22/11/2022
Erich Fried, es ist was es ist
Mais alors
La vie
serait
peut-être plus simple
si je ne t’avais
pas du tout rencontrée
Moins de tristesse
chaque fois
que nous devons nous séparer
moins d’appréhension
de la prochaine séparation
et de la suivante
Et pas non plus
quand tu n’es pas là
tant de ce vain désir
qui ne réclame que l’impossible
et l’immédiat
dans l’instant même
et qui ensuite
parce qu’il ne peut s’accomplir
en est troublé
et respire avec peine
La vie
serait peut-être
plus simple
si je ne t’avais
pas rencontrée
Mais alors
elle ne serait pas ma vie
Quoi ?
Qu’es-tu pour moi ?
Que sont pour moi tes doigts
et tes lèvres ?
Qu’est pour moi le son de ta voix ?
Qu’est pour moi ton odeur
avant l’étreinte
et ton parfum
pendant l’étreinte
et après ?
Qu’es-tu pour moi ?
Que suis-je pour toi ?
Que suis-je ?
Toi
Toi
te laisser être toi
entièrement toi
Voir
que tu n’es toi
que lorsque tu es tout
ce que tu es
la tendresse
et le sauvage
ce qui veut se détacher
et ce qui veut se blottir
Celui qui n’aime que la moitié
ne t’aime pas à moitié
il ne t’aime pas du tout
celui-là veut te tailler sur mesure
t’amputer
te mutiler
Te laisser être toi
est-ce difficile ou facile ?
Cela ne dépend pas de la dose
de calcul et de bon sens
mais de la dose d’amour
et de désir suspendu à tout –
à tout
ce qui est toi
À la chaleur
et à la froideur
à l’amabilité
et à l’obstination
à ton bon vouloir
et ton mécontentement
à chacun de tes gestes
à tes mauvais gestes
ton inconstance
ta constance
Alors cela
te laisser être toi
n’est
peut-être pas
si difficile
Erich Fried, poèmes extraits du recueil Es ist was es ist, Liebesgedichte Angstgedichte Zorngedichte, Berlin, Verlag Klaus Wagenbach, 1983 ; rééd., 2005. Traduction inédite de Chantal Tanet et Michael Hohmann.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
Les commentaires sont fermés.