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14/06/2016

Emil Cioran, Syllogismes de l'amertume

                                                Cioran, Syllogismes de l’amertume, chaos, impossible, silence, malaise

Le public se précipite sur les auteurs dits « humains » ; il sait qu’il n’a rien à en craindre : arrêtés, comme lui, à mi-chemin, ils lui proposeront un arrangement avec l’Impossible, une vision cohérente du Chaos.

 

Point de salut, sinon dans l’imitation du silence. Mais notre loquacité est prénatale. Race de phraseurs, de spermatozoïdes verbeux, nous sommes chimiquement liés au Mot.

 

Il est incroyable que la perspective d’avoir un biographe n’ait fait renoncer personne à avoir une vie.

 

Presque toutes les œuvres sont faites avec des éclairs d’imitation, avec des frissons appris et des extases pillées.

 

Cette espèce de malaise lorsqu’on essaie d’imaginer la vie quotidienne des grands esprits… Vers deux heures de l’après-midi, que pouvait bien faire Socrate ?

 

 

Emil Cioran, Syllogismes de l’amertume, Idées/Gallimard, 1976, p. 19, 21, 23, 25, 30.

13/06/2016

E. E. Cummings, No Thanks

                                               eecummings.jpg

à l’amour sois (un peu)

Plus attentif

Qu’à tout

tiens-le seulement peut-être

 

À peine moins

(étant au-delà d’ô combien)

serré que

Rie, souviens t’en par de fréquentes

 

Angoisses (imagine

Son moindre jamais avec ta meilleure

mémoire) donne entière à chaque

Toujours en liberté

 

(Ose jusqu’à une fleur,

comprenant outre mesure le soleil

Ouvre quel millième pourquoi et

découvre le rire)

 

 E. E. Cummings, No Thanks, traduit et

présenté par Jacques Demarcq, NOUS,

2011, p. 68.

12/06/2016

Laurent Fourcaut, Alcools de Guillaume Apollinaire : recension

 

laurent fourcaut,alcools de guillaume apollinaire

 

   Il est bon aujourd’hui de relire Wilhelm Apollinaris de Kostrowistky, naturalisé français, né en Italie de père inconnu et d’une mère polonaise, elle-même née en Lituanie province russe ; aujourd’hui, c’est-à-dire à un moment où les migrants, plus largement l’ « autre » (Rrom, Syrien, Irakien, Éthiopien— liste qui ne peut se clore), est ‘’invité’’ à repartir chez lui. Cela a à voir avec les années 1900, où le rejet de qui n’était pas français de souche ( ?) existait : Apollinaire eut à en souffrir et ce n’est pas hasard si les exilés ont une grande place dans son œuvre.

   Plusieurs pages sont consacrées à rappeler ce qu’était Paris au début du xxe siècle, au moment de la publication d’Alcools en 1913, tant du point littéraire que musical — Du côté de chez Swann sort la même année, comme Le Sacre du Printemps — et pictural : toutes les avant-gardes sont dans la capitale. Il n’est pas non plus indifférent de se souvenir qu’Apollinaire vit au moment où toute une série d’innovations voient le jour : l’automobile, l’avion, le métro, le cinéma…, où l’empire colonial s’étend. À côté de ce contexte large, Laurent Fourcaut appelle que l’œuvre d’Apollinaire se caractérise par sa diversité (poésie, contes, romans, théâtre, chroniques d’art), précise ce qu’a été la formation du poète, détaille la genèse et la composition d’Alcools, commente la versification et l’emploi d’un vocabulaire rare (un lexique est donné en annexe), étudie le rythme fondé sur la marche et le chant, « dans les pulsions mêmes du corps. »

Mais que pouvons-nous donc encore apprendre à propos d’Alcools, recueil qui a suscité de nombreux essais ? Laurent Fourcaut, qui connaît fort bien la poésie contemporaine et anime la revue Place de la Sorbonne, poète lui-même, a lu toutes les études dont il donne une liste commentée. Son but est de lire Alcools à partir d’un fil rouge : sans père, sans nom, sans patrie, sans langue, Apollinaire représente une « espèce de forme pure de l’abandon et du manque », et l’on peut suivre dans son œuvre sa quête d’une identité. Non pas pour recouvrer un ‘’je’’ entier, sans faille : l’unicité n’existe pas et « la poésie [d’Apollinaire] consiste à donner forme — donc mille formes changeantes, mille tons divers, mille sens éclatés — à ce mouvant et polyglotte gisement du moi que Freud au même moment appelle inconscient ». C’est donc un ‘’moi’’ éclaté qui apparaît, et cette dispersion se manifeste par le biais de la multiplication des références : Apollinaire mêle les époques et les lieux, l’histoire et les mythologies, emprunte aux religions et aux littératures. Mais s’il s’empare de l’héritage culturel qu’il a assimilé, c’est pour le secouer, y prendre son bien : l’héritage est une assise, mais aussi ce qui contraint, et même asservit, et dont il faut s’affranchir ; on y apprend des formes nouvelles et la multiplicité des figures que l’on y rencontre permet de forger sa voie / voix.

   C’est dire que le ‘’je’’ n’a pas « d’autre réalité […] que celle que lui [confère] le défilement indéfini, sur la page, des mots, des motifs, des images, des formes », et Laurent Fourcaut suggère de lire Alcools comme « un théâtre où le poète met en scène la tragédie […] de son identité problématique, insaisissable, égarée. » Cette lecture, il la propose en s’appuyant sans cesse sur le texte, en analysant les motifs qui se chevauchent dans le recueil, ceux du temps qui passe, de l’ombre — de l’inconstance, du dédoublement —, de la folie, du rêve, de la « bouche-sexe » de la mère, de « la femme impossible », de l’amour enfui, de l’exilé.

   Dans un dernier chapitre passionnant, Laurent Fourcaut met en parallèle la vision de la ville dans Alcools, un tableau de Chagall et trois autres perceptions (Rimbaud, Verhaeren, Aragon) ; la ville est objet poétique, image de l’ère nouvelle pour Apollinaire, par excellence pour tous l’espace des métamorphoses, une « métaphore de la poésie ». Ce n’est peut-être pas ce que les lecteurs du xxie siècle lisent dans Apollinaire, plus séduits dans Alcools par la tradition élégiaque — il faut rappeler que ses contemporains étaient très sensibles à la diversité des thèmes et des tons, au caractère baroque de l’œuvre.

 

Laurent Fourcaut, Alcools de Guillaume Apollinaire, Calliopées, 2015, 144 p., 15, 60 €.

Cette recension a été publiée sur Sitaudis le 19 mai 2016.

 

 

 

 

11/06/2016

Ana Tot, méca

je suis dupe. Mon regard a beau pivoter à cent quatre-vingt degrés de gauche à droite de bas en haut je suis dupe. Je ne sens pas que je suis dupe. Si je pouvais sentir la duperie dont je suis l’objet je ne serais pas dupe. Je ne sais pas que je suis dupe. Si je pouvais savoir la duperie dont je suis l’objet je ne serais pas dupe. Non seulement j’ignore ce qui me dupe mais j’ignore même si je le suis. Dupe. Je suis dupe. Simplement je suis dupe. Si je pouvais savoir, savoir simplement que je suis dupe sans pour autant évidemment savoir d’où vient la duperie ni ce qu’elle est, il va sans dire, sous peine d’y mettre un terme, et sans pour autant cesser d’être dupe, ah, si seulement ! je pourrais jouir alors d’être dupe. Mais je suis dupe et c’est à peine si une vague et vaine caresse de satisfaction

 

                                   (m’effleure)

 

Ana Tot, méca, Le Cadran ligné, 2016, p. 11.

Le Cadran ligné, éditions fondées par Laurent Albarracin :

Le Mayne, 19700, Saint-Clément

10/06/2016

Jean Genet, La Parade

                                                  Jean-Genet.jpg

La Parade

 

Silence, il faut veiller ce soir

Chacun prendre à ses meutes garde,

Et ne s’allonger ni s’asseoir

De la mort la noire cocarde

 

Piquer son cœur et l'en fleurir

D’un baiser que le sang colore,

Il faut veiller se retenir

Aux cordages clairs de l’aurore.

 

Enfant charmant haut est la tour

Où d’un pied de neige tu montes.

Dans la ronce de tes atours

Penchant les roses de la honte.

 

On chante dans la cour de l’Est

Le silence éveille les hommes.

Silence coupé d’ombre et c’est

De fiers enculés que nous sommes.

 

Silence encor il faut veiller

Le Bourreau ignore la fête

Quand le ciel sur ton oreiller

Par les cheveux prendra ta tête.

 

Jean Genet, La Parade, dans Le condamné

à mort, L’enfant criminel, L’Arbalète,

1966, p. 69-70.

09/06/2016

Claude Dourguin, Points de feu

Mars sur sa fin : l’orge est sorti de terre, la grande parcelle a changé de couleur imperceptiblement (je l’ai sous les yeux, au sens propre puisqu’elle s’étend à quelques mètres en contrebas, chaque jour), brun roux puis strié à peine, irrégulièrement selon le sol, de vert pâle, puis quadrillé de franches bandes vertes. Les tiges ont à peine quelques centimètres mais cela suffit : désormais chaque matin une bande de chevreuils — deux adultes et trois jeunes — prennent leur petit déjeuner en même temps que moi. Souvent ils renouvellent l’opération le soir, tôt vers six heures, six heures et demie. Ils broutent en tranquillité, nonchalants comme s’ils savouraient les jeunes pousses succulentes, tendres à coup sûr, et, sans doute, le font-ils — quelle raison de les croire dénués de goût ?

 

Claude Dourguin, Points de feu, Corti, 2016, p. 25.

               

08/06/2016

Bashô, Seigneur ermite

Basha, Seigneur ermite, saisons, printemps, hiver, automne, vent

Espérant le chant du coucou,

j’entends les cris

du marchand de légumes verts

 

L’automne est venu —

sur l’oreiller

le vent me salue

 

Sous une couverture de gelée,

un enfant abandonné

sur un matelas de vent

 

Ah ! le printemps, le printemps,

que le printemps est grand !

et ainsi de suite

 

Les pierres semblent fanées

et même l’eau s’est tarie —

l’hiver à son comble

 

Bashô, Seigneur ermite, édition bilingue

par Makoto Kemmoku et Dominique

Chipot, La Table ronde, 2012, p. 64,

66, 69, 77, 82.

 

07/06/2016

Henri Thomas, Nul désordre

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                                                               L’interrogé

 

— Où, tes poèmes futurs ?

— Derrière le mur.

 

— Où le vois-tu ce rempart ?

— Partout. Nulle part.

 

— Et toi-même, où donc tu perches ?

— C’est ce que je cherche.

 

Henri Thomas, Nul désordre, dans

Poésies, Poésie/Gallimard, 1970, p. 208.

 

 

06/06/2016

Ghérasim Luca La Paupière philosophale : recension

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     Un numéro de la revue Europe consacré en grande partie à Ghérasim Luca paraît en même temps que La paupière philosophale : c’est une somme sur ce poète trop méconnu et nous y reviendrons. La prière d’insérer précise que le recueil de courts poèmes publié par les éditions Corti a été écrit en 1947, la même année que Passionnément, qu’il faut relire — mais peut-on se passer de relire Le chant de la carpe, La proie s’ombre, ou d’écouter Ghérasim Luca dire Comment s’en sortir sans sortir ? Pour l’instant, nous découvrons comment l’on peut écrire à propos de pierres précieuses.

     Le livre est partagé en 10 courts ensembles, le premier non pas sur une paupière — il n’y a que des yeux ouverts sur le monde des mots —, mais amorçant la suite consacrée aux pierres, l’opale, l’onyx, le lapis-lazuli, etc. Ghérasim Luca les décrit à sa façon, en considérant que ce sont des mots : il s’agit de décomposer chaque nom et de composer d’autres mots à partir de là. ‘’Opale’’ contient le son ‘’o’’, qui peut donc prendre la forme écrite ‘’eau’’, ‘‘au’’ ; ‘’pale’’ se décompose en ‘’pal’’, ‘’al(e)’’, ‘’pa’’, ‘’p’’, et l’on peut encore ajouter ‘’op’’. Tous ces éléments phoniques ou graphiques, fragments de ‘’opale’’, sont assemblés de diverses manières de sorte que le lecteur puisse reconnaître (entendre ou lire) ‘’opale’’, ou un des éléments du nom. Ainsi dans le second poème pour cette pierre :

          L’eau palpe le poulpe
         

          Mais le hâle le pèle

     Après la reprise du mot (« L’eau pal[pe] »), Ghérasim Luca introduit une variation de la suite ‘’al’’, et ‘’pal’’ devient ‘’poul’’, puis ‘’pèl’’ — ‘’poulpe’’ apparu dan le premier poème formé d’une série avec des mots de construction ‘’p + voyelle’’. Ces manipulations aboutissent à de mini récits souvent pleins d’humour et toujours évoquant un univers étrange ; la syntaxe étant respectée, on cherche assez spontanément à savoir « ce que ça veut dire ». Ça veut dire que défaire les mots (prononcés, écrits) et en agencer les éléments dans un autre ordre, aboutit à proposer des associations insoupçonnées.

     Prenons la turquoise. Avec un principe de décomposition analogue, le mot offre ‘’tu’’, ‘’tur’’, ‘quoi’’, ‘’qu + voyelle’’, ‘’q’’, ‘’oi’’, donc ‘’oua’’, ‘’oa’’. Tous éléments à partir desquels se bâtit un poème nonsensique :

          Sur le turf oiseux d’un tutu
 / Turlututus et turluttes
  / Sont disposés en quinconce

          Trois-quarts en ouate pour les oiseaux
 / Trousse-queue en quartz pour les oasis

      Le lecteur prendra plaisir à suivre les transformations opérées avec les mots onyx, lapis-lazuli, saphir, chrysophrase, améthyste, rubis et émeraude — ce dernier contient ‘’mer’’, donc ‘’mère’’, et ‘’raude’’, d’où avec changement de consonne ‘’raube’’, et Gérasim Luca écrit alors : « Elle [= l’émeraude] est comme la mère d’une robe ». Il prendra plaisir parce que l’on entre aisément dans cet univers qui, certes, se dérobe au sens, mais s’offre généreusement à l’imaginaire de chacun.

 

Ghérasim Luca, La Paupière philosophale, Corti, 2016, 
80 p.
,14 €. Cette note de lecture a été publiée sur Sitaudis le 20 mai 2016.

 

05/06/2016

Max Jacob, Le Laboratoire central

                                764519.jpg

Véritable petit orchestre

 

(Partie descriptive)

 

Houlettes du Grésivaudan

Sur le sol glacé des prairies

Les souliers mordorés près des fleuves

Rochers ou les barquettes des bergers

 

(Partie musicale)

 

Saint sein ! vive le sein !

Vive le vin divin du Rhin

Où Chio ? ou Ténédo ? louez l’Ohio.

Point ! Point ! Point !

L’auto miaule, pioupiou piaule

Marabout l’allume

L’allume à la lune.

Je vais faire la niche

La niche aux péniches

Point ! Point ! Point !

Bout des coussins des marsouins.

Point ! Point ! Point !

Pape ! papal ! pape alors à l’or.

Point ! Point ! Point !

Élie ! Allah ! Alain !

Tiens ! il neige ! zut.

Le rat pose beaucoup de plumes.

 

(Partie philosophique)

 

Unanime j’aime et rode

Nature sous la neige imperturbable

L’habitude du danger rend les hommes prudents

         Et le femmes téméraires.

 

Max Jacob, Le Laboratoire central, dans Œuvres,

édition Antonio Rodriguez, préface Guy Goffette,

Quarto/Gallimard, 2012, p. 606.

04/06/2016

Georges Bataille, Minibus date lilia plenis, dans L'Expérience intérieure

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Qui suis-je

pas « moi » non non

mais le désert la nuit l’immensité

que je suis

qu’est-ce

désert immensité nuit bête

vite néant sans retour

et sans rien avoir su

Mort

réponse

éponge ruisselante de songe

solaire

enfonce-moi

que je ne sache plus

que ces larmes

 

           *

 

Poèmes

pas courageux

mais douceur

oreille de délice

une voix de brebis hurle

au delà va au delà

torche éteinte

 

Georges Bataille, Manibus date lilia

plenis, dans L’Expérience intérieure,

Gallimard, 1954, p. 205 et 207.

03/06/2016

Étienne de la Boétie, Sonnet XXII, dans Œuvres complètes

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Quand tes yeux conquerans estonné je regarde,

J’y veois dedans à clair tout mon espoir escript ;

J’y veois dedans Amour luy mesme qui me rit,

Et m’y mostre, mignard, le bon heur qu’il me garde.

 

Mais, quand de te parler par fois je me hazarde,

C’ets lors que mon espoir desseiché se tarit ;

Et d’avouer jamais ton œil, qui me nourrit,

D’un seul mot de faveur, cruelle, tu n’as garde.

 

Si tes yeux sont pour moy, or voy ce que je dis :

Ce sont ceux là, sans plus, à qui je me rendis.

Mon Dieu, quelle querelle en toi mesme se dresse,

 

Si ta bouche & tes yeux se veulent desmentir ?

Mieux vaut, mon doux tourment, mieux vaut les despartir,

Et que je prenne au mot de tes yeux la promesse.

 

Étienne de la Boétie, Sonnet XXII, dans Œuvres complètes d’Estienne de la Boétie, 2 vol., Introduction, bibliographie et notes par Louis Desgraves, William Blake and C°, 1991, II, p. 154.

02/06/2016

Albert Camus, Carnets III, mars 1953-décembre 1959

                                  albert_camus-1.jpg

Cahier VII, 1953

Nécessité d’une aristocratie. Dans le présent, on ne peut en imaginer que deux : celle de l’intelligence et celle du travail. Mais l’intelligence à elle seule n’est pas une aristocratie. Ni le travail (les exemples, dans les deux cas, sont évidents). L’aristocratie n’est pas d’abord la jouissance de certains droits, mais d’abord l’acceptation de certains devoirs qui, seuls, légitiment les droits. L’aristocratie c’est à la fois s’affirmer et s’effacer. Pour sortir de soi (définition du devoir) l’intelligence ne peut aller vers les privilèges. Les uns font partie d’elle-même, les autres sont le contraire de l’intelligence. Et le devoir ne consiste ni à s’affirmer ni à se supprimer mais à faire servir ce qu’on affirme. Elle ne peut donc aller que vers le travail qui est son devoir et sa limite. Le travail de son côté ne peut aller vers l’abêtissement, inconscient ou conscient (humiliation généralisée de l’intelligence) qui est ou lui-même, ou son contraire (voir plus haut). Il ne peut donc aller que vers l’intelligence… Finalement l’aristocratie du travail et celle de l’intelligence ne sont possibles, dans le présent, que si elles se reconnaissent l’une l’autre, et commencent à marcher l’une vers l’autre pour consacrer un jour une seule image supérieure de l’homme.

 

La seule source de l’aristocratie c’est le peuple. Entre les deux, il n’y a rien. Ce rien qui est la bourgeoise, depuis 150 ans, essaie de donner une forme au monde et n’obtient qu’un néant, un chaos qui ne se survit encore qu’à cause de ses anciennes racines.

 

Albert Camus, Carnet III, mars 1953-décembre 1959, Folio / Gallimard, 2013 (1989), p. 122-123, 123.

01/06/2016

Guennadi Aïgui, Hors-commerce Aïgui

                                         814018649.jpg

Sommeil : formes de Arp

 

mais tressaillit

la blancheur du sommeil ­ — d’un mouvement

de forces qui sans nom ni apparence

 

— mais quelque part croissaient et bruissaient

la pomme le soleil et la colombe

 

et puis le matin infini

dans le champ sans la-ville-et-la-forêt

brûlait de figures intérieures —

 

de forces — qui se prolongeaient

dans la lueur du jour

 

Guennadi Aïgui, Hors-commerce Aïgui, poèmes

traduits par A. Markowicz, Le Nouveau

Commerce, 1993, p. 112.