts,

il se levait dans le hallier frémissant

des grillons pour voir un

blême chemin de lune qui montait

dans l’entrelacs des racines.

 

Il regardait par-delà le marécage.

Abrupt, indistinct, un reflet de lumière

le frôlait de son vol, le temps de ce

battement de cœur une sauvage

   empaumure émergea des ténèbres,

   hérissée, tête larmoyante.

 

  Pressé entre les mains

  le temps, non nommé : les essaims

  qui, jaunes, suivaient

  Curragh, nuées grondantes

  au-dessus du lac, les abeilles

  suivaient le pieux père,

  il remuait les rames, il disait :

  Je serai un mort dans la verte vallée.

 

 Johannes Bobrowski, Terre d’ombres fleuves, traduit de l’allemand par Jean-Claude Schneider, Atelier La Feugraie, 2005, p. 84-87.

24/04/2011

Horace, Odes, I, 5, traductions François Lallier, John Milton

Horace, Pyrrha, Ode, François Lallier, John Milton

Quis multa gracilis te puer in rosa

perfusus liquidis urget odoribus

grato, Pyrrha, sub antro ?

cui flauam religas comam,

simplex munditiis ? heu quotiens fidem

mutatosque deos flebit et aspera

nigris aequora uentis

emirabitur insolens,

qui nunc te fruitur credulus aurea,

qui semper uacuam, semper amabilem

sperat, nescius aurae

fallacis. Miseri, quibus

intemptata nites. Me tabula sacer

uotiua paries indicat uuida

suspendisse potenti

uestimenta maris deo.

 

Horace, Odes, I, 5

 

Quel est ce mince garçon parmi les roses,

Qui te presse, inondé de parfums

Pyrrha, sous une grotte charmante,

Et pour qui tu dénoues ta blonde chevelure

Avec une élégante simplicité ?

 

Hélas, combien de fois

Pleurera-t-il les dieux et ton amour changeants

Et, novice au naufrage, s’étonnera-t-il

Du flot qu’agitent les vents noirs,

Celui qui sans méfiance jouit en ce jour de ton corps lumineux,

Et croit que tu seras toujours vacante, et prête

À aimer, ignorant le vent trompeur ?

 

Malheur à ceux pour qui tu brilles, intouchée !

Une planche, sur la paroi sainte, proclame

Votive que j’ai pendu là mes habits trempés,

En l’honneur du puissant dieu des mers.

 

Traduction de François Lallier, dans Vita poetica, éditions L’Arbre à paroles, 2010, p. 118.

 

 

What slender youth, bedew’d with liquid odors,

Courts thee on roses in some pleasant cave,

                                     Pyrrha? For whom bind’st thou

                                     In wreaths thy golden hair,

Plain in thy neatness? O how oft shall he

Of faith and changed gods complain, and seas

                                     Rough with black winds, and storms

                                     Unwonted shall admire!

Who now enjoys thee credulous, all gold,

Who, always vacant, always amiable

                                     Hopes thee, of flattering gales

                                     Unmindful. Hapless they

To whom thou untried seem’st fair. Me, in my vow’d

Picture, the sacred wall declares to have hung

                                    My dank and dropping weeds

                                     To the stern god of sea.

 

Traduction de John Milton (1608-1674), dans Poems, etc, Upon Several Occasions, 1673.

 

 

 


23/04/2011

Georg Trakl, Deux poèmes

  

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             Crépuscule du matin en été

Dans l’éther vert scintille brusquement une étoile
Et ceux de l’hôpital flairent le matin.
Cachée dans le buisson, la grive lance ses notes ivres
Et les cloches d’un couvent donnent rêveuses et lointaines.

Une statue se dresse sur la place, solitaire et svelte,
Et dans les cours émergent de rouges coussins de fleurs.
L’air autour des balcons de bois tremble de chaleur
Et des mouches s’affolent sans bruit autour de la puanteur.

Le rideau d’argent, là, devant la fenêtre, cache
Des membres enlacés, des lèvres, des seins tendres.
Des coups de marteau résonnent dans les échafaudages du clocher
Et la lune dépérit, blanche, au firmament.

Un accord de rêve, spectral, s’affaiblit
Et des moines sortent par le porche de l’église
Et s’avancent perdus dans l’infini.
Une cime claire dans le ciel s’élève.


             Déclin

Au-dessus de l’étang blanc
Les oiseaux sauvages ont émigré.
Au soir souffle de nos étoiles un vent glacial.

Au-dessus de nos tombes
Se courbe le front brisé de la nuit.
Sous des chênes nous berce une barque d’argent.

Toujours sonnent les murs blancs de la ville.
Sous des voûtes de ronces
Ô mon frère nous gravissons, aiguilles aveugles, vers le minuit.

Georg Trakl, Œuvres complètes, traduites de l’allemand par Marc Petit et Jean-Claude Schneider, Gallimard, 1972, p. 334 et 111.

22/04/2011

Philippe Beck, Chants populaires

 

Philippe Beck, Chants populaires, Grimm, Petit-PoucetChaque poème ou chant populaire s’inspire ici d’un conte « noté » par les Grimm.[…] Les Chants populaires dessèchent des contes, relativement. Ou les humidifient à nouveau. Par un chant objectif. Un conte est de la matière chantée ancienne, intempestive et marquante, à cause d’une généralité. (Philippe Beck, Avertissement, p. 7 et 9).

 

                                           18. Faille

 

Tailleur a un fils,

né petit.

Petit Relatif.

Petit-Poucet est variété

de Tom.

Ce sont deux rhumains.

Des coupes.

Tailleur a aussi du cœur

au ventre.

Plus que beaucoup.

Il s’en va pour connaître le monde.

Ce qui s’appelle du monde.

Mère cuisine un adieu.

Avec rivière.

Il va à la cheminée,

couloir vertical

de terre privée à commencement

de ciel.

Vapeur qui monte du bouillon

le lance en haut. Il monte dans les airs

sur la vapeur

et redescend à terre.

Il est au milieu de Monde.

Dans le Grand Extérieur.

À Publicité et Possibilité.

Il commence un voyage.

Soucis divins disparaissent

pour l’instant.

Il va droit devant.

Il est dans la grande forêt,

image de l’Ensemble Menaçant.

Elle a des failles.

Comme une porte.

C’est une grille.

Et une chambre d’or.

Les écus sont comme des appelants

Appelants inconnus ?

Ou des communiqués de chasse ?

Ils manquent comme des pommes comptées.

Les écus dansent et font

cling ! cling ! cling !

Petit va dans les brèches,

les fentes de monde,

et prend.

Fentes d’opéra ?

Il prend quoi ?

Derrière une pièce qui brille,

Il dit « Hé ! hé ! »,

« Ho ! ho ! » ou « Ohé ! ».

Il est ailleurs, et ailleurs.

Successivement.

Héros qui apparaît.

Il va au monde. Indéfiniment.

Une bête le prend dedans.

Il est dans la nuit de monde.

Il a peur.

Il est dans la noire.

Au milieu de chair qui a des mouvements.

Il passe dans l’intervalle des coups.

À l’usine de nuit.

Danger donne le nerf

et le muscle.

Il reste à l’Ensemble de Viande.

Vivant élément.

Ou Chair de Marionnette curieuse.

Jungle ou Manège Menaçant.

Avec des souffles d’enfer.

Il y danse énergiquement.

Maison provisoire est en mouvement.

C’est l’hiver. Il sort la tête

d’un monde sombre et vivant.

Dehors alimente le souvenir

de danse et des vapeurs

mélancoliques.

Souvenir d’Usine Dedans.

 

D’après « Le voyage du Petit-Poucet »

 

Philippe Beck, Chants populaires, Poésie / Flammarion, 2007, p. 62-64.

21/04/2011

Henri Cole, Terre médiane (traduction Claire Malroux)

HenriCole.jpg

   

                                             Mask

 

I tied a paper mask into my face,

my lips almost Inside its small red mouth.

Turning my head to the left, to the right,

I looked like someone I once knew, or was,

with straight white teeth and boyish bangs.

My ordinary life had come as far as it would,

like a silver arrow hitting cypress.

Know  your place or you’ll rue it, I sighed

to the mirror. To succeed, I’d done things

I hated ; to be loved, I’d competed promiscuously :

my essence seemed to boil down to only this.

Then I saw ma own hazed irises float up,

like eggs clinging to a water plant,

seamless and clear, in an empty pondlike face.

 

                                                  Masque

 

         

          J’ai attaché un masque en papier sur mon visage,

          mes lèvres presque au-dedans de sa petite bouche rouge.

          Tournant la tête à gauche, à droite,

          je ressemblais à quelqu’un que j’avais connu, ou été,

          aux dents blanches bien droites, aux boucles juvéniles.

          Ma vie ordinaire avait suivi son cours attendu,

          comme une flèche d’argent se plante dans un cyprès.

          Reste à ta place ou tu t’en repentiras, ai-je murmuré

          au miroir. Pour réussir, j’avais fait des choses

          que je détestais ; pour être aimé, j’avais rivalisé de promiscuité ;

mon essence semblait se réduire seulement à cela.

Puis j’ai vu mes iris noisette monter à la surface,

          comme des œufs accrochés à une plante aquatique,

          lisses et clairs, dans un visage vide, un visage d’étang.

 

Henri Cole, Terre médiane, édition bilingue, traduction de l’anglais (États-Unis) et présentation par Claire Malroux, Le Bruit du Temps, 2011, p. 86-87.

19/04/2011

Jean Ristat, Le théâtre du ciel, Une lecture de Rimbaud

 

                                      E blanc

                                      Scène 1

 

La mort couche dans mon lit elle a les dents blanches

Patauger dans la nuit appelle-t-on cela

Vivre O dans ma bouche l’ancolie amère

Des jours anciens mon vieux Verlaine rien ne sert

De pleurer au temps des souvenirs la partie

Est déjà perdue tu n’avais pas su le

Retenir il courait plus vite que le vent

Amants de la mort qu’attendiez-vous de la vie

Il n’aurait fallu qu’un mot peut-être à ta lèvre

Dolente et non le chapelet à l’angélus

 

Ah l’ordre comme un petit serpent fourbe arrive

Toujours quad le clocher sonne douze au clair de

Lune le christ O vieille démangeaison

Pauvre lélian habité par un fantôme à

La jambe de bois l’autre en toi O moulin à

Prières

 

                                           Scène 2

 

Que cherchais-tu en franchissant le saint-gothard

À demi enseveli dans la neige quelle

Porte par où t’enfuir encore et toujours

O toi l’ébloui sans sommeil dévoré par

Les mouches du rêve et que l’éclair divise à

Jamais hagard comme le faucon

 

                                           Scène 3

 

Elle venait sans que j’y prenne garde à pas

De loup et ce cœur en moi s’usait peu à peu

À battre la chamade je ne l’avais pas

Reconnue tant son visage était pâle et

Ressemblait à s’y méprendre à la blanche nuit

Ses regards enjôleurs me grisaient doucement

O comme elle était tendre lorsqu’elle voulut

Me prendre par surprise au petit matin calme

 

J’aurais pu te quitter sans avoir baisé ta

Bouche tandis qu’à m’étreindre elle buvait mon

Sang O la camarde ma camarade attends

Encore un peu je n’ai pas fini d’inventer

Pour lui les mots du nouvel amour

 

Jean Ristat, Le théâtre du ciel, Une lecture de Rimbaud, Gallimard, 2009, p. 39-41.

17/04/2011

Jaromír TYPLT, Ce murmure insistant... (traduction C. Tanet et J. Typlt)

 

jaromir typlt,poésie tchèque,murmure

To naráží řeč

Ležím

na podloží

sotva slyšitelných

drnčení a hukotů.

Sotva slyšitelných,

ale vytrvalých. Prosazují se

a odspodu do mě vnikají,

přenášejí se na mě, lehce,

ale velmi velmi lehce

mě

pobolívají.

Jako by něco drhlo

mezi stropem a podlahou,

někde tam, kde se od sebe ještě nedají rozeznat.

Zvlášť to vysoké,

málem až jasné,

chvílemi přerušované

chvění.

To naráží řeč.

Asi spolu o patro níž mluví ženské.

 

Ce murmure insistant

Je suis allongé

sur une couche

de vibrations et de bruissements

à peine audibles.

À peine audibles

mais continus. Ils forcent le chemin,

me pénètrent par en-dessous,

me rabotent, doucement

mais très, très doucement

me

blessent.

Comme si quelque chose se frayait

un passage

entre plancher et plafond,

dans un entre-deux.

Surtout ce frémissement

sonore,

presque clair,

parfois discontinu.

Ce murmure insistant,

comme un bavardage féminin venant d’en bas.

Jaromír Typlt, To naráží řeč, in revue Souvislosti, 01/2009 ; repris dans anthologie Nejlepší české básně 2009 ("Les meilleurs poèmes tchèques 2009"), édition Host, Brno 2010. ©Traduction inédite Chantal Tanet, avec le concours de l'auteur.


Jaromír Typlt (né en 1973 à Nova Paka, Bohème), après des études de philosophie à Prague, s’est installé à Liberec où il a tenu une galerie d’art contemporain et de photographie jusqu’en 2010. Son œuvre littéraire, menée parallèlement et publiée à partir de 1991, fait alterner prose et poésie. En 1994, il reçoit le prix Jirí Orten qui récompense les jeunes auteurs.
Avec des artistes comme Jan M
ěřička, il crée aussi des livres-objets (že ne zas až, 2003). Il publie également des essais critiques sur des écrivains et des artistes tchèques. À partir de 1999, il développe la « lecture mutante d’auteur », fondée sur des voix enregistrées, les rythmes de la langue, et aussi sur des objets trouvés et des mouvements scéniques. (À écouter : stáhnout mp3 )

Les premières traductions françaises de Jaromír Typlt ont été réalisées par Jérôme Boyon. Voir : http://www.typlt.cz/index.php?content=poesie-fr

16/04/2011

Guennadi Aïgui, Dernier ravin

 

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                                                 Dernier ravin

                                                    (Paul Celan)

 

       

                                                                                                                               à Martine Broda

 

Je monte ;

ainsi, en marche,

un temple

se construit.

Vent de fraternité, — et nous, en ce nuage :

moi ( et un mot inconnu,

comme hors de mon esprit) et l’armoise (cette amertume inquiète

qui près de moi m’enfonce

ce mot)

armoise.

Argile,

sœur.

Et, de tous les sens, le seul étant, inutile-essentiel,

là (dans ces mottes tuées),

comme un nom inutile. Ce

mot-là me tachant, lorsque je monte

dans la très simple (comme un feu) illumination,

pour se marquer — marque dernière au lieu

de la cime ; elle —

vide (tout est déjà donné)

visage : comme un lieu sans-douleur

dans un surplomb — un au-dessus l’armoise

(…

Et

la forme

resta

inaperçue

…)

et le nuage :

plus aveugle qu’acier (une-arme-non-visage)

le fond — inerte ; la lumière

comme jaillie d’une pierre béante.

Toujours plus

haut.

 

Guennadi Aïgui, Hors-commerce Aïgui, textes réunis et traduits par André Markowicz, Le Nouveau Commerce, 1993, p. 99-100.

14/04/2011

Claude Simon, Le tramway

images.jpeg… Personne ne ramassait les olives tombées de l’arbre et dont les pulpes écrasées parsemaient de taches noires les trois marches de brique par lesquelles, tournant brusquement à droite, se terminait la première rampe du sentier bordé de ces buissons d’un bleu pâle, personne non plus, sauf les enfants, ne faisait attention aux figues trop mûres, à la peau ratatinée et ridée, presque noire, à la chair éclatée, pourpre, granuleuse et sucrée, éparpillées quelques mètres plus loin parmi les touffes d’herbe encore vertes du pré roussi par l’été et qu’il fallait dans l’odorant et lourd parfum des feuilles disputer aux fourmis. Au bout de l’allée bordée de mûriers, le tramway s’arrêtait au pied du grand pin parasol dont le tronc penché par le vent, presque couché à sa base, était recouvert non pas exactement d’écorce mais d’épaisses écailles encastrées l’une dans l’autre en losanges, d’un gris soyeux, légèrement teinté de rose en leur centre et bordées d’un rugueux bourrelet brun. Entre deux d’entre elles sourdait en permanence une coulée de résine qui formait d’abord une grosse bulle, à peu près de la taille d’une groseille, d’un jaune d’or étincelant au soleil et dont la base se couvrait d’une sorte de taie avant de finir par s’écouler en une longue traînée de larmes grises, peu à peu blanchâtre, comme une fiente d’oiseau.

 

Claude Simon, Le tramway, les éditions de Minuit, 2001, p. 139-140.

12/04/2011

Aurélie Loiseleur, Entrées en matière

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                            Entrées en corps

 […]

Qui est mal dans sa peau qu’il se gratte : ça desquame.

 

                           Jambes mâchent.

  Démarrage de la souffrance pavoisée de fleurs rougies par grand froid : mourir le démange. Mauvais vouloir

   avec des lentes illusions qui le grouillent.

                                      Sa main intenable.

 

   Il vint : virus.

        Avoir tant cru en son profil borgne qu’il révèlerait

   L’autre côté donne froid : partager savoir la mort à l’œuvre dans ce

    qu’elle couche.

 

    Terre contaminée évolue en théâtre : acteur d’extrême bord

de scène tombe au rang de spectateur connaît tous ses trucs d’avoir déjoué ses rôles.

                                 Comme il se glisse du monde trop lâche. 

 

Se dépecer de ses pensées : impossible
                                   Jambes hachent.

Le harcèlent graissées par grande halte à se quitter.

                                   Pays d’apparence somnolent se dérobe sous lui.

 

Qui en remontre à son écorché (surnu) s’ose plus qu’obscène : suicidé.

 

 

     Atteinte de porose : monde l’entre

mange

              peau est pont

passant dans son perméable idées s’interposent elle

     pense avec ses sens.

 

     Trouvée au pied des montagnes

de son corps dénudé en statue se ronge le devenir

     universel.

      Dort à la merci du monde craint

L’épidermie se déclare.

 

     Qui rêve en non-langue

c’est dur à discourir : chien mis à errer

lui donne à dévorer son reste.

 

     Concepts calcifiés.

     Balle tête pansue.

     Ciel se déverse en vase.

 

Arbres tètent leurs reflets au fleuve de marbre.

 

Aurélie Loiseleur, Entrées en matières, éditions NOUS, 2010, p. 38-39.

11/04/2011

Cesare Pavese, Travailler fatigue (Lavorare stanca)

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           La putana contadina

 

La muraglia di fronte che accieca il cortile

ha sovente un riflesso di sole bambino

che ricorda la stalla. E la camera sfatta

e deserta al mattino quando il corpo si sveglia,

sa l’odore del primo profumo inesperto.

Fino il corpo, intrecciato al lenzuolo, è lo stresso

dei primi anni, che il cuore balzava scoprendo.

 

Ci si sveglia deserte al richiamo inoltrato

del mattino e riemerge nella greve penombra

l’abbandono di un altro risveglio : la stalla

dell’infanzia e la greve stanchezza del sole

coloroso sugli usci indolenti. Un profumo

impregnava leggero il sudore consueto

dei capelli, e le bestie annusavano. Il corpo

si godeva furtivo la carezza del sole

insinuante e pacata come fosse un contatto.

 

L’abbandono del letto attutisce le membra

stese giovani e tozze, come ancora bambine.

la bambina inesperta annusava il sentore

del tabacco e del fieno e tremava al conttato

fuggitivo dell’uomo : le piaceva giocare.

Qualche volta giocava distesa con l’uomo

dentro il fieno, ma l’uomo non fiutava i capelli :

le cercava nel fieno le membra contratte,

le fiaccava, schiacciandole come fosse suo padre.

Il profumo eran fiori pestati sui sassi.

 

Molte volte ritorna nel lento risveglio

quel disfatto sapore di fiori lontani

e di stalla e di sole. Non c’è uomo che sappia

la sottile carezza di quelle’acre ricordo.

Non c’è uomo che veda oltre il corpo disteso

quell’infanzia trascorsa nell’ ansia inesperta.

 

 

          La putain paysanne

 

Le grand mur qui est en face et clôture la cour

a souvent des reflets d’un soleil enfantin

qui rappellent l’étable. Et la chambre en fouillis

et déserte au matin, quand le corps se réveille,

sait l’odeur du premier parfum gauche.

Même le corps enroulé dans le drap est pareil à celui

des premières années, que le cœur bondissant découvrait

 

On s’éveille déserte à l’appel prolongé

du matin et dans la lourde pénombre resurgit

la langueur d’un autre réveil : l’étable

de l’enfance et le soleil ardent pesant las

sur les seuils indolents. Léger,

un parfum imprégnait la sueur coutumière

des cheveux, et les bêtes flairaient. Le corps

jouissait furtivement de la caresse du soleil

insinuante et paisible comme un attouchement.

 

La langueur du lit engourdit les membres étendus,

jeunes et trapus, presqu’encore enfantins.

L’enfant gauche flairait les senteurs

du tabac et du foin et tremblait au contact

fugitif de l’homme : elle aimait bien jouer.

Quelquefois elle jouait étendue dans le foin

avec un homme, mais il ne humait pas ses cheveux :

il cherchait dans le foin ses membres contractés,

puis il les éreintait, les brisant comme l’eût fait son père.

Comme parfum, des fleurs écrasées sur les pierres.

 

Bien souvent, pendant le long réveil

revient cette saveur sure des fleurs lointaines,

d’étable et de soleil. Aucun homme ne sait

la subtile caresse de cet âcre souvenir.

Aucun homme ne voit par-delà le corps étendu

cette enfance passée dans une attente gauche.

 

Cesare Pavese, Travailler fatigue [Lavorare stanca], édition bilingue, traduit de l’italien par Gilles de Van, Gallimard, 1962, p. 104-107.

09/04/2011

Claude Chambard, Carnet des morts

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Les feuilles sont mortes sur votre tombeau,

grand-père que je ne connais,

élevé dans la forêt la hache dans les deux poings,

Perdu dans les rues des villes,

pleurant le départ des enfants,

& la femme morte trop jeune.

 

Où serions-nous allés ?

Qu’auriez-vous montré à l’infans ?

Vous seriez-vous battu avec Grandpère ?

Ou de votre air doux auriez-vous dit :

— Je vais partir, je ne vous gênerai plus.

Longue silhouette de dos

disparaissant après le virage du pont.

À pied toujours, cinq kilomètres vers l’autre village

où même la ferme ne vous appartient plus,

dévorée par la fratrie infectée.

 

Car l’adieu c’est la nuit.

La langue, la voix impossible.

Le nom est un silence. On ne peut en compter les syllabes.

Ce n’est pas la mort, ce n’est pas la vie.

Un rêve, les mains jointes, près du coffret où s’entassent les

lettres perdues.

Une longue marche — toujours vivant —

sans me soucier des murs

ni du tunnel

ni du balancier des heures.

 

Claude Chambard, Carnet des morts, Coutras, Le bleu du ciel, 2011, p. 55-56.

08/04/2011

Martial, Epigrammes, Livre X, 47 : traduction et adaptation

Martial, Panckoucke, d'Aubigné, épigramme

 

Ad Julium Martialem


Vitam quæ faciunt beatiorem,

Jucundissime Martialis, hæc sunt :

Res non parta labore, sed relicta ;

Non ingratus ager, focus perennis,

Lis numquam, toga rara, mens quieta,

Vires ingenuæ, salubre corpus,

Prudens simplicitas, pares amici,

Convictus facilis, sina arte mensa ;

Nox non ebria, soluta curis ;

Non tristis torus, attamen pudicus ;

Somnus, qui faciat breves tenebras ;

Quod sis, esse velis, nihilque malis ;

Summum nec metuas diem, nec optes.

Martial, Œuvres complètes, trad.. de V. Verger, N-A. Dubois et J. Mangeat, revue par F. Lemaistre et N.-A. Dubois, Livre X, 47, Garnier, 1864, p. 138.

 

 

À Jules Martial

Voilà, mon cher Martial, ce qui fait la vie heureuse :une fortune acquise sans peine et par héritage ; un champ qui rapporte ; un foyer qui toujours brûle ; point de procès ; peu d’affaires ; la tranquillité de l’esprit ;un corps suffisamment vigoureux, une bonne santé ; une simplicité bien entendue ; des amis qui soient nos égaux ; des relations agréables ; une table sans faste ; des nuits sans ivresse et libres d’inquiétude ; un lit où il y ait place pour la gaieté et pour la pudeur à la fois ; un sommeil qui abrège la durée des ténèbres ; être content de ce que l’on est et ne rien désirer de plus ; attendre son denrier jour sans crainte comme sans impatience.

Traduction de Charles-Joseph Panckouke (1736-1798), dans Sept études publiées à l’occasion du 4ème centenaire du célèbre imprimeur anversois Christophe Plantin, Bruxelles, Musée du Livre, 1920, p. 58.

 

 

Martial, Panckoucke, d'Aubigné, épigramme

Veux-tu savoir que peut faire la vie heureuse,

Folastre d’Aubigné ? Ce sont les points icy:

Des biens non pas acquis, mais trouvez sans souci ;

Bonne chere, beau feu, la terre fructueuse ;

Point de procès, de noise, avoir l’âme joieuse,

Le cors dispos, qui n’est trop maigre ou trop farcy ;

N’estre point cauteleux, ni point niais aussi,

Avoir pareilz amis, table délicieuse,

Sans crainte, sans soupçon, en sa bourse un escu,

Belle femme gaillarde et n’estre pas cocu,

Un dormir sans ronfler, un repos sans se feindre,

Qui fasse la nuict courte et contente les yeux,

Estre ce que tu veux, n’affecter rien de mieux,

Ne desirer la mort, & la fuir sans la craindre.

 

Aggripa d’Aubigné, Œuvres complètes, accompagnées de notices biographique, littéraireet bibliographique […] par Eugène Réaume & de Caussade, tome 3, Paris, Alphonse Lemerre, 1874, p. 246.

07/04/2011

Georges Perros, Poèmes bleus

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Ces envies de vivre qui me prennent

Et cette panique, cette supplication

Cette peur de mourir

Alors que je n’ai pas encore vécu

Et que dans ces moments

J’ai ma vie sur ma langue

Il me semble que ça va être possible, enfin

Que je vais y aller d’une grande respiration

Que je vais avaler le soleil et la lune

Et la terre et le ciel et la mer

Et tous les hommes mes amis

Et toutes les femmes mes rêves

D’un seul grand coup

De poitrine éclatée

Quitte à en mourir, oui,

Mais pour de bon

Pas de cette mort ridicule

Déshonorante, inutile,

Qui accuse la parodie

Qui accuse le défaut

De ce qu’on appelle la vie

Sans trop savoir de quoi nous parlons.

On se renseigne auprès des autres

On leur pose des tas de questions

Avec cette hypocrisie de bonne société

On marque des points en silence

Ils souffrent autant que nous, tant mieux

On se dit même

Qu’on est un peu plus vivants qu’eux

O l’horreur

Et la fragilité

De nos amours.

 

Georges Perros, Poèmes bleus, Gallimard, Le Chemin, 1962, p. 129-130.

06/04/2011

William Butler Yeats, Symboles

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                                                Symbols

 

A storm-beaten old watch-tower,

A blind ermit rings the hour.

 

All-destroying sword-blade still

Carried by the wandering fool.

 

Gold-sewn silk on the sword-blade,

Beauty and fool together laid.

 

 

                                                Symboles

 

Une vieille tour de guet battue par les tempêtes,

Un ermite aveugle sonne l’heure.

 

La lame d’une épée destructrice

Que porte encore le fou qui vagabonde

 

De la soie brodée d’or sur la lame,

La belle et le fou couchés côte à côte.

 

 

William Butler Yeats, L’escalier en spirale et autres poèmes [The Winding Stair and Other Poems], présenté, annoté et traduit par Jean-Yves Masson, Verdier, 2008, p. 40-41.