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28/10/2017

Julien Gracq, Carnets du grand chemin

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   Les demi-cultivés (ou demi-barbares) de l’ère de l’audiovisuel. Quand on suit à la radio ou à la télévision un des innombrables jeux radiophoniques, on est frappé de la proportion somme toute élevée des réponses justes, considérablement plus grande en moyenne qu’elle ne l’eût été il y a cinquante ans. Mais on pressent en même temps que ces connaissances ponctuelles n’ont aucune tendance à s’organiser en réseaux cohérents. L’esprit de leur possesseur fait penser à un cartographe du relief qui, disposant d’un assez grand nombre de points cotés, n’aurait aucune notion de la manière de les joindre par des courbes de niveau.

 

Julien Gracq, Carnets du grand chemin, édition C. Dourguin, dans Œuvres complètes II (édition B. Boye), Pléiade / Gallimard, 1995, p. 1097.

25/01/2012

Julien Gracq, Carnets du grand chemin

 

   imgres.jpegÉtrange siècle, que le dix-huitième. Au moment même où la poésie semble en lui faire définitivement faux bond à l'art des vers, la littérature, elle, se met dans toute la France à rimailler à propos de bottes, de la lettre de château jusqu'à la satire vengeresse, du pamphlet politique jusqu'au traité de jardinage et de sylviculture. Cette métromanie galopante qui au XVIIe siècle obligeait déjà Boileau à suer sang et eau sur ses Satires et ses Épîtres, devient au siècle suivant une vraie épidémie. L'encaisse-or de la poésie volatilisée, l'encaisse-papier circule partout en nourrissant une inflation de mauvais aloi ; là aussi le XVIIIe siècle est bien celui qui commence avec la rue Quincampoix.

   Dans le prestige qui entoure à cette époque les petits vers, le "chant", la musique verbale, atteint à sa teneur la plus faible, et même s'élimine complètement comme élément de valeur, toutes les images sont des clichés (et même surexposés) ; ne reste que la difficulté artificielle imposée par le mètre et la rime : simple exercice d'assouplissement et de musculation abusivement tenu par toute une époque pour la beauté, dont il est un accessoire insignifiant. Une bonne partie de l'œuvre rimée de Voltaire, capable d'écrire une prose si déliée et si acérée, nous fait l'effet de gammes acrobatiques, où la virtuosité du doigté nous reste encore sensible, mais dont on se demande pourquoi on a jugé les notes dignes de s'inscrire sur une portée.

 

     Julien Gracq, Carnets du grand chemin, José Corti, 1992, p. 236-237.