28/03/2016
John Donne (1572-1631), L'expiration
L’expiration
Achève cet ultime et gémissant baiser
Qui nos âmes aspire et résout en buée.
Partons, spectres tous deux, par chemins opposés
Laissant la nuit couvrit notre heureuse journée.
Nous aimâmes sans tiers ; nul tiers n’aura de part
À cette chiche mort où suffit le mot « Pars ».
Pars, donc. Et si ce mot ne t’a pas fait mourir,
Fais-moi, le redisant une mort point cruelle ;
Sinon, que sur moi-même il vienne rebondir
Et frapper justement une âme criminelle !
À moins que pour ainsi périr il soit trop tard,
Mort deux fois, de partir, et de te dire « Pars ».
John Donne, Poèmes, traduction J. Fumier et
Y. Denis, Poésie / Gallimard, 1991, p. 197.
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03/03/2016
Joseph Joubert, Carnets, II
1805
... comme une araignée qui n’aurait pas de pattes n’aurait pas moins en elle-même l’habileté d’ourdir sa toile.
Quiconque n’est jamais dupe n’est pas ami.
De ce qu’il faut pour vivre avec les autres — et — de ce qu’il faut pour vivre avec soi-même.
1806
Ils se tiennent aux portes et ne voient que par les barreaux.
La grande affaire de l’homme c’est la vie, et la grande affaire de la vie c’est la mort.
La vie entière est employée à s’occuper des autres : nous en passons une moitié à les aimer, l’autre moitié à en médire.
Joseph Joubert, Carnets II, Gallimard, 1994 [1938], p. 76, 87, 87, 95, 100, 100.
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04/10/2015
Emily Dickinson, Nous ne jouons pas sur les tombes
A quiconque sombre, tu diras que cela, debout désormais —
A échoué comme Eux — et conscient qu’il se relevait —
Poussé par le Fait, et non par la Compréhension
Que la Faiblesse s’est dissipée — ou la Force — levée —
Dis-leur que le Pire, est facile dans l’Instant —
L’Effroi, n’est que le Sifflement, avant la Balle —
Quand la balle entre, entre le Silence —
Mourir — annule le pouvoir de tuer —
If any sink, assure that this, now standing —
Failed like Themselves — and conscious that it rose —
Grew by the Fact, and not the Undersatnding
How Weakness passed — or Force — arose —
Tell that the Worst, is easy in a Moment —
Dread, but the Whizzing, before the Ball —
When the Ball enters, enters Silence —
Dying — annuls the power to kill —
Emily Dickinson, Nous ne jouons pas sur les tombes, traduction de l’américain par François Heusbourg, éditions Unes, 2015, p. 71 et 70.
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15/09/2015
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline
L’existence tout de même quel problème
J’en ai assez de vivre et non moins de mourir
Que puis-je faire alors ? sinon mourir ou vivre
Mais l’un n’est pas assez et l’autre c’est moisir
Aussi me peut-on voir errer plus ou moins ivre
C’est un fait je pourrais écrire un bien beau livre
Où je saurais bêler en me voyant périr
Mais cette activité nullement ne délivre
De faire de la mort l’objet de son désir
Les arbres qui marchaient n’inclinaient point leur tête
Les collines courant s’apprêtaient à la fête
De son haut le soleil semait dru ses rayons
La nature en ses plis absorbait ses victimes
L’absurde coq chantait ses prouesses minimes
Et je cherchais la rime en rongeant des crayons
Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline, dans Œuvres complètes, I, Pléiade / Gallimard, 1989, p. 322.
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18/08/2015
Cummings, 95 poèmes
72
je veux bien que la vie
ne vaille de mourir, si
(et quand) les roses se plaignant
que leurs beautés sont vaines
mais pour l’espèce humaine
juger toute mauvaise graine
une rose, les roses (j’en suis
sûr) aussitôt sourient
Cummings, 95 poèmes, traduit
et présenté par Jacques Demarcq,
Points/Seuil, 2006, p. 105.
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15/02/2015
Emily Dickinson, Le Paradis est au choix, traduction Patrick Reumaux
Il n’y a pas de Silence sous terre — aussi silencieux
À endurer
Le formuler découragerait la Nature
Et hanterait le Monde.
*
Qui était-ce sinon Moi qui gagnait la Hauteur —
Qui étaient-ce sinon Eux, qui échouaient !
Mourir a maints tours dans son sac
S’ils pouvaient vivre, ils le feraient !
*
Les collines en syllabes Pourpres
Racontent les Aventures du Jour
À de petites bandes de Continents
Qui regagnent leurs Pénates après l’École.
*
Mourir — sans le Mort
Vivre — sans la Vie
Telle est la pilule Miracle
Qu’on veut nous faire avaler.
Emily Dickinson, Le Paradis est au choix, traduit et
présenté par Patrick Reumaux, Librairie Élisabeth
Brunet, 1998, p. 347.
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27/08/2013
Samuel Beckett, Malone meurt
Je serai quand même bientôt tout à fait mort enfin. Peut-être le mois prochain. Ce serait alors le mois d'avril ou de mai. Car l'année est peu avancée, mille petits indices me le disent. Il se peut que je me trompe et que je dépasse la Saint-Jean et même le Quatorze Juillet, fête de la liberté. Que dis-je, je suis capable d'aller jusqu'à la Transfiguration, tel que je me connais, ou l'Assomption. Mais je ne crois pas, je ne crois pas me tromper en disant que ces réjouissances auront lieu sans moi, cette année. J'ai un sentiment, je l'ai depuis quelques jours, et je lui fais confiance. Mais en quoi diffère-t-il de ceux qui m'abusent depuis que j'existe ? Non, c'est là un genre de question qui ne prend plus, avec moi je n'ai plus besoin de pittoresque. Je mourrais aujourd'hui même, si je voulais, rien qu'en poussant un peu, si je pouvais vouloir, si je pouvais pousser. Mais autant me laisser mourir, sans brusquer les choses. Il doit y avoir quelque chose de changé. Je ne veux plus peser sur la balance, ni d'un côté ni de l'autre. Je serai neutre et inerte. Cela me sera facile. Il importe seulement de faire attention aux sursauts. Du reste je sursaute moins depuis que je suis ici. J'ai évidemment encore des mouvements d'impatience de temps en temps. C'est d'eux que je dois me défendre à présent, pendant quinze jours trois semaines. Sans rien exagérer bien sûr, en pleurant et en riant tranquillement, sans m'exalter. Oui, je vais enfin être naturel, je souffrirai davantage, puis moins, sans en tirer de conclusions, je m'écouterai moins, je ne serai plus ni froid ni chaud, je serai tiède, je mourrai tiède, sans enthousiasme. Je ne me regarderai pas mourir, ça fausserait tout. Me suis-je regardé vivre ?
Samuel Beckett, Malone meurt, éditions de Minuit, 1951, p. 7-8.
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18/02/2013
Anise Koltz, Je renaîtrai
Mon ombre
Je m'embrouille
dans mon ombre
comme dans un filet de pêche
Elle me fait trébucher —
m'enlace au soleil
pour qu'avec lui
je quitte la terre
*
Je vis depuis toujours
Mais j'ignore
dans quel corps
j'ai enfoui ma chair
J'ignore quelle mère
m'a légué sa douleur de vivre
sa douleur de mourir
Tandis que sa sève monte en moi
je la porte comme une amulette
qui attire les maléfices
Anise Koltz, Je renaîtrai, Arfuyen, 2011,
p. 146 et 124.
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03/06/2012
Franck Venaille, Chaos
On naît déjà mort
Ah! ce mur d'anxiété
qui
peu à peu
m'enserre
ALORS
que
je demande simplement à quitter la scène
fût-ce par la sortie bon secours
Ce sont toujours les mêmes qui pratiquent l'autopsie
De leur propre corps
Cela vient du cheval vapeur ouvert dégoulinant de viscères
noirs.
Rien !
On naît rien.
Vite on recoud vite le cadavre vite !
— déjà fané avant l'heure légale —
Vite !
Franck Venaille, Chaos, Mercure de France, 2006, p. 90.
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10/03/2012
Georges Perros, Poèmes bleus
Ces envies de vivre qui me prennent
Et cette panique, cette supplication
Cette peur de mourir
Alors que je n'ai pas encore vécu
Et que dans ces moments
J'ai ma vie sur la langue
Il me semble que ça va être possible, enfin
Que je vais y aller d'une grande respiration
Que je vais avaler le soleil et la lune
Et la terre et le ciel et la mer
Et tous les hommes mes amis
Et toutes les femmes mes rêves
D'un seul grand coup
De poitrine éclatée
Quitte à en mourir, oui,
Mais pour de bon
Pas de cette mort ridicule
Déshonorante, inutile,
Qui accuse la parodie
Qui accuse le défaut
De ce qu'on appelle la vie
Sans trop savoir de quoi nous parlons.
On se renseigne auprès des autres
On leur pose des tas de questions
Avec cette hypocrisie de bonne société
On marque des points en silence
Ils souffrent autant que nous, tant mieux
On se dit même
Qu'on est un peu plus vivants qu'eux
Ô l'horreur
et la fragilité
De nos amours.
Georges Perros, Poèmes bleus, "Le Chemin",
Gallimard, 1962, p. 131-132.
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