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04/12/2024

Olivier Barbarant, Partitas pour violon seul

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Paris

 

Ma ville ce sont

des toits de zinc

ur des falaises de craie

 

On y marche entre deux eaux grises

 

Pour peu qu’un peu de pluie barre le paysage

De courts soleils éclatent sur les trottoirs mouillés

 

Et comme au fond des plus beaux tableaux

les brouillards et les murs soulignent les silhouettes

d’une ombre par contraste avec la pâleur des corps

 

Ma ville c’est

sur l’étain des jours ternes

une farine de visages

et le plâtre de tant de mains

 

Olivier Barbarant, Partitas pour violon seul,

Gallimard, 2024, p. 17.

03/12/2024

Zoé Karelli, Contes du jardin

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       Musicalité

 

Beauté musicale des jours

d’automne à Thessalonique

lorsque la pluie tombe drue,

s’éclaircit puis reprend,

pluie d’argent, translucide et fine

comme la musique des voix douces de femmes

à l’automne de leur vie.

De ces femmes qui restent

tranquilles et silencieuses, dirait-on

un peu fières et mélancoliques

zt parfois, quand elles  parlent,

semblent pressées de dire

ce qu’elles souhaitent peut-être oublier.

 

Zoé Karelli, Contes du jardin, dans Poètes de

Thessalonique (1930-1970), traduction du grec

Michel Volkovitch, Le miel des anges, 2024, p. 61           .

02/12/2024

Tàkis Varvitsiòtis, Sans musique

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Ruines

 

Le livre fermé

Le violon triste

L’ange brisé qui veille

 

Où êtes-vous  mes mains d’enfant

Vous m’avez oublié

Mais je ne peux pas

Je n’ai plus mes yeux pour pleurer

 

La pluie est enfermée au jardin

Aux branches des arbres sont pendus

Des cœurs

Des lueurs

Le son d’une cloche

La prière

 

Elles fument encore

Les ruines des jours

 

Tàkis Varvitsiòtis, Sans musique, dans Poètes

 de Thessalonique (1930-1970), traduction

Michel Volkovitch, Le miel des anges, 2024, p. 127.

01/12/2024

Fabienne Rahoz, Infini présent l'insecte

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Qui a passé son enfance à la campagne a pu observer ce qui vivait au (et dans le) sol et dans les airs, oiseaux de toutes sortes, insectes de toutes couleurs, hérissons, mulots, etc. Outre cette expérience, irremplaçable, qui peut donner le goût des sciences naturelles, Fabienne Raphoz disposait d’un jeu des 7 familles où l’on demandait, par exemple, le Priam dans la famille des "Papillons exotiques" ; le classement n’était en rien scientifique mais, écrit-elle, « c’est peut-être de là que m’est venu ce goût pour la taxinomie et les classifications ». Goût des mots aussi, avec ce plaisir particulier de « prononcer des mots incompréhensibles ». Ce plaisir, notamment, beaucoup de lecteurs l’éprouveront en lisant Infini présent.

 

Les neuf citations en épigraphe, de Sei Shonagon (vers 966-après 1013) à la sculptrice Germaine Richier (1902-1959), à la fois pointent la complexité du monde des insectes, leur rôle essentiel dans l’équilibre écologique et leur place dans l’imaginaire. On retiendra la première, de Thalia Field (1966), auteure à la frontière de la narration et de la science, en accord avec les poèmes. « Parler des espèces est plus difficile que de parler de soi ». Au verso, une annonce, « Pour commencer », offre deux citations qui, chacune à leur manière, délimitent l’étendue des poèmes, celles d’un naturaliste anglais du XVIe siècle, Thomas Moffet, et d’un spécialiste contemporain de la Renaissance, Francis Goyet. Conservons la première, lapidaire, « In minimis tota est », que le premier poème, pages 12 et 13, illustre, en même temps qu’il est en relation avec le titre.

Sous le nom de l’ordre « THYNASOURES » une brève notice du naturaliste Walkenaer ; la page 13 répète en titre le nom de l’ordre et s’ajoute le nom de la famille, « Lespimatidae) ; le poème indique que cet insecte a sa place dans un traité de synanthropie : ils sont donc adaptés à la vie humaine et vivent dans les maisons où ils se nourrissent, par exemple, du papier des livres. Ils ont toujours été présents depuis le Dévonien — l’infini pour le temps humain, pour le présent. Le texte est suivi en bas à droite du nom courant (« Poisson d’argent »), de la désignation en latin (« Lepisma saccharina ») et de « Linnaeus, 1758), mention qui renvoie à la dixième édition de la classification de Linné, où son système de nomenclature avec deux noms en latin (générique et spécifique) est alors généralisé.

 

Se trouverait-on dans un manuel d’entomologiste comme le laisserait penser dans chaque poème  l’exactitude des désignations ? Certains poèmes sont construits à partir de l’histoire de l’insecte, comme dans cet unique exemple de « Notoptères » :

 

                       Grylloblattes et gladiateurs

 

                       tous ailés du Permien

                       butinent les conifères

cent-cinquante millions d’années

                       durant

 

                       disparaissent au Crétacé

                       les plantes à fleurs viennent d’émerger

                       [etc.]

 

La majorité s’écrit à partir d’une observation rapportée — et le poème peut devenir esquisse de récit, par exemple à propos de l’expédition de Darwin — ou de l’auteure inspirée par une caractéristique de l’insecte ; ainsi après un poème à propos de l’hibernie, papillon qui n’apparaît qu’à l’automne, un autre qui lui est lié, appartenant au même ordre et à la même famille :

 

                       … ou alors

            jaillissant des bois

                une nuit de janvier

 

                        dîner tardif

                                         en suspens

 

regards croisés

 

Un poème s’écrit à partir de la sonorité des mots, sans qu’il soit toujours nécessaire de retenir le vocabulaire français. Est choisie par exemple, en latin, « une liste de punaises rouge et noir issues de familles différentes » avec plusieurs critères de choix et, ensuite, de classement sur la page, le discours explicatif préalable faisant partie du poème :

 

                       Aracatus roeselii

                       Cenaeus carnifex

                       Carizus hyoscyami

                       Eurydema ventralis

                       Graphosoma italicum

 

Suivent deux ensembles de cinq noms disposés en échelle.

Une liste de noms, en l’occurrence de 48 oiseaux rassemblés en 4 colonnes, accumule des sons étranges pour qui n’est pas ornithologue (des savacous, des synallaxes, des saltators, etc.) — petit écart dans ce livre autour des insectes, que justifie le titre : « Peupler l’hiver d’ici » et l’amorce de la liste, « j’ai vu là-bas : ». Le lecteur lira aussi un poème en anglais, un autre avec trois lettres grecques répétées sur la page pour figurer le chant de la cigale grise.

Ce que suggèrent déjà les quelques poèmes cités, c’est la liberté de la mise en page qui correspond à la variété de la versification — jusqu’au dernier texte : l’ordre cette fois, avec humour, est noté « Bouquet final » avec pour l’accompagner quelques paroles d’une chanson de Pierre Barouh et, sur la belle page, un poème lapidaire :              

 

Friche

 

il a suffi de laisser.     les couleurs pousser

 

L’humour en poésie n’est pas des plus courants et l’on se réjouit souvent de la distance, et de la tendresse, prises par Fabienne Raphoz vis-à-vis de son objet. De l’ordre des Siphonaptères, la puce n’est nommée que par une citation (page de gauche) d’un sonnet des Amours de Ronsard, « Hé ! que ne suis-je puce » et par les deux derniers vers d’un poème en anglais de John Donne (The Flea, La puce), précédés d’un extrait de France Culture, « Comment peut-on dresser un si petit insecte ? ». Deux clins d’œil dans le poème en belle page :

 

                       quel cirque !

qu’en faire ?

de ces siphonap

tères

 

Maël me dit :

fais-les sauter

 

du livre

 

« je loue dans le poème / une vie plus vieille / que la mienne », écrit Fabienne Raphoz à propos d’un insecte. Ces louanges donnent envie de sortir du livre, de lire ou relire Fabre (présent plusieurs fois) et de vérifier que les insectes sont encore légion partout (y compris dans un jardin public, en ville) dans ce monde où tant d’espèces animales sont en voie de disparition, il faut le répéter et faire autre chose que s’en alarmer. On s’apercevra qu’ils sont souvent aussi beaux que le lucane dessiné par Ianna Andréadis en couverture. Une brève bibliographie complète ces poèmes qui donnent une présence vive à tous les insectes — « pour savoir il faut les voir ».

 

Fabienne Raphoz, Infini présent  l’insecte, Héros-Limite, 2024
130 p.,18 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 25 octobre 2à24.

 

 

30/11/2024

Zoé Karèlli, Solitude

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Solitude

 

Où irons-nus, mon âme, avec

tout cet exil que nous traînons ?

Avec nous personne et la solitude

est devenue si étrange, qu’elle se confond

 avec la compagnie de tous ces gens.

Tu parles et tu te tais et les choses

demeurent intraitables, comme si

nulle volonté ne venait les gouverner.

Plus comiques, les tristes efforts,

pourquoi tant de pessimisme ?... Comme si

le néant avait grandi, gonflé bizarrement,

il montre un visage furieux, informe,

près d’éclater, d’extraire de l’esprit

les foules qui le gardent et à présent

se contractent comme si le néant

se mettait à fourmiller.

 

Ah quelle misère ils contiennent,

les yeux de la solitude !

Fuyez très loin afin

de ne plus jamais rencontrer

notre image solitaire,

telle qu’aujoure’hui, entière, elle apparaît.

 

Zoé Karèlli, dans Poètes de Thessalonique (1930-1970),

traduit du grec par Michel Volkovitch,

Le miel des anges, 2024, p. 53.

29/11/2024

Carmen Gallo, Les fugitives

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En sortir vivants

Faux Paris 

En 1918 Paris essaya d’échafauder un plan pour se défendre des bombardements allemands. La technique n’a rien de surprenant si ce n’est par le nombre des personnes impliquées et par les aspects scénographiques. Le long de la rive de la Seine, non loin de la vraie ville, on avait construit une fausse gare de l’Est avec des trains, des lumières et tout le reste. La nuit, la vraie ville se cachait dans le noir, tandis qu’à côté une fausse activité ferroviaire prenait vie et s’illuminait en attendant les bombes. 

Carmen Gallo, Les fugitives, traduction de l’italien Martin Rueff, dans La Revue de Belles-Lettres, 2024-II, p. 63.

28/11/2024

Marie-Laure Zoss, Rosée

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Rosée

 

Pendant que c’est facile, dire.

Dire nous :

drap large et frais,

qui recouvre, effleure,

les fleurs tout justes nées

au pied de la montagne,

drap qui boit la rosée du petit matin,

l’eau de la nuit,

matière première de ce qui sait

matière qui se dissout vers l’or.

Dire nous, dire nous nous nous nous nous,

Dire, pendant que c’est facile.

 

Marie-Laure Zoss, traduction du romanche,

D. Mützenberg, dans La Revue de Belles-

Lettres, 2024-II, p. 37.

27/11/2024

Jean Genet, Le condamné à mort

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Camilla Meyer était une Allemande. Quand je la vis, elle avait peut-être quarante ans. À Marseille elle avait dressé son. fil à trente mètres au-dessus des pavés, dans la cour du Vieux-Port. C’était la nuit. Des projecteurs éclairaient ce fil horizontal haut de trente mètres. Pour l’atteindre, elle cheminait sur un fil oblique de deux cents mètres qui partait du sol. Arrivée à mi-chemin sur cette pente, pour se reposer elle mettait un genou sur le fil, et portait sur sa cuisse la perche-balancier. Son fils (il avait peut-être seize ans) qui l’attendait sur une petite plate-forme, apportait au milieu du fil une chaise, et Camilla Meyer qui venait de l’autre extrémité, arrivait sur le fil horizontal. Elle prenait cette chaise, qui ne reposait que par deux de ses pieds sur le fil, et elle s’y asseyait. Seule. Elle en descendait, seule… En bas, sous elle, toutes les têtes s’étaient baisses, les mains cachaient les yeux. Ainsi le public refusait cette politesse à l’acrobate : faire l’effort de la fixer quand elle frôle la mort.

 

Jean Genet, Le funambule, dans Le condamné à mort, L’Arbalète, 1966, p. 147

26/11/2024

Jean Genet, Le Pêcheur du Suquet

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[…]

Tu veux pêcher à la fonte des neiges

Dans mes étangs de bagues retenus

Ah dans mes beaux yeux plonger tes bras nus

Que d’acier noir deux rangs de cils protègent

Sous un ciel d’orage et de hauts sapins

Pêcheur mouillé couvert d’écailles blondes

Dans tes yeux mes doigts d’osier mes pâles mains

Voient les poissons les plus tristes du monde

Fuir, de la rive où j’émiette mon pain.

[…]

 

Jean Genet, Le pêcheur du Suquet, dans Le condamné

à mort, L’Arbalète, 1966, p. 93.

25/11/2024

Kafka, Fiches

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80.

La vérité ne peut se diviser, elle ne peut donc se connaître elle-même ; qui veut la connaître doit être mensonge.

 

85.

Le Mal est une émanation de la conscience humaine dans certaines phases de transition. Ce n’est pas en fait le monde sensible qui est apparence, mais le Mal en lui qui, il est vrai, constitue à nos yeux le monde sensible.

 

88.

Le mort est devant nous, à peu près comme sur le mur de la salle de classe une reproduction de la Bataille d’Alexandre. Il s’agit, par nos actions dès cette vie, d’assombrir le tableau ou même de l’effacer.

 

90.

Deux possibilités : se faire infiniment petit ou l’être. La première est achèvement, donc inaction, la seconde est début, donc action.

 

Kafka, Fiches, traduction Robert Kahn, éditions NOUS, 2024.

24/11/2024

Kafka, Fiches

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61.

Celui qui dans le monde aime son prochain ne commet ni plus ni

moins d’injustice que celui qui dans le monde s’aime lui-même. Ne resterait plus que la question : la première proposition est-elle possible ?

 

63.

Notre art est un éblouissement causé par la vérité : la lumière sur le visage grimaçant qui recule est vraie, rien d’autre.

 

67.

Il court après la faits comme un débutant en patinage, qui, de plus, s’exerce là où c’est interdit.

 

77.

Fréquenter des êtres humains induit à l’auro-observation.

 

Kafka, Fiches, traduction Robert Kahn, éditions NOUS, 2024.

23/11/2024

Kafka, Fiches

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47

On leur laissa le choix de devenir des rois ou des courriers royaux. À la mode enfantine ils voulurent tous être des courriers. Voilà pourquoi il y a tant de courriers, ils courent de par le monde et, comme il n’y a pas de rois, ils s’annoncent les uns aux autres les messages devenus vides de sens. Ils aimeraient mettre fin à leur vie misérable, mais ils n’osent pas à cause de leur serment de fidélité.

48.

Croire au progrès ne signifie pas croire qu’un progrès a déjà eu lieu. Cela ne serait pas une croyance.

 

52.

Dans le combat entre Toi et le monde seconde le monde.

 

59.

Une marche d’escalier qui n’a pas été profondément creusée par des pas n’est, de son propre  point de vue, qu’un triste assemblage de bois.

 

Kafka, Fiches, éditions NOUS, 2024.

22/11/2024

Kafka, Fiches

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25.

Comment se réjouir du monde, si ce n’est en s’y réfugiant ?

 

32.

Les corneilles affirment qu’une seule corneille peut détruire le ciel. Cela ne fait aucun doute, mais ne prouve rien contre le ciel, car ciel signifie précisément : l’impossibilité des corneilles.

 

34.

Sa lassitude est celle du gladiateur après le combat, son travail consistait à enduire de blanc un coin d’un bureau de fonctionnaire.

 

43

Les chiens de chasse jouent encore dans la cour, mais le gibier ne leur échappera pas, même s’il court déjà maintenant par les bois.

 

Kafka, Fiches, éditions NOUS, 2024

21/11/2024

Kafka, Fiches

 

kafka, fiches,

 

18.

S’il avait été possible de construire la tour de Babel sans l’escalader, cela aurait été permis.

 

20.

Des léopards font irruption dans le temple et assèchent les cruches du sacrifice ; cela se répète encore et encore ; pour finir on peut le prévoir et cela devient une partie de la cérémonie.

 

22.

Tu es le devoir à faire. Aucun élève aux alentours.

 

24.

Comprendre ce bonheur, le sol sur lequel tu te tiens ne peut être plus grand que les deux pieds qui le recouvrent.

 

Kafka, Fiches, éditions NOUS, 2024.

20/11/2024

Kafka, Fiches

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5.

À partir d’un certain point il n’y a plus de retour. Ce point est  atteindre.

 

13.

Un premier signe d’un début de connaissance est le désir de mourir. Cette vie semble insupportable, une autre, hors d’atteinte. On n’a plus honte de vouloir mourir ; on demande à quitter l’ancienne cellule, que l’on hait, pour être placé dans une nouvelle, que l’on commencera à apprendre à haïr. Un reste de croyance s’y ajoute, pendant le transfert le Seigneur passerait par hasard dans le couloir, il regarderait le prisonnier et dirait : « Celui-là, ne l’emprisonnez pas de nouveau. Il vient chez moi. »

 

15.

Comme un chemin en automne : à peine est-il entièrement balayé qu’il se couvre à nouveau de feuilles mortes.

 

16.

Une cage alla chercher un oiseau.

 

Kafka, Fiches, éditions NOUS, 2024