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26/01/2012

André Salmon, Créances, 1905-1910

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                                    Modigliani, Picasso et André Salmon en 1916

 

             Arthur Rimbaud

 

MORTEL, ANGE et DÉMON, poète et baladin,

Casseur de pierre aussi et soldat de fortune,

RIMBAUD ! frère de ceux qui naissent pour l'exil,

Tu passas, recélant sous la face commune

Le visage d'un dieu honni des dieux voisins

Et voulus, dîneur des festins inutiles,

Mordre sans les cueillir tous les fruits du jardin.

Sur tes cahiers d'enfant écrasés de ratures,

Partout enluminés d'énormes caricatures,

Dans l'étude moisie et sous le gaz blafard

Tu griffonnais, petit prodige narguant son art,

Des pamphlets prophétiques que tu signais : ARTHUR.

N'étais-tu que l'enfant maudit de Charleville ?

Des mères t'ont crié dans les rues : « Antéchrist ! »

Sans savoir quelle aurore illuminait tes yeux.

Et sans faire baiser tes cheveux à leurs fils.

Tu fus le frère lointain des princes douloureux

Qui quelque soir, au fond d'une sombre Bavière,

Quand les étudiants chantent autour des pots de bière,

Laissent les eaux gardiennes se refermer sur eux,

Pour avoir compris l'âme des cygnes et des lys.

 

Un matin ce fut beau. Au pied d'un sapin rouge

Déroulant jusqu'à toi ses bras de palmes vertes,

Le voyageur qui va triste de bouge en bouge,

De palais en palais et dans les gares désertes

S'ennuie à regarder la pluie aux carreaux noirs,

L'éternel voyageur cherchant le but de vivre

Et ne le trouvant pas et repartant put voir

— Et trembla de le voir et de t'avoir surpris —

Au pied d'un sapin rouge un poète accroupi,

Qui riait aux éclats et qui brûlait son livre !...

 

Un empereur casqué de plumes et vêtu d'or

T'estimait. Ses sujets disaient : « Rimbaud le Juste ».

Tu vendais du café, du poivre et de l'ivoire

Et des fusils au nègre qui jouait les Augustes,

Et si quelqu'un venu de la mourante Europe

Te demandait : « Vous avez fait des vers, dans le temps ? »

Tu fronçais le sourcil et haussait les épaules

Et refaisais le compte de tes dents d'éléphant.

Puis tu revins mourir quelque jour à Marseille,

Avec ton or conquis caché dans ta ceinture

Et tu traînais la jambe sur le pavé cruel,

Meurtri du poids de l'or, meurtri  par tes blessures,

RIMBAUD ! Ils t'on dit mort en bon fils de l'Église

Car tu parlais d'Amour et de Terre promise...

 

André Salmon, Créances, 1905-1910 (Les Clés ardentes, Fééries, Le Calumet), Gallimard, 1926, p. 120-122.

 

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