25/02/2015
Nathalie Quintane, Les poètes et le pognon
Conclusion de : "Les poètes et le pognon", article de Nathalie Quintane publié le 23 février dans Sitaudis.
À lire intégralement !
Parler travail et parler de travail, c'est la chose dégoûtante à laquelle a du mal à se résoudre le « milieu culturel » - donc les poètes qui en font partie. Aussi prend-on bien soin de dire plutôt "activité" ou "passion", quand on parle d'art et de poésie, pour soigneusement les distinguer du travail salarié ou des "interventions" payées au lance-pierre qui, par transfert, permettent de vivre "en poésie". Tant que le travail artistique ne sera pas reconnu et défini comme un chantier ou un laboratoire - au premier degré, littéralement et non métaphoriquement -, tant qu'on lira métaphoriquement Rimbaud (« d'autres horribles travailleurs »), tant qu'on refusera (ou qu'on omettra, par intérêt et non par pudeur) de considérer le travail artistique comme un travail et d'appeler un chat un chat (car je bosse, présentement), tant qu'on le fera, plus ou moins consciemment, pour ne pas être assimilé et confondu avec la plèbe des travailleurs ordinaires, tant qu'on contribuera à faire perdurer la légende de l'artiste moderne en croyant qu'elle nous protège alors qu'elle ne fait que nous exposer davantage à la dureté des temps en nous isolant, et par cet isolement, empêche qu'on envisage de possibles actions communes, des actions qui aillent au-delà du collectif ad hoc ou des associations provisoires qui se sont multipliées ces dernières années (pour [...] compenser l'atomisation du marché de l'art, la fin des galeries, etc), des actions qui ne regroupent pas seulement des artistes ou des intellectuels précaires (mais c'est déjà ça) et iraient à la rencontre des autres travailleurs, nous pourrons dire non seulement que nous avons largement contribué à installer la situation calamiteuse dans laquelle nous sommes, nous, mais qu'en plus nous y avons contribué pour tous les autres en pariant essentiellement sur notre propre tête - "au cas où", "tôt ou tard", comme diraient les économistes, qui sait, ça peut tomber sur moi, je peux enfin réussir en art -, et en validant ainsi le fait que parier sur sa propre tête est le bon modèle, le modèle à suivre.
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25/02/2014
Paul de Roux, Au jour le jour, Carnets 2000-2005 (2)
L'amour d'un jardin, d'une maison à restaurer, d'un palimpseste à déchiffrer. Voilà ce qui unit. On ne partage que le travail.
Tout se résume en cela : l'insatisfaction de soi-même.
Alors que l'on n'a que trop tendance à attribuer à autrui la responsabilité de son état. Toute doctrine qui exalte la liberté et la responsabilité de la personne est, de ce point de vue, excellente.
Plus un art est grand, moins on peut en voir de pièces. On s'aperçoit soudain que tel tableau, telle sculpture dit tout ce que l'on était susceptible d'entendre à l'instant et il ne reste plus qu'à s'éloigner pour ne pas être indigne de nouvelles rencontres.
Jour et nuit
Grande balançoire, ces ondulations,
terre s'étendant en vergers, moissons,
terre levée en buttes et bosquets
à l'horizon qui bleuit, se recueille
sous quelques pâles nuages,
langue ancienne dont nous avons oublié l'alphabet
tracé ici avec une touffe d'herbe, un poirier,
terre ancrée dans les étoiles, révélées
si t'éveille la hulotte.
Paul de Roux, Au jour le jour, Carnets 2000-2005, édition établie par Gilles Ortlieb, Le bruit du temps, 2014, p. 131, 148, 161, 190.
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16/01/2014
Valérie Rouzeau, Neige rien
Conf
Lorsque vous relirez Tacite lorsque vous relirez
(Si on lisait d'abord si on lisait)
Nul n'ignore comme chacun sait
Nous ne reviendrons pas sur le célèbre chapitrou
(Si on venait déjà pour commencer)
Que tout le monde connaît
*
Manœuvres
À l'étroit les trois huit
Virés salaires de rien
Micheline Michelin
Paradis pour demain
Allez toi va-t-en vite
virée ç'a l'air de rien
Micheline Michelin
On te remercie bien
Valérie Rouzeau, Neige rien dans Pas revoir
suivi de Neige rien, La Table ronde, 2010,
p. 103-104.
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28/12/2013
Jean Tardieu, Une Voix sans personne
Les femmes de ménage
Le ciel c'est moi Je sais que mes pauvres étoiles
par le chagrin du temps longuement attendries
vieillissent par degré Ce sont elles que je vois
silencieuses anonymes les genoux pleins de poussière
tôt le matin laver l'escalier quand je viens
accrocher aux murs gris de l'éternel Bureau
mon avare sommeil mes réserves de songe
à l'arbre qui vieillit aussi dans le jardin
'ai dit cent fois j'ai dit mille fois : je connais
j'ai dit : je sais je me souviens c'était hier
tout l'espace ! Ma vie est là dans vos ramures
ma vie est là dans les dossiers ma vie est là
qui s'en va par le téléphone et qui me parle
ma vie est là dans les portes ouvertes
sur le crépitement des lampes le soir
Ah oui
vieilles vieilles étoiles, blancs cheveux poussière
femmes de pauvre ménage de l'aube
puisque c'est moi qui vous le dis je vous protège
nous vieillissons ensemble J'ai compris je sais tout
d'avance car le ciel c'est moi Il faut attendre
et se taire comme tout se tait, je vous le dis.
Jean Tardieu, Une Voix sans personne, Gallimard, 1954, p. 15-16.
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23/04/2013
Raymond Queneau, Une histoire modèle
Le malheur des hommes fait aussi l'objet des récits imaginaires.
Les récits imaginaires ne peuvent avoir pour sujet que le malheur des hommes, sinon, ils n'auraient rien à raconter. Que la conclusion en soit heureuse ou tragique, il faut qu'il y ait eu risques, perturbations, troubles. Dans les idylles les plus anodines, il y a au moins l'ombre du danger. Tout le narratif naît du malheur des hommes.
Travail et littérature.
La littérature est la projection sur le plan imaginaire de l'activité réelle de l'homme ; le travail, la projection sur le plan réel de l'activité imaginaire de l'homme. Tous deux naissent ensemble. L'une désigne métaphoriquement le Paradis Perdu et mesure le malheur de l'homme. L'autre progresse vers le Paradis Retrouvé et tente le bonheur de l'homme.
Emploi de la vie humaine.
L'emploi normal de la vie est donc de travailler et d'imaginer.
Raymond Queneau, Une histoire modèle, Gallimard, 1966, p. 21, 103, 104
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