31/07/2023
Jean Tardieu, Histoires obscures
Mémoire morte
Près des lambris dorés des bureaux
où les corridors filent dans les miroirs sans fin
chaque porte, chaque pilier
cache un tueur qui s’ennuie et bâille ;
le temps est long et le gage est mince.
Cependant au dehors dans l’ombre des immeubles
plus d’un portail abrite de la pluie
une femme debout brillante comme une vitrine
qui regarde avec des yeux vides.
— Allô ? — Oui c’est moi ! ... — Il est temps
— Écoutez... Où êtes-vous ?... Où êtes-vous ?
— Qui parle ? ... qui est là ?... Je n’entendds pas !
La mer a annulé ses avenues :
demain le sable sous le pas des caravanes.
Alors l’archéologie dans les roches
confondra nos siècles et nos jours
et la conque d’un téléphone rouillé
ne livrera aucun secret
sur le bourdonnement de nos paroles.
Jean Tardieu, Histoires obscures, dans
Œuvres, Quarto/Gallimard, 2005, p. 884
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