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31/07/2019

Georges Fourest, La Négresse Blonde

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La Négresse Blonde

 

               I

Elle est noire comme cirage

comme un nuage

au ciel d’orage,

et le plumage du corbeau,

et la lettre A, selon Rimbaud,

comme la nuit,

comme l’ennui,

l’encre et la suie !

Mais ses cheveux,

ses doux cheveux,

soyeux et longs

sont plus blonds, plus blonds

que le soleil

et que le miel

doux et vermeil,

que le vermeil,

plus qu’Ève, Hélène et Marguerite,

que le cuivre des lèchefrites,

qu’un épi d’or

de Messidor,

et l’on croyait d’ébène et d’or

la belle Négresse, la Négresse Blonde !

 

Georges Fourest, La Négresse Blonde,

José Corti, 1937, p. 21-22.

30/07/2019

Paul Claudel, Vézelay

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                                                Vézelay

(…)

Il n’y a qu’à lever la tête pour devenir conscient de tout un peuple qui, au sommet de chaque colonne, se livre à l’occupation mystique. Sur deux étages se superposent et se prolongent les rangées de ces canéphores barbares, qui, au lieu d’acanthes et de la gerbe éleusienne, supportent, sur les quatre faces de cette coiffure que leur fait le chapiteau un trophée confus d’événements. Toute l’Histoire sainte s’y mêle au rêve, à la légende et à cette liturgie campagnarde qu’on pourrait appeler le Propre du Temps. Des quatre côtés, sous le poids du sens inclus, cela se penche et se déverse sur nous. On fauche, on presse la vendange, on dort, on fait de la musique, on ramasse les grappes et les essaims, Adam et Ève voisinent avec la punition de l’avare et du calomniateur, les Israélites adorent le Veau d’or, Absalon s’accroche par les cheveux à son chêne, le cor de saint Eustache répond à celui de saint Hubert, et le son en parvient jusqu’à nous, mêlé à celui incessant du mailler qui tape sur le ciseau. Car tout cela est sorti prodigieusement du même atelier, de la même imagination et de la même piété. (…)

 

Paul Claudel, Vézelay, dans Œuvres en prose, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 319.

29/07/2019

Jacques Borel, Un voyage ordinaire

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(…) Se trouver, se découvrit, on n’ose plus les employer, ces mots, ça fait sourire, si on en est loin de tout ça ! N’empêche… S’approcher, mettons, se rapprocher. Et voilà ce dont, toi, tu t’es approché. Rongé, pourrissant, le continent englouti que tu avais cru d’abord, quand il a enfin commencé à émerger, à t’apparaître, découvrir plein et rayonnant. Et quand cela serait… Tu accèdes plus tard à ce que les autres et toi-même ne peuvent désormais que rejeter. Raison de plus pour toi de te répéter le mot de Novalis que tu ne cesses, lancinant, obsédant, une espèce d’ordre, de plus en plus, qui se précise, d’entendre résonner en toi : « C’est à présent seulement que je commence à me connaître et à jouir de ce que je suis… c’est pourquoi justement je dois partir. »

— Seulement je ne jouis pas, moi, de ce que je suis. De cela aussi, empêché. Et quand bien même peut-être il n’y aurait pas le lieu d’où je reviens et dont je ne m’éloigne jamais que pour, honteux, accablé, y retourner.

 

Jacques Borel, Un voyage ordinaire, Le temps qu’il fait, 1993, p. 33-34.

28/07/2019

Paul Éluard, Médieuses

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Au premier mot limpide

 

Au premier mot limpide au premier rire de ta chair

La route épaisse disparaît

Tout recommence

 

La fleur timide la fleur dans air du ciel nocturne

Des mains voilées de maladresse

Des mains d’enfant

 

Des yeux levés vers ton visage et c’est le jour sur terre

La première jeunesse close

Le seul plaisir

 

 

Foyer de terre foyer d’odeurs et de rosée

Sans âge sans liaisons sans liens

 

L’oubli sans ombre

 

Paul Éluard, Médieuses, dans Œuvres complètes, I,

Pléiade / Gallimard, 1968, p. 911.

27/07/2019

Jean Genet, Un chant d'amour

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Un chant d’amour

 

Berger descends du ciel où dorment tes brebis !

(Au duvet d’un berger bel Hiver je te livre)

Sous mon haleine encor si ton sexe est de givre

Aurore le défait de ce fragile habit.

 

Est-il question d’amour au lever du soleil ?

Leurs chants dorment encor dans le gosier des pâtres,

Écartons nos rideaux sur ce décor de marbre ;

Ton visage ahuri saupoudré de sommeil.

 

O ta grâce m’accable et je tourne de l’œil

Beau navire habillé pour la noce des Iles

Et du soir. Haute vague ! Insulte difficile

O mon continent noir ma robe de grand deuil !

(…)

 

Jean Genet, Un chant d’amour, dans Le condamné à mort (…),

L’Arbalète, 1966, p. 81.

26/07/2019

Bashô seigneur ermite

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Elles mourront bientôt

et pourtant n’en montrent rien —

Chant des cigales

 

Obscurité de la nuit —

Un pluvier pleure

son nid perdu

 

Jour après jour

les orges rougissent —

Chant d’alouettes

 

Souffle le vent d’automne —

Mais les bogues des châtaignes

encore vertes

 

Invisible printemps _

Des fleurs de pruniers dessinées

au revers du miroir

 

 

Bashô, seigneur ermite, édition bilingue

par Makoto Kemmoku et Dominique Chapot,

La table ronde, 2012, p. 255, 272, 276, 285, 293.

25/07/2019

Albane Prouvost, Ne tirez pas camarades

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Bien reste immobile

ne bouge pas

ou tu vas te faire tirer dessus

 

nous partons dans des directions opposées

 

en poussant des cris dans la plaine

ou en arrivant à toute vitesse

nous nous éloignons

nous sommes lourds

 

On traverse la rivière

c’est la débâcle

je pense au poète Victor Chklovski

en traversant la rivière

pendant que je traverse la rivière en me frayant

un passage à travers les blocs de glace

 

Je décide de vous faire confiance

c’est ma décision

je vous vois vous éloigner

sous les branches et le vent léger

nous sommes déjà loin et le vent rougit nos joues

le froid est très vif

(…)

 Albane Prouvost, Ne tirez pas camarades, éditions Unes,

2000, p. 19-20.

 

 

24/07/2019

Promenade dans Vic-sur-Cère (Cantal)

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23/07/2019

Jean Queval, En somme

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                            Classique moderne

 

Dans les bordels les hangars les cartes postales grattées à la guerre

Dans l’usure au crépuscule des us ridicules

Dans les minéraux insondés des anciennes terres

 

Avec ces matériaux délaissés des héritages délaissés

Tout ce qu’ils avaient dans l’oreille sous les yeux dans la main

Avec leur main d’écrivain quelques-uns n’avaient peur de rien

 

Dans de vastes canevas aux arcanes subtils aux cavernes vidées

Dans comme tout le discours en récapitulé, ils écrivirent

Les mythologies des anciens temps dans la lumière de ce jour

                              assez triste, évidemment

 

Jean Queval, En somme, Gallimard, 1970, p. 206.

22/07/2019

Julien Bosc, La demeure et le lieu : recension

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Le livre, recueil posthume dont quelques extraits avaient été publiés dans Rehauts, avait été préparé par son auteur, tout comme Le coucou chante contre mon cœur qui paraîtra en 2020 aux éditions Le Réalgar. On y reconnaît la voix de Julien Bosc (1964-2018), par la présence d’allusions à tel livre précédent et au retour de quelques motifs — celui de la mer et du départ, et, qui donne son esprit à l’ensemble, celui d’une identité introuvable et de la détresse qui l’accompagne. La postface de Jacques Lèbre situe précisément La demeure et le lieu par rapport aux autres livres de Julien Bosc et en donne une lecture sensible et approfondie.

Quelles qu’aient été les variations dans l’écriture des différents livres publiés, une caractéristique réunit la plupart d’entre eux, l’attention au dehors, à ce que l’on hésite à noter, à ce que l’on oublie parce que partie du quotidien le plus ordinaire. Julien Bosc, sans cesse, relève les menues découvertes au cours des marches, les mouvements des oiseaux, la pousse des bourgeons, les couleurs changeantes du ciel, son étonnement quand il saisit quelques bribes de la vie nocturne du hérisson ou de la hulotte, l’épanouissement des fleurs, la préparation des fagots et des bûches à fendre — travail nécessaire quand on se chauffe avec un poêle dans une région aux hivers rudes, la Creuse ; etc. Poèmes de la vie ordinaire, où l’on apprend ce que font les chats Pépère et Minette comme on lit les compliments refoulés de l’auteur devant une jolie marchande légumes ? Oui, si la lecture ne retient que la répétition de petits gestes : il n’y a alors que les traces de moments de la vie, une manière de journal. Non, si le lecteur prend en compte ce qui suit une série d’énumérations et, de là, reprend l’ensemble sous un nouveau jour.

Les vers de plusieurs poèmes débutent par un verbe à l’infinitif, suivi ou non de compléments, comme dans « marcher / regarder / attendre / écouter / laisser dire / effacer / plusieurs fois reprendre / aller dans la nuit / réessayer / croire un instant que oui / or non      déjà demain et rien ». Les actions sont ici données sous la forme la plus générale, pas du tout situées dans le temps, ce qui signifie que l’échec à écrire évoqué n’est pas lié aux circonstances. Comme si « forcer les ferrures de la langue » ne permettait que rarement de fixer « les rares mots rescapés du naufrage ». Ce qui s’exprime sous différentes formes, c’est la quasi-certitude de ne pouvoir (ou savoir) restituer ce qui devrait l’être ; une fois le poème écrit en ayant eu « la sale sensation / parfois / de faire feu de tout bois », alors « preuve est là       rien n’a été dit ». Le doute de soi est rarement surmonté et il est lié à une relation difficile aux choses du monde.

Julien Bosc observe les oiseaux autour de sa maison, les manœuvres (qui échouent) des chats pour les attraper, marche près de la rivière, dans les bois où il surprend une biche, réunit des fleurs des champs : toutes actions qui le réconfortent, mais commence-t-il à brûler feuilles et « vieux genets », les « voir partir en fumée » entraîne une vive mélancolie, « (penser qu’on pourrait se pendre / allez savoir pourquoi à ce moment-là) ». Le lecteur retourne à un livre précédent, De la poussière sur vos cils, où était évoquée la fumée des crématoires, et lit d’ailleurs une autre allusion à ce livre avec « les cendres sur ses cils ». S’arrêtant pour rêver aux figures que le temps dessine sur un vieux mur, Julien Bosc reconnaît une fleur et diverses figures d’animaux mais aussi « la face d’un gisant bouche-bée » et, non pas une silhouette mais « le portrait d’un homme » (souligné par moi) dont les traits « expriment une immense tristesse ». Aussi l’idée de la disparition habite-t-elle le livre, le matin au réveil ou lorsqu’un travail physique occupe la journée, toujours sont présents les « anciens galets dans la gorge », galets déjà dans le poème d’ouverture. Cependant, dans le temps même où tout semble vaciller, être noué, existent une échappée, la possibilité de quitter ce qui provoque la détresse.

Le lecteur revient alors à un autre livre de Julien Bosc, La Coupée, récit en vers d’un court voyage sur un navire conteneur qui l’a fait « passer (…) de l’autre côté du miroir » et, le voyage achevé, il prend soin d’écrire qu’il faudra « prendre garde     à ne sombrer ni toucher le fond ». La mer libératrice et le vocabulaire de la marine sont sans cesse présents dans La demeure et le lieu et aux endroits ou aux moments les plus inattendus. De l’évocation de la nuit et d’arbres en hiver on saute à celle de poussière de coquillage : de là à « un esquif pris dans la tempête », une mouette. La mer est également là quand le vent est fort, « il suffit de fermer les yeux (…) », et c’est le rivage et, la nuit, la lune devient phare pour guider 

vers le large     la côte 

l’aventure         ou sa nostalgie

Un poème est remarquable pour suivre la transformation des éléments du quotidien en paysage marin : une énumération — nom + qualification — de choses vues « de bas en haut » permet de passer d’un ruisseau à des cumulus qui « très lentement dérivent

         sur la voie du retour

         des feux là et là entre la ligne des arbres

le bourdonnement des mouches

les stridulations des grillons

un phare enfin

un port d’attache

et

assis sur une étroite jetée

un vieux pêcheur (…) »

 

Seul le départ pourrait écarter « la pensée d’en finir », sortir de la répétition et de la présence du passé que rappellent de petites actions de la vie de chaque jour. Pourtant, on peut aussi lire dans le souci de les rapporter, comme le sait bien Julien Bosc, « une manière parmi d’autres de conjurer la mort / ou / plus simplement / de déjouer les sempiternelles incertitudes de l’existence ». Certes, sa disparition conduit à lire dans les poèmes des signes de son choix de tout quitter, on peut cependant lire et relire La demeure et le lieu sans rien connaître du destin de son auteur et l’on est fortement touché par sa manière d’empoigner la vie.

 

Julien Bosc, La demeure et le lieu, Faï Fioc, 2019, 80 p., 9 €. Cette recension a été publiée sur Sitaudisle 19 juin 2019.

21/07/2019

Philippe Jaccottet, Après beaucoup d'années

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À la brève rose du ciel d’hiver

on offre ce feu de braises

qui viendrait presque dans la main.

 

(« Cela ne veut rien dire », diront-ils,

« cela ne guérit rien,

ne sècherait même pas une larme… »)

 

Pourtant, voyant cela, pensant cela,

le temps d’à peine le saisir,

d’à peine être saisi,

n’avons-nous pas, sans bouger, fait un pas

au-delà des dernières larmes ?

 

Philippe Jaccottet, Après beaucoup d’années,

dans Œuvres, La Pléiade / Gallimard, 2014,

p. 856.

20/07/2019

René Char, La fontaine narrative

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                               Le martinet

 

Martinet aux ailes trop larges, qui vire et crie sa joie autour de la maison. Tel est le cœur.

 

Il dessèche le tonnerre. Il sème dans le ciel serein. S’il touche au soleil, il se déchire.

 

Sa repartie est l’hirondelle. Il déteste la familière. Que vaut dentelle de la tour ?

 

Sa panse est au creux le plus sombre. Nul n’est plus à l’étroit que lui.

 

L’été de la longue clarté, il filera dans les ténèbres, par les persiennes de minuit.

 

Il n’est pas d’yeux pour le tenir. Il crie, c’est toute sa présence. Un mince fusil va l’abattre. Tel est le cœur.

 

René Char, La fontaine narrative, dans Œuvres complètes, La Pléiade / Gallimard, 1983, p. 276.

19/07/2019

Jules Supervielle, La Fable du monde

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La mer secrète

 

Quand nul ne la regarde

La mer n’est plus la mer,

Elle est ce que nous sommes

Quand nul ne nous voit.

Elle a d’autres poissons,

D’autres vagues aussi.

C’est la mer pour la mer

Et pour ceux qui en rêvent

Comme je fais ici.

 

Jules Supervielle, La Fable du monde,

dans Œuvres poétiques complètes, édition

Michel Collot, Pléiade /Gallimard,

1996, p. 402.

18/07/2019

Jues Renard, Journal, 1887-1910

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Si, au lieu de gagner beaucoup d ‘argent pour vivre, nous tâchions de vivre avec peu d’argent ?

 

Il y a les bons écrivains, et les grands. Soyons les bons.

 

Il faut être honnête et modeste, mais il faut dire qu’on l’est.

 

Aller parfois dans le monde pour avaler un verre de bile.

 

Écrire, c’est une façon de parler sans être interrompu.

 

Jules Renard, Journal 1887-1910, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 254, 263, 264, 273, 277.

 

17/07/2019

Samuel Beckett, Peste soit de l'horoscope

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                  Précepte

 

Passe les années d’études à gaspiller

Le courage qu’il faut pour les années d’errance

Dans un monde qui se détourne poliment

Des incongruités de l’érudition

 

                                               Gnome, 1934

 

Samuel Beckett, Peste soit de l'horoscope, traduction

Édith Fournier, éditions de Minuit, 2012, p. 27.