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11/12/2020

Jean Tardieu, Jours pétrifiés

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Souvenir imaginaire

 

Vous qui avez de grands sourires

c’était pour vous pour vous que le jour était là ;

il passait par vos yeux

comme l’eau dans le sable,

il brillait, il fuyait et l’un de nous

laissait pendre ses mains au fil de la lumière,

l’autre écoutait la plus belle

se taire lentement.

 

Dans la campagne aux longues ombres

ces îlots de statues

c’était peut-être vous peut-être les moissons.

 

C’était au temps où tout recommence,

le temps qui n’a jamais été,

celui qui est dans mes paroles.

 

Jean Tardieu, Jours pétrifiés, dans Œuvres,

Quarto / Gallimard, 2003, p. 271.

27/12/2013

Jean Tardieu, Jours pétrifiés

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                Dialogues pathétiques

 

                               I

                (Non ce n'est pas ici)

 

J'aperçois d'effrayants objets

mais ce ne sont pas ceux d'ici ?

Je vois la nuit courir en bataillons serrés

Je vois les arbres nus qui se couvrent de sang

un radeau de forçats qui rament sur la tour ?

 

J'entends mourir dans l'eau les chevaux effarés

j'entends au fond des caves

le tonnerre se plaindre

et les astres tomber ?...

 

— Non ce n'est pas ici, non non que tout est calme

ici ! c'est le jardin voyons c'est la rumeur

des saison bien connues

où les mains et les yeux volent de jour en jour !...

 

                                IV

                        (Responsable)

                                                      À Guillevic

 

Et pendant ce temps-là que faisait le soleil ?

— Il dépensait les biens que je lui ai donnés.

 

Et que faisait le mer ? — Imbécile, têtue

elle ouvrait et fermait des portes pour personne.

 

Et les arbres ? — Ils n'avaient plus assez de feuilles

pour les oiseaux sans voix qui attendaient le jour.

 

Et les fleuves ? Et les montagnes ? Et les villes ?

— Je ne sais plus, je ne sais plus, je ne sais plus.

 

 

Jean Tardieu, Jours pétrifiés, Gallimard, 1948, p. 59 et 62.

25/07/2013

Jean Tardieu, Jours pétrifiés

 

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                     Regina terrae

 

 

 

          

                                       À Albert Camus

 

Comme un souvenir

je t'ai rencontrée,

personne perdue.

 

Comme la folie,

encore inconnue.

 

Fidèle fidèle

sans voix

sans figure

tu es toujours là.

 

Au fond du délire

qui de toi descend

je parle j'écoute

et je n'entends pas.

 

Toi seule tu veilles

tu sais qui je suis.

 

La terre se tourne

de l'autre côté,

je n'ai plus de jour

je n'ai plus de nuit ;

 

le ciel immobile

le temps retenu

ma soif et ma crainte

jamais apaisée,

 

pour que je te cherche,

tu les as gardés

 

Sœur inexplicable,

délivre ma vie,

laisse-moi passer !

 

Si de ton mystère

je suis corps et biens

l'instant et le lieu

 

ô dernier naufrage

de cette raison,

avec ton silence

avec ma douleur

avec l'ombre et l'homme

efface le dieu !

 

Faute inexpiable

je suis sans remords.

Dans un seul espace

je veux un seul monde

une seule mort.

 

Jean Tardieu, Jours pétrifiés, Gallimard,

1948, p. 77-79.

 

 

 

 

 

16/06/2012

Jean Tardieu, Jours pétrifiés (1942-1944)

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Regina terrae

                                             À Albert Camus


Comme un souvenir

je t'ai rencontrée,

personne perdue.

 

Comme la folie,

encore inconnue.

 

Fidèle fidèle

sans voix sans figure

tu es toujours là.

 

Au fond du délire

qui de toi descend

je parle j'écoute

et je n'entends pas.

 

Toi seule tu veilles

tu sais qui je suis.

 

Le terre se tourne

de l'autre côté,

je n'ai plus de jour,

je n'ai plus de nuit ;

 

le ciel immobile

le temps retenu

ma soif et ma crainte

jamais apaisés,

 

pour que je te cherche,

tu les as gardés.

 

Sœur inexplicable,

délivre ma vie, laisse-moi passer !

 

Si de ton mystère

je suis corps et biens

l'instant et le lieu,

 

ô dernier naufrage

de cette raison,

avec ton silence

avec ma douleur

avec l'ombre et l'homme,

efface le dieu !

 

Faute inexpiable

je suis sans remords.

Dans un seul espace

je veux un seul monde

une seule mort.

 

Jean Tardieu, Jours pétrifiés, 1942-1944,

Gallimard, 1948, p. 77-79.